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Full text of "La premiére histoire en date de Jeanne d'Arc (1625-1630) : histoire de la Pucelle d'Orléans"

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THE  BOSTON  PUBLIC  LIBRARY 


JOAN  OF  ARC  COLLECTION 


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La  Première  Histoire  en  date  de  JEANNE  D'ARC 

(1625-1630; 


HISTOIRE 

LA  PUCELLE  D'ORLÉANS 


EDMOND   RICHER 

Docteur  de  Sorbonne, 
Syndic  de  la  Faculté  de  Théologie  de  Paris. 


TEXTE  GOLLATIONNE  ET  PUBLIE 

d'après  le  manuscrit 
de  la  bibliothèque  nationale,  fonds  français,  cote  10448 


Philippe-Hector  DUNAND 

Chanoine  théologal  du  Chapitre  de  Toulouse, 

Auteur  de  X'Histoire  complète  de  Jeanne  d' Arc,  de  la  Dissertation 

sur  l'abjuration  de  Saiut-Ouen 

el  autres  Études  critiques  sur  l'histoire  de  l'héro'ine, 

couronnées  en  1904  par  l'Académie  française. 

Prix  Marcelin  Guérin. 

*  A  la  gloire  de  Dieu  et  à  l'honneur  de  la  France. 
E.  RicHER,  Advertissement  au  Lecteur. 


TOME    PREMIER 


PARIS 

DESGLÉE,  DE  BROUWER  ET  G'* 

30,    RUE   SAINT-SULPICK,    30 
1911 


statue  monumentale  de  Jeanne  d'Arc 

Par  H.  LOUIS-NOEL 

A  ériger  sur  le  Fort  Sainte- Catherine  à  Rouen 


SOUSCRIPTION  INTERNATIONALE 

lÈGE     SOCIAL     :     6.     RUE    GARANCIÈRE,     PARIS     (vi**) 


PRÉSIDENTS    d'honneur 

MM.   Chari.es  WOESTE,  ministre  «l'État  de  Belgique,  membre  de  la  Chambre  des  représenlani» 
à  Bruxelles  ; 
Louis-Onésime   LORANGER,    ancien  ministre  du   gouvernement   de   Québec,    membre   «lu 
Bureau  des  gouverneurs  de  l'Université  Laval,  à  Montréal. 

président 
M.  Emile  FLOURENS,  ancien  ministre  des  Affaires  étrangères,  à  Paris. 

MEMBRES 

MM.  AusTiN  (Alfred),  Poète- Lauréat,  auteur  du  sonnet  Jeanne  d'Arc,  à  Ashford  (Angleterre); 

BiNDER  (Frantz),  directeur  des  Tablettes  historiques  et  politiques,  à  Munich  ; 

BoiSMOREL  (Ozenne  de),  à  Paris  ; 

Cleveland  (Miss  Rose-Elisabeth),  auteur  de  Joan  of  Arc,  à  New-York. 

Déchin  (Jules),  statuaire,  auteur  de  la  Jeanne  d'Arc  de  l'église  Saint-Maurice  de  Chinoo 
(médaillée  au  Salon  de  190u),  à  Paris; 

DuNAND  (l'abbé  Philippe-Hector),  chanoine  théologal,  auteur  de  VHistoire  complète  de 
Jeanne  d'Arc  et  des  Eludes  critiques,  à  Toulouse; 

GoYAo  (Georges),  auteur  de  Jeanne  d'Arc  devant  l'opinion  allemande,  à  Paris; 

JoBiN  (le  docteur),  avocat,  à  Berne  ; 

JouiN  (l'abbé),  curé  de  Saint-Augustin,  auteur  du  •  Mistère  »  de  Jeanne  d'Arc,  à  Pans. 

Lannoy  {Jean  de),  membre  du  Conseil  de  V Action  catholique  française,  à  Paris; 

Lespinay  (M™"  la  marquise  de).  Présidente  du  Comité  de  la  Ligue  des  J^emmes  fran- 
çaises, à  Paris; 

Maugeret  (M"»  Marie),  secrétaire  de  la  Fédération  Jeanne  d'Arc,  à  Paris; 

Radziwill  (M'"°  la  princesse  Antoine),  à  Berlin; 

RoLAND-GossELiN  (Dominique),  directeur  de  la  Semaine  de  Rome,  à  Rome: 

Saint-Laurent  (M"»  la  comtesse  de),  présidente  générale  de  la  Ligue  des  Femmes  fran- 
çaises, à  Lyon  ; 

Véron  (M"'o  l'amirale),  à  Paris  ; 

ViGNAUD  (Henry),  conseiller  honoraire  de  l'Ambassade  des  États-Unis,  Président  de  la 
Société  des  Ainéricanistes,  à  Bagneui,  près  Paris. 

trésorier 
L.    O  É  L I IV  E  T,  Administrateur  de  la  Maison  du  Peuple  du  Vl«  arrondissement. 

i,  rue  de  la  Planche,  Paris. 

secrétaire  général 
Htîiiry    JOUIPi",   Historien  d'Art,   6,   rue  Garancièrc,  Paris. 

Hauteurs  :  Fort  Sainte-Catherine,  130  m.  20;  socle  11  m.  50;  statue,  10  m.  20.  —  Hauteur 
totale  :   157  m.  82  au-dessus  des  quais. 

Le  monument  dominera  de  0  m.  70  la  flèche  de  la  Cathédrale  de  Rouen  (loi  m.  12),  la  plu» 
élevée  de  l'Univers. 

Toutes  les  souscriptions,  si  minimes  qu'elles  soient,  seront  publiées  dans  la  Revue  bi-mensuellc 
de  l'Œuvre,  et  un  numéro  parviendra  au  souscripteur.  Abonnement  à  la  Revue,  6  francs  par 
an,  de  Janvier  à  Décembre. 

Les  souscripteurs  ou  groupements  qui  auront  versé  50  francs  et  plus,  seront  mentionnés  sur 
des  plaques  de  bronze  à  l'intérieur  du  Colosse.  Un  reçu  personnel  sera  délivré  a  tout  souscrip- 
teur d'une  somme  de  10  francs  et  au-dessus 


HISTOIRE 


PUCELLE  D'ORLÉANS 


1630^ 


La  Première  Histoire  en  date  de  JEANNE  D'ARC 

(U) -25- 1(330) 


HISTOIRE 

LA  PUCELLE  D'ORLÉANS 


EDMOND   RICHER 

Docteur  do  Sorbonne, 
Syndic  de  la  Faculté  de  Théologie  de  Paris. 


TEXTE  COLLATIUNNE  ET  PUBLIE 
d'aprks  i,e  manuscrit 

DE  LA  BlBLlOTHÈglE  NATIONALE,   FONDS  FRANÇAIS,  COTE   10448 
PAR 

Philippe-Hector  DUNAND 

Chanoine  llii-oloKal  du  C.liapilre  de  Toulouse, 

Auteur  do  VHisloire  complète  de  Jeanne  d'Arc,  de  la  Disserlalioii 

sur  l'abjuration  de  Saint-Ouen 

et  autres  Ktudes  critiques  sur  l'histoire  do  l'héroïne, 

couronnées  en  1904  par  l'Académie  franoaise. 

Prix  Marcelin  Gi;iiRiN. 

«  A  la  gloire  de  Dieu  et  à  l'honneur  de  la  France. 
E.  Ric»ER,  Advertissemenl  aie  Lecteur. 


TOME    PREMIER 


PARIS 
DESCLÉE,   DE  BROUWEK  ET  C' 

30,    RUE    S  A  I N  T  -  S  U  L  P  I  C  E  ,    30 

1911 


>^^ 


V  I 


MPRIMATUR    : 


Toulouse,  le  22  février  19H. 


^-   JEAN-AUGUSTIN 

Arclievôque  <le  Toulouse. 


A  Monseigneur  Alfued   BAUDRILLART 

Rectrur  de  l'Institut  (Iatholioue  de  PARIS 


Daigne  Monseigneur  le  RECTEUR 

agréer  l'hommage  de  «  la  première  Histoire  en  date 

de  la  Pucelle  »  ; 

ouvrage  laissé  manuscrit  en  1631  par  fauteur, 

publié  en  1909-1911 

par  les  soins  dit  «  Comité  de  la  Statue  monumentale 

de  Jeanne  d'Arc  ». 


L'UNIVERSITK  DE  PARIS  DU  XVIP  SIECLE 
Au  Jeune  INSTITUT  CATHOLIQUE  DU  XX«  : 
«  Depositum  custodi.  » 

Pour  le  Comité  : 

Emile  FLOURENS.  président  ; 

Abbé  JOUIN,  curé  de  Saint-Augustin,  à  Paris  : 

Chan.  DUNAND.  théologal  du  chapitre  de  Toulouse, 
éditeur  du  texte  et  annotateur. 


EDMOND  RICHER 


DOCTEUR   DE   L  LMVEKSlTii   DE    l'AlUS 


PREMIERE  HISTOIRE  EN  DATE  DE  JEANNE  D'ARC 


INTRODUCTION 


«  Les  livres  ont  leurs  destinées  »,  a  dit  Horace  :  Ha- 
bent  sua  fata  libelli.  Elles  sont  parfois  étranges.  Il  y  a 
des  livres  que  les  contemporains  accueillent  avec  un  en- 
thousiasme qui  déconcerte  la  postérité,  qui  n'est  jamais 
ratifié  par  elle,  et  qui  ne  tarde  pas  à  faire  place  à  un 
discrédit  dont  ils  ne  se  relèvent  plus.  Telle  a  été  la  fortune 
du  poème  de  Chapelain  sur  la  Pucelle  d'Orléans.  Les 
douze  premiers  chants  qui  parurent  d'ahord  eurent 
douze  éditions  en  dix-huit  mois.  Aujourd'hui,  qui  a  lu 
et  qui  lit  ce  poème  admiré  du  grand  siècle,  et,  si  le  nom 
en  a  survécu,  n'est-ce  pas  le  ridicule  (jui  le  sauve  de 
l'ouhli  ? 

En  regard  de  ces  livres  il  en  est  d'autres  qui,  malgré 
un  mérite  dont  tout  le  monde  convient,  ne  parviennent 
point  à  conjurer  le  sort  fatal  qui  semble  avoir  été  jeté 
sur  eux.  Les  contemporains  les  ont  à  peine  remarqués. 
La  postérité,  à  qui  leur  valeur  a  été  signalée,  fait  comme 
les  contemporains  ;  elle  renvoie  à  plus  tard  le  soin  de 

I 


-  LA    PUEMIEliE    HISTOir.E    EN    DATE    DE    JEANNE    D  AUC 

leur  rendre  justice.  Ainsi  en  a-l-il  été,  ainsi  en  est-il 
encore  de  la  première  histoire  en  date  de  la  Pucelle 
d'Orléans,  de  la  première  histoire  digne  de  l'héroïne  et 
de  la  France  ;  histoire  écrite  con  amore  par  un  prêtre, 
docteur  de  Sorbonne,  et  Français  ;  histoire  enfin  signée 
d'un  nom  qui  retentit  souvent  dans  les  premières  an- 
nétïs  du  xvn"  siècle,  et  dont  l'auteur,  syndic  de 
la  Faculté  de  théologie  de  la  capitale,  esprit  dont  on 
peut  ne  pas  approuver  les  idées,  mais  esprit  vigoureux, 
homme  rude  —  Edmundus  Richerius,  acer  homo,  disait 
Bossuet  [Defeiuio  cleri  Gallicani,  Pars  2',  lih.  Yl,  cap. 
xxiv),  —  fut  un  de  ces  hommes  dont  on  est  forcé  d'ad- 
mirer l'énergie  et  le  caractère,  car  il  ne  craignit  pas  de 
résister  en  face  au  tout-puissant  et  dominateur  cardinal 
de  Richelieu.  Lorsque  Edmond  Richer  fut  surpris  par  la 
mort,  il  venait  d'achever  cette  histoire,  travail  considé- 
rable dont  le  texte  manuscrit  ne  compte  pas  moins  de 
1028  pages  in-folio.  Il  avait  obtenu  la  permission  néces- 
saire pour  la  faire  imprimer,  mais  il  ne  put  mettre  son 
dessein  à  exécution.  Le  manuscrit  de  l'histoire  de  la 
Pucelle  attendait  hier  encore  dans  les  casiers  de  la 
Bibliothèque  nationale,  fonds  Français,  n"  10448,  (jue 
des  âmes  srénéreuses  le  tirassent  de  l'oubli. 


Il  n'entre  pas  dans  notre  dessein  de  donner  une  no- 
tice complète  sur  la  vie  et  les  œuvres  du  docteur  Av 
l'Université  de  Paris.  Le  lecteur  trouvera,  dans  la  bio- 
graphie qu'a  écrite  d'Edmond  Richer  Adrien  Baillet,  les 
détails  dont  nous  ne  pouvons  parler  ici,  et  un  exposé 
intéressant  de  ses  doctrines  théologiques  dans  l'ouvrage 


EDMOND    RICHER.    INTRODUCTION  3 

(le  M.  l'abbé  Ed.  IHiyol  qui  a  pour  titre  :  Etude  hutori- 
que  et  critique  sur  la  rénovation  du,  Gallicanisme  an 
commencement  du  dix-septième  siècle  ,  2  volumes  in-S", 
Paris,  Tli.  Olmer  1876.  Nous  ne  nous  occuperons,  dans 
cette  introduction,  que  de  Riclier  Iiistorien  de  Jeanne 
d'Arc. 

Edmond  Ricber  naquit  en  1560  de  parents  peu  fortu- 
nés à  Chaource  ou  Cbource,  localité  du  diocèse  de  Lan- 
gres  en  Gbampagne  —  aujourd'hui  canton  et  paroisse 
du  diocèse  de  Troyes.  —  A  dix-huit  ^ns  il  vint  à  Paris, 
A  vingt  ans,  il  était  reçu  maître  es  arts  ;  il  soutenait 
ensuite  ses  thèses  de  docteur  en  théologie  et  s'adonnait 
à  la  prédication.  En  1594,  il  était  nommé  grand  maître 
et  principal  du  collège  du  cardinal  Lemoine.  Censeur 
de  l'Université  dès  1600,  il  composait  en  1606  un  éloge 
du  chancelier  Gerson.  Le  2  janvier  1608,  il  était  élu 
syndic  de  la  Faculté  de  théologie  de  Paris.  Gallican 
déclaré,  il  fut  l'adversaire  des  Jésuites.  Son  livre  sur  la 
Puissance  ecclésiastique  et  politique  composé  en  1611 
donna  lieu  à  de  nombreuses  protestations.  Les  évoques 
de  plusieurs  diocèses  censurèrent  l'ouvrage.  On  parla 
d'emprisonner  l'auteur  et  de  le  déposer  du  syndicat.  La 
menace  fut  exécutée,  et  en  1612  il  était  déposé  par  let- 
tres patentes  du  roi.  Cependant,  en  la  même  année,  il 
obtenait  un  canonicat  à  Notre-Dame.  Le  reste  de  sa  vie 
ne  fut  qu'une  lulte  doctrinale  continuelle  dans  laquelle 
il  eut  pour  adversaire  Richelieu  lui-môme.  Il  mourut  le 
28  novembre  1631  après  sept  mois  de  maladie,  et  fut 
inhumé  dans  la  chapelle  de  la  Sorbonne.  Il  venait 
d'achever  l'histoire  de  la  Pucelle  et  songeait  à  la  faire 
paraître.   Comment  en   avait-il  conçut  l'idée,   et  (|uelle 


4  LA    PItEMiÈRE    HISTOIRE    EN    DATE    DE   JEANNE    d'ARC 

valeur  convient-il  d'alfribuer  à  son  travail,  tels  sont  les 
points  dont  nous  voudrions  dire  quelques  mots. 

II 

Lu  biographe  d'Edmond  Riclier,  Adrien  Baillet,  parle 
long-uement  dans  sa  biographie  des  ouvrages  ihéologi- 
ques  du  docteur  de  Sorbonne,  de  son  culte  pour  Gerson, 
de  son  ardeur  infatigable  à  défendre  les  doctrines  chères 
à  l'Université  de  Paris,  de  ses  incessants  et  graves  dé- 
mêlés avec  les  puissants  du  jour  :  ministres,  princes, 
évêques,  ordres  religieux.  Ce  que  Baillet  ne  nous  dit 
pas,  c'est  par  quelles  circonstances  l'auteur  ultra-galli- 
can du  traité  de  la  Puissance  ecclésiastique  et  j^olitigue 
fut  amené  à  écrire  l'histoire  de  la  Libératrice  d'Orléans. 
Car,  c'est  dans  les  dernières  années  de  sa  vie  qu'il  en 
conçut  le  dessein.  En  1628,  il  n'en  était  encore  qu'au 
deuxième  livre  ;  —  c'est  lui-même  qui  nous  l'apprend, 
en  parlant  des  armes  d'Angleterre  gravées  sur  les  murs 
delà  Sorbonne;  —  «  elles  y  étaient  demeurées,  dit-il, 
jusqu'à  cette  présente  année  1628,  que  ce  logis  a  été 
entièrement  démoli'.  »  [Histoire  manuscrite,  livre  II, 
f'°  4,  recto.) 

Si  nous  sommes  condamnés  à  ignorer  ces  circonstan- 
ces, nous  pouvons  néanmoins  entrevoir  quelques-unes 
des  raisons  qui  décidèrent  le  docteur  de  Paris  à  traiter 
cet  important  et  nouveau  sujet. 

Edmond  Richer  était  tout  ensemble  un  des  plus  sa- 
vants théologiens  de  l'Université  de  Paris  et  l'un   des 


1.  Il  s'ensuivrait  de  ce  ronseignemenL  que   Fouvrage  aurait  élc  coi 
raencé  en  1626  ou  1627  et  Icnniné  en  1629  ou  1630. 


EDMOND    RICHER.    —    INTUODUCTION  5 

liommes  les  plus  érudits  de  son  temps.  C'était,  en  ou- 
tre, un  Français  de  race,  fier  de  l'être,  et  soucieux  de 
tout  ce  qui  pouvait  obscurcir  ou  accroître  l'honneur  du 
nom  français.  Chez  un  tel  homme,  quatre  choses  expli- 
(}uent  la  résolution  de  donner  à  la  FYance  une  histoire 
authentique  de  sa  Libératrice,  histoire  vraiment  digne 
de  riiéroïne  et  de  son  pays  : 

En  premier  lieu,  l'absence,  le  défaut  de  toute  histoire 
semblable  ; 

En  second  lieu,  les  calomnies  que  les  Anglais  ne  ces- 
saient de  répandre  sur  le  compte  de  la  jeune  fille  qui 
les  avait  vaincus  ; 

En  troisième  lieu,  l'extrême  importance  qu'il  y  avait 
à  dissiper,  à  la  lumière  de  documents  absolument  di- 
gnes de  foi,  ces  légendes  calonmiatrices,  afin  de  faire 
définitivement  justice  des  accusations  mensongères  for- 
mulées contre  la  France  et  contre  l'Eglise,  contre  les 
rois  descendants  de  saint  Louis  et  contre  les  Pontifes 
romains  ; 

En  quatrième  lieu,  la  pensée  de  protester,  à  titre  de 
membre  de  l'Université  de  Paris,  contre  la  conduite  in- 
qualifiable de  l'Université  de  Paris  du  temps  de  Jeanne, 
et  de  montrer  qu'on  admirait  au  xvii^  siècle  la  Libéra- 
trice de  la  France  autant  qu'on  l'avait  méconnue  au  x\^ 

Un  mot  sur  chacun  de  ces  points. 

1°  Au  commencemenL  du  xvii"  siècle,  il  n'avait 
encore  paru  aucune  histoire  de  Jeanne  d'Arc  qui  en 
méritât  le  nom.  L'on  ne  saurait  qualifier  ainsi  l'ouvrage 
qui  fut  écrit  vers  l'an  1500  par  ordre  de  Louis  XIT,  à 
l'instigation  de  l'amiral  Louis  Malet  de  Graviile  :  ou- 
vrage qui  n'a  pas  de  titre,   dont  l'auteur  est  demeuré 


0  LA    l'IlEMIKRE    lIISTOlRli:    EN    DATE    DE    JEAXNE    D  AUC 

inconnu  et  dont  on  n'a  imprimé  que  des  fragments  (Voir 
J.  QiiicHERAT,  Procès,  t.  IV,  pp.  234-256).  Comparé  au 
texte  du  Procès,  dont  il  est  l'abrégé,  ce  travail  «  n'en  est 
qu'une  très  incomplète  et  très  fautive  reproduction  )>. 
{ibicL,  p.  261,  n.  1.) 

Ce  n'est  pas  non  plus  une  histoire  de  la  Pucelle  (jue 
l'opuscule  publié  en  1012  par  un  descendant  du  troisiè- 
me frère  de  Jeanne  d'Arc,  Hordal  Jean,  professeur  à 
l'Université  de  Pont-à-Mousson.  Le  titre  dudit  opuscule 
induirait  à  le  croire,  étant  ainsi  conçu  :  Heroiihv  nobilis- 
simée  Joharmœ  Darc,  Lotliaring;p...,  Historia.  Mais,  bien 
que  Hordal  ajoute  qu'il  a  tiré  les  éléments  de  cet  écrit 
de  divers  auteurs  très  graves  et  très  dignes  de  foi,  — 
Historia  ex  vaiTÏs  gravissimœ  atque  incorrupt.u  fidel 
scriptoribus  excerpta;  —  ces  éléments  ne  sont  pas  des 
documents  historiques,  mais  des  éloges  empruntés  à 
ces  auteurs  divers,  car  Hordal  ne  nous  laisse  pas  igno- 
rer qu'il  se  propose,  non  de  raconter  en  ses  détails  la 
vie  de  l'héroïne,  mais  «  d'en  admirer  l'unité  et  la 
beauté  »  [Op.  cit.,  p.  7).  Sur  231  pages  que  contient  cet 
écrit,  12  seulement,  de  la  page  8  à  la  page  20,  sont  con- 
sacrées au  narré  des  faits.  Un  seul  texte  est  extrait  du 
Procès  de  1456,  celui  de  la  sentence  de  réhabilitation, 
de  la  page  194  à  la  page  2'05,  Les  lettres  d'anoblisse- 
ment octroyées  par  Charles  VII  à  la  famille  de  Jeanne, 
des  éloges  empruntés  à  divers  auteurs  français  et  étran- 
gers, et  des  considérations  sur  la  loi  sali(}ue  remplis- 
sent le  reste  du  volume. 

2°  Si,  au  temps  d'Edmond  Richer,  il  n'existait  pas 
d'histoire  de  la  Libératrice  d'Orléans,  ce  n'est  pas  que 
le  silence  et  l'oubli  eussent  recouvert  de  leur  voile  sa 


EDMOXD    UICIIEIÎ.    —    INTRODUCTION  7 

mission  merveilleuse  et  ses  hauts  faits.  Depuis  son  sup- 
])lice,  on  n'avait  cessé  en  France  et  à  l'étranger  de  s'en 
occuper  ;  les  uns  admirant  et  exaltant  sans  réserve  la 
jeune  fille  qu'ils  regardaient  comme  l'envoyée  de  Dieu; 
les  autres  ne  trouvant  pas  assez  d'injures  pour  satis- 
faire leur  haine  et  flétrir  à  jamais  la  suppliciée  de 
Koucn. 

Richer  connaissait  et  ces  injures  et  ces  éloges,  les  dé- 
tracteurs de  Jeanne  et  ses  admirateurs.  A  la  suite  et  à 
l'exemple  de  Jean  Hordal,  il  remarque  avec  une  joie 
manifeste  «  que  bon  nombre  d'autheurs  de  toutes  les  na- 
tions chrétiennes  ont  rendu  le  fidèle  témoignage  ({ui 
était  dû  aux  mérites  de  la  Pucelle,  encore  qu'ils  n'aient 
jamais  vu  les  actes  de  son  prétendu  procez,  ni  la  revi- 
sion d"icelluy  ».  Et  c'est  ce  témoignage  que  nous  fait  en- 
tendre la  quatrième  partie  de  son  histoire,  partie  dans 
laquelle  des  écrivains  aux  titres  les  plus  divers,  «  théo- 
logiens, ecclésiastiques,  jurisconsultes,  médecins,  his- 
toriens, poètes  »,  et  jusqu'à  des  Anglais,  expriment  leur 
admiration  pour  notre  grande  Française.  (E.  Richer, 
manuscrit  cité,  TV''  partie,  f°  1Û9.) 

Mais,  précaution  que  Jean  Hordal  n'avait  point  songé 
à  prendre,  Richer  ne  présente  au  lecteur  ces  louanges 
veimes  de  toutes  parts  qu'après  avoir  montré,  avec  pièces 
aulhentifjues  à  l'appui,  qu'elles  étaient  méritées,  et 
qu'après  avoir  exposé  tout  au  long  les  faits  de  la  vie 
entière  de  Jeanne  et  prouvé  (ju'ils  les  justifiaient.  Aussi 
bien  était-ce  le  seul  moyen  d'avoir  définitivement  rai- 
son des  calomnies  odieuses,  des  affirmations  menson- 
gères, des  insinuations  perfides  qui  avaient  cours  et  qui 
trouvaient  créance  chez  certains  esprits,  à  celte  époque 
où  les  vraies  sources  de  l'histoire  de  la  Pucelle,  les  deux 


8  LA    PREMIKRE    HISTOIRE    EX    DATE    DE    JEANNE    D  ARC 

Procès  de  condamnation  et  de  réhabilitation,  étaient 
généralement  ignorées.  Obéissant  à  un  même  sentiment 
de  haine  inextinguible,  Anglais  et  faux  Français  met- 
taient à  profit  cette  ignorance  pour  accréditer  leurs  in- 
ventions ignominieuses.'  N'est-ce  pas  un  spectacle  dont 
Richer  fut  témoin  que  celui  d'un  grand  seigneur,  histo- 
riographe officiel  de  France,  jetant  à  pleines  mains  la 
boue  sur  la  figure  virginale  de  la  Libératrice  d'Orléans 
et  du  pays?  Ce  qui  faisait  dire  à  notre  Docteur,  dans 
un  sentiment  d'indignation  qu'il  ne  pouvait  conte- 
nir :  «  Mesmeles  historiens  anglais  n'ontpas  escrittant 
au  désavantage  de  la  Pucelle  que  Du  Haillan^..  Pour 
moy,  je  ne  puis  me  persuader  que  Du  Haillan,  natif  de 
Guienne,  ne  fust  de  quelque  extraction  anglaise,  n'ayant 
pu  celer  la  haine  qu'il  portait  à  cette  vierge.  Le  litre 
d'historien  que  cet  homme  a  usurpé  l'obligeait  de  voir 
et  d'examiner  le  procez  de  cette  fille  et  sa  justification 
attestée  par  cent  douze  témoins,  et  d'en  juger  selon  les 
règles  de  Thistoire.  »  Aussi,  conclut  Richer,  ai-je  ouï 
«  défunt  M^  Pierre  Pithou  parlant  avec  mespris  de  l'his- 
toire de  Du  Haillan  comme  d'un  homme  téméraire  et 
ignorant  «.  (Manuscrit  de  la  Bibl,  Nation.,  f'"  27,  28.) 

3°  Mieux  que  personne,  le  syndic  de  la  Faculté  de 
théologie  de  Paris  était  en  situation  de  saisir  l'intérêt 
majeur  qu'il  y  avait,  pour  l'Église  et  pour  l'État,  à  voir 
se  dissiper  sans  retour  ces  légendes  de  mensonge  et  <à 
voir  apparaître  la  figure  de  la  Pucelle  dans  toute  sa 
beauté.  Il  v  allait  de  l'honneur  de  la  maison  de  France 


1.  Bernard  do  Girard,  seigneur  du  Haillan,  liisloriographe  de  Franee, 
né  à  Bordeaux  en  1535,  mourut  en  1610.  il  fut  donc  un  des  contempo- 
rains d'Edmond  Riclier.  qui  vivait  entre  1560  et  1031. 


EDMOND    RICHER.    INTRODUCTION  y 

que  le  royaume  et  la  chrétienté  fussent  convaincus,  à 
n'en  pouvoir  plus  clouter,  que  Gliarles  VII  devait  sa 
couronne  et  ses  États,  non  point  à  une  fille  d'auberg-e, 
à  une  aventurière  de  mauvaises  mœurs,  à  une  villa- 
geoise suspecte  de  pratiques  démoniaques,  non  point 
même  à  une  fille  à  la  rigueur  honnête,  mais  s'étant  prê- 
tée volontiers  par  vanité  et  inconscience  à  jouer  le  rôle 
d'une  prétendue  envoyée  de  Dieu  ;  la  couronne  de  Fran- 
ce et  son  beau  royaume,  Charles  VII  en  était  redevable 
à  la  plus  pure,  à  la  plus  vaillante,  à  la  plus  généreuse 
des  vierges,  à  une  enfant  de  dix-neuf  ans  morte  dans 
les  flammes  du  supplice,  martyre  du  patriotisme  et  de 
la  chasteté. 

Il  y  allait  aussi  de  l'honneur  de  l'Église  qu'il  fût  dé- 
montré sans  réplique  possible,  d'une  part,  que  la  res- 
ponsabilité de  l'infâme  Procès  de  Rouen  et  de  la  sen- 
tence cruelle  à  laquelle  il  avait  abouti  remontait  unique- 
ment au  prélat  félon,  vendu  à  l'Angleterre,  dont  un 
grand  siège  épiscopal  convoité  devait  payer  la  trahison; 
d'autre  part,  que  si  cette  œuvre  d'iniquité  avait  été  mise 
à  nu,  stigmatisée,  flétrie,  condamnée  sans  appel  ;  si  la  ca- 
lomnie avait  été  confondue,  l'innocence  de  la  victime 
proclamée  de  la  façon  la  plus  solennelle  devant  les  peu- 
ples et  les  monarques,  devant  l'histoire  et  la  postérité, 
c'est  au  Chef  de  l'Église  catholique,  au  pape  Calixte  III, 
d'impérissable  mémoire,  qu'en  revenait  la  gloire. 

Edmond  Richer  avait  l'âme  trop  haute,  l'intelligence 
trop  ouverte,  il  aimait  trop  son  pays  et  l'Église  pour 
ne  pas  sentir  ([uel  intérêt  puissant  il  y  avait  à  ce  que 
la  lumière  se  fit  complète  sur  les  dits  et  gestes  de 
Jeanne  d'Arc  et  sur  le  drame  lugubre  du  Procès  de 
Rouen. 


10  I.V    l'IiEMIÈRE    HISTOIRE    EX    DATE    DE   JEANNE    DARC 

4"  Il  est  une  dernière  considération  qui,  à  coup  sûr, 
l'impressionna  vivement  en  tant  que  membre  et  digni- 
taire de  l'Université  de  Paris.  S'il  balançait  à  se  déci- 
der, cette  considération  était  de  nature  à  Iriomplier  de 
ses  bésitations,  et  à  rétablir  fermement  dans  le  des- 
sein d'écrire  une  véritable  bistoire  de  notre  grande  Fran- 
çaise. 

Nous  disions  tout  à  l'iieure  (jue  la  responsabilité  de  la 
condamnation  inique  de  la  Pucelle  remontait  unique- 
ment à  Pierre  Gauchon,  évéque-comte  de  Beauvais  vl 
pair  du  royaume.  En  cela,  nous  sommes  allés  peut-être 
trop  loin;  plus  d'un  historien  est  d'avis  que  l'Université 
de  Paris  de  1430  partage  cette  responsabilité.  N'est-ce 
pas,  en  elFet^  l'Université  de  Paris,  dont  Pierre  Caucbon 
était  un  des  suppôts  préférés,  qui  le  signala  au  duc  de 
Betbford,  régent  de  France,  comme  le  personnage  le 
plus  capable  de  mener  à  bonne  fin  le  procès  de  la  Pu- 
celle ?  V Aima  mate?',  lorsque  Betbford  eut  accédé 
à  sa  requête,  ne  prit-elle  pas  le  soin  d'envoyer  à 
l'évèque  de  Beauvais,  à  titre  de  conseillers  et  d'asses-_ 
seurs  de  choix,  six  de  ses  docteurs  les  plus  habiles  et  les 
plus  réputés?  Enfin,  ladite  Université,  par  sa  consul- 
tation sur  les  douze  articles,  n'a-t-elle  pas  tracé  la  voie 
aux  membres  du  tribunal  et  n'a-t-elle  pas  provoqué  la 
sentence  finale  de  condamnation  ? 

Edmond  Richer  n'ignorait  pas  cette  triste  page  de 
f  histoire  du  corps  illustre  auquel  il  appartenait.  Ni  ses 
collègues  ni  lui  ne  pouvaient  la  détruire.  Mais  à  cette 
page,  on  pouvait  en  opposer  une  autre,  page  tout  en- 
semble de  protestation  et  de  réparation.  Edmond  Ri- 
cher se  chargea  de  l'écrire.  Le  Procès  de  condamnation 
de  Jeanne,  mis  en  forme  par  maître  Thomas  de  Courcel- 


EDMOND    RICHEn.    INTRODUCTION  11 

les.  nous  (lit  ce  que,  au  xv'"  siècle  en  1431,  VAli/ia 
mater  Univcrsi/afis  Paris  le  lis  is  pensait  de  la  Libéra- 
trice d'Orléans.  L'histoire  manuscrite  d'Edmond  Riclier 
nous  apprend  ce  (ju'en  ont  pensé,  au  xvii"  siècle, 
les  Maîtres  et  Docteurs  de  la  môme  Université . 
Dans  ce  conflit  entre  ceux  que  les  contemporains  de 
Jeanne  d'Arc  nommaient  les  faux  Français  et  les  Fran- 
çais loyaux,  le  dernier  mot  est  resté  aux  vrais  et  loyaux 
Français. 

III 

Ainsi  le  monde  des  lettres  —  on  disait  alors  ia  Répit- 
hlique  des  lettres  —  est  redevable  à  un  docteur  de  Sor- 
bonne,  à  un  fils  et  dignitaire  de  la  vieille  Université, 
d'une  histoire  de  la  Pucelle  digne  de  ce  nom  ;  d'une  his- 
toire écrite  en  français,  non  en  latin;  d'une  histoire 
composée  d'après  les  règles  de  la  plus  saine  critique, 
puisée  aux  sources  les  meilleures  ;  histoire  digne  du  su- 
jet, malgré  les  quelques  défauts  qui  s'y  accusent;  œu- 
vre d'art  et  de  méthode,  œuvre  de  critique  également, 
d'une  oi'donnance  des  plus  naturelles,  marquée  au  coin 
de  l'unité  et  de  la  simplicité,  —  simplex  dumtaxat  et 
unnm  ;  —  ayant  son  point  de  départ  précis,  sa  marche 
proigressive  et  lumineuse,  ses  péripéties  dramaticjues  et 
son  dénouement.  Le  récit  que  l'auteur  se  propose  de 
donner  à  ses  contemporains  est  un  récit  complet,  sans 
lacunes,  des  gestes  et  dits  de  la  Pucelle,  n'ayant  à  ce 
point  de  vue  rien  de  commun  avec  les  récits  répandus 
dans  le  public.  «  Auparavant  ce  jourdhuy,  dit  Richer, 
1  histoire  de  la  Pucelle  d'Orléans  n'a  été  traitée  que  par 
lambeaux  ou  parcelles.  »  Lui  l'exposera  tout  entière 
dans  son  ensemble;   (juatre  livres  y  seront  consacrés. 


12  LA    PREMIEHE    HISTOIRE    EX    DATE    DE    JEANNE    D  ARC 

«  Quant  au  premier  livre  de  cette  histoire,  il  contient 
bien  exactement,  remarque-t-il,  la  vie  de  cette  fille,  re- 
cueillie tant  de  ses  propres  dépositions  que  de  celles  de 
cent  et  douze  témoins  qui  ont  été  ouys  en  la  revision  du 
procez  ; 

«  Le  second  livre  est  l'examen  de  tout  son  procez; 

«  Le  troisième,  la  revision  d'icelluy; 

«  Et  le  quatrième  sera  dédié  à  ses  éloges  que  nous 
avons  extraits  de  divers  auteurs  de  toutes  nations.  » 
(Manuscrit  de  la  Bibl.  Nat.,  Advertisscment  au  lecteiir.) 

Mais  le  point  qu'Edmond  Richer  a  le  plus  à  cœur, 
c'est  l'autorité  et  la  pureté  des  sources  auxquelles  sont 
puisés  ses  éléments  d'information.  Avec  une  loyauté  par- 
faite et  un  sens  critique  remarquable,  il  ne  veut  pas 
«  qu'on  ajoute  plus  de  foy  à  son  récit  que  ne  le  permel- 
tent  les  actes  publics  et  pièces  originales  desquelles 
nous  l'avons  extrait  et  corrigé  ;  car  nous  tenons  pour 
très  véritable  maxime  que  c'est  un  très  grand  sacrilège 
de  mentir  en  matière  d'histoire,  puisque  l'escrire  n'est 
autre  chose  que  sacrifier  à  la  vérité,  comme  disait  un 
ancien  ».  [Advertissement  cité.) 

Ces  «  actes  publics  et  pièces  originales  »  dont  l'auteur 
s'est  servi  pour  écrire  son  histoire,  constituent  des  «  piè- 
ces authentiques  »  et  des  documents  de  premier  ordre  ; 
on  peut  y  ajouter  foi  sans  aucune  crainte,  car  telle  en 
est  la  haute  valeur  que  «  jamais  histoire  humainement 
escrite  ne  fut  plus  véritable  ». 

Sans  doute,  en  dehors  des  deux  procès,  Richer  n'a  eu 
(ju'un  petit  nombre  de  documents  à  sa  disposition  :  il 
les  indique  dans  son  Advertissement  ou  préface.  Il  n'a 
connu  ni  la  Clironique  de  la  Pucelle  que  Denys  Gode- 
froy  publia  seulement  en  1061,  ni  la  plupart  des  elironi" 


EDMOND    RICHER.    liSTRODUCTION  13 

ques  et  pièces  rassemblées  par  Jules  Quichcrat  dans  les 
quatrième  et  cinquième  volumes  de  son  édition  des 
Procès.  Mais  là  ne  se  trouvent  pas  les  sources  vitales 
de  riiistoire  de  Jeanne  d'Arc  ;  pour  les  trouver,  il  faut 
remonter  au  texte  môme  des  deux  Procès.  Si  bien  que, 
en  possession  de  ce  texte,  on  peut  se  passer  de  toutes 
les  chroniques;  et  aucune  cln^onique  ne  pourrait  com- 
bler le  vide  que  ferait  la  perte  du  texte  des  deux  Pro- 
cès. 

Edmond  Richer  puisa  donc  ses  informations  sur 
l'histoire  de  la  Pucelle  aux  vraies  sources,  car  il  eut 
entre  ses  mains,  avec  le  Journal  du  siège  d'Orléans, 
l'une  des  cinq  copies  authentiques  du  Procès  de  con- 
damnalion  et  un  exemplaii'e  non  moins  authentique  du 
Procès  de  réhabilitation.  Aussi  invoque-t-il  à  chaque 
instant  au  cours  de  son  premier  livre,  de  nombreux 
passages  tirés  de  ces  deux  documents,  en  attendant  qu'il 
les  discute  à  fond  dans  un  deuxième  et  troisième  livre. 

L'auteur  n'omet  pas  de  faire  observer  avec  beaucoup 
d'à-propos  (jue  la  plupart  des  passages  qu'il  cite  étant 
empruntés  «  aux  actes  du  procez  que  les  ennemys  con- 
jurés de  la  France,  les  calomniateurs  de  la  Pucelle,  les 
Anglais,  lui  firent  faire  »,  il  n'en  peut  jaillir  sur  sa  mé- 
moire qu'un  «  jour  et  une  lumière  très  certaine  »  ;  de 
telle  sorte  encore  une  fois,  «  que  jamais  histoire  humai- 
nement escrite  ne  fût  plus  véritable  ».  [Advertissement 
au  lecteur.) 

A  cette  lumière,  remarque-il,  s'adjoint  celle  de  la 
revision  qui  fut  faite  du  Procès  de  condamnation,  vingt- 
cinq  ans  après.  Par  une  disposition  admirable  de  la 
Providence,  «  plusieurs  des  juges,  conseillers,  notaires 
et  autres  officiers  du  tril)unal  qui  avaient  été  contrains 


14  LA    PREMIERE    IIISTOIUE    EX    DATE    DE    JEANNE    D  ARC 

et  forcez  par  les  Anglais  d'assister  au  procez  de  1431 
étaient  encore  pleins  de  vie  en  1453,  année  où  il  fut  revu 
par  autliorilé  spéciale  du  Saint-Siège  apostolique  ». 

Aux  enquêtes  de  cette  revision  furent  appelés  à  dépo- 
ser de  très  nombreux  personnages,  «  tesmoins  hors  de 
tout  reproche,  entre  lesquels  il  y  a  des  princes,  plu- 
sieurs grands  seigneurs,  des  gentilshommes,  des  per- 
sonnes bien  qualifiées  qui  avaient  par  un  long  temps 
conversé  avec  la  Pucelle,  tant  aux  armées  qu'ailleurs  »  ; 
ce  qui  amène  Richer  à  tirer  une  troisième  fois  cette  con- 
clusion, que  c(  n'y  eût  onques  histoire  humaine  assistée 
et  fortifiée  de  tant  de  tesmoins,  d'autheurs  et  historio- 
graphes »,  et  qui  se  présente  avec  d'aussi  imposantes 
garanties  de  vérité.  (Manuscrit  cité,  IV"  partie,  ï"  119, 
verso.) 


Puisée  aux  sources  les  plus  sûres,  l'histoire  de  la 
Pucelle  par  Richer  fut,  de  plus,  écrite  en  français. 

En  ces  premières  années  du  xvn''  siècle,  tout  historien 
qui  avait  souci  de  sa  réputation  de  lettré  n'avait  garde 
d'écrire  ses  ouvrages  en  langue  vulgaire;  c'était  bon,  à 
la  rigueur,  pour  les  auteurs  de  mémoires  et  de  chroni- 
ques; mais  un  humaniste  qui  se  respectait  ne  pouvait 
composer  une  histoire  qu'en  latin.  L'homme  que  Bos- 
suet  a  pro('lamé  a  le  grand  auteur,  le  fidèle  historien  », 
le  président  Jacques-Auguste  de  Thou,  écrivit  en  latin 
ÏHisloire  de  son  Icmps,  l'un  des  j)lus  beaux  monuments 
des  temps  modernes.  Edmond  Richer  s'écarta,  en  la 
composition  de  son  ouvrage  sur  la  Pucelle,  de  l'exemple 
de  de  Thou  ;  mais  il  s'en  écarta  pour  d'excellentes  rai- 
sons et  à  bon  escient. 

«   Il  m'eust   été    beaucoup    plus    facile,   observe-t-il, 


KDMOND    RICIIER.    INTRODUCTION  15 

(ri-scriru  celle  liisloire  on  lalin  qu'en  langue  vulgaire, 
considéré  mesme  que  le  procez,  lous  les  acles  et  traitez 
s'y  rapportant  sont  couchez  en  latin.  Neantmoins,  pour 
faire  connaître  à  ma  patrie  combien,  après  Dieu,  elle 
est  obligée  à  cette  fille  qui  ne  imrloit  que  très  bon  fran- 
rois,  j'ay  mieux  aymé  l'escrire  en  noslre  langue,  afin 
(jue  ceux  qui  n'entendent  pas  le  latin,  et  mesme  les 
femmes  et  les  filles,  puissent  profiter  et  reconnaître  les 
merveilles  de  Dieu  envers  le  royaume  de  France,  duquel 
il  a  toujours  eu  un  soin  particulier.  »  [Advertissement 
(lu  lecteur.) 

lY 

Les  érudits  qui  ont  pu  juger  par  eux-mêmes  de  la 
valeur  du  manuscrit  de  Riclier,  s'accorderont  à  conve- 
nir que  Tauteur  réunit  deux  parties  qui  ne  vont  pas 
toujours  ensemble,  celle  de  critique  et  celle  d'historien. 
A  ces  parties,  il  en  joignait  deux  autres  non  moins 
nécessaires  à  l'écrivain  qui  entreprend  d'étudier  à  fond 
les  faits  et  dits  de  la  vierge  Lorraine,  celles  de  cano- 
iiiste  et  de  théologien. 

Comme  critique,  Richer  est  le  premier  qui  a  décou- 
vert les  vraies  sources  de  l'histoire  de  Jeanne  :  sources 
qui  se  trouvent,  nous  l'avons  rappelé,  non  dans  les 
chroniques,  annales,  mémoires  de  l'époque,  mais  dans 
les  deux  Procès  de  condamnation  et  de  réhabilitation. 

Comme  historien,  Richer  a  puisé  largement  et  princi- 
palement à  ces  sources.  Le  moment  venu  d'exposer  les 
actes  des  deux  Procès,  il  ne  s'est  pas  contenté  d'en 
donner  une  idée  sommaire  ;  il  en  a  reproduit  et  traduit 
tout  au  long  les  pièces  les  plus  importantes,  el,  repre- 
nant de  plus  belle  son  rôle  de  critique,  il  les  a  fait  sui- 


16  LA    PREMIERE    HISTOIRE    EN    DATE    DE    JEANNE    D  ARC 

vro  iX advcrtissements  dans  lesquels  il  les  discute,  il  les 
apprécie  au  point  de  vue  des  règles  de  la  critique  histo- 
rique, des  principes  du  droit  soit  positif,  soit  naturel, 
et,  quand  le  sujet  le  demande,  au  point  de  vue  de  la 
théologie  dogmatique  et  morale.  C'est  une  des  supério- 
rités qu'on  ne  pourra  refuser  à  Richer  sur  J.  Quicherat. 
L'éditeur  des  deux  Procès  a  d'autres  mérites,  sans 
doute,  que  nous  nous  garderions  bien  de  contester. 
Mais  la  «  lourde  histoire  »  du  Sorhoniste  jette  sur  les 
points  obscurs  des  deux  Procès  des  clartés  qu'on  cher- 
cherait en  vain  dans  la  publication  de  l'habile  paléo- 
graphe et  des  Aperçus  nouveaux. 

On  l'oublie  trop  facilement,  l'histoire  de  la  Pucellc 
est  une  liistoire  à  part  ;  elle  sort  complètement  du  cadre 
des  histoires  ordinaires!  D'un  bout  à  l'autre,  de  Dom- 
remy  au  bûcher  de  Rouen,  il  n'y  est  question  que  d'ap- 
paritions, de  visions,  de  révélations.  Dans  la  vie  de 
Jeanne,  quelque  importants  que  soient  les  faits  exté- 
rieurs, ils  tiennent  beaucoup  moins  de  place  que  les 
faits  intérieurs.  Cette  vie  est  celle  d'une  vierge  guer- 
rière, d'une  héroïne  libératrice  de  son  pays  ;  mais  elle 
est  avant  tout  la  vie  d'une  âme  grandie,  soulevée,  ins- 
pirée par  les  deux  sentiments  les  plus  puissants  de  la 
nature  iiumaine,  la  foi  religieuse  et  la  foi  patriotique. 

Cette  vie  s'écoule  en  un  commerce  quotidien  avec  un 
monde  invisible  et  supérieur.  De  ces  hautes  régions 
vient  à  la  jeune  fille,  avec  la  lumière  qui  l'éclairé  et  lui 
montre  la  voie  où  il  faut  absolument  qu'elle  s'engage, 
l'ardeur  indomptable  qui  la  soutient  ;  Jeanne  ne  des- 
cendra de  ces  régions  (jue  pour  accomplir  les  ordres, 
pour  réaliser  les  inspirations  qu'elle  y  a  reçues.  Une  vie 
pareille,    aussi    merveilleuse,   aussi    supérieure,    aussi 


EDMOND    mCHER.    —   IN'TRODUCTION  17 

spirituelle,  aussi  transcendante,  aussi  surhumaine;  une 
vie  dont  la  foi  chrétienne  portée  à  son  plus  haut  degré 
est  de  toute  évidence  le  principe  inspirateur,  qui  pourra 
la  démêler,  la  décrire,  l'apprécier  et  la  jup^er,  sinon 
l'historien  pour  qui  la  science  théologique  n'a  point  de 
secrets  ? 

Des  écrivains  étrangers  à  cette  science  se  sont  ima- 
giné que,  dans  le  cas  dont  nous  parlons,  elle  était  utile 
mais  nullement  nécessaire,  et  que  le  savoir  philosophi- 
que ou  scientifique  pouvait  y  suppléer.  Ces  écrivains 
n'ont  pas  pris  garde  à  cette  règle  fondamentale  de  la 
critique  :  que,  pour  saisir  la  vraie  physionomie  des  per- 
sonnages et  des  faits  du  ressort  de  l'histoire,  il  est  indis- 
pensable de  les  considérer  dans  le  cadre  des  mœurs, 
des  idées,  des  croyances  oi^i  s'est  produite  leur  action. 
Prêter  à  la  société  de  notre  xix"  siècle  les  idées,  les 
croyances  du  xv%  serait  tout  aussi  peu  raisonnable  que 
de  prêter  à  la  société  du  xv*'  siècle  les  idées,  les  croyan- 
ces du  xix",  comme  l'a  fait  l'un  des  derniers  biographes 
de  l'héroïne'.  Or,  au  temps  de  Jeanne  d'Arc,  les  faits 
dits  surnaturels  étaient  généralement  admis,  et  au  nom- 
bre de  ces  faits  figuraient  les  visions,  les  révélations, 
les  apparitions.  Des  règles  théologiques  spéciales  per- 
mettaient de  déterminer  si  ces  faits  étaient  d'origine  dia- 
bolique, céleste  ou  simplement  humaine.  Appliquer  avec 
intelligence  et  discernement,  avec  loyauté  surtout,  ces 
règles  au  cas  de  la  Pucelle  était  l'unique  raison  d'être 
du  procès  ouvert  à  Rouen,  Gomment  l'historien  pourra- 
t-il,  s'il  ignore  ces  règles,  si,  en  un  mot,  il  n'est  pas 


1.  M.  A.  Franco,  ((ui  fait  de  Jeanne  queUiuc  cliosc  comme  une 
pensionnaire  de  Charcot  et  de  la  Salpètrière.  Voir  sa  Vie  de  Jeanne 
il' Arc,  t.  1,  préface,  p.  ni  et  suiv. 


18  LA    l'UEMIERE    HISTOIRE    EN    DATE    DE    JEANXE    D  ARC 

Uiéologien,  avoir  la  preuve  expresse  que  les  jugées  de 
Jeanne  ont,  oui  ou  non,  fait  œuvre  d'iniquité  ?  Fonte- 
nelle  nous  aurait-il  laissé  des  éloges  si  intéressants,  si 
précis  et  néanmoins  si  exacts  au  point  de  vue  scienti- 
lique,  des  Leibnitz,  des  Newton,  des  Bernouilli,  s'il  eùL 
ignoré  la  haute  algèbre  et  les  éléments  du  calcul  infini- 
tésimal ? 

La  tiiéologie  pénètre  toutes  les  parties  de  la  vie  de 
Jeanne  d'Arc  ;  c'est  pourquoi  l'historien  qui  veut  l'étu- 
dier à  fond  doit  n'être  pas  étranger  à  la  science  théolo- 
gique. D'un  autre  côté,  les  deux  Procès  de  condamna- 
tion et  de  réhabiUtation  ont  été  instruits,  menés,  conclus 
conformément  aux  règles  du  droit  canonique  ;  c'est 
pourquoi  l'historien  de  la  Pucelle  doit  être  tout  ensem- 
ble canoniste  et  théologien.  Il  faut  qu'il  ne  coure  pas  à 
chaque  instant  le  risque  de  s'égarer  dans  les  détours  de 
la  procédure  inquisitoriale  ;  car  elle  aussi,  tout  comme 
notre  procédure  actuelle,  avait  ses  maquis  :  l'évêque  de 
Beauvais  s'est  chargé  d'en  fournir  la  preuve. 

Chez  Edmond  Riclier,  disions-nous,  l'historien  était 
doublé  d'un  critique  ;  il  l'était  également  d'un  canoniste 
et  d'un  théologien.  Si,  comme  abondance  d'informa- 
tions, son  histoire  de  la  Pucelle  doit  céder  le  pas  aux 
histoires  publiées  de  nos  jours,  comme  sûreté  de  méthodt! 
elle  ne  le  leur  cède  en  aucune  manière  ;  comme  exposé 
critique  des  deux  Procès,  elle  leur  est  supérieure  et  elle 
forme  une  œuvre  à  part  que  l'on  consultera  toujours 
avec  intérêt  et  profit. 

A  ce  propos,  qu'il  nous  soit  permis  de  protester 
contre  une  légende  en  train  de  s'accréditer  ;  légende  (jue 
répudieraient  assurément  les  érudits  au  bénéfice  des- 
quels elle  paraît  s'établir.  On  dit  volontiers  dans  un  cer- 


EDMOND    KICIIER.    INTUODUCTIOX  I9 

tain  monde,  ou  bien  l'on  donne  à  entendre,  qu'à  notre 
xix"  siècle  revient  l'honneur  d'avoir  découvert  la  vraie 
Jeanne  d'Arc,  la  Jeanne  d'Arc  héroïque  et  sainte,  et 
d'avoir  découvert  également  la  haute  importance  des 
deux  Procès  de  condamnation  et  de  réliabilitation  comme 
sources  principales  et  vitales  de  son  histoire. 

Voilà  ce  (jue  l'on  dit  :  voici  ce  que  répondent  les 
faits. 

Ce  n'est  point  au  xi.\^  siècle,  c'est  au  xv^  qu'a  été 
découverte,  proclamée,  présentée  à  l'admiration  du 
monde  la  vraie  Jeanne  d'Arc.  L'honneur  en  revient  non 
à  nos  auteurs  récents,  mais  à  Galixte  III,  le  pontife  qui 
a  fait  instruire  le  Procès  de  réhabilitation,  mais  aux 
prélats  qu'il  a  délégués  à  cet  elfel  et  qui  ont  rendu  en 
son  nom  l'arrêt  suprême  qui,  en  llétrissant  à  jamais  le 
Procès  inique  des  juges  de  Rouen,  a  reconnu  et  pro- 
clamé l'innocence,  riiéroïsme  et  les  admirables  vertus 
de  la  Libérati-ice  de  la  France. 

Après  Galixte  III,  après  les  prélats,  org-anes  du  chef 
de  l'Église,  et,  pour  n'oublier  personne,  après  les  évè- 
ques  et  docteurs  dont  les  Mémoires  furent  adjoints  au 
procès  de  revision,  le  mérite  d'avoir  fait  connaître  la 
vraie  Jeanne  d'Arc  et  d'avoir  présenté  au  public  le  por- 
trait en  pied  de  l'héroïne  et  de  la  sainte,  avec  preuves 
et  documents  à  l'appui,  revient  à  l'auteur  de  la  première 
histoire  française  de  la  Pucelle,  à  E.  Richer,  docteur  de 
Sorbonne  et  syndic  de  la  Faculté  de  théologie  de  l'Uni- 
versité de  Paris;  histoire  écrite  cent  quatre-ving^ts  ans 
environ  après  le  jugement  de  réhabilitation,  deux  cent 
vingt  ans  avant  la  publication  des  deux  Procès  par 
Jules  (Juicherat  au  nom  de  la  Société  de  l'histoire  de 
France. 


20  LA    l'KEMIKRE    lIISTOIIUi;    EX    DATE    DE    JEANNE    D  ARC 

De  même,  ce  n'est  ni  Jules  Quiciierat,  ni  L'Averdy, 
ni  Lenglet  Dufresnoy  qui  ont,  les  premiers,  compris 
l'importance  des  deux  Procès  comme  sources  authenti- 
ques principales  de  l'histoire  de  la  Pucclle;  c'est  encore 
à  Edmond  Richer,  à  un  prêtre  français,  à  un  docteur  de 
l'Université,  qu'appartient  cet  honneur  ;  les  sept  cents 
pages  in-folio  qu'il  a  consacrées  à  exposer,  traduire, 
examiner  et  discuter  ces  Procès  le  prouvent  jusqu'à 
l'évidence. 

Il  y  a  plus  :  l'excellente  idée  de  publier  et  de  mettre  à 
la  portée  du  public  lettré  lé  texte  des  deux  Procès, 
qu'eut  en  1840  la  Société  de  l'histoire  de  France  et  que 
Jules  Quicherat  fut  chargé  de  réaliser,  Edmond  Riclier 
l'avait  eue  dès  1628,  plus  de  deux  siècles  auparavant. 
«  Vrayment,  dit-il  en  son  Advertissement  au  lecteur,  il 
serait  à  désirer  que  pour  conserver  ces  pièces  origi- 
nales, j'entends  le  procès  et  la  revision  d'icelluy,  quel- 
qu'un en  fist  imprimer  cent  ou  six  vingt  exemplaires  en 
un  beau  charactère,  pour  les  mettre  en  diverses  biblio- 
thèques, afin  de  les  conserver  et  transmettre  à  la  posté- 
rité ;  car  autrement  ils  se  perdront  par  l'injure  du  temps, 
Pour  mon  regard,  j'offrirais  volontiers  ma  peine  et  mon 
travail  à  revoir  et  conférer  les  copies  et  impressions  sur 
les  originaux,  w 


Il  nous  resterait  maintenant,  si  nous  ne  craignions  de 
dépasser  la  mesure,  à  montrer  par  quelques  analyses 
rapides,  quelques  citations  discrètes,  les  principales 
qualités,  bon  sens,  gravité,  originalité,  clarté,  logique, 
parfois  aussi  élévation  de  pensée  et  de  langage,  (jui  se 


EDMOND    RICHER.    INTRODUCTION  21 

l'eniarquent  dans  la  manit're  de  l'iiistorien.  La  page  sui- 
vaiilu  permettra  d'en  juger  à  quelque  degré. 

Jeanne  vient  d'arriver  à  Cliinon.  Convient-il  de  s'en 
rapporter  à  sa  parole  et  de  l'instituer  chef  de  guerre  ? 
Que  pensent,  que  disent  les  conseillers  du  jeune  roi  ? 
«  Tous  les  princes,  capitaines  et  gens  de  guerre  ne 
pouvaient  gouster  le  conseil  de  cette  fille,  et  n'étaient 
d'advis  qu'on  se  commist  à  elle,  principalement  aux 
alTaires  de  la  guerre,  vu  les  grands  périls  qui  les  accom- 
pagnent ordinairement,  et  qu'il  n'est  loisible  d'y  faillir 
deux  fois.  Et  remontrait-on  que  le  Roy,  tout  son  conseil, 
voire  tous  les  François  seroient  la  fable  des  nations 
étrangères  et  nommément  des  Anglois,  notés  à  jamais 
de  témérité,  au  cas  que  ce  que  disoit  cette  bergère  ne 
succédast  (réussît),  et  que  les  gens  du  Roy  fussent  vain- 
cus et  deffaits  par  leurs  ennemys,  déjà  trop  puissants  et 
insolents.  Que  par  la  loy  fondamentale  de  l'Estat,  les 
François  n'avoient  voulu  onques  reconnoître  les  femmes 
pour  leur  commander;  et  que  la  guerre  n'estoit  entre- 
prise contre  les  Anglois,  sinon  parce  qu'on  avoit  donné 
pour  dot  le  royaume  de  France  à  Madame  Catherine 
que  le  Roy  d'Angleterre  avait  espousée  ;  que  c'étoit  for- 
tifier les  prétentions  de  l'Anglois  au  cas  qu'on  employast 
cette  bergère  et  que  les  gens  de  guerre  combatissent 
sous  son  estendard  ^  »  (Manuscrit  cité,  fol.  21,  recto  et 
verso.) 

N'est-ce  pas  de  la  sorte  qu'écrivent  les  historiens 
hommes  d'État  ? 

Nous  sommes  grandement  étonnés,  nous  Français, 
lorsque  nous  nous  voyons  accusés,  dans  les  ouvrages 

I.  Rapprociier  de  celte  page  celle  où  Riclier  rapporte  la  délibération 
sur  le  voyage  de  Reims. 


22  I.A     ['UEMlKliE    lIISTOIIiE    EX    DATE    DE    JEANNE    D  AUC 

venus  de  réLranger,  (ring;ratilude  envers  nos  gloires  Itîs 
plus  pures.  Mais,  quelque  indignés  que  nous  soyons, 
que  pouvons-nous  l'épondre  lorsque,  à  l'appui  de  cette 
accusation,  on  invoque,  par  exemple,  l'oubli  dans  lequel 
le  nom  et  la  mt^moire  de  la  Pucelle  sont  restés  en  France 
pendant  plus  de  quatre  cents  ans?  En  ce  long  espace  de 
temps  qu'ont  fait,  pour  honorer  ce  nom,  glorifier  cette 
mémoire,  les  représentants  autorisés  du  pays,  les  prin- 
ces, les  monarques,  les  orateurs,  les  poètes?  Rien,  ou  à 
peu  près.  Qu'on  ne  se  rejette  pas  sur  les  éloges  de 
l'héroïne  qu'ont  pieusement  rassemblés  Jean  Hordal  et 
Edmond  Richer  d'abord,  plus  tard  Lenglet  Dufresnoy. 
La  plupart  de  ces  éloges  ont  pour  auteurs  des  étrangers  : 
quand  ils  sont  dus  à  des  Français,  ces  Français  sont  ou 
des  écrivains  médiocres,  ou  des  écrivains  inconnus. 

Parlerons-nous  des  princes  qui,  depuis  Charles  Yli, 
ont  régné  sur  la  France  ?  On  dirait,  en  vérité,  que  ces 
princes,  de  Louis  XI  à  Louis  XVI,  se  sont  efforcés  de 
faire  oublier  à  leurs  sujets  et  d'oublier  que  si,  un  jour 
ils  sont  allés  recevoir  «  leur  digne  sacre  »  dans  la  vieille 
cathédrale  de  Reims,  c'est  qu'une  toute  jeune  fille  prit 
la  peine,  en  1429,  de  ramasser  la  couronne  qu'un  de 
leurs  prédécesseurs  laissait  traîner  à  terre  et  que,  la  lui 
mettant  sur  la  tête,  elle  lui  rappela  que  le  descendant  de 
saint  Louis  devait  être,  non  un  «  roi  de  Bourges  »,  mais 
le  roi  de  France. 

Au  soleil  de  la  Renaissance,  palais  et  châteaux  s'élè- 
vent comme  par  enchantement.  En  ces  monuments  d'un 
art  exquis,  les  Valois  donnaient  une  royale  hospitalité 
aux  déesses  du  vieil  Olympe  et  aux  Piirynés  de  leur 
temps.  François  F'',  Henri  II  ont-ils  jamais  songé  à 
demander  à  leurs    artistes   préférés,    au    Primatice,    à 


EDMOND    lilCIIER.    INTRODUCTION  23 

Léonard  do  Vinci,  à  Pliilibert  Delorme,  un  tableau, 
une  slatue,  un  panneau  sculpté  en  l'honneur  de  Jeanne 
d'Arc  ? 

Louis  XIV  fait  construire  le  château  de  Versailles;  il 
remplit  le  parc  d'un  peuple  de  statues.  Une  chapelle 
s'élève  dans  laquelle  les  orateurs  sacrés  entretiendront 
leur  royal  auditoire  des  devoirs  qu'imposent  la  fidélité 
et  la  reconnaissance.  Dans  ce  parc  immense,  dans  cotte 
chapelle  étincelante  d'or,  oii  aperçoit-on  l'image,  la  sta- 
tue do  l'héroïne  sans  laquelle  Louis  XIV  n'eût  jamais 
été  Louis  le  Grand? 

Corneille,  le  poète  de  Pauline  et  de  Polyeucte,  Racine, 
le  chantre  d'Esther,  ont-ils  pensé  quelquefois  à  la  mer- 
veilleuse histoire  de  la  vierge  de  Domremy  ?  Et  cepen- 
dant, pour  des  poètes  tragiques,  quel  plus  beau  sujet 
de  tragédie  que  la  France  arrachée  par  une  jeune  fille 
à  ses  éternels  ennemis  les  Anglais  ^  ? 

Le  panégyriste,  le  juge  éclairé  de  toutes  les  gloires, 
Çossuet,  sur  les  six  cents  pages  de  son  Abrégé  de 
rUistoue  de  France,  en  accorde  à  peine  deux  à  Jeanne 
d'Arc.  Encore  accepte-t-il  sans  protestation  la  donnée 
mensongère  de  Monstrelet  qui  fait  de  la  Libératrice 
d'Orléans  une  vulgaire  fille  d'auberge. 

L'habile  éducateur  du  petit-fils  de  Louis  XIV,  Féne- 
lon,  charme  son  royal  élève  au  récit  des  aventures  de 
Télémaque,  de  3Icntor,  d'Aristonoiis  ;  mais  a-t-il  jamais 
parlé  des  exploits  de  la  martyre  de  Rouen,  de  la  Libé- 
ratrice   du    rovaume  ?    Nous   avons    cherché   dans    ses 


1.  Nous  ne  i^arlous  pus  du  poème  de  Chapelain.  Quelque  mauvais 
qu'il  soit,  il  n'en  reste  pas  moins  une  protestation  contre  le  silence 
gardé  pur  le  grand  siècle  sur  la  Pucelle.  Voir  dans  les  Etudes  des 
RR.  pères  Jésuites,  o  septembre  l'JOS,  p.  64b-648,  notre  article  à  ce 
sujet. 


24  I.A    PHEMIERE    IIJSTOIRE    EN    DATE    DE    JEANNE    D  ARC 

nombreux  écrits  ;  nous  avons  eu  la  douleur  de  cons- 
tater que  la  Pucelle  n'y  était  pas  une  seule  fois  nom- 
mée. 

Un  homme,  cependant,  a  senti  ce  (ju'il  y  avait  de 
regrettable  pour  son  pays  dans  ce  silence  deux  fois  sécu- 
laire. Il  eut  à  cœur  de  le  rompre  et  il  écrivit  la  pre- 
mière histoire  de  Jeanne  d'Arc  qui  mérite  ce  nom. 

Ce  n'est  pas  chose  indifférente  pour  des  Français 
d'apprendre  que,  dès  le  premier  quart  du  xvii''  siècle, 
un  prêtre  français  a  écrit  une  histoire  de  la  Pucelle  qui, 
en  somme,  fait  honneur  à  riiéroïne,  à  l'auteur  et  au 
pays.  Supprimez  l'œuvre  de  Richer  et  vous  serez  obligé 
d'avouer  que  de  1431  à  1753,  c'est-à-dire  dans  un  laps 
de  temps  de  plus  de  trois  cents  ans,  il  ne  se  serait  pas 
rencontré  un  seul  écrivain  qui  eût  songé  à  raconter  les 
hauts  faits  de  la  jeune  fille  sans  laquelle  la  France  serait 
actuellement  une  province  anglaise. 


YI 


Est-ce  à  dire,  toutefois,  parce  que  l'histoire  d'Edmond 
Richer  est  demeurée  manuscrite,  qu'elle  n'ait  jamais 
attiré  l'attention  des  érudits  ?  Non,  assurément.  Au 
cours  du  XVIII''  siècle,  l'abbé  d'Artigny  la  trouva  en 
excellent  état  à  la  bibliothèque  du  Roi  où  M.  de  Fonta- 
nieu  l'avait  déposée  après  la  mort  de  l'auteur,  et  il  son- 
gea sérieusement  à  la  faire  paraître.  Mais  l'abbé  Lenglet 
Dufresnoy  ayant  publié  en  17o3  son  His/oirc  de  Jea/tnc 
d'Arc  dans  laquelle,  d'après  Le  Brun  de  Cliarmettes,  il 
n'a  fait  que  «  piller  Richer  outrageusement  »,  l'abbé 
d'Artigny  renonça  à  son  projet. 

L'auteur  du    Grand   Diciionnaire  hisloriquc,    l'abbé 


EDMOND    RICIIER.    —    INTRODUCTION  25 

Louis  Moréri  (1643-1080),  à  l'arlicle  Richcr  (Edmond) 
avait  mentionné  son  «  liistoire  de  Jeanne  d'Arc,  avec 
les  extraits  des  procès  de  condamnation  et  de  justifica- 
tion, et  les  extraits  des  auteurs  qui  en  ont  parlé.  » 
{Grand  Dictionnaire,  t.  X,  p.  191.  In-f",  Paris,  1759.) 

L'abbé  Ladvocat  (1700-170.^),  docteur  de  Sorbonne, 
qui,  sous  le  pseudonyme  de  Vosgien,  chanoine  de  Vau- 
couleurs,  publia  le  Dictionnaire  géographique  portatif, 
ne  se  borna  pas  à  mentionner  l'histoire  de  Richer  ;  il 
sig-nale  sa  profonde  érudition  et  tout  particulièrement 
l'esprit  critique  dont  il  fait  preuve  :  «  mérite  qui  de  son 
temps  était  fort  rare.  »  [Ouvrage  cité^  in-12,  Paris, 
17o9.) 

L'auteur  des  Notices  sur  les  deux  Procès,  François  de 
L'Averdy,  tenait  en  haute  estime  l'iiistoire  de  la  Pucelle 
du  docteur  de  Paris  et  il  en  place  le  manuscrit  au  pre- 
mier rang-  parmi  ceux  qu'il  mentionne. 

«  Richer,  dit-il,  a  composé  son  ouvrage  en  langue 
française  avec  le  plus  grand  soin  sur  les  manuscrits 
authentiques  des  deux  procès  en  latin  qu'il  cite  dans  son 
Advertisseinent  an  lecteur.  Si  on  voulait  l'imprimer  à 
présent,  ajoute-t-il,  sa  forme  scholastique  et  son  style 
antique  lui  nuiraient  beaucoup.  Mais  le  manuscrit  n'en 
est  pas  moins  précieux,  et  il  peut  être  utile  à  ceux  qui 
écriront  dans  la  suite  l'histoire  de  Jeanne.  »  [Notices  et 
extraits  des  manuscrits  de  la  Bibliothèque  du  Roi,  t.  HT, 
p.  185-189:  dans  les  Mémoires  de  l'Académie  des  ins- 
criptions  et  belles-lettres.) 

Si,  abordant  le  xix"  siècle,  nous  demandons  à  ses 
crili(|ues  et  historiens  ce  qu'ils  pensent  d'E.  Richer  et  de 
son  histoire,  nous  verrons  qu'ils  en  reconnaissent  géné- 
ralement   le  mérite  :   ainsi    en    ont  jugé  Le   Brun    de 


26  LA.    l'UKMIÈRE    IIISTOIUE    ICX    DATK    Dlî    JKANNE    d'aHC 

Cliarmetles,  Daunou,  Micliaud.  Jules  Quiciierat  seul 
fait  exception.  Lui  qui,  dans  son  édition  des  deux  Pro- 
cès, saisit  toutes  les  occasions  de  rendre  justice  à 
Lenglet  Dufresnoy,  à  L'Averdy,  à  Le  Brun  do  Cliar- 
mettes  ;  lui  qui  se  fait  un  devoir  de  citer  les  documents 
que  ces  érudits  avaient  signalés  avant  lui  touchant  la 
Pucelle,  g-arde  le  silence  quand  il  s'agit  des  titres 
d'E.  Riclier  et  ne  porte  sur  son  histoire  qu'un  jugement 
peu  flatteur. 

Les  titres  du  premier  historien  de  Jeanne,  mais  il  est 
aisé  de  s'en  rendre  compte  et  d'en  apprécier  la  valeur. 
Nous  avons  déjà  fait  ohserver  que  seul,  dans  une 
grande  histoire,  il  a  rompu  le  silence  gardé  durant  trois 
siècles  par  les  historiens  français  sur  les  dits  et  faits  de 
la  Libératrice  du  pays.  Il  y  a  plus  encore. 

Supprimez  son  œuvre,  et  pas  plus  du  sein  de  YAi))ia 
jualer  studii  pca^isiensis  que  de  la  foule  de  ses  suppôts 
et  élèves,  docteurs,  prélats,  évéques,  lettrés,  il  ne  s'élè- 
vera postérieurement  à  la  sentence  de  1456,  sous  forme 
de  récit  historique  documenté,  un  cri  de  protestation 
contre  le  triste  rôle  joué  par  TUniversité  de  Paris  dans 
le  procès  de  Rouen. 

Avant  Edmond  Richer,  les  manuscrits  des  deux  Procès 
n'étaient  connus  que  d'un  petit  nombre  d'érudits. 
Etienne  Pasquier  avait  gardé  quatre  ans  le  texte  du  pro- 
cès de  condamnation  et  s'en  était  servi  pour  composer 
les  chapitres  iv  et  v  du  sixième  livre  des  Recherches  de 
la  France. 

Richer  est  le  premier  historien  en  date  (jui  ait  puisé 
dans  les  deux  procès  la  matière  de  son  Histoire  de  la 
Pucelle.  Il  est  le  premier  et  le  seul  qui  ait  traduit  le 
procès  de  Rouen  presque  tout  entier,  et  analysé,  en  joi- 


EDMOND    lilCIIElt.    INTRODUCTIOX  27 

giiant  à  son  analyse  de  nombreux  extraits,  le  procès  de 
réhabilitation. 

En  outre,  il  a  fait  suivre  le  texte  des  interrogatoires 
du  procès  de  Rouen  et  des  principales  séances  de 
réflexions  sous  la  rubrique  Adveriissements,  qui  font  res- 
sortir les  iniquités  et  les  irrégularités  de  la  procédure. 

Enfin,  deux  cents  ans  avant  la  Société  de  l'Histoire 
de  France  —  on  ne  saurait  trop  le  redire  —  Edmond 
Rieher  avait  compris  et  signalé  l'importance  de  la  publi- 
cation des  manuscrits  des  deux  Procès  et  il  avait  olfert, 
en  vain  bélas  !  son  temps  et  sa  peine  pour  la  revision 
des  textes  à  (jui  consentirait  à  se  charger  des  frais  de 
l'édition. 

Ce  sont  là  des  titres  incontestables  qui  méritaient 
d'être  portés  à  la  connaissance  du  public  lettré.  Jules 
Quicht-rat  ne  les  ignorait  pas.  Pourquoi,  à  l'exception 
du  projet  concernant  la  publication  des  manuscrits,  n'en 
dit-il  pas  un  mot  dans  la  notice  littéraire  de  son  cin- 
(|uième  volume?  Les  citations  qu'il  fait  du  docteur  de 
Sorbonne  dans  son  ouvrage  prouvent  que,  s'il  a  gardé 
sur  son  compte  un  silence  qu'il  n'a  pas  gardé  sur  celui 
<les  érudits  que  nous  avons  eu  occasion  de  nommer',  il 
l'a  fait  à  bon  escient. 

De  son  récit  des  faits  et  dits  de  la  Pucelle,  il  n'en 
parle  que  d'un  ton  de  dédain.  Il  le  qualifie,  dans  ses 
Aperçus  nouveaux,  de  «  vieille  et  lourde  histoire  ». 
Op.  cit..  p.  163.)  Vieille  et  lourde  histoire,  tant  qu'on 
voudi'a;  mais  histoire  d'un  méri-te  peu  commun,  juste- 
ment parce  qu'elle  est  la  première  en  date,  histoire  que 


1.  Voir  t.  IV.  p.  42.")  et  l.  V,  p.  408  de  sa  publication,  lu  ju.stiec 
'|uil  rend  à  Lenglel  Dufresnoy  et  à  Le  Brun  de  Charmettes.  i'our(|uoi 
ne  traitc-t-il  pas  de  même  Edmond  Richcr '? 


■ZH  LA    PREMIERE    HFSTOIRK    EN    DATE    DE    JEANNE    D  ARC 

J.  Quiclierat  n'a  point  osé  écrire,  histoire  (jue  Riclier 
après  tout  a  puisé  aux  sources  véritables  et  dont  il  a 
traité  les  parties  difficiles  avec  un  savoir  et  une  compé- 
tence indéniables. 

La  justice  que  l'éditeur  des  deux  Procès  a  mesurée  à 
notre  docteur  de  Sorbonne,  des  maîtres  autorisés,  des 
historiens  de  valeur  la  lui  ont  rendue  pleinement  en  ce 
xix''  siècle.  Gomme  épigraphe  du  Discours  préliminaire 
qu'il  amis  en  tête  de  son  récit,  Le  Brun  de  Charmettes 
cite  une  longue  page  extraite  du  récit  môme  de  Richer  ; 
celle  dans  laquelle  le  vieil  historien  décrit  les  ravages 
que  les  invasions  annuelles  des  Anglais  exerçaient  en 
France  :  de  telle  sorte  qu'on  «  ne  pouvait  ni  labourer, 
ni  cultiver  les  terres,  ni  recueillir  le  peu  qu'on  avait 
ensemencé  «.  [Histoire  de  Jeanne  cr Arc,  t.  I,  p.  \.  In-8% 
Paris,  Arthur  Bertrand,  1817.) 

En  novembre  1817,  Daunou,  membre  de  l'Institut, 
écrivait  dans  le  Journal  des  Savants  : 

«  L'ouvrage  de  Richer  composé  en  1628  sur  les  pièces 
aullientiques  alors  connues,  doit  être  envisagé  comme 
le  premier  travail  considérable  sur  Jeanne  d'Arc,  comme 
le  germe  déjà  très  développé  de  tout  ce  qu'on  a  publié 
depuis.  )) 

De  son  côté,  à  la  date  de  18:î7,,  l'année  même  oii 
J.  Quiclierat  sortait  de  l'École  des  Charles  avec  son 
diplôme  d'archiviste  paléographe,  Michaud,  de  l'Acadé- 
mie française  et  historien  des  Croisades,  parlait  de 
Richer  en  ces  termes  : 

«  On  trouve  aux  manuscrits  de  la  Bibliothèque  du 
Roi  une  Histoire  de  la  Pucelle  d'Orléans  par  Edmond 
Richer,  que  les  historiens  modernes  ont  souvent  mise  à 
contribution  et  qui  mériterait  bien  de  voir  le  jour.  Son 


EDMOND    RICIIER.    —    INTRODUCTION  29 

mérite,  et  c'en  est  un  grand,  consiste  dans  une  parfaite 
exactitude  '.  » 

Un  peu  plus  loin,  Michaud  ajoutait  : 

«  Edmond  Richer  s'affliecait  nue  les  manuscrits  des 


deux  Procès  ne  fussent  pas  imprimés.  Plus  de  deux 
siècles  se  sont  écoulés  et  les  deux  Procès  sont  encore 
en  manuscrit.  L'ouvrage  de  ce  pauvre  Edmond  Richer 
n'a  pas  un  meilleur  destin.  Son  Histoire  de  la  Pucelle 
et  les  deux  Procès  dorment  dans  la  même  tombe  ou 
dans  la  môme  poussière.  « 

Grâce  à  l'initiative  de  la  Société  de  l'Histoire  de 
France,  les  deux  Procès  se  sont  éveillés  de  leur  sommeil 
et  sont  sortis  de  leur  poussière.  Grâce  au  patriotisme 
de  quelques  Français,  admirateurs  soucieux  de  nos 
gloires  nationales,  il  en  sera  de  même  de  l'Histoire 
manuscrite  d'Edmond  Richer. 

Lorsque  les  érudits  en  auront  sous  les  yeux  le  texte 
imprimé,  ils  pourront  juger  de  la  justesse  des  juge- 
ments que  nous  venons  de  rappeler.  On  verra,  confor- 
mément à  ce  qu'avance  Daunou,  que,  môme  après  les 
nombreuses  histoires  parues  au  cours  du  xix"  siècle, 
l'Histoire  de  la  Pucelle  par  E.  Richer  «  doit  ôlre  envi- 
sagée comme  le  germe  très  développé  de  tout  ce  qu'on 
a  publié  ».  Et  l'on  pourra  constater  la  justesse  du  mot 
de  l'académicien  Michaud,  «  que  le  mérite  de  cette  his- 
toire consiste  dans  une  parfaite  exactitude  ». 

vn 

En  résumé,  pour  conclure,  la  publication  du  manus- 
crit d'Edmond  Richer  sur  la  vie  et  les  deux  Procès  de 

1.  Michaud  et  Poupuulal.  Nolice  sur  Jeanne  d'Arc,  p.  271-273,  in-8°. 
Paris,  1837. 


30  I^A    PREMIERE    lIISTOIltE    E\    DATE    DE   JEANNE    D  ARC 

la  Pucolle  est,  pour  la  science  historique,  d'un  intérêt 
dont  on  saisira  sans  difficulté  les  raisons. 

Elle  met  au  jour,  elle  place  sous  les  yeux  des  érudils, 
des  catiioliques  et  des  Français  la  première  histoire  en 
date  de  Jeanne  d'Arc,  écrite  en  français  d'après  les 
vraies  sources  par  un  auteur  fort  connu  des  théolog-iens, 
mais  très  peu  des  lettrés,  lequel  était  tout  ensemble  un 
historien',  un  docteur  de  Sorbonne  et  un  Français, 

Elle  traite  avec  les  égards  qui  lui  étaient  dus  une 
œuvre  ensevelie  depuis  trois  siècles  dans  la  poussière 
de  la  Bibliothèque  nationale. 

Elle  enrichit  d'un  document  de  valeur  le  dossier  his- 
torique de  l'héroïne  française.  On  ne  pouvait  que 
regretter  l'absence  dans  ce  dossier  d'un  document  aussi 
important  et  aussi  ancien.  Avec  les  chapitres  iv  et  v  du 
livre  VI  des  Recherches  de  la  France  d'Etienne  Pasquier, 
il  forme  deux  anneaux  précieux  de  la  tradition  nationale 
dont  le  procès  de  réhabilitation  est  le  point  d'attache  et 
le  procès  de  béatification  le  point  d'arrivée. 

A  considérer  le  savoir,  le  caractère  et  l'indépendance 
de  Richer,  l'esprit  critique  le  plus  sûr  et  l'impartialité 
la  plus  consciencieuse  ont  présidé  à  cette  histoire  com- 
posée dans  le  premier  quart  du  xvii'  siècle  par  un 
membre  de  ce  clergé  français  à  qui  l'on  a  reproché  son 
indiflérence  envers  Jeanne  d'Arc,  par  un  des  membres 
les  plus  distingués  de  cette  Université  de  Paris  qui,  au 
xv°  siècle,  avait  été  si  peu  française  et  si  partiale. 

A  considérer  l'œuvre  môme,  dès  la  pi'cmière  heure 
elle  met  en  pleine  lumière  l'héroïsme  et  la  sainteté  de 


1 .  La  vie  de  la  Pucelle  n'est  pas  le  seul  ouvrajic  (riiisloiio  que  Richer 
ail  ('cfil.  il  a  composé  aussi,  mais  en  latin,  une  histoire  des  Conciles 
gciiéiau.'c.  Hisloria  Con-:'diovum  r/eneralium,  in  4  ii/jr.  distributa. 


EDMOXD    RICJIEP..    —    INTRODUCTION  3f 

la  LibéraLrico  du  pa)s.  Sur  ces  points,  los  historiens 
les  plus  récents  n'ont  rien  ajouté  aux  traits  essentiels 
signalés  par  E.  Kiclier.  A  la  fin  du  récit,  comme  consé- 
quence logique  de  ce  qu'il  vient  de  raconter,  l'auteur 
consacre  une  dissertation  spéciale  à  établir  tliéologi- 
quemenl  la  mission  surnaturelle  de  Jeanne,  son  parfait 
héroïsme  et  la  sainteté  de  sa  vie.  D'où  il  suit  que,  en 
élevant  la  martyre  de  Rouen  aux  honneurs  du  culte 
public,  l'Église  catholique  ne  vient  pas  d'évoquer  des 
litres  ignorés  et  de  glorifier  un  personnage  de  fantaisie  : 
elle  a  simplement  vérifié  et  approuvé  le  témoignage 
i-endu  pendant  cinq  cents  ans  aux  vertus  héroïques  de 
la  servante  de  Dieu  et  elle  J'a  glorifiée  comme  elle  le 
méritait. 

L'image  de  la  Bienheureuse  que  le  chef  de  l'Église 
ull'rait  le  18  avril  190'J,  dans  la  basilique  vaticane,  à 
la  vénération  de  vingt  mille  Français  et  du  monde 
catholique,  était  bien  celle  dont  les  jug-es  et  les  prélats 
de  la  réhabilitation,  dont  les  Pasquier,  les  Bossuet  et 
les  E.  Riclier,  aux  x\f  et  xv!!*"  siècles,  les  Lenglet 
Dufresnoy  et  lés  L'Averdy  au  xviii%  les  Chateaubriand, 
les  JMichaud,  les  Guizot,  les  II.  Wallon  au  xix%  ont 
reproduit  les  traits  et  proclamé  la  vérité  historique. 

I'hilippe-Hector  DUNAND, 

CliaQoinr  liliilaiit",  llicologal  du  chapitre  de  Toulouse, 
llisloneii  de  Jeanne  d'Arc. 


JO  novembre  1009. 


DU  MANUSCRIT  D'EDMOND  RIGIIER 

ET   DE   LA   PRÉSENTE   ÉDITION 


Nous  devons  au  lecteur  quelques  explica  lions  sur  louvage  même 
de  E.  Richer  et  sur  les  règles  auxquelles  nous  nous  sommes  con- 
formé en  publiant  cette  édition. 

DU    MANUSCRIT 

Le  manuscrit  de  l'histoire  de  la  PiiccUe  par  le  docteur  de  lUni- 
versité  de  Paris,  najant  pu  être  imprimé  de  son  vivant,  fut  déposé 
à  la  Bibliothèque  du  Roi,  actuellement  la  Bibliothèque  nationale. 
Il  y  est  encore  aujourd'hui  parmi  les  manuscrits  du  fonds  français 
sous  la  cote  10448.  (Je  manuscrit  est  unique  et  il  n'a  pas  été 
exécuté  de  copie  authentique  propre  à  le  remplacer,  s'il  venait  à 
être  altéré  substantiellement,  perdu  ou  détruit.  L'écriture  en  est 
assez  forte,  très  nette  et  très  lisible.  Toutefois  ce  n'est  pas  l'écriture 
de  l'auteur  lui-même,  mais  d  un  secrétaire  ou  d'un  copiste.  11  n'y  a 
qu'une  feuille  volante  de  la  main  de  Richer;  elle  y  fut  insérée 
après  coup  pour  suppléera  quelque  omission,  et  l'écriture  en  est 
complètement  différente  de  celle  des  autres  feuillets. 

Le  nombre  des  feuillets  est  de  314,  avec  recto  et  verso,  ce  qui 
donne  un  total  de  1.028  pages. 

L'Adcertissemcnt  au  lecteur  comprend  4  feuillets,  soit  8  pages; 

Le  livre  premier  :  Vie  de  la  Pucelle:  106  feuillets,  soit  2l2pages: 

Le  livre  second  :  Examen  de  son  procès;  231  feuillets,  soit  462 
pages  ; 

Le  livre  troisième  :  Heii'>ion  d'icehiij;  108  feuillets,  soit  210 
pages; 

Le  livre  quatrième  :  Elo</cs  tires  de  diccrs  auteurs;  €>'.'>  feuillets, 
siit  130  pages; 

En  tout  514  feuillets  et  1 .028  pages. 


34  OBSERVATIONS    l'UKLIMINAIRES 

DK     i/hISTOIKK    MKMi:,   DK    LA    LANGUE,    DE    LA    PONCTUATION, 
DE    l'orthographe 

L'exposé  des  dits  et  faits  de  la  Pucello  se  présente  sous  la  forme 
d'un  récit  tout  d'une  pièce,  sans  distinction  de  chapitres,  de  la 
première  ligne  à  la  dernière,  et  avec  des  alinéas  assez  longs.  La 
ponctuation  en  est  très  simple.  E.  Richcr  n'use  guère  que  de 
virgules,  de  deux  points  et  de  points.  Et  encore  les  place-t-il  d'assez 
bizarre  façon.  Son  français  et  son  orthographe  sont  ceux  de  la  fin 
du  xvi"  siècle.  On  ne  saurait  mieux  les  comparer  qu'à  ceux 
des  flecherches  de  la  France  d'Etienne  Pasquier. 

Nous  avons  respecté  la  langue  de  lauteur.  On  pourra  juger 
que  le  français  du  récit  n'est  pas  du  français  rajeuni.  Mais  dans 
l'intérêt  même  de  l'ouvrage,  pour  en  rendre  le  récit  plus  clair  et 
la  lecture  plus  courante,  nous  l'avons  divisé  en  un  certain  nombre 
de  chapitres,  lesquels  du  reste  sont  tout  indiqués  par  l'auteur,  et 
nous  avons  multiplié  les  alinéas.  Le  lecteur  eût  été  déconcerté  si 
nous  avions  gardé  la  ponctuation  du  manuscrit  telle  quelle  ;  nous 
l'avons  légèrement  modernisée. 

En  général,  nous  avons  respecté  la  forme  archaïque  des  mots 
et  du  français  de  Richer,  et  nous  ne  nous  sommes  permis  que 
les  modifications  indispensables.  Ainsi  l'auteur  supprime  à 
peu  près  toute  espèce  d'accents;  il  place  des  trémas  là  où  aujour- 
d'hui on  n'en  met  plus.  Nous  avons  habituellement  supprimé  ces 
trémas  et  nous  avons  mis  des  accents  là  où  ils  étaient  à  peu 
près  indispensables  pour  que  le  sens  des  mots  apparaisse  sans 
difficulté. 

En  fait  de  voyelles.  Richer  aime  beaucoup  les  y,  et  il  les  pro- 
digue là  où  ils  sont  non  seulement  inutiles,  mais  contraires  à  l'éty- 
mologie.  Il  orthographie  couramment  amy,  ennemy,  party,  mary, 
scrvy,  suivy,  aussy,  ainsy,  parmy,  etc.  Nous  avons  cru  pouvoir,  sans 
inconvénient,  et  même  avec  avantage,  écrire  ces  mots  et  autres 
semblables  comme  on  les  écrit  aujourd'hui. 

Pour  les  consonnes,  notre  auteur  les  redouble  en  plusieurs  cas.  Il 
écrira  traitter,  jetler,  deffaitte,  etc..  sans  raison  autre  que  celle  de 
l'usage.  A  l'usage  du  xvi"  siècle  nous  avons  substitué  celui  des 
siècles  suivants. 

Si  nous  en  avons  usé  de  la  sorte,  c'est  que  nous  étions  persuadé 
que  la  physionomie  linguistique  et  littéraire  de  l'ouvrage  n'en  serait 
aucunement  altérée.  Nous  avions  d'ailleurs  été  frappé  d'une 
remarque  de  Ferdinand  Brunetiére  à  propos  du  système  suivi  par 


OBSERVATIONS    PRELIMINAIRES  35 

Auguslc  Molinier,  de  l'Ecole  des  Charles,  dans  une  édition  nou- 
velle des  Pensées  de  Pascal. 

«  Une  innovation  très  singulière  de  M.  Molinier.  remarque  le 
critique  académicien,  c'est,  sous  le  prétexte  d'absolue  fidélité,  de 
reproduire  impitoyablement  l'orthographe  du  manuscrit.  En  vérité 
je  demande  à  quoi  peut  bien  servir,  dans  un  texte  imprimé  pour 
lusage  de  la  lecture,  le  pédantesque  étalage  de  cette  orthographe 
bizarre.  Ne  poussons  pas  trop  loin  le  respect  des  autographes'.  » 

Il  nous  est  agréable  de  penser  que  Brunetière  ne  nous  eût  pas 
désapprouvé  «  de  ne  pas  reproduire  impitoyablement,  en  cette 
édition  d'Edmond  Kicher,  l'orthographe  de  son  manuscrit  ». 

Une  dernière  ol)servation. 

Dans  son  Histoire  de  la  Pucelle,  Edmond  Kicher  ne  donne  pas 
habituellement  de  références  :  pas  plus  dans  son  livre  premier, 
quoique  les  deux  procès  lui  en  aient  fournis  la  substance,  que  dans 
les  livres  II  et  III,  où  il  parle  théologie  et  droit  canon  :  il  ne  cite  ni 
chroniqueurs,  ni  théologiens,  ni  canonistes.  Son  Adcerlissement  au 
lecteur  a  mentionné  les  sources  auxquelles  il  a  puisé,  il  n'en  dira 
pas  davantage. 

-Nous  ne  tenterons  pas  ce  qu'il  a  cru  ne  pas  devoir  faire.  Il  suffit 
que  nous  nous  soyons  assuré  de  la  fidélité  des  emprunts  tirés  des 
deux  procès  et  des  mémoires  qui- figurent  au  procès  de  réhabili- 
tation. Dans  quelques  cas  d'importance  seulement,  nous  donnerons 
la  référence  des  textes  invoqués,  en  renvoyant  le  lecteur  à 
l'édition  des  procès  publiée  par  la  Société  de  l'Histoire  de  ï'rance 
et  collationnée  par  Jules  Quicherat.  C'est  à  cette  édition  que 
renverront  les  notes  indiquées  de  cette  façon  :  Procès,  t.  1  ou  H 
ou  m,  p.  10,  20.  etc. 

1.  Ferdinand  Brunetière,  Etudes  critiques  sur  l'histoire  de  la  littéra- 
ture franraise,  in-12,  1"  série  :  Paris,  Hachette,  1896. 


ADVERTISSEMENT  AU  LECTEUR 


Auparavant  ce  jourd'huy,  l'histoire  de  la  Piicelle  n'a 
esté  traitée  que  par  lambeaux  ou  parcelles  :  laquelle  nous 
expliquerons  en  quatre  livres,  et  ferons  veoir  que  jamais  his- 
toire humainement  escrite  ne  fut  plus  véritable,  comme 
prenant  son  jour  et  lumière  très  certaine  des  ennemis  con- 
jurez de  la  France.  Car  les  Anglois  voulans  calomnier  le 
secours  duquel  Dieu  favorisoit  Charles  VII,  et  faire  perdre 
l'honneur  et  réputation  à  ce  prince,  ont  fait  faire  le  procez  à  la 
Pucelle  en  tant  que  sorcière,  idolâtre,  hérétique,  et  employans 
toutes  sortes  d'impostures,  médisance  et  calomnies  pour  la 
diffamer. 

Toutefois  leurs  calomnies  demeurent  amplement  refutées, 
tant  par  les  actes  de  leur  prétendu  procez,  que  par  la  revision 
et  examen  d'icelluy  fait  vingt  et  cinq  ans  après  la  mort  de 
cette  fille  :  Dieu,  par  sa  providence,  ayant  voulu  que  la  plu- 
part des  juges,  conseillers,  notaires,  et  autres  officiers  qui 
avoient  esté  contrains  et  forcez  par  les  Anglois  d'assister  à  ce 
procez,  l'an  1431,  et  d'y  opiner  selon  leur  conspiration,  sur- 
vesquissent  jusqucs  à  l'an  1455,  qu'il  fut  revu  par  authorité 
spéciale  du  St-Siège  apostolique  :  le  Roy  Charles  VII  n'y  ayant 
pu  faire  travailler  auparavant,  tant  à  cause  des  grands 
affaires  qu'il  avoit  sur  les  bras,  que  pour  le  différent  survenu 
entre  le  concile  de  Basle  et  le  pape  Eugène  IV. 

Tout  ce  que  nous  déduirons  est  recueilli  de  pièces  origi- 
nales bien  authentiques.  Premièrement  d'un  discours  du 
siège  d'Orléans   escrit  en  vieil  langage  par  quelqu'un  qui 


38  IIISTOIUE    DE    LA    l'UCELI.Ii 

assista  à  ce  siège  et  y  a  remarqué  bien  parliculicrement 
jour  par  jour  ce  qui  s'y  est  passé.  Ce  discours  a  esté  tiré  de 
riiostel  de  ville  d'Orléans,  et  imprimé  deux,  fois,  scavoir  l'an 
1576  par  Saturnin  Jlottot,  et  l'an  1606  par  Olivier  Boynard  et 
Jean  Nyon,  libraires  en  l'université  d'Orléans  :  sur  lequel 
discours  et  autres  mémoires  tirez  pareillement  de  l'hostel 
de  ville  d'Orléans,  Jean  Louis  Miguellet,  principal  du  collège 
d'Orléans,  l'an  1560,  lit  imprimer  un  livret  bien  latin  des 
expéditions  de  la  Pucelle  qu'il  dédia  à  M.  le  Cardinal  de 
Lorraine,  lequel  nous  avons  aussi  bien  soigneusement 
feuilleté. 

L'autre  pièce  originale  est  le  procez  que  les  Anglois  firent 
à  cette  fille,  signé  et  contresigné  en  chascun  feuillet  Bosguil- 
laume^  (et  non  point  Bosguille,  ainsi  que  Estienne  Pasquier 
et  autres  lisent,  ne  prcnans  pas  garde  à  une  abréviation).  J'ay 
vu  la  déposition  originale  en  la  revision  du  procez,  où  ce 
notaire  se  nomme  Guillaume  Colles  surnommé  Bosguillaume. 
Il  estoit  le  second  notaire,  et  confesse  avoir  escrit  cinq  copies 
de  ce  procez,  l'une  desquelles  fut  consignée  entre  les  mains 
du  Roy  d'Angleterre,  l'autre  de  Messire  Pierre  Cauchon, 
Evesque  de  Beauvais,  et  la  tierce  de  frère  Jean  Magistri-, 
Dominicain,  docteur  en  théologie,  suffragant  de  l'Inquisiteur 
de  la  foy,  juge  en  cette  cause  avec  l'Evesque  de  Beauvais. 

Monsieur  du  Puis^  m'a  preste  l'original  de  ce  procez  signé 

1.  Ou  «  Boisguillaume,  »  d"apivs  l'orlhograplie  dont  a  usé  J.  Qui- 
chcrat.  Procès,  t.  1,  p.  8  et  passim.  L'attestation  écrite  au  bas  du  pre- 
mier feuillet  du  manuscrit  du  procès  par  le  greffier  lui-mèmo  porte  : 
BoscguiUaume  ;  et  il  en  est  de  même  de  la  signatuve  mise  au  bas  du 
recto  de  chaque  feuillet  :  Afflrmo  ut  supra  BoscguiUaume.  Ibid.,  p.  4. 

2.  Jean  Lemaltre.  Voir  Procès,  t.  I,  p.  2. 

3.  Il  ya  eu  trois  Dupuj%  contemporains  d'E.  Richcr.  Ils  élaiont  frères 
et  c'est  à  l'un  d'eux  que  très  vraisemblablement  Richer  fait  allusion. 
L'aîné  avait  pour  prénom  Christophe  et  était  tiiéologien.  Il  était  fils 
d'un  conseiller  au  parlement  et  gai'dien  de  la  bibliothèque  du  roi.  Né  à 
Paris  en  I.jSO,  il  mourut  à  Rome  en  1654.  C'est  lui  qui  empêcha  l'his- 
toire du  président  de  Thou  d'être  mise  à  Vindex. 

Le  second  des  trois  frères  s'appelait  Pierre.  11  naquit  en  1582  à 
Agenet  mourut  en  1657.  Il  s'adonna  d'une  façon  toute  particulière  à 
l'étude  de  l'histoire  de  France,  s'occupa  de  l'inventaire   du   trésor  des 


ADVEnTISSEMENT    AU    LECTEUR  39 

de  trois  notaires,  ù  sçavoir  de  Guillaume  Colles  Bosguillaumo, 
de  Guillaume  Manchon,  premier  notaire,  lequel  gardoit  tuutes 
les  notes  et  minutes,  et  de  Nicolas  Taquel  qui  fut  nommi' 
par  frère  Jean  Magistri  pour  troisiesme  notaire.  Gette  copie 
originale  est  scellée  de  deux  sceaux  :  le  plus  grand  est  de 
TEvesque  de  Beauvais,  et  le  plus  petit  de  frère  Jean  Magistri, 
inquisiteur  de  la  foy.  Et  [je]  me  persuade  que  cette  pièce  soit 
l'un  des  originaux  qui  fut  déposé  entre  les  mains  de  l'Evesque 
de  Beauvais  ou  dudit  Magistri. 

La  troisiesme  pièce  originale  est  la  re vision  de  ce  procez 
dont  j'ai  eu  deux  originaux,  lun  du  trésor  de  l'Eglise  Nostre 
Dame  de  Paris,  l'autre  de  la  Bibliothèque  de  Monsieur  du  Lis, 
conseiller  du  Roy  et  son  advocat  général  en  sa  cour  des  Aides  : 
lesquels  originaux  sont  signez  et  contresignez  à  chascun 
feuillet,  Dionijsms  Comitis  et  Francïscus  Ferrebouc,  notaires 
qui  ont  instrumenté  en  la  revision  du  procez,  où  furent  pro- 
duits six  traitez  latins  pour  servir  de  griefs  et  contredits 
contre  les  actes  et  prétendues  accusations  des  ennemis  de  la 
Pucelle. 

Le  premier  de  ces  traitez  est  un  opuscule  que  M"  Jean 
Gerson  composa  en  faveur  de  cette  fille,  incontinent  qu'elle 
eut  fait  lever  le  siège  d'Orléans. 

Le  second  est  de  messire  Hélie  de  Bordeilles,  cordelier, 
évesque  de  Perigueux,  et  depuis  archevesque  de  Tours  et 
cardinal. 


Charles,  réunit  un  vaste  recueil  de  mémoires,  qu'il  communi- 
quait aux  savant,  et  publia  un  certain  nombre  d"ouvragcs  et  d'études 
historiques.  On  ne  se  trompera  guère  en  supposant  que  c'est  de  ce 
savant  qu'il  est  question  dans  la  préface  d'E.  Richer. 

Le  Iroisièmo  des  frères  Dupuy  avait  prénom  Jacques.  Né  en  158ti, 
mort  en  1656,  il  devint  gar(tien  de  la  bibliollièque  du  roi.  Il  publia, 
avec  son  frère,  plusieurs  éditions  de  l'histoire  de  son  parent  de  Thon, 
et  un  Inde.v  des  noms  qui  y  sont  latinisés. 

Dans  son  Mémoire  pour  sentir  à  l'histoire  des  hommes  illustres  (44  vol- 
in-12.  Paris  1727.  t.  I,  p.3J6-H17),  Niceron  rapporte  que  Ménage  rece- 
vait tous  les  mercredis,  ce  qu'il  appelait  sa  mercuriale,  mais  que  «  les 
auUes  jours,  il  alloit  assiduement  au  Cabinet  de  Messieurs  Dupuy  ». 
les  deux  frères  dont  nous  venons  de  parler. 


40  IMSTOmE    DE    LA    PL'GELLE 

Le  troisiesme  a  pour  nom  ces  trois  lettres  capitales  M.  E.  N., 
souscrites  à  la  fin  du  discours'. 

La  quatriesme  est  de  frère  Jean  Brehal,  Dominicain,  doc- 
teur en  théologie,  inquisiteur  de  la  foy  au  Royaume  de 
France  par  commission  du  St-Siège. 

Le  cinquiesme,  de  Robert  Ciboule,  docteur  en  théologie  et 
chancellier  de  l'Université  de  Paris, 

Le  sixiesme,  de  M*  Guillaume  Bouile  {Bouille),  docteur  en 
théologie  et  doyen  de  l'église  de  Noyon. 

Lesquels  autheurs  déclarent  expressément  que  la  Pucelle 
n'estoit  en  rien  justiciable  de  l'Evesque  de  Beauvais,  attendu 
qu'elle  n'avoittiré  sa  naissance,  ni  eu  domicile,  ni  mesme 
esté  prise  en  son  diocèse-,  et  parlent  de  choses  qu'ils  sçavoient 
très  bien. 

Outre  lesquels  opuscules  j'uy  encore  vu  et  bien  examiné 
quatre  autres  traitez  latins,  l'un  de  Paulus  Pontanus,  advo- 
cat  de  Rote,  l'autre  de  Theodoricus,  auditeur  de  Rote,  le 
troisiesme  de  messire  Thomas  Bazin,  Evesque  de  Lisieux. 
grand  jurisconsulte  :  et  le  quatriesme  est  un  sermon  que 
W  Guillaume  Erard,  docteur  en  théologie  de  Paris,  fit  à 
Rouen  au  cimetière  St-Ouen,  lorsque  les  Anglois  contrai- 
gnirent la  Pucelle  de  se  retractei"  sous  peine  d'estre  bruslée 
toute  vive^'. 

Jacques  Meyer,  en  l'histoire  de  Flandre,  tient  inventaire 
d'un  autheur  sans  nom,  lequel  asseure  avoir  eu  commande- 

1.  On  pourrait  croire  que  ce  mémoire  est  celui  de  Jean  de  Montiguy, 
docteur  en  décret,  dont  parle  .1.  Quiciierat,  t.  III,  p.  319,  3'20,  et  que 
M.  Lancry  d'Arc  a  publié  dans  son  recueil  des  Consultations  sur  lo 
procès  de  la  Pucelle,  p.  276  et  suiv.  (in-8»,  Paris,  A.  Picard  1889). 
Mais  le  manuscrit  dont  le  texte  est  reproduit  n'a  de  souscription  d'aucune, . 
sorte,  tandis  que  trois  capitales,  M.  E.  N.,  dans  le  manuscrit  que  cite 
Richer,  figuraient  à  la  fin  comme  souscription. 

2.  Cette  dernière  assertion  n'est  pas  cvacte.  Les  docteurs  de  la  réha- 
bilitation se  bornent  à  dire  que  l'évèque  de  Beauvais  n'avait  pas  juri- 
diction sur  la  Pucelle,  alors  même  qu'elle  eût  été  prise  sur  le  territoire 
de  son  diocèse,  parce  qu'elle  n'y  avait  commis  de  crime  d'aucune  sorte 

3.  C'est  grand  dommage  que  le  texte  de  ce  sermon  n'ait  pu  être 
retrouvé. 


ADVERTISSEMENT    AU    LECTEUH  41 

ment  du  Roy  Charles  V[[  d'examiner  le  procez  de  la  Pucellc, 
et  dit  avoir  fait  des  griefs  en  latin  sur  icelluy,  lesquels  je 
n'ay  pu  recouvrer,  ni  scavoir  qui  en  est  l'autheur  :  nous  en 
ferons  registre  au  livre  des  Eloges  et  de  tous  les  autheurs  et 
historiens  qui  ont  parlé  de  cette  fille. 

Ayant  ouï  dire  qu'il  y  avoit  un  original  de  la  revision  du 
procez  au  thrésor  de  l'Eglise  de  Beauvais,  j'ay  priéplusieuis 
chanoines  et  autres  personnes  de  cette  ville  de  m'en  esclaircir 
et  faire  sçavoir  s'il  y  auroit  point  quelques  autres  pièces con- 
cernans  ce  sujet  ;  mais  je  n'ay  trouvé  aucun  qui  m'en  ayc  pu 
rien  dire.  Et  d'autant  que  plusieurs  qui  ont  traité  cette  his- 
toire tesmoignent  avoir  pris  ce  qu'ils  ont  escrit  de  la  biblio- 
thèque St  Victor  de  Paris,  comme  d'un  thrésor  bien  authen- 
tique, j'ay  eu  la  curiosité  de  veoir  et  y  ai  trouvé  un  volume 
auquel  sont  escrites  à  la  main  les  copies  suyvantes  non 
signées,  scavoir  le  discours  du  siège  d'Orléans  cy  dessus 
mentioné,  item  le  procez  fait  à  la  Pucelle  avec  la  revision 
d'icelluy'.  Et  m'estant  enquis  d'où  provenoient  ces  copies, 
le  père  ïhoulouze,  chambrier  de  St-A'ictor,  qui  a  fait  un 
recueil  de  l'histoire  de  leur  ordre,  m'a  asseuré  que  l'an  mil 
quatre  cens  soixante  et  douze,  sous  le  règne  de  Louis  XI,  un 
de  leurs  religieux,  nommé  Xicasius  de  Ulmo  {Nicaise  De- 
lorme),  estoit  prieur  d'une  maison  de  leur  ordre  appelée 
Bussy,  distante  environ  six  lieues  d'Orléans,  et  qu'il  escrivoit- 
lors  ces  copies  dont  nous  avons  fait  inventaire;  la  mémoire 
des  expéditions  de  la  Pucelle  et  de  sa  justification  estant 
encore  toute  récente. 

Quant  au  premier  livre  de  cette  histoire,  il  contient  bien 
exactement  la  vie  de  cette  fille  recueillie  tant  de  ses  propres 


1.  Voir  sur  ce  manuscrit  lio  Saint-Victor  la  notice  «jue  J.  Quiclierat 
lui  consacre.  Procès,  t.  V,  pp.  398-400  et  40."i,  440,  445,  452.  453.  Comme 
lindique  L.  Richer,  ce  manuscrit  n'est  qu'une  copie  de  l'un  des  manus- 
crits originaux. 

- Ou  mieux,  fil  e.iécnler  ...  Remarque  de  J.  Quicherat,  op.  cit., 

p.  400. 


42  y--    lUClIER.    —   LA    PUCELLE    I)  ORLEANS 

dépositions  que  de  celles  de  cent  cl  douze  lesmoins  qui  ont 
esté  ouys  en  la  revision  du  procez*. 

Le  second  est  l'examen  de  tout  son  procez; 

Le  Iroisiesme,  la  i-evision  d'icelluy; 

EL  le  quatriesme  sera  dédié  h  ses  éloges  que  nous  avons 
extraits  de  divers  autheurs  de  toute  nation.  A  quoy  Jean  llor- 
dal,  docteur  et  professeur  en  droit  à  l'université  de  Pont-à- 
Mousson,  a  dignement  travaillé  en  latin  :  au  moyen  de  quoy 
ce  dernier  livre  ne  nous  sera  si  difficile  à  traiter  que  les  trois 
autres. 

Et  possible  n'y  eut-il  jamais  histoire  plus  enveloppée  pour 
ce  qu'elle  contient,  à  cause  des  intrigues  calomnieuses  et 
malignes  chiquaneiies  dont  les  Angloisont  rempli  ce  procez. 
Toutefois,  nous  espérons,  à  la  gloire  de  Dieu  et  à  l'honneur 
de  la  France,  relever  bien  haut  cette  pièce  et  la  mettre  en 
son  vray  jour  naturel,  qui  est  la  simple  et  naïve  vérité,  sans 
laquelle  l'histoire  ressemble  à  un  cheval  aveugle  duquel  on 
ne  se  peut  servir,  ainsi  que  disoit  Polybe. 

Au  reste,  il  m'eust  esté  beaucoup  plus  facile  de  l'escrire  en 
latin  qu'en  langue  vulgaire,  considéré  mesme  que  le  procez, 
tous  les  actes  et  traictez  ci  dessus  inventoriez  sont  couchez  en 
latin.  Neantmoins,  pour  faire  cognoistre  à  ma  patrie  combien 
après  Dieu,  elle  est  obligée  à  cette  fille  qui  ne  parloit  que 
très  bon  françoys,  j'ay  mieux  aymé  l'escrire  en  nostre  langue, 
à  ce  que  {afin  que)  ceux  qui  n'entendent  pas  le  latin,  et  mes- 
me les  femmes  et  les  filles,  y  puissent  profiter  et  recognoistre 
les  merveilles  de  Dieu  envers  le  royaume  de  France  duquel 
il  a  toujours  eu  un  soin  particulier. 

Vrayment  il  seroit  à  désirer  que,  pour  conserver  ces  pièces 
originales,  j'entend  leprocezet  la  revision  d'icelluy,  quelqu'un 
en  fist  imprimer  cent  ou  six  vingts  exemplaires  en  un  beau 


1.  Les  témoignages  recueillis  dans  ks  enquêtes  de  la  révision  s'élè- 
vent au  nombre  de  cent  quarante-quatre.  Mais  il  n'y  eut  que  cent 
vingt-cinq  témoins,  quelques-uns  d'entre  eux  ayant  été  entendus  plu- 
sieurs fois. 


ADVERTISSEMRNT    AU    LECTEUR  43 

chaiactère,  pour  les  mettre  en  diverses  bibliothèques,  afin  de 
les  conserver  et  transmettre  fidèlement  à  la  postérité,  car 
autrement  elles  se  perdront  par  l'injure  du  temps.  Pour  mon 
regard,  jofïrirois  volontiers  ma  peine  et  mon  travail  à 
reveoir  et  confeier  les  copies  et  impressions  sur  les  originaux. 
Et  ne  seroit  besoin  faire  imprimer  les  traitez  des  autheurs 
que  nous  avons  cy  devant  alléguez,  pour  ce  qu'ils  sont  trop 
peu  clabourez,  polis,  et  tumultuairemcnt  escrits,  mesme  en 
un  siècle  auquel  la  barbarie  triomphoit. 

Certes,  attendu  le  secours  miraculeux  que  la  Pucelle  apporta 
à  la  couronne  de  France  et  race  royale,  je  m'esbahys  fort  que 
nos  pères  ayent  eu  si  peu  de  soin  de  faire  veoir  la  vérité  de 
cette  histoire.  Or,  je  ne  fais  point  de  doubte  que  tant  de 
pièces  originales  et  traitez  latins  qu'il  a  esté  nécessaire  de 
bien  veoir,  reveoir,  conférer,  examiner  et  développer,  n'ayent 
esté  plus  que  suffisants  pour  détourner  maintes  personnes 
d'entreprendre  cet  œuvre  laborieux.  Mais  à  ce  que  {a/în  que) 
tout  le  monde  cognoisse  nostre  candeur  et  la  fidélité  que  nous 
y  voulons  garder,  nous  ne  désirons  qu'aucun  y  ajouste  plus 
de  foy  que  permettent  les  actes  publics  et  pièces  originales 
desquelles  nous  l'avons  extraite  et  colligée  :  car  nous  tenons 
pour  très  véritable  maxime  que  c'est  un  très  grand  sacrilège 
démentir  en  matière  d'histoire,  puisque  l'escjire  n'est  autre 
cboseque  sacrifier  à  la  vérité,  comme  disoit  un  ancien*. 

1.  Pline  le  Jeune  exprimait  une  idée  semblable  lorsque,  dans  une  de 
ses  lettres,  il  signalait  «  la  puissance,  la  dignité,  la  grandeur,  la  majes- 
té ot,  en  quelque  sorte,  la  divinité  de  l'histoire  :  —  quanta  polesfas, 
fjiianla  diqmtas,  quanta  majeslas,  quantum  denique  numen  sit  histo- 
riée quum  fréquenter  alias,  tu)n  proj:ime  sensi.  »  [Lettres  de  l'îine. 
livre  IX,  27,  in-12,  Paris,  Garnior,  sans  date.) 


HISTOIRE 


LA  PUGELLE  D'ORLEANS 


LIVRE  PREMIER 

DE   SA  NAISSANCE  A  SA   CAPTIVITÉ 


CHAPITRE  PREMIER 

COUP  D'ŒIL  SUR  LE  RÈGNE  DE  CHARLES  VI  ET  SUR   LES 
COMMENCEE EiNTS  DE  CELUI  DE  CHARLES  VII 


C  H  A  R  L  r^  S    VI 

Ceux  qui  ont  quelque  cognoissance  de  notre  histoire  de 
France  ne  peuvent  ignorer  en  quelles  misères  et  confusions 
l'Estat  fut  réduit  sous  le  règne  de  Charles  VI,  surnommé 
Charles  le  bien  aymé  :  lequel  nos  histoires  tiennent  avoir 
esté  un  très  bon  mais  très  infortuné  prince.  Il  espousa  Isaboau 
de  Bavière  qui  fut  fatale  à  la  France,  et  en  eut  six  enfants  : 
trois  fils,  scavoir  Louys,  Jean  et  Charles,  et  trois  filles,  Isabelle, 
Catherine  et  Michelle  de  Franco.  Louys  fut  Dauphin  et  duc  de 
Guyenne,  et  prit  à  femme  la  fille  de  Jean,  duc  de  Bourgogne. 
Son  frère  Jean  espousa  la  fille  du  duc  de  Bavière  qui  estoit 
comte  de  llainaut.  Louys  décéda  Tan  1415,  et  Jean  Tannée 
suivante  IV16  :  tellement  que  Charles  qui  estoit  le  plus  jeune 
et  naquit  Fan  1402  (vieux  style)  depuis  les  intervalles^  de 

1.  Dopuis  los  accès  do  folie  auxquels  Cliarlcs  VI  lui  sujet. 


46  E.    UICIIKK.     —    LA    l'H.KU.E    I)  ORLÉANS 

son  père,  fui  Uaiiphin  environ  Tàge  de  treize  ans^  Il  estoit 
de  très  bon  naturel,  mais  de  petite  coniplexion  et  peu  aymé 
de  sa  mère;  et,  après  la  mort  de  son  père,  succéda  à  la  cou- 
ronne. 

Quanta  Mesdames  Isabelle  et  Catherine-  de  France,  elles 
furent  mariées  en  Angleterre  :  celle-là  en  l'âge  de  sept  ans 
au  Roy  Richard,  de  la  maison  d'York,  qui  fut  tué  par  les 
menées  de  Henry  de  Lancastre,  lequel  après  s'empara  de  la 
couronne  d'Angleterre;  et  Madame  Isabelle  fut  renvoyée  en 
France  auparavant  le  mariage  consommé  avec  Richard,  et 
depuis  mariée  à  Charles,  fils  du  duc  d'Orléans.  De  Madame 
Catherine  nous  en  parlerons  ailleurs.  Michelle  fut  mariée  à 
Philippe,  fils  unique  de  Jean,  duc  de  Rourgogne,  de  laquelle 
il  n'eut  aucun  enfant,  et  décéda,  quelques  années  après  que 
Jean  de  Rourgogne  fut  tué  à  Montereau  Faut-Yonne. 

Le  duc  de  Rretagne  vouloit  mal  de  mort  au  connétable  de 
Clisson.  Et  le  seigneur  de  Craon,  Angevin,  confident  du  duc 
de  Rretagne,  fit  assassiner  Olivier  de  Clisson,  connestable  de 
France,  l'an  1392.  Et  s'estant  réfugié  en  Rretagne,  le  roy 
Charles  VI  tout  nouvellement  relevé  d'une  grande  maladie, 
pendant  les  plus  grandes  chaleurs  de  l'année,  au  mois  de  juil- 
let, dressa  un  armement  pour  avoir  raison  du  sieur  de  Craon 
et  du  duc  de  Rretagne  qui  le  protégeoit.  Et  s'estant  avancé  avec 
son  armée  jusqu'au  païs  du  Maine,  fut  là  saisi  d'une  fièvre 
chaude  dont  il  a  esté  travaillé  par  intervalles  (par  accès)  tout 
le  reste  de  sa  vie  et  plus  il  avançoit  sur  l'âge;  de  quoy  presque 
ensuivit  la  ruine  totale  de  la  France.  Car  durant  ces  intcrvalles- 
du  Roy  qui  n'agissoit  point,  et  [à  cause  de]  la  grande  faiblesse 
de  l'Estat,  toul  le  ro^^aume  estoit  en  perpétuelle  combustion, 
les  grands  faisant  tout  ce  que  bon  leursembloit,  et  vouloient 
tous  commander.  Vraye  image  de  ce  que  l'Escriture  repré- 
sente au  [livre]  <3  des  Juges  :  En  ces  jours  qu'il  n'y  avait 
point  de  Roy  en  Israël,  chacun  faisoit  tout  ce  que  bon  luy 
sembloit. 

1.  Charles  VU  naquit  le  14  février  1402.  l'aum'C  alors  coininençant 
à  Pâques  ;  —  en  1403,  d'après  noire  manière  présente  de  compter, 
l'année  commentant  le  1"  janvier. 

2.  Ces  ((  accès  de  folie  ». 


DE    DOMUEMY    A    COMPIEGNE  47 

El  lors  Jean  de  Bourgogne,  prince  fort  populaire,  ambi- 
lieux  et  puissant,  employa  toute  son  industrie  et  ses 
moyens  pour  venir  au  gouvernement  de  l'Estat.  Et  cognois- 
ï^ant  le  crédit  auquel  estoit  en  ce  temps  l'Université  de  Paris, 
il  acheta  l'affection  et  faveur  de  ce  corps  lettré,  et  par  ce 
moyen  aussi  celle  de  tout  le  peuple  de  Paris,  voire  de  la  plus 
grande  partie  du  royaume  do  France.  Certes,  nos  histoires 
font  foy  que  pour  acquérir  réputation  et  faveur  parmi  le 
pt'uple,  il  suifisoit  lors  d'être  porté  et  assisté  de  l'Univer- 
sité, pour  ce  qu'en  toute  la  France  il  n'y  avoit  d'autre  eschole, 
ou  à  tout  le  moins  [aucune]  qui  n'eust  puisé  en  cette  source  : 
car  on  tiroit  de  là  les  Evesques,  Abbez,  Cui-ez,  prédicateurs. 
Outre  que  plusieurs  théologiens  et  autres  suppôts  de  l'Uni- 
versité estoient  stipendiez  du  duc  de  Bourgogne,  qui  s'en 
servoit  tout  ainsi  que  Jules  César  faisoit  de  Marc  Antoine  et 
fie  Curion,  tribuns  du  peuple,  et  les  maintenoit  par  sa  puis- 
>ance;  d'où  arrivèrent  plusieurs  insolences  et  séditions  au 
royaume  de  France. 

Louys,  duc  d'Orléans,  frère  unique  du  Roy,  esloiten  faveur 
auprès  de  son  frère,  lequel  pour  l'affection  qu'il  lui  portoit, 
ne  recognoissoit  presque  autres  personnes  que  lui  et  Valen- 
line,  sa  femme,  fille  du  duc  de  Milan,  au  plus  fort  de  ses  inter- 
valles'; et  relevé  qu'il  estoit  de  maladie,  leur  déféroit  beau- 
coup. Ce  que  le  duc  de  Bourgogne,  quiaffectoit-  le  gouverne- 
ment de  l'Estat,  tiroit  en  envie  de  sortilège,  à  cause  que  le 
duc  d'Orléans  empeschoit  ses  desseins.  C'est  pourquoy  il  le 
lit  tuer  l'an  1407  :  estant,  en  outre,  irrité  de  je  ne  sais 
(|uelles  jeunesses  du  duc  d'Orléans.  Et  eut  à  gages  un  certain 
docteur  en  théologie,  nommé  Jean  Petit,  cordelier,  natif  de 
Normandie,  ainsi  que  tesmoigne  Belleforest,  pour  deffendre 
cet  assassinat.  Ce  docteur  d'iniquité,  assisté  et  porté  du  duc 
(li>  Bourgogne  présent,  en  pleine  face  du  Roy  et  de  tout  le 
l'onseil,  osa  tout  premièrement  dire  qu'il  avait  entrepris  la 
ilefTense  de  cette  cause  parce  que  le  duc  de  Bourgogne  estoit 
son  bienfaiteur  :  secondement  que  le  duc  d'Orléans  estoit  un 

1.  Môme  sens  que  ci-dessus. 

2.  «  Aiubilionnail.  » 


48  E.    niCHEU.    LA    l'UCKLLE    D  OULKAXS 

tyran,  et  qu'il  estoil loisible  à  quelque  parliculiei-  que  ce  soit, 
de  son  propre  et  privé  motif,  sans  avoir  ordre  ni  commande- 
ment daucun  supérieur,  de  tuer,  voire  mcsme  assassiner  un 
tyran  par  embûches  et  autres  pratiques  et  moyens  quelcon- 
ques*. Et  Jean  Gerson  chancelier  de  l'Université  de  Paris, 
ayant  entrepris  de  faire  condamner  celte  doctrine  comme 
hérétique,  les  Bourguignons  appeloient  ceux  qui  l'avoient 
condamnée,  la  secte  de  Gerson,  à  la  vie  duquel  ils  voulurent 
attenter  maintefois. 

Or,  pour  la  grande  faiblesse  de  l'Estat,  il  fallut  que  le 
Koy  et  tout  son  conseil  passassent  tout  cela  sous  silence  et, 
davantage  [de  plus],  tolérassent  encore  plusieurs  autres 
désordres,  séditions  et  meurtres  causez  par  le  duc  de  Bour- 
gogne et  ses  partisans.  De  sorte  que  la  France  fut  des- 
chirée  en  deux  factions,  aucuns  tenans  à  gloire  d'estre  sur- 
nommez Bourguignons,  et  chantans  «  Noël,  Noël,  »  quand 
ce  duc  arrivoit  à  Paris;  et,  par  grand  opprobre  et  injure, 
appeloient  Armagnacs  tous  ceux  qui  ne  pouvoient  agréer  leur 
séditieux  parti,  à  cause  du  comte  d'Armagnac,  connestable 
de  France,  très  bon  et  très  fidèle  au  Roy  et  à  l'Estat,  auquel 
tous  ceux  qui  aymoient  leur  patrie  adhéroient. 

Pour  cette  occasion,  les  gens  du  duc  de  Bourgogne  con- 
duits par  le  sieur  de  l'Isie  Adam,  ayant  de  nuit  surpris  la 
ville  de  Paris  par  trahison  de  quelques  bourgeois,  le  connes- 
table d'Armagnac  fut  enlevé  de  son  lit  et  massacré  avec 
une  infinité  d'autres  personnes  de  toutes  qualitez,  âge  et 
sexe,  sans  pardonner  aux  femmes  grosses  et  à  leurs  enfants, 
[aux]  docteurs  en  théologie  et  Evesques  tenans  le  parti  du 
Roy.  Et  Charles,  Dauphin,  estoit  en  très  grand  danger  de  sa 
personne,  sinon  que  Taneguy  du  Chastel,  prévost  de  Paris, 
son  bon  serviteur,  l'alla  prendre  en  son  lict  et  le  porta  bien 
hastivement  en  la  bastille  de  Paris,  et  de  là  fut  conduit  à 
Melun,  âgé  d'environ  seize  ans. 

Et  dès  lors  le  duc  de  liourgognc  et  Isabeau  de  Bavière, 
l'cine  de  France,  complotèrent  de  marier  Madame  Catherine 


1.  Voie   co   discours  de  Jean   Polit   dans  Monsirolot,   I,   cliap    xxxi.x. 
l'aris,  in-4»,  t.  I,  lo'JO. 


DE    DÛMllEMV    A    CoMPÎEGNE  49 

de  France  au  Roy  d'Angleterre,  qui  la  faisoit  rechercher  pour 
avoir  moyen  de  toujours  empiéter  dans  le  royaume  de  France 
pendant  nos  divisions  et  la  grande  faiblesse  de  l'Estat.  Car 
les  Anglois  s'estoient  desjà  emparez  de  toute  la  Normandie, 
excepté  Rouen  qu'ilz  tenoient  assiégé,  et  l'emportèrent  par 
famine.  Et  en  ce  mesme  temps  le  sieur  de  l'Isle  Adam,  grand 
partisan  et  confident  du  Bourguignon,  livra  Pontoise  aux 
Anglois.  Quant  au  Roy,  il  estoit  opprimé  de  sa  maladie, 
n'agissoit  point  du  tout,  et  mesme  manquoit  des  choses 
nécessaires  à  la  vie  humaine.  Nos  histoires  racontent  qu'une 
des  gouvernantes  qui  eslevoit  ses  enfans,  luy  estant  venu 
dire,  toute  épleurée,  qu'elle  n'avoitde  quoy  vestir  ni  donner 
à  manger  aux  enfans  de  France,  ce  pauvre  prince,  la  larme 
à  l'œil,  respondit  qu'il  n'en  avoit  pas  pour  lui-même. 

Or,  le  Dauphin  âgé  de  dix-sept  ans  environ,  et  son  conseil 
ayans  meurement  considéré  toutes  ces  choses,  et  voyans  que 
la  Reine  avoit  affection  d'avancer  Madame  Catherine  de 
France  au  détriment  du  Dauphin  son  fils,  quoique  héritier 
présomptif  de  la  couronne,  jugèrent  pour  remédier  à  ce  mal 
n'y  avoir  rien  de  plus  expédient  que  de  rechercher  le  duc 
.lean  de  Bourgogne  pour  asseurer  quelque  bon  accord,  ou 
bien  de  s'en  deffaire.  Et  afin  de  parvenir  h.  leurs  desseins  fut 
moyennée  l'entrevue  de  Montereau  Faut-Yonne.  Et  Dieu 
ayant  résolu  de  chastier  les  François,  Bourguignons  et  An- 
glois, permit  que  les  gens  du  Dauphin  prinrent  le  pire  et  plus 
infâme  conseil,  et,  contre  la  religion  des  promesses  données 
et  serments  solennels,  tuèrent  le  duc  de  Bourgogne  l'an 
1419  :  tout  ainsi  qu'il  avoit  faict  massacrer  le  duc  d'Orléans, 
nonobstant  qu'ils  eussent  aussi  solennellement  juré  amitié 
par  ensemble.  Et  depuis  chascun  eut  tout  loisir  d'essuyer  et 
faire  panser  ses  playes. 

Et  les  Anglois  à  l'occasion  de  ce  meurtre  ayans  voulu 
empiéter  le  royaume  de  France,  en  furent  du  tout  chassez,  et 
mesme  y  perdirent  la  Normandie  qu'ils  avoient  usurpée 
depuis  plus  de  trente  ans,  et  la  Guienne  qu'ils  tenoient,  il  y 
avoit  près  de  deux  cens  ans.  D'autre  part,  le  Bourguignon 
qui  pensoit  avoir  pour  sa  part  la  Picardie  et  partie  de  la 
Champagne  dont    il  s'empara,   fut  ruiné  par  Louis  XI.   De 

4 


50  E.    RICHER.    —    LA    l'UCELLE    D  ORLEANS 

sorte  que  lesaliil  de  la  France  provint  d'où  l'on  craignoil  la 
la  ruine  :  tant  les  jugements  de  Dieu  sont  adnairables  et  incon- 
nus aux  hommes!  Lequel  eut  pitié  de  ce  pauvre  Estât  et  du 
Dauphin,  attendu  qu'il  cstoit  en  minorité  et  en  la  possession 
d'autruy,  quand  le  duc  de  Bourgogne  fut  assassiné  ;  car  ses 
gens  le  gouvernoient  tout  ainsi  que  bon' leur  sembloit.  Oui 
est  en  somme  ce  que  la  Pucelle  d'Orléans  ^  en  esprit  de  pro- 
phétie, prédit  aux  Anglois  et  Bourguignons  qui  lui  firent  son 
procez,  comme  nous  verrons. 

Cette  cruelle  tragédie  ainsi  exécutée  par  les  gens  du  Dau- 
phin, Philippe  II,  fils  du  duc  Jean  de  Bourgogne,  âgé  de 
vingt  et  trois  ans,  qui  avoit  espousé  Madame  Michello  de 
France,  succéda  aux  estais  de  son  père  et  se  résolut  d'en  ven- 
ger la  mort.  Et  à  ces  fins  se  rendit  incontinent  à  Paris 
auprès  de  la  reine  Isabeau  de  Bavière,  et  conjoinctement 
firent  faire  au  roi  contre  son  propre  fils  tout  ce  que  bon  leur 
sembla;  car  depuis  ce  long  temps  ce  pauvre  prince  estoiten  la 
puissance  d'autruy  et  accoustumé  à  faire  tout  ce  que  l'on  vou- 
loir La  reine  fut  déclarée  régente  du  royaume  et,  assistée  du 
duc  de  Bourgogne,  .^ils]  conclurent  à  Troyesen  Champagne  le 
mariage  de  xAladame  Catherine  de  France  avec  Henry,  Uoy 
d'Angleterre,  aux  conditions  qu'après  le  décez  de  Charles  VI 
et  d'Isabeau  de  Bavière  le  Roy  d'Angleterre  seroit  Roy  de 
France, etrégent  du  royaume  durant  leur  vie.  Et  conséquem- 
ment  la  loy  salique,[loy]  fondamentale  del'Estat,  fut  abrogée 
sans  aucune  assemblée  d'Estats,  et  le  Dauphin  exclu  de  la  cou- 
ronne. Lequel  encore,  pour  comble  d'ignominie,  fut  appelé 
à  trois  briefs  jours  à  la  table  de  marbre  du  palais  de  Paris,  au 
nom  du  Roy  d'Angleterre  en  tant  que  régent,  pour  rendre 
compte  d  u  meurtre  commis  en  la  personne  du  d  uc  Jea  n  de  Bour- 
gogne. De  manière  que  dès  lors  Paris,  toute  la  Hrie,  Champa- 
gne, Beausse  et  Picardie  vinrent  en  la  possession  de  l'Angloiset 
du  Bourguignon,  outre  ce  qu'ils  possédoient  desjà  en  propre 
au  royaume  de  France.  Et  la  mesme  année  que  le  duc  de 
Bourgogne  fut  tué,  l'Anglois  emporta  la  ville  de  Rouen  par 
famine,  et  s'y  rendit  [maitre]  absolu. 

1.  A  savoir  (juo  «  le  sulul  vint  ù  lu  l"'iaiicr  d'où  paraissait  devoir 
venir  la  ruine». 


T)K    DÙMUEMY    A    CoMl'IKDNK  51 

|[ 

CHAP.I,  RS    VII 

Le  Roy  Charles  VI  mourut  l'cin  ['t^i  :  auquel  le  Dauphin, 
âgé  de  vingt  ans  ou.  environ  succéda,  tous  les  bons  François 
l'aj^ant  recognu,  comme  d'autre  part  ceux  de  la  faction  de 
Bourgogne  receurent  le  Roy  d'Angleterre.  Et  les  Anglois  firent 
lors  de  très  grands  progrès  par  toute  la  France  et  resser- 
rèrent le  Roy  Charles  Vil  au  delà  de  la  Loire.  Et  parce  que 
son  séjour  ordinaire  estoit  à  Bourges,  par  dérision  et  moc- 
querie  ils  le  surnommoient  «  Roy  de  Bourges».  Le  Roy 
d'Escosse  luy  envoya  cinq  mille  Escossois  conduits  par  Jean 
Stuard,  connestable  d'Escosse,  et  Guillaume  Stuard  son  frère, 
très  valeureux  chevaliers  qui  assistèrent  à  la  bataille  de  Ver- 
neuil  au  Perche,  que  nous  perdismes  l'an  1424,  où  il 
demeura  cinq  mille  François  sur  la  place,  outre  plusieurs 
grands  seigneurs  qui  furent  prisonniers,  et  entre  autres  le 
duc  d'Alençon,  prince  du  sang.  De  quoy  toute  la  France  et 
principalement  la  noblesse  demeura  grandement  estonnée, 
voyant  tout  succéder  au  souhait  des  Anglois,  lesquels  pour 
lorshonoroient  et  favorisoient  grandement  tout  le  clergé  :  h 
raison  de  quoy  tous  les  chapitres,  collèges  et  communautez 
ecclésiastiques  se  portoient  passionnément  à  leur  parti.  Ce 
qui  donna  subject  à  Louis  XI  deconsentir  quela  Pragmatique 
sanction  fust  abrogée  par  le  Pape  Pie  II  '  ;  d'autant  que  le 
clergé  faisoit  souvent  élection  de  prélats  peu  agréables  a  ce 
prince  qui  les  appeloit  «  bons  Anglois  ». 

Le  duc  d'Orléans  estoit  prisonnier  en  Angleterre  depuis 
l'an  I4L'),  qu'il  fut  pris  à  la  bataille  d'.Vzincourt,  sur  la  fron- 

1.  Km  1471.  Mais  elle  ne  lut  abrogée  que  noiuinaleaienl,  jusqu'au 
Concoi-flat  de  Léon  X  avec  Fi'ançois  l",  en  lolô.  —  Cette  Pragmatique 
sanction  consistait  en  un  recueil  de  règlements  admis  à  Bourges  par 
rassemblée  du  clergé  en  1438  et  sanctionné  par  le  roi.  Ces  règlements 
concernaient  les  questions  ecclésiastiques.  Empruntés  aux  décisions  du 
Concile  de;  Bâle,  ils  étaient  accommodés  au.K  usages  du  royaume  et  aux 
circonstances.  Cette  Pragmatique  sanction  qui  porte  le  nom  de  Char- 
les Vil  ne  doit  pas  être  confondue  avec  celle  qu'on  attribue  à  saint 
Louis. 


o2  E.    IIICIIEU.    —    LA    l'LCELLE    U  ORLEANS 

lière  du  Païs  bas,  que  nous  perdisuics  aussi  par  téméraire 
valeur.  Le  duc  de  Bethford  ou  de  Sommersct,  prince  très 
advisé,  Régent  pour  le  Iloy  d'Angleterre  au  royaume  de 
France,  avoit  promis  au  duc  d'Orléans  de  ne  rien  entrepren- 
dre sur  son  duché  d'Orléans,  comté  de  Blois,  et  dépendances 
d'iceux  :  lesquelles  villes,  quoyque  Françoises  d'affection, 
demeuroient  comme  neutres  par  la  prison  de  leur  seigneur. 
Mais  l'Anglois  voyant  que  la  ville  d'Orléans  empeschoit  le 
progrès  de  ses  conquestes  au  delà  de  la  rivière  de  Loire, 
résolut  de  l'assiéger  nonobstant  la  promesse  donnée  au  duc 
d'Orléans,  préférant  l'utilité  à  l'honneur  et  à  la  religion  de 
son  serment,  ainsi  que  Lysandre  et  plusieurs  autres  capi- 
taines en  ont  usé.  Donc,  pour  se  préparer  à  ce  siège,  il  se 
saisit  premièrement  de  Jargeauqui  est  sur  la  rivière  de  Loire, 
au-dessus  d'Orléans,  et  de  Meung  et  de  Bois-Gency  (Beau- 
gency),  qui  sont  au-dessous,  entre  Blois  et  Orléans.  Et  le 
douziesme  octobre  14^28,  (les  Anglois)  formèrent  leur  siège, 
et  firent  abattre  et  brusler  tous  les  moulins  tant  à  mont  qu'à 
val  la  rivière  de  Loire  servans  à  la  ville,  laquelle  ils  vou- 
loient  emporter  par  famine  :  et,  à  cet  effet,  l'avoient  bloquée 
de  toutes  parts,  et  environnée  de  fortes  bastilles,  rompu  tous 
les  chemins,  faict  plusieurs  retranchements  et  lignes  corres- 
pondantes à  leurs  forts,  pour  empescher  qu'aucun  secours 
d'hommes  ni  de  vivres  y  pussent  entrer  ou  en  sortir.  Le 
milord  de  Monlagu,  comte  de  Salibery  (Salisbury),  vaillant 
capitaine,  estoit  général  de  l'armée  angloisc  à  ce  siège,  et  y 
fut  tué  d'un  coup  d'artillerie  par  ceux  dOrléans. 

Au  commencement  de  ce  siège,  le  Boy  envoya  à  Orléans, 
pour  gouverneur,  le  sieur  de  Gaucour,  très  sage  et  vaillant 
seigneur,  grand  maistre  de  Ihostel  du  lîoy  et  gouverneur 
du  Dauphiné,  qui  fut  assisté  de  Jean  de  Brosse,  sieur  de 
S'*  Sévère  et  de  Boussac,  mareschal  de  France,  de  Jean,  Bas- 
tard  d'Orléans,  des  sieurs  de  Chabanes,  de  Loré,  de  La  Ilire, 
Poton  de  Saintraillcs,  et  de  plusieurs  autres  vaillans  chefs  de 
guerre,  outre  des  recrues  de  gens  de  pied,  Italiens  et  Fran- 
çois qu'on  y  envoya. 

Les  affaires  du  Boi  alloient  toujours  de  mal  en  pis,  ayant 
à  grand'peine  de  quoy  entretenir  bien  pelitement  son  train  : 


DE    nOURKMY    A    COMPIKGNE  y3 

l't  fui  résolu  au  Conseil,  au  cas  qu'Orléans  se  perdist,  que  le 
|{03'  se  relircroiten  Dauphinépourtascherde  leconserveravec 
le  Lyonnais  et  autres  provinces  adjacentes.  A  raison  dequoy  le 
sicurde  Gaucour  fut  envoyé  en  Dauphiné  d'où  il  estoit  gouver- 
neur, et  le  Bastard  d'Orléans  laissés  à  Orléans,  pour  y  comman- 
der. Aucuns  estoient  d'avis  que  le  Roy  se  retirast  en  Espagne, 
vers  le  lloy  de  Castille,  qui  lui  cstoit  ami  et  allié.  Brief,  le 
Boy  estoit  saisi  d'une  telle  tristesse  qu'on  avoit  bien  de  la 
peine  ù  le  consoler.  Et,  pour  le  divertir,  ayant  faict  un  jour 
un  ballet,  La  Ilire  sestant  trouvé  comme  il  répétoit  ce  ballet, 
et  "le  Roy]  ayant  demandé  à  ce  chevalier  sans  peur  ce  qui  lui 
en  semb'oit,  Baptista  Ignatius  et  le  chancelier  de  l'Hospilal 
racontent  que  La  Hire  dit  qu'on  n'avoit  jamais  vu  ni  ouy 
parler  qu'aucun  prince  perdist  si  gayement  son  Estât  que 
lui.  Ce  qui  fut  cause  que  le  Boy  se  résolut  et  prist  a  cœur 
ses  affaires  un  peu  plus  qu'auparavant,  quoy  que  les  Anglois 
prospérassent  de  jour  à  autre. 

Car  le  samedi,  douziesme  febvrier,  veille  des  brandons ^ 
ainsi  qu'on  parloit  alors  —  c'est  le  premier  dimanche  de 
caresme  —  les  Anglois  faisans  venir  de  Paris  un  grand  con- 
voy  de  vivres,  harens  et  autres  provisions  de  caresme  pour 
leur  armée,  les  François  pensans  enlever  ces  vivres  et  sur- 
prendre les  Anglois  auparavant  qu'ils  se  feussent  barricadez 
de  leur  paux  -  et  charroy,  selon  leur  coustume,  le  comte  de 
Clermont,  depuis  duc  de  Bourbon,  général  de  l'armée  du  Roy, 
ayant  empesché  nos  gens  de  faire  opportunément  charge, 
donna  tout  loisir  aux  Anglois  de  se  retrancher  et  fortifier, 
au  grand  mescontentementdu  Bastard  d'Orléans,  de  la  Hire, 
Poton  et  autres.  Et  Jean  Stuard,  conncstable  d'Escosse,  avec 
son  frère,  s'estant  témérairement  jetés  dans  l'embarras  des 
chariots,  furent  suivis  de  tous  nos  gens  qui  mirent  pied  à 
terre  et  quittèrent  leurs  chevaux  pour  les  secourir.  Et  furent 

1.  Le  premier  dimanche  de  Carême  était  alors  appelé  Dimanche  des 
l>ra7i(lons,  parce  que  ce  jour-là,  le  peuple  allumait  des  ieux,  dansait 
à  Icntour,  et  parcourait  les  rues  et  les  campagnes,  en  portant  dos  bran- 
dons ou  des  tisons  allumés. 

On  appelait  brandons  des  cspi'ccs  do  flambeaux  luits  avec  de  la 
paiilo  tortillée. 

i.  l'aux,  pluriel  de  pal. 


5i  E.     UlCHKU.    —    LA    PUCELLK    U  ORLEANS 

(leflaitz,  el  on  deineuru  plus  de  quatre  cens  sur  la  place, 
entre  antres  plusieuj-s  seigneurs  de  remarque,  comme  le  sieur 
d'Albret,  d'Orval,  Jean  et  Guillaume  Stuard,  Escossais,  les 
sieurs  de  La  Roche-Chouard,  de  Ghasteaubrun,  de  Chabot; 
et  le  Bastard  d'Orléans  y  fut  grièvement  blessé. 

C'est  la  défaite  que  nos  historiens  appellent  la  journée  des 
Haren's,  laquelle  incommoda  tellement  les  affaires  du  Roy  et 
la  ville  d'Orléans,  qu'il  fust  tenu  conseil  et  résolu  de  prier  le 
duc  de  Bourgogne  prendre  la  ville  d'Orléans  en  sa  protection, 
et  de  lui  plus  tost  consigner  entre  les  mains  que  de  permet- 
tre qu'elle  tombast  en  la  puissance  de  l'Anglois.  Et  remontra- 
t-on  au  Roy  que  cela  serviroit  d'acheminement  pour  faire 
quelq'ue  accord  avec  le  duc  de  Bourgogne,  et  en  tout  événe- 
ment mettroit  de  la  jalousie  entre  lui  et  l'Anglois.  Pour  ces 
causes,  Poton  de  Saintrailles,  assisté  de  quelques  autres  sei- 
gneurs, fut  envoyé  au  duc  de  Bourgogne,  lequel  eut  pour 
agréable  l'offre  qu'on  lui  faisoit,  et  dit  qu'il  en  falloit  confé- 
rer avec  le  duc  de  Bethford,  auquel  il  envoya  un  ambassa- 
deur pour  cet  effet.  Mais  l'Anglois  ayant  respondu  qu'il  ne 
vouloit  battre  les  buissons  et  qu'un  autre  prist  les  oiseaux, 
cela  donna  sujet  au  Bourguignon  de  retirer  quelques  gens 
qu'il  avoit  envoyez  au  siège  d'Orléans,  et  au  duc  de  Bethford 
de  faire  de  nouvelles  recrues  pour  emporter  Orléans  par 
famine,  car  il  y  avoit  grande  disette  de  vivres. 

De  sorte  qu'après  le  retour  de  Poton,  tout  sembloit  déses- 
péré, et  le  Roy  et  sa  noblesse  estonnez  ne  plus  ne  moins  que 
s'ils  eussent  esté  frappez  de  quelque  esclat  de  tonnerre;  et 
tout  ainsi  qu'en  une  armée  saisie  de  terreur  panique,  chas- 
cun  pensoit  plus  à  se  sauver  en  particulier  que  de  pourvoir 
au  général,  au  moyen  de  quoy  tous  demeuroient  en  proie  à 
l'ennemi  commun.  Certes,  les  Anglois-ct  le  duc  de  Bourgogne 
n'eurent  onques  de  plus  braves  et  vaillans  chefs  de  guerre, 
ni  en  si  grand  nombre  qu'ils  avoient  lors  '  :  et  toute  la  Picar- 
die, qui  estoit  en  ce  temps  pleine  de  grandes  maisons,  des- 
quelles il  ne  reste  presque  aujourdhuy  que  le  seul  nom,  estoit 
en  la  puissance  du  Bourguignon. 

\.  Ri-fulation  de  l'opinion  émisr  par  quoique.*  iiistoriens  peu  infor- 
m('"s  qui  parlent  de  la  faiblesse  des  troupes  assiégeant  Orléans. 


Dli    DÛMar.MV    A    COMPIEGNE  SS 

Or,  les  affaires  du  Uoy  réduites  à  ce  point  qu'humaine- 
nieut  on  tenoit  tout  désespéré,  la  Providence  divine,  qui  a 
toujours  eu  un  soing  particulier  du  royaume  de  France,  et 
contre  l'espérance  des  hommes  l'a  maintefois  protégé  à 
rencontre  de  ses  ennemis,  et  rendu  plus  florissant  lorsqu'il 
sembloit  estre  proche  de  sa  ruine,  suscita  une  pauvre  fille 
d'entour  les  troupeaux  de  brebis  qu'elle  gardoit,  pour  déli- 
vrée ce  tant  désolé  Estât.  Secours  inespéré  qu'on  peut  à  bon 
droit  comparer  à  celui  que  Dieu  envoya  au  royaume  d'Israël 
par  Uebbora,  simple  femme,  de  laquelle  l'Escriture,  aux 
Juges  4,  rend  ce  tesmoignage  qu'on  peut  véritablement  attri- 
buer à  la  Pucelle  :  «  Les  vaillans  personnages  ont  cessé  entre 
les  Israélites,  jusques  h  ce  que  Debbora  se  présentast  et  se 
présentast  pour  mère  en  Israël.  »  Pourroit  davantage  encore 
estre  conféré  avec  celui  de  David,  petit  berger,  qui  terrassa 
de  sa  fronde  les  blasphèmes  du  géant  Goliath  ;  ou  mesme  de 
.ludith,  qui  fit  lever  le  siège  de  la  ville  de  Béthulie. 

Les  empereurs  Romains,  durant  leur  paganisme,  adoraient 
la  fortune,  ne  plus  ne  moins  que  quelque  divinité  faisant 
largesse  de  toutle  bonheur  et  malheur  qui  se  veoit  au  monde  : 
et  pour  cette  cause  gardoient  en  leur  cabinet  et  recevoient 
religieusement  sa  statue,  ensemble  je  ne  scay  quel  feu  qu'ils 
appeloient  sacré.  Etsevoyans  proche  de  payer  le  tribut  à 
nature,  envoyoient  tout  cela  à  leur  successeur,  estimans  lui 
transmettre  quant  et  quant  tout  le  bonheur  de  l'empire. 

Les  Uois  d'Israël,  par  grâce  et  faveur  spéciale  de  Dieu,  ont 
eu  les  onctions  sacrées,  comme  un  précieux  charactère  de 
bonheur  qui  devoit  accompagner  leur  règne  et  gouverne- 
ment. Et  Saûl  s'estant  rendu  indigne  de  l'onction  que  Samuel 
luy  avoit  conférée  par  ordonnance  du  ciel.  Dieu  commanda 
H  Samuel  d'aller  oindre  David  :  lequel,  pareillement  proche 
de  la  mort,  donna  ordre  à  Sadoch,  grand  prestre,  et  au  pro- 
phète Nathan,  de  sacrer  Salomon  pour  lui  succéder  à  la  cou- 
ronne de  Juda. 

Très  saincte  coustume  qui  a  heureusement  passé  au  Chris- 
tianisme, et  depuis  Clovis  a  toujours  esté  sainctement  gardée 
par  les  Roys  de  France.  Mais  les  Anglois  et  Bourguignons 
s'estans  emparez  du  royaume,  de  manière  qu'il  estoit  impos- 


56  E.    RICIIER.    —    LA    PUCELLE    d'oRLÉANS 

sible  au  Uoy  Charles  Vil  d'aller  à  Rheims  pour  se  faire  sacrer 
et  recueillir  la  grâce  et  le  bonheur  de  celte  saincte  onction. 
Dieu  lui  envoya  la  Pucelle  d'Orléans  pour  lever  toutes  ces 
diffîcultez,  et  le  faire  passer  au  milieu  de  toutes  les  armées  et 
forces  de  ses  ennemis  et  des  plus  fortes  villes  et  places  qu'ils 
occupoient,  et  le  mener  h  Rheims  où  mesme  ils  avoient  une 
puissante  et  forte  garnison  ;  qui  est  le  principal  but  de  la 
mission  de  cette  fille.  Et  à  ce  secours  envoyé  de  Dieu  par 
personnes  de  basse  condition  ne  peut-on  pas  aussi  justement 
associer  le  Bastard  d'Orléans,  duc  de  Longueville  ;  lequel 
pareillement  Dieu  suscita  au  mesme  temps  comme  un  autre 
Jephté,  pour  conduire  si  heureusement  les  armées  et  exploi- 
ter tant  de  faits  d'armes  merveilleux  sous  le  règne  de 
Charles  VII.  Aussi  avoit-il  pris  pour  devise  :  Non  fecil  (aliter 
omni  nationi. 


CHAPITRE  II 

JEANNE   DARG.   SA   NAISSANCE,   SA   FAMILLE, 
SA    PIÉTÉ 

Or,  cette  fille  nasquit  à  Dompremy,  un  gros  hameau  de  la 
paroisse  de  Greux,  située  en  France  sur  la  rivière  de  Meuse, 
au  ressort  de  la  prévosté  de  Andelot,  bailliage  de  Chaumont 
en  Bassigny,  élection  de  Langres.  Néantmoins  celte  paroisse 
est  enclavée  dans  le  diocèse  de  Toul,  en  Lorraine^  qui  s'estend 
jusques  en  quelques  endroits  de  France.  D'où  nous  appre- 
nons que  cette  fille  estoit  vraynient  Françoise  de  nation  et 
d'afïection. 

Son  père  avoit  nom  Jacques  Darc  et  nasquit  à  Selfond,  près 
de  Montirandel  ',  en  Champagne,  diocèse  de  Troyes,  et  sa 
mère  avoit  nom  Isabeau  Romée.  Le  sieur  du  Tillet  et  quel- 
ques autres  l'ont  appelée  Isabeau  Vaultheur,  au  lieu  d'Isabeau 
Vouthon  ■-. 

G'estoient  de  fort  gens  de  bien  craignans  et  aymans  Dieu, 
mais  qui  avoient  peu  de  moyens  et  vivoient  d'un  peu  de 
labourage  et  de  bestiaux  qu'ils  nourrissoient.  Ils  eurent  cinq 
enfants,  sçavoir  trois  fils  et  deux  filles  \  L'aisné  s'appeloit 

1.  Aujourd'hui  Monliérender,  rhc-r-lieu  de  canton  de  la  Haute-Marne, 
diocèse  do  Langres.  —  Richer  n'assigne  pas  de  date  à  la  naissance  de 
riiéroïne.  Il  se  contente,  au  livre  II,  feuillet  20  verso,  de  reproduire  sa 
réponse  au.v  juges  de  Rouen,  Procès,  t.  I,  p.  46  :  «  Interrogée  de  son 
âge,  répond  qu'elle  peut  avoir  dix-neuf  ans,  comme  elle  pense.  »  Ce 
qui  la  ferait  naître  en  1412. 

2.  ((  Vouthon  est  un  village  proche  de  Dompremy  auquel  cette  femme 
nasquit.  On  a  oscrit  qu'estant  grosse  de  la  l'ucellc,  elle  songea  qu'elle 
devoit  accoucher  d'un  foudre.  Aussi  la  Pucelle  a  esté  un  foudre  de 
guerre  contre  les  Anglois.  »  {Remarque  d'E.  Richer.) 

3.  La  sœur  de  Jeanne  avait  nom  Catherine.  Elle  fut  mariée  à  Colin 
<io  Greux  et  mourut  avant  le  départ  île  la  Pucelle  pour  Chinon.  Il 
semble  qu'elle  ait  été  son  ainéc,  quoique  Richerdiseplus  bas  le  contraire. 


58  E.    RICIIEH.    —    LA    l'UCELLE    d'uRLÉAXS 

Jacqueiilin,  comme  qui  diroit  le  petit  Jacques  :  il  mourut  de 
regret,  et  son  père  scmblablemcnt,  après  la  mort  funeste  de 
la  Pucelle.  Les  deux  autres  frères,  scavoir  Jean  et  Pierrelot 
Darc,  accompagnèrent  leur  sœur  venant  en  France,  et  furent 
advancez  par  les  bienfaits  du  Roy  Charles  Vil.  Jean  Darc,  en 
la  revision  du  procez,  est  qualifié  :  «  Prévost  de  Vaucouleur  », 
et  par  un  idiosmedu  païs  de  Lorraine,  surnommé  Jean  Ualiz, 
pour  dire  Jean  du  Liz,  parce  que  le  Roy  avoit  permis  aux 
frères  de  la  Pucelle  de  porter  le  nom  et  les  armes  du  Liz,  en 
mémoire  des  faits  héroïques  de  leur  sœur  ^ 

Cette  fille  fut  baptisée  par  messire  Jean  Minet,  prestre  de 
la  paroisse  de  Greux,  et  eut  pour  parrains  Jean  Morclly, 
(Morel),  habitant  de  Neufchastel,  Jean  Longeart  et  Jean  Barré 
de  la  paroisse  de  Greux.  Ses  marraines  furent  Jeanne,  femme 
d'Estienne  ïhévenin,  charron  de  son  mestier.  et  Jeanne, 
veufve  de  feu  Thiestelin  le  Clerc,  ainsi  que  les  mesmes  par- 
rains et  marraines  ont  déposé  en  la  revision  du  procez.  Tou- 
tesfois,  la  Pucelle  interrogée  par  les  juges  qui  l'ont  condam- 
née, respondit  avoir  appris  de  sa  mère  que  l'une  de  ses  mar- 
raines s'appcloit  Agnez,  l'autre  Jeanne,  et  la  troisième 
Sybille.  Ses  parrains  lui  imposèrent  le  nom  de  Jeanne,  et 
pendant  tout  son  bas  âge  on  Tappeloit  Jeannette  Romée, 
parce  qu'en  ce  païs  les  filles  portent  le  nom  de  leurs  mères. 
Depuis  qu'elle  fut  en  France,  on  la  surnomma  Jeanne  la 
Pucelle  ou  la  Pucelle  d'Orléans. 

Dès  sa  première  enfance,  sa  mère  lui  apprit  à  faire  le 
signe  de  la  croix  en  toutes  ses  nécessitez,  et  son  Paler  nos- 
ter,  Ave  Maria,  Credo  in  Deum,  et  sa  créance,  ainsi  que 
peuvent  faire  gens  de  village  qui  ne  savent  lire  ni  escrire,  et 
ne  sçauroient  prononcer  le  latin.  Dès  sa  tendre  jeunesse,  elle 
s'adonna  fort  à  la  dévotion  et,  le  plus  souvent  qu'elle  pouvoit, 
entendoitlamesse,  se  plaisoitgrandementà  donner  l'aumosne 


1.  Kicher  ne  dit  pas  pour  quelle  raison  il  écrit  Darc  sans  apostrophe. 
I.'ortliographe  D'Arc  avec  apostroplie  est  aujourd'hui  généralement 
adoptée.  En  ce  qui  concerne  les  parrains  et  marraines  de  Jeanne,  elle 
en  eut  douze  en  tout,  quatre  parrains  et  huit  marraines.  Voir  notre  His- 
loire  complète  de  Jeanne  d'Arc,  t.  I,  note  VII,  à  la  fin  du  volumo. 
(L'éditeur.) 


DK    DdMRRMV    A    COMPlÈli.NL:  59 

aux  pauvres,  mcsme  leur  abandonner  son  propre  lit,  ayniant 
mieux  coucher  au  foyer  pour  les  accommoder.  O^iand  elle  fut 
en  France  en  meilleure  condition,  elle  les  secouroit  de  tout 
ce  qui  lui  estoit  possible.  [EUeJ  se  confessoit  et  comniunioit 
souvent,  jeusnoit  durant  le  caresme  et  tous  les  vendredis  de 
l'année,  sinon  qu'elle  fust  aux  armées,  portant  la  fatigue. 
Elle]  avoit  une  particulière  dévotion  à  la  Vierge  mère  de 
Dieu,  et  pour  cette  cause,  avec  une  sienne  sœur  plus  jeune 
quelle,  fréquentoit  souvent  l'église  ou  hermitage  de  Notre- 
Dame  de  Beaumont  (Bermont),  proche  du  village  de  Greux. 
Le  curé  de  cette  paroisse  disoit  ordinairement  que  c'estoit  la 
meilleure  et  la  plus  saincte  ame  qu'il  eut  jamais  cogneue, 
ainsi  qu'il  a  esté  déposé  en  la  revision  du  procez,  et  la 
proposoit  en  exemple  à  toutes  les  autres  iilles  du  village 
pour  l'imiter  ^. 

Ceux  qui  l'ont  condamnée  l'interrogèrent  si  elle  se  confes- 
soit chacun  an.  Elle  respondit  que  oui,  et  toujours  à  son  pro- 
pre curé  ;  ou,  au  cas  qu'il  fust  empesché,  qu'elle  lui  deman- 
doitperniission  de  se  confesseràunautreprestre.  Davantage  ^ 
qu'estant  à  Neufcha?tel  en  Lorraine,  où  elle  fut  environ 
quinze  jours  à  cause  des  gens  d'armes,  elle  s'estoit  con- 
fessée deux  ou  trois  fois  aux  frères  mendiants  de  Neufchas- 
tel.  Venue  qu'elle  fust  en  France,  elle  se  confessoit  et 
reccvoit  souvent  la  saincte  Eucharistie,  et  allant  par  le  païs 
avec  les  gens  de  guerre,  ne  l'avoit  jamais  receue  armée,  mais 
bien  avec  son  habillement  qui  estoit  son  habit  de  guerre. 
Plusieurs  gens  doctes  et  maistres  en  théologie  qui  l'ont 
entendue  de  confession,  asseurent  n'avoir  onques  cognu  une 
ame  plus  simple,  humble  et  résignée  à  la  volonté  de  Dieu  ;  et 
que  n'ayant  aucun  sens  acquis,  elle  estoit  néantmoins  douée 
de  grandes  parties,  tant  pour  sa  conduite  parmi  le  monde 
que  pour  la  piété,  ainsi  que  l'on  recognoist  par  les  admira- 
bles responses  qu'elle  a  faites  à  ceux  qui  l'interrogèrent  sur 


1.  Procès.  I.  II,  p.  43;;,  434. 

2.  Davantage,  c'est-à-dire,  déplus.  CcUi- locution  revient  souvent  sous 
la  piuine  de  notre  auteur. 


GO  E.    RICHER.    LA    PLXELLE    d'oIILÉANS 

de  hautes  et  sublimes  question  de  théologie,  lui  faisans  son 
procez. 

Le  comte  de  Dunois,  bastard  d'Orléans  et  lieutenant  géné- 
j-al  pour  sa  Majesté  très  chrestienne,  atesmoigné  que  le  sieur 
Dolon  (D'Aulon),  conseiller  du  Roy  etséneschal  de  Beaucaire, 
estoit  recognu  pour  le  plus  sage  gentilhomme  de  tout  le 
loyaume  de  France  ;  que,  pour  cette  cause,  le  Roy  le  choisit, 
afin  d'avoir  soin  de  la  Pucelle  et  l'intendance  de  sa  maison. 
Or,  ce  seigneur,  en  la  revision  du  procez,  a  déposé  avoir 
esté  et  vécu  continuellement  avec  cette  fille  plus  dun  an 
entier,  et  jusques  à  ce  qu'elle  fut  prise;  que  c'estoit  la  plus 
simple  et  dévote  créature  qu'il  ait  jamais  cognue,  qu'elle 
cntendoit  très  dévotement  le  divin  service,  a  sçavoir  aux 
jours  solennels  la  messe,  avec  toutes  les  heures  subséquentes, 
tierce,  sexte,  none  et  vespres  :  que  tous  les  autres  jours,  elle 
oyoit  une  messe,  si  lui  estoit  possible,  se  confessoit  et  rece- 
voit  le  corps  de  Notre-Seigneur  bien  souvent  et  avec  grande 
dévotion  ;  qu'un  jour  l'ayant  prié  de  lui  faire  voir  son  Con- 
seil, elle  respondit  cela  ne  pas  dépendre  d'elle,  mais  de  la 
volonté  de  Dieu  et  de  la  probité  de  ceux  auxquels  il  lui  plaît 
se  manifester;  qu'il  ne  l'avoit jamais  ouy  jurer  ni  blasphé- 
mer le  nom  de  Dieu  ni  de  ses  Saincts  pour  quelque  cause  que 
ce  soit;  au  contraire,  entendant  jurer  quelqu'un,  pour  grand 
seigneur  qu'il  fust,  le  tançoit  et  reprenoit,  voire  mesme  fiist- 
il  prince  du  sang,  ainsi  que  le  duc  d'Alençon  a  déposé,  ayant 
esté  blasmé  par  icelle  pour  avoir  juré  en  sa  présence  ^ 

Son  chapelain,  qui  estoit  un  docte  religieux  et  lecteur  de 
l'ordre  des  Augustins,  a  tesmoigné  la  mesme  chose  que  le 
sieur  Dolon.  Et  Seguin,  docteur  dominicain,  (raconte)  que 
cette  fille,  entendant  jurer  Estienne  de  Vignoles,  surnommé 
la  Ilire,  le  reprenoit  et  le  prioit  (de)  ne  jamais  jurer  que  par 
son  baston,  attendu  qu'il  en  portoit  toujours  un  en  main  ; 
que  ce  brave  cavalier,  toutes  les  fois  qu'il  voyait  la  Pucelle, 
luy  montrant  son  baston,  luy  disoit  en  riant  :  «  Jeanne,  je 
renie  mon  baston-.  » 

1.  Procès,  t.  m.  p.  lo  ol  209-220. 

2.  Procès,  t.  III.  p.  100112  et  200. 


DE    UOilUEMY    A    COMPIKGNE  61 

Kl  aliiî  de  traiter  en  une  seule  fois  de  sa  piété  et  dévotion, 
et  du  grand  zèle  qu'elle  avoit  au  service  divin,  (nous  adjou- 
tcrons  que)  quand  elle  pouvoit  avoir  de  l'argent,  elle  le  don- 
noit  aux  gens  d  église  pour  dire  la  messe  ou  faire  quelques 
autres  prières,  ainsi  qu'ils  ont  attesté.  Et  durant  sn  prison, 
n'y  avoit  chose  qui  la  travaillast  tant  que  de  ce  qu'on  ne  lui 
pcrmettoit  d'ouyr  la  messe;  car  les  Anglois  ne  lui  voulurent 
jamais  permettre.  Et  comme  elle  fut  citée  pour  comparoir 
devant  l'Evesquede  Beauvais,  et  respondre  aux  chefs  d'accu- 
sation qu'on  lui  imputoit  faussement,  la  première  chose 
qu'elle  demanda  fut  qu'on  lui  permist  d'entendre  la  messe 
auparavant  que  d'estre  interrogée  :  ce  que  cet  évesque  lui 
dénia, prétextant  qu'elle  estoit  habillée  en  homme  '. 

Davantage  :  voyant  qu'en  toutes  les  séances  de  son  procez 
—  il  y  en  a  plus  de  quinze,  —  ses  juges  exigeoient  à  cha- 
cune fois  son  serment,  et  ayant  juré  les  deux  premières  fois 
et  promis  de  dire  vérité,  craignant  d'offenser  Dieu  en  jurant 
par  tant  de  fois  réitérées,  elle  se  plaignoit  qu'on  la  grevoit 
par  trop,  et  promettoit  dire  plus  franchement  la  vérité  de  ce 
qu'on  lui  demanderoit,  pourvu  qu'on  ne  la  fist  pas  jurer 
davantage.  Ne  voulant  aussi  se  vanter  des  bonnes  œuvres 
qu'elle  faisoit,  (elle)  tenoit  pour  un  grand  grief  qu'on  lui 
demandast  si  elle  jeusnoit  chacun  jour  de  caresme,  et  leur 
demanda  si  un  tel  interrogatoire  pouvoit  appartenir  à  leur 
procez.  Et  lui  ayant  esté  respondu  que  oui,  répliqua  avoir 
jousné  tous  les  jours  du  caresme. 

G'esloit  la  coustunie  de  la  paroisse  de  Greux  que  les  filles 
grandelettes  gardassent  chascune  à  leur  tour  le  bétail  aux 
champs,  comme  les  brebis,  vaches,  etc.  Et  la  Pucelle  estant 
un  peu  avancée  d'âge  y  alloit  à  son  tour,  et,  au  lieu  de  s'amu- 
ser à  chanter  comme  les  autres  les  refrains  ordinaires  des 
pastres  et  bergers,  s'occupoit  à  prier  Dieu,  et  entendant  quel- 
que part  sonner  les  cloches,  et  principalement  à  la  consé- 
cration du  corps  de  Nostre  Seigneur,  se  mettoit  incontinent 
à  genoux,  se  retirant  à  l'écart  derrière  quelque  arbre   ou 

].  l/jid.,  1. 1.  p.  4.5. 


62  E.     RICIIER.    —    LA    PUCELLE    D  ORLÉANS 

buisson,  afin   de   faire   ses    prières  avec   plus  d'attention. 

Au  reste,  sçavoit  très  bien  filer  et  coudre,  et,  comme  elle 
respondit  a  l'Evesque  de  Beauvais,  n'en  craignoit  femme  de 
Rouen  '.  Quand  elle  fut  devenue  plus  grande,  elledemouroit 
à  la  maisttn  de  son  père  pour  faire  le  mesnage  avec  sa  mère, 
et  jamais  ne  se  tenoit  oisive  et  ne  la  voyoit-on  point  villuter 
parles  rues,  sinon  qu'elle  allast  au  labourage  ou  h  la  mois- 
son, pour  aider  à  son  père  et  à  ses  frères. 

Dès  sa  première  jeunesse  aymoit  naturelloment  la  France, 
sa  patrie,  de  sorte  qu'entendant  parler  des  factions  (]ui 
régnoienL  lors,  les  uns  se  disans  Bourguignons  et  par  injure 
appelans  les  autres  Armagnacs,  estoit  esmeue  à  grande  com- 
passion et  concevoit  une  certaine  aversion  contre  les  Bour- 
guignons :  vraye  disposition  pour  l'ecevoir  les  semences 
qu'il  plut  à  Dieu  mettre  au  cœur  de  cette  fille  pour  la  paix  el 
réunion  de  la  France  ;  tout  ainsi  que  l'affection  de  Moïse  à 
l'endroit  de  ses  compatriotes  captifs  en  Egypte,  servit  d'ache- 
minement et  disposition  au  choix  que  Dieu  fit  de  sa  personne 
pour  délivrer  le  peuple  d'Israël  de  la  servitude  d'Egypte, 
ainsi  que  saint  Augustin  remarque.  Toute  la  paroisse  de 
Greux  où  nasquit  cette  fille  estoit  entièrement  dévouée  au 
service  du  Roy,  et  n'y  avoit  qu'un  seul  Bourguignon  :  de 
sorte  que  les  enfans  de  cette  paroisse  combattoient  souvent 
contre  ceux  d'un  village  voisin  nommé  Maxey,  lequel  estoit 
totalement  Bourguignon,  et  aucune  fois  de  part  et  d'autre 
s'enlre-blessoient,  pour  monstrer  ce  que  les  factions  et  la 
haine  politique  ne  fait  pas-. 

1.  i'rocès,  I.  I,  p.  .■)2. 

2.  Jbi(/..   p.  66. 


CHAPITUE  ITI 

LA    PUGELLE   ET   SES    VOIX 

L'an  1422  que  Charles  VII  vint  à  la  couronne,  la  Pucelle 
pouvoit  estre  sur  la  Ireiziesme  année  de  son  âge.  Ce  fut  lors 
que  Dieu  premièrement  l'inspira,  lui  donnant  saint  Michel 
pour  conseil  extraordinaire,  et  saintes  Catherine  et  Margue- 
rite pour  ordinaire.  Et  saint  Michel  lui  apparut  par  trois 
diverses  fois  en  forme  d'un  preud'homme,  auparavant  qu'elle 
y  voulut  adjouster  foy.  Ce  qui  monstre  qu'elle  ne  croyoit  pas 
de  léger,  ainsi  que  ses  juges  lui  ont  voulu  faussement  impu- 
ter. Mais  attendu  qu'elle  avoit  une  spéciale  et  particulière 
dévotion  à  sainctes  Catherine  et  Marguerite,  sainct  Michel  lui 
enjoignit  nommément  de  suivre  le  conseil  et  motif  de  ces 
saintes  pour  son  gouvernement  et  direction.  Et  d'autant  que 
l'esprit  de  Dieu  qui  gouverne  l'Eglise  s'accommode  à  notre 
infirmité,  ainsi  que  tesmoigne  saint  Paul,  je  tiens  comme 
plus  probable  et  conforme  au  sens  de  l'Ecriture  saincte,  qui 
nous  apprend  que  les  Anges  sont  des  Esprits  que  Dieu 
envoyé  aux  hommes  pour  accomplir  quelques  ministères, 
que  c'estoicnt  des  anges  qui  apparoissoient  à  cette  fille  sous 
la  forme  et  figure  de  ces  deux  sainctes  qu'elle  honoroit  selon 
l'usage  et  pratique  de  l'Eglise  catholique  i.  liaison  qui  peut 
satisfaire  à  toutes  les  objections  qu'on  pourroit  alléguer  des 
légendes  des  sainctes  Catherine  et  Marguerite,  ne  plus  ne 
moins  que  si  elles  estoient  apocryphes. 

La  première  fois  quelle  entendit  les  voix  de  ces  sainctes  fut 

I .  Cette  e.icplication  d'E.  Richer  est  conforme  à  l'enseignement  des 
tlicologiens  sur  les  apparitions  de  Notre-Seigneur  et  des  saints.  Voir, 
dans  notre  Etude  critique  Les  visions  et  les  voix,  la  noie  XXVII  à  la 
lin  du  volume.  (In-S",  Paris,  Poussielgue,  1903.) 


6i  E.    HICllER.     —    L\    PUCELLE    I)  OItLEAXS 

environ  midi,  estant  au  jardin  de  son  père  '.  et  apercent  en 
mesme  temps  une  grande  lumière  venant  ducosté  dextre  de 
l'Eglise,  el  de  premier  abord  demoura  fort  cstonnée,  ainsi 
qu'il  est  arrivé  à  tous  ceux  qui  ont  eu  des  visions  célestes  ; 
mais  incontinent  après,  [fut]  grandement  consolée  et  tran- 
quille en  son  àme,  désirant  ou  que  ces  voix  lui  fussent  tou- 
jours présentes,  ou  bien  qu'elles  l'emmenassent  avec  elles. 
Durant  toute  sa  vie  elles  lui  donnèrent  deux  sortes  de  con- 
seils. Le  premier  regardoit  son  gouvernement  particulier,  à 
sçavoir  d'estre  bonne  et  vertueuse  fille,  de  bien  et  saincte- 
ment  vivre,  d'aller  souvent  à  l'église,  à  confesse  et  [à]  la  saincte 
communion,  et  garder  sa  virginité  tant  de  l'âme  que  du 
corps  :  ce  qu'elle  voua  lors  et  promit  à  Dieu.  Depuis  qu'elle 
fut  inspirée  par  ce  divin  conseil,  on  la  vit  soudainement 
changer  et  quitter  toutes  sortes  de  récréations  et  esbatte- 
ments  auxquels  jeunes  gens  et  principalement  les  filles 
s'adonnent  en  leur  bas  âge,  comme  danses,  chansons,  pro- 
menades et  autres  plaisirs  ordinaires,  aymant  mieux  estre  à 
l'église  que  partout  ailleurs  :  de  manière  que  les  jeunes  gens 
de  son  âge  avec  lesquels  elle  vouloit  converser  auparavant, 
la  voyant  si  retirée,  s'en  mocquoient,  ainsi  qu'ils  ont  déposé 
depuis  sa  mort.  Et  d'autant  qu'elle  s'estoit  accoustumée  dès 
sa  jeunesse  à  prier  Dieu  quand  elle  entendoit  les  cloches  son- 
ner, ses  voix  lui  apparoissoient  ordinairement  lorsqu'on  son- 
noit  matines  et  compiles  -.  Et  ne  les  a  jamais  trouvées  en  deux 
diverses  ou  contraires  paroles,  et  ne  lui  manquèrent  onques 
de  bon  et  salutaire  conseil  et  consolation  de  ses  adversitez 
jusques  au  dernier  soupir.  Sainctes  instructions  et  consola- 
tions qui  ne  peuvent  provenir  d'ailleursque  des  nnges  de  lu- 


i .  Los  documento  ne  disent  pas  en  quel  endroit  ni  à  quelle  heure  les 
saintes  se  montrèrent  à  Jeanne  d'Arc  pour  la  première  fois.  Ils  ne 
le  disent  que  pour  la  première  apparition  de  saint  Michel.  Voir  Procès, 
t.  I,  p.  b2. 

2.  Pure  hypotlièsf.  Cotte  allégation  ne  se  trouve  que  dans  los  pro- 
londues  dépositions  de  l'Information  posthume.  Procès,  t.  I,  p.  480, 
document  faliiiqué  par  l'évoque  de  Beauvais  pour  les  besoins  do  la 
cause.  Voir,  dans  notre  2«  série  d'Iitudes  critiques,  l'Elude  spéciale  sur 
l' In  formation  posthume,  p.  523  606.  Notons  toutefois  que,  en  soi,  le  fait 
i\o  ces  apparitions  en  de  telles  circonstances  n'a  rien  d'invraisemblable. 


DE    DOMHEMY    A    CUMI'IEGNE  65 

mièrc  ;  car  les  malins  esprits  ressemblent  aux  feux  follets  de 
l'automne  qui  vont  de  nuit  sautillans  devant  les  personnes, 
et  les  éblouissent  d'une  fausse  et  transparente  lumière  pour 
les  jeter  en  quelque  dangereux  précipice. 

L'autre  sorte  de  conseil  touche  le  public,  car  saint  Michel, 
ange  gardien  de  la  France  (en  l'honneur  duquel  Louis  X[ 
quelque  temps  après  institua  Tordre  des  chevaliers  de  Saint- 
Michel),  advertit  la  Pucelle  d'aller  au  secours  du  Roy  de 
France,  comme  firent  pareillement  saintes  Catherine  et 
Marguerite,  lesquelles  deux  ou  trois  fois  chascune  sepmaine 
lui  ramentevoient  (rappelaient)  cela,  sans  lui  donner  aucune 
relasche,  et  nommément  depuis  que  le  siège  d'Orléans  fut 
formé. 

Toutefois,  hésitant  sur  ce  conseil  et  leur  demandant  par 
quel  moyen  elle  pourroit  l'exéquuter,  ses  voix  lui  dirent 
qu'elle  s'adressast  à  Robert  de  Baudricour,  capitaine  de  Vau- 
couleur,  qui  lui  donneroit  gens  et  chevaux  pour  aller  trou- 
ver le  Roy.  Mais  s'excusant  encore  sur  son  sexe,  son  âge  et 
impuissance,  —  tout  ainsi  que  Iliérémie  et  plusieurs  autres 
prophètes,  —  disant  n'estre  capable  d'aller  à  la  guerre,  de 
monter  à  cheval,  de  porter  les  armes,  que  c'estoit  chose 
prodigieuse  de  vcoir  une  fille  de  sa  sorte  parmi  les  gens 
d'armes,  elle  se  trouvoit  toujours  de  plus  en  plus  invitée  et 
confirmée,  ne  pouvant  arrester  en  aucune  place,  ni  résister 
à  ces  divins  advertissements,  car  oii  il  plaist  à  Dieu  nous 
appeler  il  faut  s'y  ranger,  et  les  hommes  ne  nous  en  sçau- 
roicnt  empescher. 

Sesjugesl'interrogèrent  diversement  et  de  plusieurs  hautes 
questions  de  théologie  sur  ces  révélations,  ainsi  que  nous  ver- 
rons au  second  livre  :  à  quoi  elle  satisfit  pleinement.  Et 
l'ayant  voulu  blasmer  pour  n'avoir  premièrement  communi- 
qué à  son  curé  ou  à  quelque  autre  ecclésiastique,  hors  la 
confession  sacramentelle,  ce  conseil  que  ses  voix  lui  don- 
noicnt,  respondit  n'avoir  osé,  craignant  que  cela  vint  à  la 
cognoissance  des  Bourguignons  et  qu'ils  ne  l'empeschassent. 
Et  néantmoins  asseura  que  ses  voix  ne  lui  avoient  [pas]  def- 
fendu  de  communiquer  ce  conseil  aux  gens  d'Eglise.  J'ay 
dit  :  hors  la  confession  ;  pour  ce  qu'elle  en  parloit  ordinaire- 


66  E.    niCllER.    LA    l'UCELLE    D  ORLÉANS 

ment  ;i  ceux  auxquels  elle  se  confessoil,  ainsi  que  nous  ver- 
rons '■. 

Les  parents  de  cette  fille  voyans  ses  desportemens  -  et  ce 
qu'elle  publioit  lui  estre  enjoint  de  la  part  du  Roy  du  ciel, 
estoient  en  très  grand  esmoi.  Et  à  ce  propos  sa  mère  lui 
raconta  que  son  père  avoit  songé  qu'elle  s'en  estoit  allée  avec 
les  gens  d'armes,  et  qu'il  disoit  que  s'il  pcnsoit  cela  devoir 
arriver,  qu'il  la  noyeroit,  ou  commanderoit  à  ses  enfants, 
frères  de  la  Pucelle,  de  la  jeter  dans  la  Meuse.  A  raison  de 
quoy  elle  estoit  fort  tenue  de  court  par  ses  parens,  nommé- 
ment lorsqu'il  passoit  des  gens  d'armes  par  leurs  quartiers. 
Et  pour  cette  occasion  se  réfugièrent  une  fois  à  Neufchastel 
en  Lorraine  pour  quinze  jours,  à  cause  des  Bourguignons  qui 
passoient,  et  se  logèrent  chez  une  honneste  femme  nommée 
la  Rousse,  la  Pucelle  avec  eux.  Et  pendant  ce  séjour  à  Neuf- 
chastel, un  jeune  homme  ayant  pris  cette  fille  en  affection 
pour  l'espouser,  la  fit  citer  devant  l'offîcial  de  Tout,  impo- 
sant qu'elle  lui  avoit  promis  mariage.  Sur  quoy  estant  prise 
à  serment,  jura  n'avoir  onques  promis  ni  pensé  à  mariage 
avec  la  partie  ni  autre  quelconque,  et  fut  renvoyée  hors  de 
cour  et  de  procez,  ainsi  que  ses  voix  lui  avoient  prédit 
qu'elle  seroit  expédiée  à  son  consentement.  Et  pouvoit  lors 
avoir  de  quatorze  à  quinze  ans. 

Ses  parents,  pour  la  divertir  de  ses  opinions,  désiroient 
qu'elle  eust  voulu  entendre  à  se  marier  :  mais  il  n'y  avoit 
aucun  moyen  de  la  fléchir  ou  faire  penser  à  cela.  Ouelquefois 
conversant  avec  ses  compagnes,  \e\\e\  leur  racontoit  que  dans 
peu  de  temps  une  fille  du  païs,  sans  se  nommei-,  relèveroit  la 
France  et  le  sang  royal  opprime',  et  môneroit  le  Dauphin  à 
Rheims  pour  estre  sacré.  D'autrefois,  asseuroit  que  les  Fran- 

1.  11  !('sulle  des  (ir'po3ition.s  recueillies  dans  le  pays  de  Jeanne  que; 
la  jeune  lillc  parla  maintes  l'ois  do  ses  révélations  et  de  ce  (ju'elles  lui 
enjoignaient  à  des  amis  d'enfance.  Mais  ce  ne  fut  pi-obahlement  ([ue  peu 
de  temjjs  avant  sa  démarche  auprès  de  Baudricourt.  Voir  notre  Ilisloire 
complète,  t.  I,  chap.  v,  Vaucouleurs.  11  dut  en  arriver  i|uel(]ue  cIkiso 
aux  oreilles  de  ses  parents,  comme  le  suppose  Riclier. 

2.  ((  Ses  desporteinoils  :  o  sa  manière  de  pai'ler  et  d"aiiir.  Il  ne  i'aut 
pas  prc.'îdre  ce  mol  en  mauvaise  j)arl. 


DE    DOMREMY    A    COMPIEGNE  G7 

çois,  assistez  de  Dieu,  feroient  quelque  grand  el  mémorable 
exploit  de  guerre,  et  que  le  Dauphin  demeureroit  [posses- 
seur] paisible  du  royaume,  qui  lui  appartenoit  "comme  vray 
héritier  de  la  couronne  :  qu'elle  voudroit  bien  qu'on  la 
menast  on  France  pour  le  grand  profit  du  Dauphin  :  que  le 
retardement  de  ce  voyage  lui  estoit  aussi  sensible  et  cuisant 
qu'on  disoit  estre  le  travail  d'enfant  à  une  femme  grosse  ; 
que  le  royaume  de  France  avoit  esté  ruiné  par  une  femme, 
et  qu'il  seroit  remis  en  splendeur  par  une  Pucelle;  entendant 
parler  d'Isabeau  de  Bavière,  comme  il  est  croyable,  laquelle 
avoit  donné  en  mariage  au  Roy  d'Angleterre  Madame  Cathe- 
rine de  France,  et  le  Royaume  pour  dot,  auquel  toutes  fois 
elle  n'avoit  aucun  droit  par  les  loix  de  l'Estat. 

Aucuns  dupais  de  cette  fille,  entendans  les  bruits  qui  cou- 
roient  d'elle,  disoient  qu'elle  estoit  inspirée  et  avoit  pris  ces 
opinions  sous  un  arbre  qu'ils  appellent  au  pais  le  Beau  May. 
C'est  un  beau  et  grand  hestre  assez  proche  de  l'église  de 
Donipremy,  lequel  est  sur  le  grand  chemin  de  Neufchastel, 
auprès  duquel  il  y  a  une  fontaine.  Et  durant  le  printemps  et 
tout  l'esté,  les  jeunes  gens,  fils  et  filles,  s'y  vont  pourmener  : 
el  comme  j'ay  appris  de  personnes  du  païs,  continuent 
encore  aujourd'huy  ^ .  Les  branches  de  ce  fau  [du  latin 
fagus,  hêtre],  sont  toutes  rondes  et  rendent  une  belle  et 
grande  ombre  pour  s'abriter  dessous,  comme  presque  l'on 
feroit  au  couvert  d'une  chambre.  Et  faut  que  cet  arbre  aye 
pour  le  moins  trois  cens  ans,  qui  est  une  merveille  de  nature. 
Et  non  guère  loin  d'icelui  on  veoitles  ruines  d'un  vieil  chas- 
teau  qui  appartenoit  jadis  au  sieur  de  Bourlemont,  seigneur 
du  village  de  Dompremy,  lequel  chasteau  estoit  ruiné  long- 
temps auparavant  que  la  Pucelle  fust  née.  Et  du  temps  que 
ce  seigneur  vivoit,  avoit  de  coustume  de  s'aller  pourmener 
avec  sa  femme  et  ses  damoiselles  vers  cet  arbre.  Et,  selon  les 
contes  fabuleux  des  villageois,  on  tenoit  que  jadis  les  fées 
hantoient  sous  ce  hestre,  auparavant  qu'on  y  allast  en  pro- 
cession aux  Rogations,  et  qu'on  y  chantast  l'Evangile.  L'un 

I.  De  nos  jours,  les  liabitants  de  la  vallée  de  la  Meuse  ne  font  plus 
U'urs  «  fontaines.  »  Nous  le  tenons  des  curés  qui  desservent  ces 
paroisses. 


i 


68  E.    RICHElt.    —    I-A    PUCELLE    D  ORLEANS 

des  frères  de  la  Pacelle  lui  ayant  raconté  ce  qu'on  disoil 
d'elle  au  païs,  clic  respondit  cela  estre  faux,  et  qu'on  en 
cognoistroit  la  vérité  à  l'etïet^.  Ces  contes  fabuleux  des  fées 
apprestèrent  aux  Anglais  de  quoy  calomnier  la  Pucellc,  et  lui 
imputer  qu'elle  estoit  sorcière  :  maléfice  duquel  aucun  de  ses 
parens  n'a  jamais  esté  soupçonné,  et  répugne  à  une  fille  vierge 
bien  vivante,  et  âgée  de  treize  ans,  qui  est  le  temps  auquel 
elle  fut  premièrement  visitée  de  saint  ]\Iichel  et  de  ses  voix. 

1.  Voir  ce  (jue  disait  la  Pucellc  à  ses  juges  à  propos   du  Bel  arbre, 
Procès,  t.  1,  p.  68-70. 


CHAPITRE   IV 

LA   PUGKLLE   A   YAUGOULEURS 


Or,  la  Pucelle,  ne  cessant  depuis  cinq  ans  de  parler  aux 
uns  et  aux  autres  des  grandes  misères  de  la  France  et  du 
secours  que  Dieu  promettoit  au  Ro}'',  et  chacun  cognoissant 
sa  sainte  vie,  finaleiuent  un  sien  oncle  nommé  Durand 
Laxart\  du  Petit  Burey,  qui  est  un  village  proche  de  Domp- 
remy,  estant  allé  en  la  maison  du  père  de  la  Pucelle,  environ 
l'Ascension  de  Nostre-Seigneur/1 428,  (c'estoit  alors  qu'on  par- 
loit  [du  projet]  du  siège  d'Orléans,  et  que  les  Anglois  se  sai- 
sissoient  des  villes  au-dessus  et  au-dessous,  et  empeschoient 
qu'on  y  menast  des  vivres),  esmeu  des  doléances  de  sa  nièce, 
la  mena  à  Baudricour,  capitaine  pour  le  Roy  à  Vaucouleur. 
Lequel  cette  fille  cognut  de  premier  abord  par  l'advertisse- 
ment  de  ses  voix,  quoy  qu'elle  ne  l'eust  jamais  veu.  Et  lui 
déclara  qu'elle  venoit  à  lui  par  commandement  du  Roy  du 
ciel  pour  estre  conduite  en  France  à  Monsieur  le  Dauphin 
et  qu'il  l'advertist  de  ne  pas  donner  bataille  à  ses  ennemis, 
que  dans  la  mi-caresme  Dieu  lui  envoyeroit  du  secours  : 
que  le  Royaume  lui  appartenoit,  qu'il  en  demeureroit  paisible 
i  possesseur],  et  qu'elle  le  mesneroit  à  Rheims  pour  estre 
sacré  en  dépit  de  tous  les  Anglois  et  Bourguignons.  Ce  que 
Baudricour  ayant  entendu,  et  considéré  l'impossibilité  des 
discours  de  cette  fille,  car  alors  tout  rioit  aux  Anglois  et 
Bourguignons,  il  tança  grandement  Durand  Laxart  de  [la] 


1.  Durant  LaxarL  n'était  que  cousin  par  alliance  de  la  Puccile.  Mais 
ayant  seize  ans  de  plus  qu'elle,  une  coutume  du  pays  dont  on  cite  de 
nombreux  exemples  encore  de  nos  jours  faisait  que  Jeanne  l'appelait 
son  oncle.  Voir  Boucher  de  Molandon,  La  famille  de  Jeanne  d'Arc, 
p.  146-147. 


i 


/O  E.    UICHKIÎ.    —    LA    rUCELLE    U  OUl.EANS 

lui  avoir  amenée,  disant  qu'il  la  ramenasl  à  son  père  et  qu'il 
lui  donnastsur  la  joue,  que  c'estoit  une  folle  ^ 

Pendant  qu'elle  estoit  à  Vaucouleur,  entendant  son  hostessc 
se  plaindre  du  désastre  de  la  France  en  ces  termes  ou  sem- 
blables -  :  «  Hélas!  faut-il  que  le  Roy  soit  chassé  de  son 
royaume  et  que  nous  soyons  Anglois!  »  «  Non,  dit  la  Pu- 
celle,  il  demeurera  victorieux  de  ses  ennemis  ».  Et  asseura 
qu'elle  estoit  venue  au  Baudricour  afin  qu'il  la  fist  mener  au 
Dauphin  de  la  part  du  Roy  du  ciel,  mais  qu'il  n'avoit  tenu 
compte  de  tout  ce  qu'elle  lui  avoit  dît  :  néantmoins  que  dans 
la  mi-caresme  il  falloit  qu'elle  y  fut  menée.  Dieu  l'ayant 
ainsi  ordonné,  et  choisie  afin  de  conduire  le  Dauphin  à 
Rheims  pour  y  estre  sacré  et  couronné,  et  qu'il  demeureroit 
paisible  [possesseur]  du  royaume  :  que  pour  son  regard,  elle 
aymeroit  beaucoup  mieux  vivre  en  sa  condition  champestre 
auprès  de  ses  parens,  que  d'entreprendre  un  tel  voyage  : 
que  ce  n 'estoit  sa  condition  ni  sa  profession  d'aller  aux 
armées  :  toutefois  qu'elle  estoit  contrainte  d'obéir  à  Dieu^ 

La  renommée  de  cette  fille  divulguée  premièrement  par 
les  marches  de  la  Champagne  et  de  la  Lorraine,  et  depuis 
par  toute  la  France,  tous  les  bons  François  l'attendoient  en 
grande  dévotion,  principalement  ceux  d'Orléans  depuis 
qu'ils  furent  assiégez.  Et  semble  que  Dieu,  par  sa  provi- 
dence, l'aye  voulu  choisir  à  un  recoing  et  extrémité  du 
royaume  de  France,  le  plus  éloigné  de  la  cour  du  Roy,  et  au 
païs  où  les  Anglois  et  Bourguignons  estoient  les  plus  puis- 
sants, et  fort  grossière,  menant  une  vie  toute  champestre, 
afin  de  lever  tous  les  soupçons  qu'on  pourroit  former 
quelle  auroit  esté  chifflée  et  instruite  pour  jouer  ce  person- 
nage. Ceux  qui  la  cognoissoient  estoient  grandement  esbahys 
de  sa  résolution,  veu  mesme  sa  rudesse  et  simplicité,  et  l'es- 
time que  tout  le  monde  avoit  de  sa  probité  et  sainteté  de 

1.  Procès,  l.  H,  p,  456. 

2.  C'est  à  Jean  do  Metz,  l'un  des  offu-iers  de  Baudricourt  qui  la 
menèrent  à  Ghinon.  qu'appartient  ce  propos,  non  à  l'hôtesse  de  la  Pucelle 
la  femme  Catherine  Le  Royer.  Procès,  t.  11.  p.  436. 

3.  Ibid. 


DE    DOMREMV    A    COMPIKGXE  71 

vie  :  ce  qui  faisoit  juger  à  plusieurs  qu'elle  avoit  des  mouve- 
ments divins. 

Après  le  premier  rebut  qu'elle  reçut  de  Baudricour,  son 
oncle  la  mena  en  pèlerinage  à  Saint-Nicolas  en  Lorraine 
durant  les  festes  de  la  Pentecoste.  Et  Charles,  duc  de  Lor- 
raine, en  ayant  ouy  parler,  lui  envoya  un  passeport  pour  le 
venir  veoir  à  Nancy  où  il  estoit  malade,  et  l'interrogea  pre- 
mièrement sur  le  bruit  qui  couroit  qu'elle  vouloit  aller  secourir 
le  Roy.  Ce  qu'elle  confessa  estre  véritable,  et  le  supplia  instam- 
ment de  commander  à  son  fils^  de  la  vouloir  conduire  vers 
Monsieur  le  Dauphin,  et  qu'elle  prieroit  Dieu  pour  sa  santé-. 

Ce  duc  lui  demandoit  ce  qu'elle  pensoit  de  sa  maladie.  Elle 
respondit  qu'il  faisoit  mauvais  mesnage  avec  la  duchesse  sa 
femme,  qui  estoit  une  vertueuse  dame  ;  que  s'il  ne  changeoit 
sa  vie,  il  ne  guériroit  pas.  C'est  la  déposition  d'une  demoi- 
selle, femme  du  trésorier  du  Roy,  à  Bourges,  où  logeoit  la 
Pucelle,  qui  a  dit  lui  avoir  ouy  dire  cela  •'.  Le  duc  de  Lorraine 
lui  donna  quatre  francs  qu'elle  bailla  à  son  oncle  Laxart,  qui 
la  ramena  en  sa  maison. 

Mais  voyant  qu'elle  continuoit  tousjours  à  parler  du  conseil 
que  ses  voix  donnoient,  et  qu'elle  estoit  résolue  de  prendre 
un  habillement  d'homme  pour  s'acheminer  vers  le  Dauphin, 
il  la  mena  pour  la  seconde  fois  à  Vaucouleur,  où  elle  fut 
encore  rebutée  par  Baudricour.  Finalement,  le  siège  d'Or- 
léans formé  au  mois  d'octobre  1428,  et  les  François  ayant 
esté  deffails  par  les  Anglois  la  première  sepmaine  de  ca- 
resme,  elle  fit  de  si  grandes  doléances  qu'elle  esmouvoit  tout 
le  monde  à  compassion.  C'est  pourquoy  Durand  Laxart  la 
ramena  pour   la  troisième  fois    à  Baudricour*,    lequel    at- 

1.  A  son  gendre,  le  futur  «  bon  roi  Roni',  »  car  Charles  de  Lorraine 
n'avait  pas  de  lils. 

'2.  Le  pèlerinage  à  Saint-NicoIas-du-Port  et  le  voyage  à  Nancy  eurent 
lieu  non  à  la  première  venue  de  Jeanne  à  Vaucouleurs,  mais  lors  de  la 
seconde. 

3.  Dame  Marguerite  la  Touroulde,  femme  René  de  Bouligny.  Voir 
Procès,  t.  in,  p.  85  et  seq. 

4.  Confusion  de  faits.  Il  n'y  a  eu  que  deux  voyages  de  la  Pucelle  à 
Vaucouleurs  avec  Laxart.  Le  voyage  à  Nancy  et  à  Saint-Nicolas-du-Port 
eut  lieu  pendant  le  deuxième  séjour  de  Jeanne  à  Vaucouleurs. 


i 


72  E.     niCIIEl'..    LA    PUCELLE    D  OULEANS 

tendu  l'cslat  déplorable  des  afîaires  de  la  France,  l'enlcndit 
toutefois  avec  difficullé. 

Elle  logea  chez  un  nommé  Henry  Uoyer,  charron  de  son 
mestier,  et  y  fut  bien  trois  sepmaines.  Durant  lequel  temps 
se  confessa  au  curé  de  Vaucouleur,  messire  Jean  Fournier, 
lequel  un  certain  jour,  accompagné  de  Baudricour,  vint  au 
logis  de  la  Pucelle,  avec  une  étole  au  col  comme  pour  l'exor- 
ciser. Et  cette  fille  l'ayant  apperceu,  incontinent  s'alla  jeter 
à  genoux  devant  lui,  lequel  en  présence  de  Baudricour 
lui  dit  :  que  si  elle  esloil  de  la  pari  de  fennemi,  elle  se 
retirast  d'entre  eux  ;  que  si  de  la  part  de  Dieu,  elle  y 
demourast. 

Et  par  après  la  Pucelle  dit  à  son  hostesse  qui  avoit  veu 
tout  ce  mystère,  que  messire  Jean  Fournier  l'ayant  entendue 
de  confession  ne  faisoit  pas  bien.  Comme  voulant  dire  que 
c'estoit  en  confession  qu'il  lui  devroit  remonstre r  tout  ce 
que  bon  lui  sembleroit  sur  ce  qu'elle  lui  avoit  déclaré  de  ses 
apparitions,  et  que  c'estoit  révéler  le  secret  de  la  confession. 
Doîi  l'on  peut  cognoistre  de  quel  esprit  et  de  quel  sens  agis- 
soit  cette  fille  ne  sçachant  lire  ni  escri-re  :  car  un  théologien 
n'en  eust  pu  dire  davantage  en  général.  Et  mesme  elle  craint 
de  scandaliser,  disant  que  son  confesseur  n'a  pas  bien  fait,  et 
s'abstient  positivement  de  dire  qu'il  a  mal  fait. 

Et  de  là  on  recueille  que  ce  qu'elle  a  déposé  à  ses  juges 
n'avoir  parlé  de  ses  révélations  à  son  curé  ou  à  quelques 
autres  gens  d'Eglise,  s'entend  hors  la  confession  sacramen- 
telle. 

A  ce  dernier  voyage  qu'elle  fit  à  Vaucouleur,  elle  advertit 
Beaudricour  que  le  Dauphin  avoit  fait  une  grande  perte 
devant  Orléans,  le  samedi  douziesme  febvrier,  veille  des 
brandons.  De  quoy  il  fut  bien  esbahy  après  qu'il  en  eut 
appris  la  vérité  par  le  bruit  que  l'ennemi  en  fit  courir.  Donc 
il  résolut  de  l'envo^'^er  au  Roy. 

Les  habitants  de  Vaucouleur,  qui  estoient  bon  Franrois, 
firent  gaycment  la  dépense  nécessaire  à  l'équipage  de  cette 
fille,  et  fournirent  un  habillement  d'homme  complet,  sça- 
voir  :  pourpoint,  ou  comme  on  parloit  lors  un  gippon,  haut 


DK    DOMREMY    A    C(niPIEGNE  73 

et  bas  de  chausses,  casaque,  chapeau,  bottes,  espérons  et  un 
cheval  qui  cousta  douze  francs  ^  Baudricour  ne  lui  donna 
autres  armes  qu'une  espée,  et  choisit  deux  gentilhommes  des 
marches  de  Champagne  auxquels  il  fit  faire  serment  de  la 
bien  et  seurement  conduire  en  cour,  ainsi  qu'ils  ont  déposé 
en  la  revision  du  procez.  L'un  s'appeloit  Bertrand  de  Polen- 
gy,  et  l'autre  Jean  de  Novelompont,  surnommé  de  Metz, 
assistez  de  leurs  gens  et  serviteurs,  sçavoir  Colas  de  Vienne, 
Richard,  arbalestrier,  Julien,  serviteur  de  Novelompont; 
outre  Jean  et  Pierrelot  d'Arc  qui  l'accompagnèrent  tous- 
jours-;  de  sorte  qu'ils  estoient  neuf  personnes.  Et  ces  deux  gen- 
tilshommes firent  les  frais  et  la  dépense  nécessaire  à  ce  voyage. 
De  Polengy  fut  depuis  escuyer  de  l'escurie  du  Boy.  A  partir 
de  Vaucouleur,  Baudricour  voyant  la  Pucelle  montée  à  cheval 
pour  faire  son  voyage,  lu}^  dit  :  Va  et  adoienne  tout  ce  qui 
pourra,  ainsi  qu'elle  mesme  a  déposé. 

La  crainte  qu'elle  avoit  que  son  père  et  sa  mère  ne  traver- 
sassent son  voyage  fut  cause  qu'elle  ne  les  advertist  point  de 
son  départ,  de  quoy  ils  conceurent  une  grande  fascherie.  Et 
asseuroit  que  son  conseil  l'avoit  laissée  en  sa  pure  liberté  de 
[lej  leur  communiquer  ou  non.  Toutefois,  incontinent  qu'elle 
fut  arrivée  en  France,  leur  rescrivit  et  demanda  pardon, 
qu'ils  lui  octroyèrent  de  bon  cœur;  attendu  que  depuis  cinq 
ans  elle  les  avoit  toujours  tenu  advertis  du  conseil  que  ses 
voi.x  lui  donnoient^  et  comme  elles  la  pressoient  incessam- 
ment de  partir. 

Interrogée  par  ses  juges  si  elle  pensoit  avoir  bien  fait  de 
partir  sans  le  congé  de  son  père  et  de  sa  mère,  auxquels  Dieu 
commande  d'obéir,  respond  leur  avoir  tousjours  obéi  en 
toutes  autres  choses,  et  demandé  humblement  pardon  :  mais 
que  Dieu  commandant  quelque  chose,  il  faut  obéir  et  préposer 
ses  commandements,  voire  à  ceux  de  cent  pères  et  de  cent 
mères;  que  mesme  si  elle  eustesté  fille  unique  du  Boy,  elle  fut 

■1.  Douze  Irancs  d'or,  c'est-à-dire  cent-soLvante  francs  environ. 

2.  Les  frères  de  Jeanne  la  rejoignirent  plus  tard,  mais  ils  ne  parti- 
rent pas  avec  elle  <le  Vaucouleurs.  L'escorte  de  la  Pucelle  ne  coiiiplait 
(jue  six  personnes. 

3.  Pure  hypothèse  d'E.  Richer. 


/4  E.    lUCIIER.    l,\    l'UCELLE    D  OnUCAXS 

partie  sur  l'ordonnance  de  Dieu^  Laquelle  response  est  toute 
conforme  à  l'Escriture  qui  nous  enjoint  d'aimer  Dieu  sur 
toutes  choses,  et  de  postposer  les  commandements  des 
hommes  aux  siens,  ainsi  que  Pierre  respondit  aux  Princes 
des  prestres  et  aux  séniours  [Anciens]  voulans  empescher  les 
apostres  de  publier  l'Evangile. 

1.  Procès,  t.  I,  p.  128,  12'J. 


CHAPITRE  y 

LA    PUGELLE   A   GHINON 


A  partir  de  Vaucouleur,  [la  Pucelle]  alla  loger  en  un  vil- 
lage appelé  Sainl-Urbain,  au  diocèse  de  Chalons,  en  Cham- 
pagne, et  couchèrent  dans  l'abbaye.  De  là,  tirèrent  à  Auxerre 
qui  tenoit  pour  les  Bourguigons,  oii  elle  ouyt  la  messe  en 
l'église  cathédrale  et  gagnèrent  Gien  qui  estoit  au  service  du 
Roy.  De  sorte  que  dans  onze  jours,  sur  la  fin  du  mois  de  feb- 
vrier  1429,  ils  arrivèrent  à  Sainte-Catherine-de-Fierbois  en 
Touraine,  distant  de  Vaucouleur  d'environ  cent  cinquante 
lieues,  sans  recevoir  aucun  empeschement  par  les  chemins.  Ils 
estoient  quelquefois  contraincts  de  marcher  toute  la  nuit., 
crainte  d'estre  rencontrez.  Et  lors  ses  conducteurs,  pour  l'es- 
prouver,  disoient  qu'ils  estoient  poursuivis  des  ennemis,  fei- 
gnans  ne  sçavoir  que  faire,  ni  quel  conseil  et  résolution 
prendre.  Mais  elle  leur  disoit  au  contraire  estre  duement 
advertie  qu'il  n'y  avoit  que  craindre,  et  qu'ils  arriveroient  en 
la  cour  du  Roy  sans  aucune  incommodité  et  seroienttrès  bien 
receus  du  Dauphin  :  qu'ils  prissent  courage. 

Véritablement,  si  les  Anglois  eussent  surpris  cette  fille  sur 
les  chemins,  habillée  en  homme,  n'eust-elle  pas  esté  perdue 
d'honneur  et  de  réputation  ?  Et  est  chose  comme  miraculeuse 
que  la  Pucelle  et  son  escorte  ayent  pu  en  telle  prospérité 
faire  tant  de  chemin  et  traverser  tant  de  pays  ennemi,  durant 
les  guerres  les  plus  inhumaines  qui  ayent  onques  esté.  Car 
outre  les  places  Angloises,on  n'estoitguères  plus  asseuré  des 
garnisons  qui  logeoient  aux  villes  du  Roy,  lesquelles  do 
leur  costé  ravageoient  et  pilloient,  chascun  faisant  du  pis 
qu'il  pouvoit,  ainsi  qu'il  arrive  ordinairement  aux  con- 
fusions des  guerres  civiles,  durant  lesquelles  amis  et  ennemis 


ib  E.    RICHEU.    LA    PUCELLE    D  OIILEANS 

sont  de  bonne  prise,  et  les  passeports  ne  servent  guères, 
sinon  que  l'on  soit  bien  escorté. 

ftlaistrc  Pierre  de  Versailles,  docteur  en  théologie,  abbé  de 
Talemont  et  depuis  évesque  de  Meaux,  —  c'est  l'un  de  ceux 
que  le  Roy  commit  pour  examiner  la  Pucelle  à  Poitiers,  — 
asscurait  avoir  ouy  dire  a  des  gens  de  guerre  du  parti  du 
Roy  qu'ils  avoient  fait  leur  efîort  de  surprendre  et  de  déva- 
liser cette  fille  et  ceux  qui  la  conduisoient,  depuis  qu'ils 
eurent  passé  à  Gien;  mais  que  pensans  exéquuter  leur 
dessein,  jamais  ils  ne  se  purent  remuer  du  lieu  oii  ils 
s'estoient  mis  en  embuscade. 

Encore  qu'en  tout  son  voyage  la  Pucelle  ne  perdist  une 
heure  de  temps,  si  est  ce  que  le  bruit  de  son  arrivée  fut  bien 
plus  soudain  et  la  devança  de  plusieurs  jours,  parce  que 
chascun  disoit  à  la  cour  du  Roy  qu'elle  estoit  arrivée,  et 
principalement  ceux  d'Orléans,  fort  pressez  de  famine,  et 
l'attendoient  en  grande  dévotion.  Et  s'y  rendit  lorsque  tout 
estoit  humainement  désespéré  :  le  mal  et  le  péril  estant 
beaucoup  plus  grand  qu'on  ne  le  sçauroit  représenter  par 
l'histoire  qui  ne  traite  que  généralement  des  affaires.  Ce 
que  mesme  le  Bastard  d'Orléans  tesmoigne  en  sa  déposition, 
asseurant  qu'il  estoit  lors  lieutenant  général  pour  le  Roy  et 
gouverneur  d'Orléans,  et  qu'il  eut  nouvelles  comme  la 
Pucelle  estoit  arrivée  à  Gien,  et  envoya  incontinent  en  cour 
pour  en  donner  advis  à  sa  31ajesté  :  et  qu'alors  deux  cens 
Anglois  donnoient  la  fuite  à  mille  François;  mais,  depuis 
que  la  Pucelle  eut  envoyé  sa  lettre  aux  chefs  de  l'armée 
Angloise,  qu'une  terreur  les  saisit,  de  sorte  que  cinq  cens 
François  attendoient  toute  l'armée  Angloise  et  la  mettoient 
en  désordre  ^  D'autres  ont  escrit  que  les  Anglois  n'avoient 
presque  pas  la  force  de  bander  leurs  arbalestes  et  mettre  la 
main  aux  armes  ;  ainsi  que  Meyer,  auteur  Bourguignon, 
raconte  avoir  lu  en  un  historien  de  ce  temps-là. 

Le  Roy  estoit  à  Cbinon  quand  cette  fille  arriva  à  Sainte- 
Catherine-de-Fierbois.  Auquel  elle  envoya  les  lettres  du  capi- 

1.  l'rocèfi,  t.  m,  p.  2-16. 


DE    DOMREMY    A    COMPIEGXE  77 

tainc  Baudricour,  afin  de  recevoir  ordre  pour  aller  saluer  sa 
Majesté  :  et  lui  manda  avoir  fait  cent  cinquante  lieues  pour 
le  venir  secourir  de  la  part  du  Roy  du  ciel.  Le  conseil  du 
Roy  n'estoit  point  d'avis  qu'on  s'arrestast  aux  fantaisies  de 
cette  fille,  estimant  qu'elle  fut  démenée  de  quelque  humeur 
mélancolique,  ou  subornée  par  les  ennemis  pour  jouer 
ce  personnage  et  faire  porter  la  parole  aux  François  :  telle- 
ment que  l'on  fut  deux  jours  entiers  à  délibérer  si  on  l'en- 
tendroit,  sans  lui  faire  aucune  response.  De  quoy  les  gentils- 
hommes qui  l'avoient  amenée  estoient  fort  esbahys.  Mais  elle 
les  asseura  toujours  qu'ils  seroient  favorablement  receus. 

Donc  ayant  esté  mandée,  elle  se  rendit  au  chasteau  de 
Chinon,  et  fut  présentée  au  Roy  sur  le  soir,  aux  flambeaux, 
y  ayant  grand  nombre  de  seigneurs  en  la  chambre  du  Roy, 
et  plus  de  cinquante  flambeaux.  l'our  l'esprouver,  le  Roy  fut 
conseillé  de  se  desguiser  et  dissimuler,  comme  il  fit,  tant 
pour  l'habit  que  pour  la  séance  et  révérence  qu'on  a  coustume 
de  faire  aux  Roys,  s'estant  mis  parmi  la  presse  tout  ainsi 
qu'une  personne  de  basse  condition.  Néantmoins,  la  Pucelle 
qui  ne  l'avoit  onques  veu,  l'alla  choisir  et  saluer  au  milieu 
de  cette  grande  presse,  se  jetta  à  ses  pieds,  l'embrassant  par 
les  jambes,  quoique  le  Roy  et  plusieurs  autres  la  rebutassent 
disans  qu'elle  se  mesprenoit.  Mais  au  contraire  respondit 
qu'elle  cognoissoit  fort  bien  le  Dauphin.  Sa  harangue  fut 
telle  : 

«  (îentil  Dauphin,  le  Roy  du  Ciel  m'a  envoyé  pour  vous 
secourir.  S'il  vous  plaist  me  donner  gens  de  guerre,  par 
grâce  divine  et  force  d'armes  je  feray  lever  le  siège  d'Orléans 
et  vous  mènerai  sacrer  à  Rheims,  malgré  tous  vos  ennemis. 
C'est  ce  que  le  Roy  du  ciel  m'a  commandé  de  vous  dire,  et 
que  sa  volonté  est  que  les  Anglois  se  retirent  en  leur  païs  et 
vous  laissent  paisible  [possesseur]  de  votre  Royaume  comme 
en  estant  le  vray,  unique  et  légitime  héritier.  Que  si  vous  en 
faites  offre  à  Dieu,  il  vous  le  rendra  beaucoup  plus  grand  et 
florissant  que  vos  prédécesseurs  n'en  ont  joui.  Et  prendra 
mal  aux  Anglois,  s'ils  ne  se  retirent.  » 

Le  Roy  et  toute  sa  cour  furent  grandement  esbahys,  voyans 
qu'elle  l'avoit  ainsi  cogneu  et  abordé  sans  l'avoir  jamais  veu 


78  E.    niCHEl!.    —    I.A    PUCELLK    D  ORLEANS 

auparavant,  attendu  aussi  l'assurance  avec  laquelle  celte 
bergère  parloit,  coinnie  ayant  mission  et  autorité  du  Ciel. 
Sa  Majesté  commanda  au  bailly  de  Troyes,  en  Champagne, 
nommé  Guillaume  Bellier,  lieutenant  de  M.  de  Gaucourt, 
grand  maistre  de  l'hostel  du  Roy,  de  la  loger  et  bien  traiter  : 
à  quoy  la  femme  du  dit  Bellier,  grandement  vertueuse  et 
dévote,  s'employa;  et  [la  Pucelle]  fut  logée  dans  le  chasleau 
de  Chinons  Cependant  le  Roy  fit  envoyer  à  Vaucouleur,  vers 
le  capitaine  Baudricour,  et  à  Greux  d'où  estoit  cette  fille, 
pour  apprendre  [ce]  que  cestoit  de  son  fait,  de  toute  sa  vie 
et  de  ses  parens.  Et  n'en  fut  rapporté  que  tout  bien  et 
honneur,  conformément  à  ce  que  nous  avons  ci-devant 
exposé. 

Tous  les  princes,  capitaines  et  gens  de  guerre  ne  pouvoienl 
gouster  le  conseil  de  cette  fille,  et  n'estoient  d'advis  qu'on 
se  commist  à  elle,  principalement  aux  affaires  de  la  guerre, 
veu  les  grands  périls  qui  les  accompagnent  ordinairement, 
et  qu'il  n'est  loisible  d'y  faillir  deux  fois;  et  aucuns  la 
tenoient  pour  démoniaque.  Et  remonstroit-on  que  le  Roy, 
tout  son  conseil,  voire  tous  les  François,  sej'oient  la  fable  et 
l'opprobre  des  nations  étrangères  et  nommément  des  Anglois, 
notez  à  jamais  d'infamie  et  témérité,  au  cas  que  ce  que 
disoil  cette  bergère  ne  succédast,  et  que  les  gens  du  Roy 
fussent  deffaits  et  vaincus  par  leur  ennemis  qui  n'estoient 
déjà  que  trop  puissans  et  insolens.  Que  par  la  loy  fonda- 
mentale de  l'Estat,  les  François  n'avoient  onques  voulu 
recognoistre  les  femmes  pour  les  commander,  et  que  la 
guerre  n'estoit  entreprise  contre  les  Anglois,  sinon  pour  ce 
que  on  avoit  donné  pour  dot  le  royaume  de  France  <à 
Madame  Catherine,  que  le  Roy  d'Angleterre  avait  espouséc  : 
que  c'estoit  fortifier  les  prétentions  de  l'Anglois,  au  cas 
qu'on  employast  cette  bergère  et  que  les  gens  de  guerre 
combatissent  sous  son  estandart,  chose  qu'il  seroit  impos- 
sible de  leur  persuader.  C'est  en  somme  la  résolution  du 
conseil  de  guerre  proposée  en  présence  du  Roy  séant  en  .'<on 


i.  Dans  la  tour  du  Couklcay,  corps  de  logis  compris  dans  la  Iroisiciuc 
enceinte  du  château  royal. 


UK    DOMREMY    A    COMPIEGNE  70 

grand  Conseil,  auquel  assistèrent  plusieurs  évesqucs  et  autres 
prélats,  chevaliers,  capitaines,  docteurs  en  Théologie,  droit 
canon  et  civil,  où  le  duc  d'Alençon  estoit  aussi  présent,  tout 
nouvellement  retourné  d'Angleterre  où  il  avoit  esté  détenu 
prisonnier  plus  de  trois  ans. 

Pour  examiner  cette  fille  furent  commis  mcssires  Rénaux. 
[Regnault]  de  Chartres,  archevesque  de  Rheims  \  chancelier 
de  France,  ayant  succédé  au  sieur  de  Trêves  en  Testât  de 
chancelier,  Christophe  de  Ilarcourt,  l'évesque  de  Castres, 
confesseur  du  Roy,  Guillaume  Charpeigne,  évesque  de  Poi- 
tiers, Nicolas  le  Grand,  évesque  de  Sentis,  l'évesque  de  Mont- 
pellier, maistre  Jourdain  Morin,  docteur  en  théologie  de 
Paris,  qui  avoit  assisté  au  concile  de  Constance  avec  M"  Jean 
Gerson,  et  plusieurs  autres  docteurs;  lesquels,  en  présence 
du  duc  d'Alençon,  interrogèrent  premièrement  cette  fille  sur 
sa  foy  et  créance,  comme  elle  servoit  Dieu,  depuis  quel 
temps  et  en  quelle  façon  elle  avoit  eu  les  révélations  qu'elle 
publioitlui  estre  apparues  et  [lui  avoir)  donné  conseil,  quels 
enseignements  elle  en  tiroit,  et  comment;  qui  l'avoit  mue 
d'aller  au  Raudricour,  et  prendre  un  habillement  d'homme, 
et  se  mesler  des  afi"aires  de  la  guerre,  veu  que  cela  estoit 
prohibé  par  la  loy  de  Dieu;  quels  moyens  elle  avoit  d'exé- 
quuter  et  faire  réussir  ses  promesses,  veu  que  les  forces  des 
Anglois  et  Bourguignons  estoient  beaucoup  plus  puissantes 
que  celles  du  Roy,  etc. 

A  quoy  a3^ant  respondu  de  point  en  point,  et  avec  une 
grande  simplicité,  modestie  et  prudence,  suivant  ce  que 
nous  avons  narré  ci-dev^int  (quant  à  l'habit  viril  qu'elle 
portoit,  nous  en  parlerons  ailleurs),  tout  le  conseil  assemblé 
pour  faire  cet  examen  jugea  y  avoir  grande  apparence  que 
Dieu  se  voulust  servir  de  cette  bergère  pour  exploiter  quel- 
que chose  de  grand  et  faire  cognoistre  à  toute  la  chrestienté 
que  le  Roy  et  le  Royaume  de  France  estoient  en  sa  spéciale 
protection  et  delïense.  De  quoi  on  fil  rapport  à  sa  .Majesté. 


1.  Il  y  a  ici  confusion  des  deu.x  examens  de  Cliinon  cl  Poitiers.  La 
cuiiiinissiori  royale  qui  eut  pour  président  Regnault  de  Cliartres  fut  celle 
de  Poitiers,  non  celle  de  Cliinoii. 


80  li-     Rien  EU.    —    LA    PUCEl-LK    1)  (JULEAXS 

Et  lors  la  Pucelle  estant  en  la  chambre  du  Roy  le  tira  à 
part  pour  lui  dire  en  secret  des  prières  mentales  qu'il  avoit 
adressées  h  la  ^'iergc  mère  de  Nostre  Seigneur.  De  quoy  elle 
mesme  fait  mention  en  général  aux  dépositions  qu'elle  a 
faites  devant  les  juges  qui  la  condamnèrent  ;  car  lui  ayant 
demandé  quel  signe  elle  avoit  donné  à  son  Roy  pour  l'in- 
duire à  croire  qu'elle  estoit  envoyée  de  Dieu,  repartit  lui 
avoir  donné  un  signe  de  ses  propres  faits.  Ce  fut  le  vingt 
septiesme  febvrier  1430  S  séance  quatriesme,  qu'elle  fit 
cette  response.  Ce  signe  est  que  le  Roy,  depuis  le  siège  d'Or- 
léans formé  (aucuns  ont  cscrit  que  ce  fut  la  nuit  de  la  vigile 
de  tous  les  Saints),  estant  couché  seul  en  son  lit  et  ne  pou- 
vant dormir  à  cause  du  piteux  estât  auquel  ses  affaires 
estoient  réduites;  considérant  que  sa  mère  avoit  assigné 
pour  dot  à  Madame  Catherine,  sa  sœur,  reine  d'Angleterre, 
le  royaume  de  France,  et  flottant  en  plusieurs  irrésolutions, 
comme  doutant  s'il  estoit  le  légitime  héritier  du  royaume, 
il  se  leva  en  sursaut  de  son  lit,  se  mit  à  deux  genoux  pros- 
terné en  terre,  les  larmes  aux  yeux,  et  comme  pauvre 
pécheur  se  réputant  indigne  d'adresser  son  oraison  à  Dieu, 
les  mains  jointes,  fit  une  prière  mentale,  suppliant  la  N'ierge 
mère  de  consolation  et  refuge  des  affligez, vouloir  intercéder 
pour  lui  envers  Nostre  Seigneur  Jésus  Christ  son  fils,  à  ce 
qu'il  lui  pleust  lui  donner  secours  et  consolation,  au  cas 
qu'il  l'eust  choisi  pour  héritier  du  royaume;  que  si,  au 
contraire,  il  n'estoit  celui  qu'il  avoit  ordonné  pour  succéder 
à  la  couronne,  il  lui  fist  ouverture  de  sa  volonté,  à  laquelle 
il  se  résignoit  entièrement,  et  mesme  de  le  vouloir  retirer  du 
monde,  si  besoin  estoit  pour  sa  gloire  -. 

Après  que  la  Pucelle  eut  déclaré  au  Roy  les  prières 
secrètes  qu'il  avoit  ainsi  adressées  à  la  Bienheureuse  Vierge,  et 
lui  eut  dit  avoir  ordre  du  Roy  du  ciel  de  l'asseurer  que  le 
royaume  lui   appartenoit,  et  de  le  mener  à  Rheims  pour  y 

1.  Vicu.v  style.  Tannéo  alors  ne  coinmen<;ant  qu'à  Pâques. Voi r /'cocè.f, 
t.  I,p.  11).  Inlerrof/ata  ppinl  v'dlain  de  Cliinon,  Iiabuil  rex  suiis  sifjnuin 
de  factis  suis. 

2.  Voii'  Procès,  t.  IV,  p.  258.  259.  271,  272.  280.  et  la  Chronique  de  la 
l'ucoUc,  p.  27i,  édition  do  Vallet  de  Viriville. 


DE    DOMREMY    A    CÛMPIÈGNE  81 

cstre  sacré  et  couronné  malgré  tousses  ennemis,  et  qu'après 
son  sacre  Dieu  le  rendroit  paisible  [possesseur]  du  royaume 
beaucoup  plus  ample  et  opulent  que  ses  prédécesseurs  n'en 
avoient  joui,  on  vit  tout  à  coup  le  Roy  quitter  la  grande 
tristesse  qui  l'accabloit,  et  prendre  toute  autre  résolution 
qu'auparavant  l'arrivée  de  cette  fille  en  sa  cour.  Et  dit  en 
général  à  son  confesseur  et  à  quelques  seigneurs  que  la 
Pucellelui  avoit  révélé  des  choses  qu'il  n'avoit  jamais  dites  à 
personne  et  ne  pouvoient  estre  cognues  qu'à  Dieu  seul.  Or, 
sur  la  cognoissance  qu'elle  avoit  eue  des  prières  secrètes  et 
gémissements  du  Koy,  doutant  s'il  estoit  le  vray  héritier  de 
la  couronne,  elle  asseura  premièrement  Baudricour  que  le 
Royaume  appartenoit  au  Dauphin,  et  depuis  le  lit  sçavoir 
aux  Anglois  par  la  lettre  qu'elle  leur  envoya. 

Sa  Majesté,  en  mémoire  des  prières  mentales  qu'il  avoit 
adressées  à  la  Vierge  et  de  ce  que  cette  fille  lui  avoit  révélé, 
incontinent  après  la  revision  du  procezet  que  sentence  eust 
esté  donnée  pour  la  justification  de  la  Pucelle,  l'an  1456,  fit 
construire  §ur  le  pont  d'Orléans  une  belle  croix  de  bronze, 
avec  une  N%stre-Dame  de  Pitié,  et  au  costé  dextre  sa  propre 
représentation,  et  à  main  gauche  celle  de  la  Pucelle,  lun  et 
l'autre  .à  genoux,  armez  de  toutes  pièces  excepté  du  heaume, 
qui  est  devant  eux  à  leurs  genoux. 

L'histoire  de  Normandie,  faite  un  peu  après  que  les 
Anglois  furent  chassez  de  France,  Richard  de  Wassebourg 
et  quelques  autres  historiens  ont  tenu  mémoire  de  ce  que  la 
Pucelle  raconta  au  Roy  de  ses  propres  faits;  et  le  duc 
d'Alençon  a  tcsmoigné  lui  avoir  entendu  dire  à  sa  Majesté 
qu'elle  avanrast  le  plus  qu'elle  pourroit  son  sacre,  parce  que 
le  temps  de  sa  mission  pour  le  servir  estoit  terminé  seule- 
ment à  un  an  ou  environ,  et  que  quatre  choses  adviendroient 
dont  nous  dirons  ci-après  l'inventaire.  On  demanda  lors  h 
cette  fille  pourquoy  elleappeloit  le  Roy  Dauphin.  Respondit 
par  ce  qu'il  ne  recouvreroit  point  son  royaume  qu'il  n'eust 
esté  sacré,  et  qu'après  son  sacre  ses  affaires  prospércroient 
toujours  de  bien  en  mieux. 


CHAPITRE  VI 

LA  VIRGINITÉ   DE   LA   PUCELLE   ET   SA    CHASTETÉ 


Au  reste,  on  voulut  sçavoir  si  elle  estoit  homme  ou  femme, 
vierge  ou  corrompue;  de  quoy  la  Rojne  de  Sicile,  belle-mère 
du  Roy,  donna  la  charge  à  Mesdames  de  Gaucour,  de  Trêves 
et  autres  qui  la  firent  visiter  par  des  sages-femmes  en  leur 
présence  et  [celle]  de  la  Royne  de  Sicile;  et  la  trouvèrent 
vierge.  De  quoy  on  donna  incontinent  advis  au  Roy  et  à  son 
Conseil.  Et  le  bruit  de  cela  publié  par  la  cour,  un  courtisan 
monté  à  cheval,  voyant  la  Pucelle  passer,  dit  en  blasphé- 
mant le  nom  de  Dieu  que  si  elle  avoit  couché  une  nuit  avec 
lui  elle  ne  seroit  plus  pucelle.  Ce  qu'ayant  entebdu  [la  Pu- 
celle] répliqua  tout  haut  :  Hélas  !  tu  renies  Dieu,  estant  bien 
proche  de  la  fin!  Car  quelques  heures  après  il  fut  noyé, 
ainsi  que  rapportèrent  plusieurs  personnes  qui  l'avoient  vu 
et  [avoient]  entendu  ce  que  cette  fille  avoit  dit^;  de  quoy 
tout  le  monde  fut  grandement  esbahy. 

Encore  fut-il  trouvé,  par  le  rapport  des  sages-femmes  et 
des  matrones  qui  fréquentoient  avec  elle,  qu'elle  n'estoit 
[pas]  subjecte  aux  maladies  ordinaires  des  femmes,  et  toutes 
fois  estoit  âgée  de  dix-sept  à  dix-huit  ans  quand  elle  arriva 
à  la  cour.  Et  semble  que  Dieu  l'ayant  destinée  à  porteries 

i.  Ce  propos  fut  tenu  le  jour  même  de  l'audience  royale  de  Chinon, 
au  monierit  où  la  Pucelle  fi-anchissail  le  seuil  du  château.  C'est  l'au- 
mônier de  Jeanne,  l'rore  Pasquerel,  qui  le  rapporte  dans  sa  déposition. 
Procès,  t.  III.  p.  102. 

En  ce  même  passage,  frère  Pasquerel  mentionne  la  visite  qui  donna 
la  preuve  de  la  virginité  de  l'hcroïne.  Inventa  fuit  mulier,  virgo  tamen 
et  puellu. 

Le  chevalier  d'Aulon.  l'rocès,  t.  III,  p.  :il!),  relate  les  mêmes  choses, 
sa  virginité  et  l'exemption  de  l'infirmité  à  laquelle  les  femmes  sont 
sujeltes. 


DE    DOMREMY    A    COMPIEGNE  83 

armes,  il  l'eust  expressémenl  dispensée  de  cette  maladie,  à  ce 
qu'elle  n'en  fust  affoiblie  et  empeschée  de  faire  continuelle- 
ment la  faction  de  la  guerre,  comme  elle  y  estoit  incessam- 
ment attachée. 

En  son  visage  on  voyoit  reluire  une  pudeur  virginale,  telle 
qu'on  la  recognoist  encore  aujourd'huy  en  tous  les  portraits 
tirez  au  vi f  sur  son  naturel^.  Et  quoy  qu'elle  fust  douée  d'une 
beauté  naturelle,  si  est-ce  que  Dieu  l'avoit  nantie  et  accom- 
pagnée d'une  si  grande  modestie  et  retenue,  que  tous  ceux 
qui  la  regardoient  attentivement,  excepté  les  Anglois  qui  la 
voulurent  violer,  estoient  induits  à  une  honte  et  refroidis 
de  toute  charnelle  concupiscence,  ainsi  que  plusieurs  gentils- 
hommes, seigneurs  et  princes,  qui  ont  souvent  conversé  et 
fréquenté  avec  elle  aux  armées,  ont  affirmé  en  la  revision 
du  procez.  Et  premièrement  les  sieurs  de  Polengy  et  de 
Metz,  auxquels  Baudricour  la  recommanda  pour  la  mener  au 
Roy;  secondement  le  sieur  Dolon  [d'Aulon],  seneschal  de 
Beaucaire,  auquel  le  Roy  la  donna  en  garde,  qui  estoit 
comme  surintendant  de  sa  maison,  et  l'a  toujours  accom- 
pagnée jusques  à  sa  prise,  a  déposé  avoir  quelquefois  pris  le 
soin  de  l'esguilleter,  de  l'armer,  de  lui  panser  deux  plaies 
qu'elle  reçeut,  l'une  sur  le  col  tirant  sur  l'espaule,  et  l'autre 
en  une  cuisse  percée  de  part  en  part,  et  lors  n'avoir  ressenti 
aucun  désir  ni  mouvement  de  sensualité,  ainsi  qu'il  arrive  à 
ceux  qui  regardent  attentivement  une  belle  femme,  telle  que 
la  Pucelle  estoit  naturellement.  Davantage,  asseure  avoir  veu 
et  entendu  faire  le  rapport  aux  dames  et  sages-femmes  qui 
la  visitèrent  à  son  arrivée  par  commandement  de  la  Royne 
de  Sicile,  mère  de  la  Royne  de  France,  et  qu'elle  fut  trouvée 
vierge,  et  en  outre  non  subjecte  aux  maladies  ordinaires 
des  femmes,  ainsi  que  nous  avons  desja  remarqué.  Le  duc 
d'Alençon,  prince  du  sang,  a  tesmoigné  qu'estant  lieutenant- 
général  pour  le  Roy  en  ses  armées,  il  a  veu  maintefois  la 
Pucelle  coucher  à  la  paillade  toute  habillée,  ainsi  que  l'on 
fait  aux  armées,  et  le  matin  comme  elle  s'accommodoit,  sans 

1.  Il  y  avait  donc,  au  temps  d'E.  Riclier,  des  portraits  authentiques 
de  la  Pucflle.  C'est  chose  regrettaljle  qu'il  n'ait  pas  désigné  ceux  qu'il 
connai.ssait. 


84  E.    RIGHER.    —    LA    l'UCELLE    D  ORLEANS 

toutes  fois  avoir  ressenti  aucune  peine  ni  démangeaison  de 
charnalité.  Le  comte  de  Dunois,  duc  de  Longueville,  Bastard 
d'Orléans,  et  plusieurs  autres  seigneurs  qu'il  seroit  trop 
ennuyeux  de  nommer,  ont  attesté  la  mesme  chose  ^ 

Elle  fut  si  soigneuse  de  conserver  sa  réputation  que,  pour 
ce  subject,  elle  prit  un  habillement  d'homme,  et  depuis  son 
•parlement  de  Vaucouleur  pour  venir  en  France,  elle  couchoit 
tousjours  toute  vêtue  et  bien  esguilletée,  et  ses  deux  frères 
en  sa  chambre.  Et  du  commencement  qu'elle  fut  aux  armées, 
elle  se  voulut  accoustumer  de  coucher  avec  son  harnais,  le 
casque  excepté;  de  quoy  elle  fut  malade,  et  neantmoins  s'y 
accoustuma  à  la  longue,  tant  elle  avoit  décourage. 

Qand  elle  estoit  aux  villes  ou  villages,  on  la  logeoil  tous- 
jours  en  quelque  honneste  maison  où  il  y  avoit  d'honnestes 
dames  et  filles  avec  lesquelles  elle  couclioit  :  et  aymoit  tou- 
jours mieux  coucher  avec  de  jeunes  filles  pucelles  qu'avec 
des  femmes  qui  eussent  été  mariées.  Véritablement  les 
Anglois  lui  ont  fait  son  procez  et  imputé  calomnieusement 
plusieurs  crimes  atroces  d'hérésie,  de  schisme,  sortilège, 
cruauté,  etc.  ;  mais  ils  n'ont  jamais  pu  trouver  sur  elle  que 
redire  en  ce  qu'elle  maintenoit  estre  vierge,  ni  osé  l'accuser 
du  contraire.  Leur  prétendu  procez  fait  foi  qu'elle  a  esté 
mainte  fois  examinée  là  dessus  :  car  ils  lui  demandèrent  si 
son  bonheur  dépendoit  de  sa  virginité,  et  si,  estant  mariée, 
ses  voix  désisteroient  de  la  visiter  et  consoler  :  à  quoy  elle 
repartit  n'en  avoir  aucune  révélation  et  qu'elle  s'en  rappor- 
toit  à  Dieu. 

Maistre  Thomas  de  Courcelles,  docteur  en  théologie,  qui 
assista  au  procez  et  depuis  fut  doyen  de  Nostre  Dame  et 
proviseur  de  Sorbonne,  tesmoigne  avoir  ouy  dire  à  l'evesque 
de  Beauvais  qu'elle  estoit  vierge,  et  que  si  elle  ne  l'eust  esté, 
on  ne  lui  eust  pas  pardonné,  et  qu'on  en  eust  tenu  registre 
au  procez-.   Maistre  Jean  Fabri   (Lefèvrc)  aussi  docteur  en 

1.  Voir,  dans  J.  Quiclieral,  Procès,  t.  II  et  l.  lil,  la  déposilion  des 
personnages  nom  niés. 

2.  Voir  i'rocès.  t.  III,  p.  59,  la  déposition  de  ce  docteur. 


DE    DOMREMY    A    COMPIÈGXE  83 

théologie,  qui  assista  seniblablenient  au  procez,  et  depuis  a 
esté  evesque  —  Demetriensis,  (je  pense  que  c'est  quelque 
titre  d'cvesclié)',  a  déposé  qu'on  reprocha  à  cette  fille,  en  l'in- 
terrogeant, qu'elle  se  faisoit  appeler  Pucelle;  et  avoir 
répliqué  généreusement  que  de  vérité  elle  l'estoit,  et  con- 
sentoit  estre  visitée  par  honnestes  et  vertueuses  matrones  qui 
leur  en  feroient  rapport  véritable.  De  quoy  ils  n'ont  eu 
garde  de  faire  inventaire  en  leur  procez,  non  plus  que  de 
plusieurs  autres  choses  qui  servoient  à  la  justification  de 
cette  fille. 

Estant  prisonnière  en  une  tour  du  chasteau  de  Rouen,  du- 
quel le  comte  de  Warwic  avoit  la  garde,  on  lui  avoit  donné 
quatre  gros  houspaillers  anglois  pour  geôliers  et  gardes,  les- 
quels s'efforcèrent  maintes  fois  de  la  violer  :  et  pour  cette  oc- 
casion estoit  contrainte  d'estre  jour  et  nuit  vêtue  avec  son 
habillement  d'homme,  et  bien  esguilletée  ;  de  quoy  elle  se 
plaignit  au  comte  de  Warwic  et  à  l'evesque  de  Beauvais,  qui 
ne  lui  en  firent  aucune  raison. 

Toutefois  ses  plaintes  et  doléances  [étant]  venues  à  la  co- 
gnoissance  de  la  duchesse  de  Bethford,  qui  estoit  Française, 
propre  sœur  du  duc  de  Bourgogne,  elle  voulut  sçavoir  si  cette 
fille  estoit  vierge,  et  pria  son  mari  qu'on  la  fist  visiter.  Et 
pour  cet  effet  ils  choisirent  des  sages-femmes  et  matrones 
de  leur  faction,  une  desquelles  s'appeloit  Anne  Bavon.  Le  duc 
de  Bethford  et  sa  femme  estoient  présents  à  cette  Visitation, 
derrière  une  tapisserie.  Et  fut  trouvée  vierge,  et  que,  pour 
avoir  esté  ordinairement  à  cheval,  elle  s'estoit  blessée-.  A  rai- 
son de  quoy  la  duchesse  de  Bethford  fit  deffendre  aux  An- 
glois qui  l'avoient  en  garde  de  plus  attenter  à  son  honneur. 
Et  lors,  on  ouyt  dire  à  des  seigneurs  Anglois  que  véritable- 
ment ce  seroit  une  brave  femme,  si  elle  eust  été  Angloise. 

Depuis  la  première  sentence  donnée  contre  cette  fille,  ayant 
esté  contrainte  de  prendre  un  habillement  de  femme,  et  né- 
antmoins  laissée  encore  en  la  garde  des  Anglois  au  chasteau 

1.  C'était  celui  de  Déniétriadc,  in  parlibus  infidelium,  Y.  Procès, 
t.  III.  p.  173. 

■2.  Déposition  de  Jean  Mas.siou,  à  l'enquête  de  Rouen.  Procès,  t.  III, 
p.  lo5. 


80  E.    lUCHER.    LA    PUCELLE    D  ORLÉANS 

de  Rouen,  un  grand  seigneur  Anglois  la  voulut  violer.  Et 
pour  cette  cause  dit  à  ses  juges  avoir  repris  son  habillement 
viril  et  laissé  celui  de  femme.  Ce  grand  seigneur  ne  pouvoit 
estre  que  le  comte  de  Warwic  qui  avoit  la  garde  du  chasleau 
de  Rouen  ^  ;  et  toutefois  cette  fille  ne  l'osoit  nommer  par  son 
nom,  crainte  d'estre  plus  mal  traitée. 

Plutarque  a  fait  un  discours  de  la  malignité  d'Hérodote, 
pour  ce  qu'il  avoit  malicieusement  parlé  au  désavantage  de 
quelques  républiques  et  personnes  signalées.  Les  tesmoigna- 
ges  susdits  tirez  du  procez  et  de  la  propre  bouche  des  enne- 
mis de  la  Pucelle  estant  exempts  de  tout  reproche,  servent 
pour  confondre  l'impudence  et  malice  de  du  Haillan  et  autres 
semblables  écrivains,  qui  ont  osé  publié  que  cette  fille  s'es- 
toit  prostituée  à  Baudricour,  au  Bastard  d'Orléans,  et  autres 
qu'ils  disent  l'avoir  instruite  à  jouer  le  personnage  qu'elle 
avoit  joué  ;  calomnie  qui  mérite  une  rigoureuse  punition, 
nommément  en  des  escrivains  François,  pour  ce  qu'elle  ap- 
puie les  conviées  et  calomnies  des  Anglois  ennemis  mortels 
de  la  Pucelle,  et  davantage  imprime  une  note  d'infamie  à  la 
France  et  au  conseil  du  Roy,  ne  plus  ne  moins  que  sil  avoit 
de  premier  abord  et  sans  aucun  examen  adjousté  foy  à  une 
fille  de  joye  que  Baudricour  nous  auroit  envoyée,  après  lui 
avoir  bien  fait  et  recordé  sa  leçon. 

Vrayment  les  Anglois  qui  l'ont  condamnée  n'ont  pas  oublié 
de  l'interroger  sur  ce  fait-là  :  sçavoir  si  elle  avoit  esté  in- 
duite par  la  persuasion  de  Beaudricour  ou  de  quelque  autre. 
Et  telles  péronnelles  que  du  Haillan  imagine  n'ont  garde  de 
faire  les  miracles  que  la  Pucelle  a  exequutez.  Le  titre  d'histo- 
rien que  cet  homme  a  usurpé  l'obligeoit  de  voir  et  examiner 
le  procez  de  cette  fille,  et  sa  justification  attestée  par  cent 
vingt-cinq  tesmoins  libres  de  tout  reproche,  et  d'en  juger 
selon  les  règles  de  l'histoire.  Que  s'il  n'avoit  pu  avoir  les  ac- 
tes du  procez,  ou  n'avoit  voulu  prendre  la  peine  de  les  lire, 
au  moins  ne  devoit-il  ignorer  ce  que  Monslrelet,  partisan  du 
Bourguignon,  a  escrit  au  mesme  temps,  sçavoir  que  la  Pu- 

1.  Accusation  dont  on  n'a  point  la  preuve. 


DE    DOMREMY    A    COMPIÈGNE  87 

colle  avoit  osté  bien  examinée,  el  qu'on  fui  un  long  temps  au 
conseil  du  Roy  auparavant  que  de  lui  vouloir  adjouster  au- 
cune créance. 

Mesme  les  historiens  Anglois,  comme  Polydore  Virgile, 
n'ont  pas  escrit  tant  au  desadvantage  de  la  Pucelle  que  du 
[laillan  lequel  encore,  pour  déprimer  tous  ses  faits  héroï- 
ques, attribue  le  changement  et  prospérité  des  affaires  du 
Roy  principalement  à  ce  que  le  duc  de  Bourgogne  retira  quel- 
ques gens  qu'il  avoit  envoyés  au  siège  d'Orléans,  et  aveuglé 
qu'il  est,  ne  considère  pas  que,  l'espace  de  plus  de  huit  ans, 
le  mesme  duc  assista  de  toutes  ses  forces  et  des  plus  braves 
hommes  et  vaillans  capitaines  qu'il  eust,  le  duc  de  Bethford, 
mesme  quand  le  Roy  lui  présenta  la  bataille  après  son  sacre, 
et  alla  taster  le  pouls  aux.  habitants  de  Paris,  ainsi  que  le 
mesme  Monstrelet  tesmoigne,  outre  encore  le  siège  de  Com- 
piègne,  etc. 

Pour  moy,  je  ne  me  puis  persuader  que  du  Haillan,  natif 
de  Guienne,  ne  fust  de  quelque  extraction  angloise,  n'ayant 
pu  celer  la  haine  qu'il  portoit  à  cette  vierge.  Et  mesme  pour 
faire  l'homme  d'Estat  et  l'entendu  aux  affaires  politiques,  [Hj 
a  osé  révoquer  en  doute  la  sainte  Ampoule  et  les  fleurs  de  lis 
apportées  du  ciel.  Plus  tost  devoit-il  n'en  point  parler  du 
tout,  que  d'en  escrire  de  la  sorte  :  ainsi  que  j'ay  autrefois  ouy 
dire  à  defunct  M'=  Pierre  Pithou  parlant  avec  mépris  de  l'his- 
toire de  du  Haillan,  comme  d'un  homme  téméraire  et  igno- 
rant. lAIais  retournons  à  l'examen  de  la  Pucelle. 


CHAPITRE  YIl 

A   POITIERS   ET   A   TOURS 

Le  Parlement  et  l'Université  de  Paris  estoient  transferez  à 
Poictiers,  où  le  Roy  alla  tout  exprès  pour  faire  encore  exami- 
ner la  Pucelle,  qui  fut  loge'e  en  la  maison  de  l'advocat  géné- 
ral du  Parlement  nommé  Kabateau.  Et  durant  tout  le  temps 
quelle  fut  à  Poictiers,  on  lui  donna  certaines  prudes  femmes, 
vertueuses  et  dévotes,  qui  vivoientetconversoient  ordinaire- 
ment avec  elle,  la  laissaient  faire  tout  ce  qu'elle  vouloit,  sans 
la  contrôler  ni  la  contredire  en  aucune  chose,  afin  de  l'es- 
pier  en  toutes  ses  actions.  Et  asseurèrent  qu'elle  estoit  fort 
vertueuse,  de  sainte  vie  et  d'une  conversation  exemplaire, 
grandement  sobre,  beuvoit  peu  de  vin,  et  encore  bien  trempé. 

Le  Parlement  n'estoit  d'advis  qu'on  s'arrestast  à  ce  qu'elle 
disoit,  estimant  n'estre  que  pure  folie.  Toutefois,  l'archeves- 
que  de  Rheims,  chancelier  de  France,  qui  lui  estoit  aussi 
bien  contraire,  eut  ordre  de  faire  assembler  le  grand  Conseil 
du  Roy  et  plusieurs  docteurs  en  théologie,  jurisconsultes  et 
autres  qui  interrogèrent  celte  fille  sur  tout  Testât  de  sa  vie, 
de  ses  exercices,  de  son  employ  depuis  qu'elle  avoit  l'usage 
de  la  raison,  brief  sur  tous  les  points  desquels  elle  avoit  esté 
examinée  h  Chinon.  Et  ayant  donné  contentement  par  ses 
responses,  de  sorte  que  tout  le  Conseil  en  demeura  ravi  d'ad- 
miration, elle  asseurant  avec  effusion  de  larmes  que  le  Roy 
du  ciel  avoit  en  sa  protection  le  Dauphin  et  le  royaume  de 
France,  pour  délivrer  le  peuple  des  misères  et  calamitez  qu'il 
souffroit  depuis  un  si  long  temps,  M*^  Guillaume  Aymeri,  doc- 
teur en  théologie,  voulant  davantage  l'esprouver,  repartit  que, 
si  Dieu  avait  résolu  ce  quelle  disoit,  il  n'estoit  besoin  d'ar- 
mée ni  de  gens  de  guerre  qui  ne  feraient  tousjours  que  Ira- 


DE    DOMnEMV    A    COMPIKUNE  89 

vailler  et  ruiner  le  peuple  et  tout  le  pais.  Mais  elle  répliqua 
soudain  que  le  Roy  du  ciel  vouloit  qu'on  s'aydast,  et  que, 
bien  peu  do  gens  d'armes  combattant  en  son  nom,  il  donne- 
roitla  victoire. 

Seguin,  religieux  dominicain,  docteur  et  doyen  de  la  Fa- 
culté de  théologie  de  Poictiers,  remonstra  que  ce  seroit  ten- 
ter Dieu  et  une  extrême  témérité,  voire  impiété,  d'adjouster 
foy  aux  personnes  qui  se  disent  avoir  mission  du  ciel  par 
privilège  extraordinaire,  sinon  qu'elles  donnent  de  bons  et 
suffisans  tesmoignages  de  leur  dire,  soit  par  miracles  et  au- 
tres signes  indubitables,  et  que  autrement  chascun  contrefe- 
roit  le  prophète  et  feindroit  d'estre  envoyé  immédiatement  du 
ciel,  et  que  tout  fourmilleroit  de  révélations  supposées  : 
qu'il  n'y  avoit  aucune  apparence  qu'à  sa  simple  relation, 
mesme  estant  une  femme,  on  luy  commist  une  armée,  et 
qu'il  falloit  au  préalable  confirmer  sa  mission  par  certains 
et  manifestes  signes. 

—  En  nom  Dieu,  dit-elle,  je  ne  suis  pas  envoyée  pour  faire 
des  signes  à  Poictiers,  mais  au  siège  d'Orléans  et  à  Rheims, 
où  j'ay  ordre  d'aller,  et  y  ferai  voir  à  tout  le  monde  les  signes 
certains  de  ma  mission. 

Outre  plus;  asseura  que  quatre  choses  adviendroient  dont 
elle  avoit  desjà  donné  advis  au  Roy,  présent  le  duc  d'Alençon, 
sçavoir  :  que  le  siège  d'Orléans  seroit  levé  environ  l'Ascen- 
sion de  Notre-Seigneur,  et  qu'elle  y  seroit  blessée  ;  et  les  An- 
glois  contraints  à  force  d'armes  de  se  retirer  et  deffaits  ; 
néantmoins,  qu'elle  les  sommeroitau  préalable  de  donner  la 
paix  au  Roy  et  à  la  France,  et  qu'il  faute  de  ce  faire,  mal  leur 
on  prendroit  ; 

En  second  lieu,  qu'elle  mèneroit  le  Roy  à  Rheims  pour  y 
estre  sacré  et  couronné  ; 

Davantage,  que  Paris  se  rendroit  à  son  obéissance  ; 

Quatriesmement,  que  les  Anglois  soroient  du  tout  chassez 
de  la  France,  et  que  le  duc  d'Orléans  retourneroit  d'Angle-i 
terre  où  il  estoit  détenu  prisonnier  :  toutes  lesquelles  choses 
sembloient  lors  totalement  impossibles,  et  néantmoins  ont 
succédé  tout  ainsi  qu'elles  avoient  esté  prédites  par  la 
Pucelle.   Et  le  mesme  docteur,  en  la  revision  du  procez. 


90  E.    RICHER.    —    LA    PUCELLE   D  ORLEANS 

asseure  les  avoir  veu  réussir.  Dépose  semblablcment  que 
lui  ayant  demandé  quel  langage  ses  voix  parloient  à  elle, 
avoir  respondu  :  Bien  meilleur  françois  qu'il  ne  faisoit,  pour 
ce  qu'il  étoit  Limosin  et  baragouinoit  '. 

A  ces  interrogatoires  faits  tant  à  Poictiers  qu'à  Chinon, 
il  se  passa  environ  un  mois  :  de  quoy  cette  fille  n'esloit  gué- 
res  contente,  sachant  que  sa  mission  cstoit  bornée  à  un  peu 
plus  d'un  an,  ainsi  qu'elle  avoit  asseuré  Sa  Majesté.  C'est 
pourquoy  elle  estoit  bien  marrie  qu'on  lui  fist  perdre  le 
temps  à  parler,  qu'elle  debvoit  employer  à  chasser  l'Anglois 
de  la  France. 

Or,  les  Prélats  et  docteurs  de  Poictiers,  après  cet  examen 
solennel,  firent  leur  rapport  :  premièrement,  que  ce  n'est  pas 
chose  contraire  à  la  foy  et  religion,  ni  aux  traditions  de 
l'Eglise  catholique,  apostolique  et  romaine,  de  dire  qu'on  aye 
des  révélations,  pourveu  qu'on  les  manifeste  par  bons  et 
vertueux  effets  et  sainteté  de  vie  semblable  à  celle  de  la  Pu- 
celle,  en  laquelle  on  ne  voyoit  rien  qu'on  put  soupçonner 
d'aucune  sorcellerie,  maléfice,  superstition,  ou  autres  cho- 
ses prohibées  par  les  lois  divines  et  humaines,  ni  d'aucun 
autre  mauvais  ou  pernicieux  dessein  ;  et  qu'attendu  la  né- 
cessité des  affaires  du  Roy,  et  qu'elle  mesme  vouloit  exposer  sa 
vie  au  péril  et  hazard  de  la  guerre,  tout  ainsi  que  les  autres 
gens  d'armes,  on  la  pouvoit  employer  sans  scrupule  de  cons- 
science  -. 

[Fut]  résolu  au  conseil  du  Roy  de  son  équipage.  Dieu  fai- 
sant réussir  les  choses  qu'il  avoit  ordonnées,  et  disposant  les 
cœurs,  tant  du  Roy  que  de  tous  les  Princes,  seigneurs  et  gens 
de  guerre,  pour  marcher  sous  l'enseigne  de  cette  bergère,  et 
se  confesser  et  communier  quand  elle  leur  diroit  :  qui  n'est 
pas  certes  un  petit  miracle,  principalement  aux  Français  qui 
combattaient  contre  l'Anglois  pour  la  loi  Salique. 

Nous  avons  dit  que  le  Roy  avoit  choisi  le  sieur  Dolon,  [plus 
tard]  seneschal  de  Beaucaire,  comme  le  plus  sage  gentilhomme 

1.  Déposition  du  trùrc  Seguin,  dominicain, /Vocès,  t.  III,  p.  ^0-'.  La 
date  de  l'Ascension  fixée  à  la  levée  du  siège  ne  se  trouve  pas  dans  la 
déposition  du  frère  Seguin. 

2.  Voir  le  résumé  de  ce  Rapport  dans  J.  Quiclierat,  t.  V.  p.  471. 


DE    DOMUEMV    A    COMPIÈGXE  91 

de  France,  pour  avoir  soin  de  cette  fille, à  ce  qu'elle  fust  très 
bien  traitée,  logée,  armée  et  fournie  de  toutes  choses  nécessai- 
res, et  qu'allant  parmi  les  armées  elle  ne  fust  mesprisée,  mais 
honorée  comme  estant  envoyée  du  ciel.  Et  à  ces  fins,  le 
Roy  lui  donna  deux  hommes  de  son  escurie  pour  lui  servir 
d'escuyers,  sçavoir  Louys  de  Coûtes,  et  un  nomme  Raymond, 
deux  pages  pour  la  servir  de  main,  deux  laquais,  un  maistre 
d'hostel,  un  chapelain,  outre  ses  frères  qui  estoient  de  sa 
maison,  et  deux  hérauts  d'armes,  l'un  desquels  s'appeloit 
Guienne  et  l'autre  Ambleville.  Elle  avoit  cinq  beaux  grands 
coursiers,  et  sept  ou  huit  trottiers,  ainsi  qu'elle  les  appelle  : 
(ce  sont  chevaux  de  service  pour  aller  au  trot).  Le  Roy  voulut 
en  outre  que  pour  aller  plus  à  l'aise,  elle  eust  une  haquenée 
qui  fut  achetée  de  l'évesque  de  Senlis  deux  cents  saluts  d'or. 
Toutes  fois,  la  Pucelle  ayant  recognu  que  le  cheval  estoit  trop 
faible  pour  porter  un  homme  armé,  et  sceu  que  l'évesque  de 
Senlis  estoit  mal  content  de  ce  qu'on  Tavoit  desmonté,  ren- 
voya cette  haquenée  à  Georges,  sieur  de  la  Trémouille,  qui 
[la]  lui  avoit  fait  donner  par  commandement  de  Sa  Majesté. 
Son  chapelain  se  nommoit  frère  Jean  Pasquerel,  religieux 
de  l'ordre  des  Augustins,  qu'elle  prit  au  couvent  de  Tours  où 
il  estoit  lecteur  ordinaire,  et  néantmoins  pro.fès  du  couvent 
de  Bayeux  :  et  a  tousjours  esté  avec  elle  jusques  h  sa  prise 
devant  Gompiègne,  et  [a]  rendu  fidelle  tesmoignage  de  sa 
piété,  sainteté  de  vie,  et  de  plusieurs  autres  choses  que  nous 
avons  ci-devant  articulées,  et  selon  les  occurrences  de  l'his- 
toire les  représenterons  véritablement. 

Le  Roy  lui  voulut  donner  une  belle  espée  qu'elle  refusa,  le 
suppliant  d'envoyer  à  sainte  Catherine  de  Fierbois  en  quérir 
une  qui  estoit  derrière  le  maistre  autel,  en  laquelle  il  y  avoit 
cinq  croix,  au  haut  de  la  lance  vers  la  poignée,  et  jadis  avoit 
servi  à  un  chevalier  et  fut  enterrée  avec  lui,  et  n'estoit  guère 
avant  en  terre,  ainsi  que  la  Pucelle  a  déposé. 

Le  Roy  lui  demanda  si  elle  avoit  veu  autrefois  cette  espée. 
Respondit  que  non,  mais  que  son  conseil  (ses  voix)  lui  avoit 
donné  cet  advis. 

Donc  le  Roy  l'envoya  quérir  par  un  armurier  de  Tours. 


*)2  E.    RICtlER.    —    LA    PUCELLE    d'ORLÉAXS 

Elle  estait  toute  rouillée,  et,  ayant  esté  un  peu  frottée,  la 
rouille  tomba  sans  avoir  esté  fourbie.  Les  ecclésiastiques  de 
sainte  Catherine  de  Fierbois  y  firent  faire  deux  gaisncs, 
l'une  de  velours  rouge  et  l'autre  de  drap  d'or.  Pour  son 
regard,  elle  [la  Puccllej  y  fit  faire  un  fourreau  de  cuir  bien 
fort. 

Au  reste,  estoit  fort  bien  à  cheval,  et  eust-on  dit  qu'elle 
avoit  esté  dressée  toute  sa  vie  par  de  bons  cscuyers.  La  pre- 
mière fois  qu'elle  monta  en  cour  à  cheval  ',  on  lui  amena  un 
coursier  noireaudes  plus  farouches  et  rude  en  course,  lequel 
elle  fit  approcher  auprès  d'une  croix  pour  le  monter, 
et  par  après  le  mania  à  son  plaisir  à  l'admiration  de  la 
cour. 

Un  jour,  le  Uoy  s'cstant  allé  pourmener  en  la  prairie  de 
Ghinon,  elle  monta  à  cheval,  fit  une  carrière  la  lance  en 
main  de  si  bonne  grâce,  que  le  Roy  et  tous  ceux  qui  la  regar- 
doient  en  furentmerveilleusementeshahys;  etleduc  d'Alençon, 
la  voyant  si  adroite,  lui  donna  un  des  plus  beaux  chevaux 
de  son  escurie. 

Ce  mesme  prince  tesmoigne  qu'estant  lieutenant  général 
pour  le  Roy  en  ses  armées,  il  a  veu  mainte  fois  la  Pucelle  en 
besongne,  et  teiioit  pour  miraculeux  tout  ce  qu'elle  faisoit  et 
disoit  aux  affaires  de  guerre,  soit  pour  donner  conseil  sur 
le  champ,  ordonner  et  faire  marcher  les  gens  de  guerre  en 
bataille,  assaillir  l'ennemi,  ou  faire  seurement  des  retraites, 
pointer  l'artillerie  pour  battre  les  villes  et  aller  à  l'assaut  : 
asseurant  que  des  capitaines  qui  auroient  fait  la  faction  de 
guerre  et  conduit  des  armées  vingt-cinq  ou  trente  ans,  ne  se- 
roient  plus  experts  et  advisez  qu'elle  estoit  :  dont  on  ne 
se  doit  esbahyr,  estant  envoyée  et  instruite  par  le  Dieu  des 
armées. 

Messieurs  de  Longueville  et  de  Gaucour  ont  tesmoigne  la 
mesme  chose,  tous  lieutenants  généraux.  Et  le  Bastard  d'Or- 
léans dit  encore  que  cette  fille  estant  aux  armées  parmi  les 
gens  de  guerre,  pour  leur  donner  courage,  racontoit  plu- 

1.  Confusion  tic  laits.  C'est  devant  1(>  jeune  seigneur  île  Laval,  avant 
la  campagne  (le  la  Loire,  et  non  à  sa  venue  à  la  cour,  que  la  Pucelle 
monta  ce  noir  et  rude  coursier. 


DR    DOMREMV    A    COMPIE'JXE  93 

sieurs  choses  qui  no  sont  advenues,  mais  que,  parlant  sérieu- 
sement avec  les  seigneurs  et  capitaines  de  sa  mission,  ne 
leur  avoit  jamais  tenu  autres  propos  que  des  quatre  choses 
ci-devant  mentionnées. 

Le  Roy  vouloit  que  ses  habillements  de  guerre  fussent 
richement  accommodez,  car  cela  donne  terreur  à  l'ennemi, 
ainsi  que  les  Lacédémoniens,  plus  austères  que  tous  les  hom- 
mes du  monde,  disoient.  Il  lui  donna  une  huque  de  toile  d'or 
tailladée  et  ouverte  de  tous  costez,  qu'elle  porloit  sur  ses 
armes,  avec  laquelle  elle  fut  prise  à  Compiègne.  C'estoit 
comme  une  houpille  en  hongrelline,  laquelle  ses  ennemis  ne 
faillirent  pas  de  détorquer  à  vanité  et  gloire  mondaine. 

Et  toutefois  recognoissent  qu'elle  estoit  grandement  sévère. 
Jamais  ne  vouloit  permettre  que  ceux  de  sa  compagnie  allas- 
sent à  la  picorée,  et  n'eust  pas  mangé  d'aucune  chose  que 
les  gens  de  guerre  eussent  pris  sur  le  pauvre  peuple.  Aussi, 
tout  ce  qu'elle  a  jamais  demandé  au  Roy  n'a  esté  que  pour 
payer  ses  gens,  à  ce  qu'ils  ne  fussent  contraints  de  picorer 
ou  de  voler. 

Onques,  où  elle  estoit,  n'a  voulu  souffrir  de  folles  femmes, 
et,  si  elle  en  rencontroit  aucunes,  leur  donnoit  asprement  la 
chasse,  comme  elle  fit  dès  sa  première  arrivée,  s'acheminant 
pour  faire  lever  le  siège  d'Orléans,  et  depuis  à  Chasteau- 
Thierry  et  à  Saint-Denis,  les  poursuivant  l'espée  nue  en 
inain. 

Quand  on  alloit  par  païs,  les  fourriers  et  maréchaux  des 
logis  avoient  ordre  de  la  très  bien  loger,  et  principale- 
ment avec  d'honnestes  et  vertueuses  femmes,  estant  aux  hon- 
nies villes. 

Le  sieur  Dolon,  gouverneur  et  surintendant  de  sa  maison, 
la  mena  à  Tours  pour  lui  faire  forger  des  armes  propres  h 
son  corsage  :  sçavoir  heaume,  cuirasse,  brassars,  et  l'équiper 
de  toutes  autres  choses  dont  elle  auroit  besoin.  11  lui  lit  aussi 
forger  une  petite  hache  d'armes  qu'elle  porta  bien  peu  de 
temps,  ayant  recognu  que  sa  mission  estoit  seulement  pour 
mener  les  François  à  la  guerre,  et  relever  leur  courage  abattu 
par  tant  d'infortunes  et  adversilez. 

Elle  fit  faire  en  attendant,  par  le  conseil  de  ses  voix,  un  es- 


LA    PUCELLE    D  ORLEANS 


tandart  qui  estoit  de  toile  ou  de  boucassin  blanc,  frangé  de 
crespine  de  soye.  Le  champ  estoil  d'azur,  tout  semé  de  fleurs 
de  lis  :  auquel  estandart  elle  lit  peindre  l'image  du  Roy  du 
ciel  tenant  un  monde,  avec  un  ange  de  chacun  costé  et  le 
signe  de  la  croix,  ensemble  ces  deux  mots  Jésus  Maina.  Et 
allant  à  la  guerre,  le  portoit  par  commandement  de  ses  voix, 
le  tenant  en  main,  et  crainte  despandre  le  sang  humain  ne 
s'aydoit  d'aucune  arme  offensive,  ainsi  qu'elle  respondit  à 
ses  juges  ^  qui  lui  firent  de  merveilleux,  ridicules  et  mali- 
cieux interrogatoires,  tant  sur  cette  enseigne  que  sur  l'espée 
qu'elle  portoit,  lui  voulant  faire  accroire  qu'elle  avoit  ensor- 
celé ses  armes  et  tout  ce  qu'elle  portoit,  afin  d'estre  mieux 
fortunée  ;  et  mesme  un  anneau  de  cuivre  doré  que  ses  parents 
lui  avoient  donné,  auquel  estoit  engravé  un  Jésus  Maria. 
Outre,  lui  imposèrent  encore  qu'elle  avoit  fait  porter  des 
pièces  de  toile  toutes  entières  comme  en  procession  à  l'en- 
tour  de  l'église  et  du  maistre  autel,  pour  faire  des  enseignes 
et  panonceaux  aux  gens  de  guerre,  à  ce  qu'ils  fussent  mieux 
fortunez  :  de  quoy  il  sera  parlé  au  second  livre. 

C'estoit  sa  coustume  de  se  mettre  tousjours  à  l'avant-garde 
de  l'armée  pour  donner  courage  aux  soldats  et  capitaines,  et 
terreur  aux  ennemis,  disant  aux  François  :  «  Entrez  hardi- 
ment avec  moy  au  plus  fort  des  Anglois.  »  Lesquels  ont  con- 
fessé l'avoir  plus  redoutée  elle  seule  que  cent  des  plus  vail- 
lants chevaliers,  et  des  mieux  armez  et  montez.  Car  meslée 
parmi  les  ennemis,  elle  ressembloit  à  un  ange  exlermina- 
teur,  et  tous  fuyaient  devant  elle.  Et  faisoit  tousjours  la 
retraite,  se  mettant  sur  le  derrière  de  l'armée  pour  faire  reti- 
rer les  gens  de  guerre  en  toute  seureté  :  ce  qui  fut  cause  de 
sa  prise  au  siège  de  Gompiègne  ;  ayant  eu  plus  de  soin  de 
sauver  ses  compagnons  qu'elle-mesme,  ainsi  que  tesmoigne 
Monstrelet.  Pour  cette  raison,  le  Roy  d'Angleterre,  aux 
lettres  qu'il  escrivit  à  l'empereur  Sigismond,  au  duc  de  Bour- 


1.  Joaniio   n'a  jamais  dit    qucllo  navait  blessé  personne,  mais   que 
jamais  elle  n'avait  frappé  un  adversaire  mortellement.  Pour  se  défendre, 
elle  dut  plus  d'unp  lois,  par  exemple  le  jour  de  la  prise  des  Augustins, 
faire  usage  de  son  épée.  v  DLvil  (^»0(/ nuM^juam  interlecil  liominoni.» 
Procès,  t,  I,  p.  78. 


DE    DOMREMV    A    CÙMPIÈGXE  95 

gogne,  et  aux  prélats  et  seigneurs  de  son  obéissance,  après 
qu'il  eut  fait  mourir  la  Puceile,  se  plaint  des  grands  et  in- 
croyables dommages  qu'elle  lui  a  faits,  ayant  fait  mourir  ou 
pris  prisonniers  tous  ses  plus  braves  capitaines  ou  chefs 
d'armée.  Au  reste,  hors  l'effort  de  la  guerre,  elle  estoit 
douce,  simple  et  humble  comme  un  agneau. 


CHAPITRE  YIII 

LA  PUCELLE  A  BLOIS.    —  LA  LETTRE  AUX  AXGLALS. 
DÉPART  POUR  ORLÉANS. 

Tout  son  équipage  de  guerre  et  sa  maison  dressez,  le  Uoy 
lui  donna  environ  six  mille  hommes,  et  de  Tours  s'ache- 
mina à  Blois  où  elle  séjourna  quelques  jours  attendant  que 
cette  petite  armée  fust  assemblée,  et  qu'on  eust  appresté  un 
grand  convoy  de  vivres  et  autres  munitions  nécessaires  pour 
la  ville  d'Orléans,  car,  faute  d'argent,  tout  demeuroit  en 
arrière,  ainsi  que  le  duc  d'Alençon  a  déposé. 

Elle  arriva  à  Blois  environ  la  sepmaine  de  la  Passion  ^  le 
dix-huit  ou  le  dix-neuviesme  mars  14!28  (vieux  style),  où 
elle  fit  faire  une  enseigne  de  dévotion  en  laquelle  Jésus- 
Christ  estoit  représenté  en  l'arbre  de  la  Croix.  Et  chascun 
jour  qu'elle  y  séjourna,  faisoit  assembler  tout  le  clergé  de 
Blois,  et  son  chapelain  à  la  teste  portant  cette  bannière  en 
procession,  sans  vouloir  permettre  qu'aucun  y  assistast  s'ils 
n'avoient  été  à  confesse,  non  pas  mesme  les  soigneurs  et 
gens  de  guerre. 

Davantage,  afin  de  ne  point  perdre  temps,  le  samedi  veille 
de  Pasques,  vingt-sixiesme  mars,  dicta  en  son  langage  une 
lettre  qu'elle  envoya  aux  Anglois  par  ses  hérauts  pour  les 
sommer  de  lever  le  siège  d'Orléans,  de  se  retirer  en  Icurpaïs 
€t  donner  la  paix  à  la  France  ;  qu'autrement  elle  avoit  charge 
de  les  debeller.  Dénonciation  conforme  à  la  loi  de  Dieu, 
chapitre  20  du  Deutéronome  :  «  Quand  tu  voudras  assiéger 
une  ville  ou  faire  la  guerre  contre  quelqu'un,  tu  lui  offriras 


1.  Erreur  de  date.  C'est  en  avril  142!)  seulement  que  la  Pucelle  vint  à 
Blois. 


DE    DOMUEMY    A    COMPlÈr.NE  97 

premièrement  la  paix,   et  s'il   ne  veut  entendre,  tu  le  com- 
battras. » 

Ensuit  la  teneur  de  sa  lettre  que  j'ay  tiré  mot  pour  mot 
de  l'original  de  son  procez  :  d'autant  que  ces  lettres  sont 
deffectueuses  et  corrompues  en  l'histoire  de  Nicolle  (îilles  de 
lielleforest,  et  mesme  au  discours  du  siège  d'Orléans 
ci-devant  mentionné,  lequel  rapporte  les  dites  lettres  avoir 
esté  escrites  le  mardi  ^2  mars  en  la  sepmaine  sainte,  date 
qui  contrevient  à  la  vraye  de  samedi  vigile  de  Pasques, 
vingt-sixiesme  mars. 

f    JESUS    MARIA  f 

«  Roy  d'Angleterre,  et  vous  duc  de  Belhford,  qui  vous 
dites  régent  du  royaume  de  France;  vous,  Guillaume  de  la 
Poulie,  comte  de  Sutïort,  Jean  sire  de  Tallebot,  et  vous  Tho- 
mas, sire  d'Escales,  qui  vous  dites  lieutenant  du  dict  duc  de 
J3ethford,  faites  raison  au  Roy  du  ciel.  (Rendez  à  la  Pucelle 
qui  est  icy  envoyée  de  par  le  Roy  du  ciel  '),  les  clefs  de 
toutes  les  bonnes  villes  que  vous  avez  prises  et  violées  en 
France.  Elle  est  ici  venue  de  par  Dieu  pour  réclamer  le  sang 
royal.  Elle  est  toute  preste  de  faire  paix,  si  vous  lui  voulez 
faire  raison  :  par  ainsi  que  France  vous  mettiez  jus,  et 
payerez  ce  que  vous  l'avez  tenue.  Et  entre  vous,  archiers, 
compagnons  de  guerre  gentils  et  autres  qui  estes  devant  la 
ville  d'Orléans,  allez-vous-en  en  votre  païs  de  par  Dieu,  et  si 
ainsi  ne  le  faites,  attendez  les  nouvelles  de  la  Pucelle  qui 
vous  ira  voir  briesvement  à  vos  bien  grans  dommages.  Roy 
d'Angleterre,  si  ainsi  ne  le  faites  (je  suis  chef  de  guerre), 
et,  en  quelque  lieu  que  je  atteindrai  vos  gens  en  France,  je 
les  ferai  aller,  veuillent  ou  non  veuillent.  Et  s'ils  ne  veullent 
obéir,  je  les  ferai  tous  occire.  Je  suis  envoyée  de  par  Dieu  le 
Roy  du  Ciel  (corps  pour  corps),  pour  vous  bouter  ^hors  de 
toute  France.  Et  si  veullent  obéir,  je  les  prendray  à  mercy. 
Et  n'ayez  point  en  votre  opinion,  car  vous  ne  tiendrez  pas  le 
royaume   de  France,   de   Dieu  le  Roy  du  ciel,  fils  de  sainte 

1.  Los  mois  entre  purcnlhèscs  sont,  eoinme  Riclior  le  dit  plu5  bas. 
'■euv  que  la  Pucelle  disait  à  ses  juges,  p.  o5,  8i  du  Procès,  t.  t.  avoir  été 
changés.  Mais  ces  changements  sont  sans  importance. 


98  E.    RICHER.    l.A    l'UCELLE    D  ORLEANS 

Marie  ;  ains  le  tiendra  le  Roy  Charles,  vray  héritier,  car  Dieu 
le  Roy  du  ciel  le  veut,  et  lui  est  révélé  par  la  Pucelle  ;  lequel 
(Charles)  entrera  à  Paris  à  bonne  compagnie.  Si  ne  voulez 
croire  les  nouvelles  de  par  Dieu  et  la  Pucelle,  en  quelque 
lieu  que  vous  trouverons,  férirons  dedans,  et  y  ferons  un  si 
grand  ahay,  que  encore  a-t-il  nuls  ans  que  en  France  ne  fut 
si  grand,  si  vous  ne  faites  raison.  Et  croyez  fermement  que 
le  Roy  du  ciel  envoyera  plus  de  force  à  la  Pucelle  que  vous 
ne  lui  sçauriez  mener  de  tous  assaux  à  elle  et  à  ses  bons  gens 
d'armes.  Et  aux  horions  verra-t-on  qui  aura  meilleur  droit 
de  Dieu  du  Ciel.  Vous,  duc  de  Bethford,  la  Pucelle  vous  prie 
et  vous  requiert  que  vous  ne  vous  faciez  mie  destruire.  Si 
vous  lui  faites  raison,  encore  pourrez  venir  en  sa  compa- 
gnie, où  que  les  François  feront  le  plus  bel  effect  que  on- 
ques  fut  faict  pour  la  chrestienté.  Et  faites  response  si  vous 
voulez  faire  paix  en  la  cité  d'Orléans,  et  si  ainsi  ne  le 
faites,  de  vos  bien  grans  dommages  vous  souvienne  bries- 
vement.  Escrit  ce  samedi  sepmaine  sainte  ^  » 

Ces  lettres  contiennent  une  prophétie  que  la  Pucelle  révéla 
au  Roy  incontinent  qu'elle  fut  arrivée  à  Chinon  :  sçavoir 
qu'il  estoit  le  seul  et  vray  héritier  de  la  couronne  ;  que  si  les 
Anglois,  après  avoir  été  advertis,  ne  se  retiroient  ils  seroient 
defîaits,  ainsi  qu'ils  furent  à  Orléans,  Jargeau  et  Patay; 
que  Paris  se  mettroit  en  l'obéissance  de  sa  Majesté,  et  que 
les  Anglois  seroient  entièrement  chassez  du  royaume  de 
France. 

Les  juges  qui  ont  fait  le  procez  à  cette  fille  ont  souvent 
remué   ces   lettres,    lui    voulans   imposer   qu'elle    les    avoit 

4.  Lire  dans  l'ouvrage  de  M.  Germain  Lefévre-Pontalis;  Les  sources 
allemandes  de  l'Iiisloire  de  Jeanne  d'Arc,  (in-S»,  Paris  1903)  à  la  page  42 
et  suivantes,  les  observations  sui'  cette  lettre  deJeanne  aux  Anglais,  sur 
son  authenticité,  sur  le  peu  d'importance  des  altérations  qu'on  a  dénon- 
cées, et  sur  les  documents  divers  dans  lesquels  le  te.xle  en  est  reproduit. 
Le  texte  donné  par  E.  Riclier  est  le  seul  <iont  M.  G.  Letèvre-Pontalis 
n'ait  point  parlé.  Entre  ce  texte  et  celui  qui'  .1.  Quiclierat  donne  aux 
pages  240,  i>41  du  Procès,  t.  1,  il  n'y  a  que  deux  ou  trois  dili'érences. 
Là  où  J.  Quicherat  écrit:  «encore  a-t-il  mil  ans...,»  Richer  met: 
encore  a-t-il  nuls  ans.  »  Et  à  la  iîn  :  «  Escript  ce  mardi  sepmaine 
saincte  :  »  leçon  de  J.  Quicherat  et  du  procès.  «  Escrit  ce  samedi  sep- 
maine saincte  ;  »  leçon  de  Richer. 


DE    DOMREMY    A    COMPIEGNE  99 

escrites  par  la  suggestion  des  esprits  malins  quelle  consul- 
toit  ;  et  mesme  auroit  mis  à  la  teste  d'icelles  deux  croix  avec 
ces  mots  Jésus  Maria.  Ils  lui  demandèrent  premièrement  si 
elle  les  avoit  ainsi  escrites  et  couchées.  Respondit  que  oui, 
et  les  avoir  dictées,  trois  ou  quatre  choses  exceptées  qu'on  y 
avoit  changées  ou  adjoustées,  de  quoy  il  sera  parlé  au  second 
livre.  Ces  choses  sont  celles  qui  sont  imprimées  [plus  haut^ 
en  italiques  et  enfermées  par  parenthèse.  Et  est  chose  admi- 
rable que  ne  sçachant  ni  lire  ni  escrire,  elle  aye  pu  se  sou- 
venir de  ce  qu'on  avoit  changé  ou  adjousté  en  ses  lettres. 

Ne  faut  passer  sous  silence  que  quelque  temps  après  elle 
envoya  semblement  des  lettres  et  des  hérauts  au  duc  de  Bour- 
gogne pour  le  prier  et  exhorter  aussi  à  la  paix  ;  ce  qui  fait 
cognoistre  de  quel  esprit  elle  estoit  régie.  Ses  juges  lui  ont 
reproché  que  par  ces  lettres  elle  s'arrogeoit  l'office  des 
anges,  disant  qu'elle  estoit  envoyée  de  par  le  Roy  du  ciel. 
Véritablement  Ange  ne  signifie  autre  chose  que  «  Messager 
envoyé  de  Dieu  ».  Et  peut-on  dire  asseurément  qu'elle  a  . 
servi  au  Roy  et  à  la  France  d'un  Ange  de  paix  pour  en  exter- 
miner totalement  les  Anglois  :  car  tant  qu'ils  ont  eu  la 
Giiienne  et  la  Normandie,  il  estoit  impossible  aux  François 
de  jouir  de  la  paix. 

Et  ne  se  peut  rien  imaginer  de  plus  misérable  qu'estoit  le 
pauvre  peuple  de  France.  Tous  les  ans,  au  temps  que  la 
moisson  approchoit,  les  Anglois  faisoient  une  descente  à 
Calais  ou  en  quelque  autre  port  de  mer.  Et  de  là  couroient 
et  ravageoient  toute  la  France  jusques  en  Auvergne,  et  repas- 
soient  en  Guienne,  bruslant  et  saccageant  tout  ce  qu'ils  ren- 
controient.  Et  n'y  avoil  que  les  grosses  villes  et  forts  chas- 
teaux  exempts  de  cette  calamité  et  désolation.  De  sorte  qu'on 
ne  pouvoit  labourer  ni  cultiver  les  terres,  ni  mesme  recueil- 
lir le  peu  qu'on  avoit  ensemencé.  Et  si  aucun  vouloit  brouil- 
ler ou  remuer  mesiiage  en  France,  il  estoit  asseuré  d'avoir 
tousjours  les  Anglois  à  sa  dévotion.  Calamitez  qui  ont  duré 
plus  de  soixante  ans.  Et  pour  ce  sujet  disoit-on  en  commun 
proverbe  ^ue  les  Anglois,  par  leur  puissance,  avaient  fait 
venir  les  bois  en  France  ;   ainsi   qu'il  me  souvient  l'avoir 


100  E.    niCIIEIt.    —    LA    PUCELLE    d'ûRLÉAXS 

mainte  fois  ouy  dire  en  ma  jeunesse  à  de  vieilles  gens  qui 
certifioient  avoir  veu  toute  la  France  déserte  et  remplie  de 
bois  ;  que  leurs  pères  avoient  expérimenté  les  ravages  des 
Anglois,  et  que  sous  le  règne  de  Charles  V[I  et  Louis  XI,  on 
avoit  commencé  à  essarter  les  bois,  défricher  les  champs  et 
rebastir  les  villages  :  qui  est  en  somme  le  grand  bien  qu'il  a 
pieu  h  Dieu  nous  moyenner  par  la  Pucelle,  qui  devroit  autant 
avoir  de  statues  de  bronze  en  France  que  jadis  on  en  dressa 
à  Demetrius  Phalereus,  en  Grèce,  le  méritant  beaucoup 
mieux. 

Celui  qui  a  escrit  jour  pour  jour  le  siège  d'Orléans  asseure, 
comme  fait  aussi  le  comte  de  Dunois  en  la  revision  du  pro- 
cez^  que  les  Anglois  furent  extrêmement  irritez  des  lettres 
de  la  Pucelle,  et  qu'ils  lui  dirent  moult  de  vilaines  injures, 
l'appelant  ribaude,  vachère,  et  la  menaçant  de  la  faire  brus- 
1er;  et  que  contre  le  droit  des  gens,  ils  retinrent  un  de  ses 
hérauts  nommé  Guienne,  qui  leur  avoit  porté  les  dites  lettres, 
et  tournèrent  à  dérision  tout  ce  qu'elle  leur  escrivoit  :  ne 
considérans  pas  que  Dieu  élit  les  choses  basses  et  plus  in- 
firmes pour  confondre  les  plus  hautes,  sourcilleuses  et  bouf- 
fies d'orgueil,  comme  les  Anglois  estoient  lors,  aveuglés  de 
la  prospérité  qui  les  caressoit. 

Mais  la  Pucelle,  estant  à  Blois,  pressoit  tous  les  seigneurs 
et  capitaines  de  partir,  sçavoir  le  mareschal  de  Boussac  ou 
de  Sainte-Sévère,  Gilles  de  Laval,  mareschal  de  Raiz,  le 
sieur  de  Gaucour,  La  Ilire,  Poton,  Ambroise  de  Loré,  l'admi- 
rai de  Culant,  Jamet  du  Tilloy,  etc.,  lesquels  elle  fit  tous 
confesser  et  communier,  les  asseurant  du  secours  que  Dieu 
leur  donneroit,  mettans  en  bon  estât  leur  conscience.  De 
plus,  fit  assembler  les  ecclésiastiques  de  Blois  sous  l'enseigne 
de  Jésus-Christ  en  croix  qu'elle  avoit  fait  peindre,  laquelle 
son  chapelain  portoit  devant  le  clergé,  faisant  prières  et 
chantant  des  psaumes  et  hymnes  à  la  teste  du  convoy  de 
vivres  que  les  gens  de  guerre  conduisoient  par  terre  à 
Orléans  du  costé  de  la  Sologne. 

Pour  lors  la  rivière  estoit  fort  basse  ;  tellement  qu'il  estoit 
impossible  que  les  bateaux  que  le  Bastard  d'Orléans  avoit  fait 


Dli:    DOMREMV    A    COMPIEGNE  101 

préparer  pour  recevoir  les  vivres  arrivassent  jusques  au 
bord  de  la  rivière  ;  davantage,  le  vent  estoit  contraire  qui  se 
changea  tout  à  coup  et  [se]  rendit  propice  :  pareillement 
aussi  la  rivière  crût,  de  sorte  qu'on  deschargea  aisément 
dans  les  bateaux  tous  les  vivres  et  munitions  qui  furent  ren- 
dus à  Orléans  de  plein  jour,  sans  que  les  Anglois  y  donnas- 
sent aucun  empeschement.  Ce  que  considéré,  le  Bastard  d'Or- 
léans asseure  avoir  lors  conçeu  très  bonne  espérance  des 
promesses  que  faisoit  la  Pucelle. 

Elle  désiroit  que  les  gens  de  guerre  qu'elle  avoit  amenez 
passassent  du  costé  de  la  Beausse.où  estoit  le  comte  de  Suf- 
fort,  le  sire  de  Tallebot  et  autres  chefs  de  guerre  anglois  avec 
la  plus  grande  force  de  leur  armée  qu'elle  vouloit  combattre, 
et  pour  voir  sans  délai  les  signes  de  sa  mission,  et  que,  bien 
peu  de  gens  de  guerre  bataillant  au  nom  et  à  la  faveur  du 
ciel,  ils  emporteroient  aisément  la  victoire,  ainsi  qu'elle 
avoit  déclaré  à  Poictiers.  Toutes  fois,  les  seigneurs  et  capi- 
taines françois  furent  de  contraire  opinion,  jugeans  que  le 
passage  estoit  beaucoup  plus  libre  et  moins  périlleux  du 
costé  de  la  Sologne. 

Et  ayans  celé  leur  dessein  à  la  Pucelle,  néantmoins  elle  le 
recognut  bien.  Car  arrivée  qu'elle  fut  avec  les  vivres  et  mu- 
nitions au-dessus  d'Orléans,  du  costé  de  la  Sologne,  le  Bas- 
tard  d'Orléans  estant  venu  pour  la  recevoir,  elle  lui  demanda 
incontinent  s'il  n'estoit  pas  le  Bastard  d'Orléans,  et  s'il  avoit 
esté  d'advis  qu'on  passast  plustost  de  ce  costé-là  que  par  la 
Beausse. 

Ce  seigneur  respondit  que  tous  les  chefs  et  gens  de  guerre 
avoient  esté  de  cette  opinion  et  [avoient]  jugé  que  c'estoit  le 
meilleur  conseil  qu'on  pouvoit  prendre. 

—  En  nom  Dieu,  dit-elle,  car  c'estoit  son  serment,  le  con- 
seil du  ciel  est  bien  plus  sage  et  asseuré  que  le  vostre.  Vous 
me  pensez  trompez,  et  vous-mesme  vous  trompez.  Car  je 
vous  amène  le  meilleur  secours  qui  soit  jamais  arrivé  à 
aucune  ville  :  le  secours  du  Roy  du  ciel  qui  vous  envoyé,  non 
pour  l'amour  de  moy,  mais  par  l'intercession  et  requeste 
de  saints  Louys  et  Gharlemagne,  et  ne  veut  pas  que  les 
Anglois  ayant  le  duc  d'Orléans  qu'ils  tiennent  prisonnier,  et 


102  E.     lUCHER.    L\    ITCELLE    d'oRLÉANS 

sa  ville  d'Orléans,  laquelle    le   Roy  du  ciel  tient  en  sa  pro- 
tection. 

C'est  la  propre  déposition  du  Bastard  d'Orléans  qui  pria 
lors  la  Pucelle  avoir  pour  agréable  que  les  forces  qu'elle 
avoit  amenées  retournassent  encore  à  Blois  quérir  un  second 
convoy  de  vivres  et  munitions,  attendant  tousjours  que  l'ar- 
mée du  Roy  grossist;  veu  aussi  que  la  ville  d'Orléans  avoit 
plus  besoin  de  vivres  que  de  toutes  autres  choses.  A  ces 
remonstrances  la  Pucelle  ne  pouvoit  consentir,  disant 
qu'elle  avoit  fait  confesser  et  communier  tous  les  gens  de 
guerre,  et  pendant  qu'ils  estoient  bien  disposez  qu'ils  les  fal- 
loit  employer.  Elle  avoit  semblablement  chassé  les  femmes 
desbauchées  qui,  auparavant  son  arrivée,  nichoient  à  l'ar- 
mée ;  et  lui  faschoit  grandement  de  perdre  temps.  Toutes 
fois,  elle  se  laissa  persuader,  et  conséquemment  les  forces 
retournèrent  à  Blois. 

Or,  le  vendredi  vingt-neufviesme  avril,  le  Bastard  d'Or- 
léans fit  passer  la  rivière  à  la  Pucelle  à  l'endroit  de  Ghécy, 
qui  est  un  petit  village  distant  d'Orléans  d'environ  deux 
lieues,  du  costé  de  la  porte  de  Bourgogne,  où  il  avoit  laissé 
quelques  gens  de  guerre  pour  la  garder.  Et  partirent  de  ce 
village  sur  le  soir  et  entrèrent  à  Orléans  sur  les  huit  heures, 
afin  d'éviter  le  tumulte  du  peuple  qui  brusloit  du  désir  de 
voir  la  Pucelle.  Elle  estoit  armée  de  toutes  pièces  excepté  de 
son  heaume,  et  montée  sur  un  cheval  blanc,  faisant  porter 
devant  elle  son  enseigne  de  guerre  par  un  de  ses  escuyers, 
ayant  au  costé  gauche  le  Bastard  d'Orléans,  gouverneur  de  la 
ville.  Et  estoient  suivis  de  plusieurs  autres  seigneurs,  capi- 
taines et  gens  de  guerre. 

Elle  fut  très  bien  receue  par  les  bourgeois  de  la  ville,  avec 
grand  quantité  de  flambeaux,  tous  les  habitants  faisant  pa- 
reille resjouissance  que  s'ils  eussent  veu  un  Ange  descendre 
du  ciel  pour  les  secourir.  Comme  elle  entroit  dans  la  ville, 
ceux  qui  portoient  les  flambeaux  mirent  le  feu  aux  franges 
et  crespines  de  son  estandard  :  ce  qu'ayant  aperceu,  elle 
donna  des  espérons  à  son  cheval  et  brusquement  s'avança 
jusqu'à  celui  qui  portoit  l'cstandart,  si  soudainement  et  de  si 


DE    DÛMREMY    A    COMPIEGNE  103 

bonne  grâce  qu'elle  en  esteignitle  feu  avec  la  main  :  de  quoy 
on  s'esbahyssoit,  la  voyant  si  adextre  (adroite)  et  si  bien  ma- 
nier un  cheval. 

Elle  fut  descendre  à  l'Eglise  cathédrale  d'Orléans,  et,  après 
y  avoir  fait  ses  prières,  [fut]  conduite  en  l'hostel  du  tréso- 
rier du  duc  d'Orléans  nommé  Jacques  Boucher,  où  elle  fut 
receue  avec  son  train,  sçavoir  le  sieur  Dolon,  ses  deux  frères 
et  tous  ses  gens.  xV  son  arrivée,  il  n'estoit  pas  fils  de  bonne 
mère  qui  ne  la  touchoit,  aucuns  lui  baisans  les  mains,  les 
autres  ses  vestements,  et  d'autres  ne  pouvant  en  approcher 
de  plus  près  touchoient  son  cheval. 

A  raison  de  quoy  elle  fut  un  jour  sérieusement  admonestée 
pas;  M"  Pierre  de  Versailles,  docteur  en  théologie,  duquel 
nous  avons  parlé  ci-devant,  qu'elle  se  donnast  bien  garde 
que  telles  caresses  et  applaudissements  n'induisissent  le  peu- 
ple à  idolâtrie. 

Elle  répliqua  estre  assez  marrie  de  cela  et,  autant  qu'elle 
pouvoit,  désiroit  l'empescher.  Recognut  mesme  ingénue- 
ment  que,  si  Dieu  ne  la  préservoit,  elle  tomberoit  en  vaine 
gloire. 

Estant  à  Bourges  logée  chez  la  veuve  du  trésorier  du 
Roy,  quelques  femmes  et  autres  personnes  lui  apportoient 
leurs  chapelets,  marques  et  médailles  pour  les  toucher.  De 
quoy  elle  se  prit  fort  à  rire,  asseurant  qu'eux  mesmes  les 
ayant  desjà  touchées,  elles  avoient  tout  autant  de  vertu  que 
si  elle  lesmanioit.  Et  les  renvoya  ainsi. 

Ses  juges  n'oublièrent  pas  de  la  vouloir  noircir  pour  ce 
que  le  peuple  couroit  ainsi  après  elle,  et  l'interrogeant  sur 
cela,  [elle]  respondit  premièrement  qu'elle  ne  pouvoit  estre 
mal  voulue  de  ceux  de  son  parti  ;  secondement,  les  pauvres 
exceptez  qu'elle  soulageoit  autant  qu'il  lui  estoit  possible, 
estre  assez  marrie  que  d'autres  lui  fissent  tant  de  caresses, 
et,  autant  qu'elle  pouvoit,  l'empeschoit. 

Encore  lui  voulurent-ils  faire  accroire  que,  depuis  sa 
prise,  les  François  de  son  parti  avoient  fait  dire  des  messes 
et  prières  à  son  honneur,  tout  ainsi  que  l'on  fait  aux  saints 
canonisez  que  l'Eglise  révère  et  honore.  Mais  elle  répliqua, 
posé  que  cela  fust  comme  il  n'estoit  pas  véritable,  qu'elle 


104  E.    niCIIER.    L\    PUCELLE    I)  ORLEANS 

n'en  pouvoit  mais,  veu  que  ce  n'estoit  par  son  conseil  ni  de 
son  consentement.  Bien  croyoit-elle  qu'on  faisoit  prier  Dieu 
pour  elle,  et  que  ce  n'estoit  point  mal  fait.  Tant  l'iniquité  de 
ses  juges  fut  extrême  de  vouloir  imputer  à  idolâtrie  les 
prières  que  les  François  faisoient  pour  cette  pauvre  captive  ! 


CHAPITRE   IX 

LA    l'UGKLLE   DANS   ORLÉANS  —   LEVÉE   DU   SIÈGE 

Le  samedi  dernier  d"avril,  lendemain  de  son  arrive'e  à 
Orléans,  la  Piicelle  envoya  sur  le  soir  deux  trompettes  aux. 
Angloispour  les  sommer  de  lui  renvoyer  Guienne  son  héraut. 
Et  le  Bastard  dOrléans  leur  manda  que  s'ils  ne  le  renvoyoient 
sain  et  sauf,  il  feroit  mourir  tous  les  prisonniers  anglois 
qu'il  tenoit  à  Orléans,  et  mesme  les  seigneurs  de  qualité 
qu'on  y  avoit  envoyez  pour  y  traiter  de  la  rançon  des  pri- 
sonniers :  que  le  droit  des  gens  estoit  toujours  demeuré 
saint  et  inviolable,  mesme  entre  les  nations  les  plus  bar- 
bares, qu'à  plus  forte  raison  le  devoit-il  estre  parmi  les- 
Chrestiens.  Ce  qu'entendu,  les  Anglois  donnèrent  liberté  à 
ce  héraut,  avec  charge  expresse  de  faire  entendre  à  la  Pucelle 
qu'elle  estoit  la  p  '....  des  Armagnacs,  qu'elle  retournast 
garder  les  vaches,  et  qu'ils  la  feroient  brusler. 

Le  lendemain,  sur  le  soir,  qui  estoit  un  dimanche  S  cette 
fille  alla  au  boulevard  des  Tournelles  où  les  Anglois  avoient 
fait  une  forte  bastille,  tout  au  bout  du  pont  vers  le  porte- 
reau,  et  adressant  la  parole  au  capitaine  Classidas  et  autres- 
qui  commandoient  en  celte  bastille,  les  exhorta  pour  la 
seconde  fois  de  donner  la  paix  à  la  France,  et  se  retirer  en 
leur  pais  vies  et  bagues  sauves,  qu'autrement  il  leur  mescher- 
roit  en  brief.  Sur  quoy  ils  l'injurièrent  de  plus  belle,  et 
Classidas  enchérissoit  sur  tous  les  autres. 

Le  Bastard  d'Orléans  sortit  le  mesme  jour  avec  forces  pour 
aller  au-devant  des  mareschaux  de  sainte  Sévère  et  de  Rays 

1.  C'est  le  samedi,  non  le  dimanche,  que  la  Pucellc  vint  à  portée  de 
la  bastille  du  pont  et  fut  injuriée  par  Classidas  (Glasdale).  Journal  du 
siège,  p.  79,  édit.  Cuissard. 


106  E.  RinirER.  —  r.A  pucelle  d  orleans 

qui  amenoient  de  Blois  un  second  convoy  de  vivres  du  costé 
de  la  Sologne'.  Et  le  quatriesme  jour  de  mai,  la  Pucelle 
assistée  des  sieurs  de  Villars,  Florent  d'IUiers  et  de  La  Hire, 
sortit  d'Orléans  avec  cinq  cents  hommes  de  guerre  pour 
recevoir  ce  convoy  de  vivres,  lequel  fut  rendu  à  Orléans, 
comme  le  premier  convoy,  sans  aucune  incommodité  et  sans 
que  les  Anglois  y  donnassent  aucun  empeschement  ou  osas- 
sent faire  semblant  de  sortir  de  leurs  forts. 

Certes,  depuis  que  la  Pucelle  fut  arrivée  à  Orléans,  on 
eust  dit  que  les  Anglois  cstoient  assiégez  en  leurs  bas- 
tilles, et  non  pas  qu'ils  tenoient  Orléans  assiégé.  Polydorc 
Virgile,  qui  tiroit  gage  des  Anglois  pour  escrire  leur 
histoire,  voulant  mettre  au  rabais  ce  secours  miracu- 
leux, rapporte  que  la  Pucelle  (soit  qu'elle  eust  trompé  les 
garnisons  angloises,  ou  qu'elle  fust  protégée  de  Dieu),  entra 
de  nuit  à  Orléans,  parmi  les  armes  des  ennemis,  avec  les 
vivres  sans  aucun  empeschement  :  et  que  les  Anglois  cognois- 
sant  l'extrême  famine  qui  travailloitceux  d'Orléans,  faisoient 
négligemment  la  garde,  et  voyans  qu'il  y  estoit  entré  des 
vivres,  se  résolurent  finalement  d'y  donner  un  furieux  assaut  : 
narration  toute  déguisée  et  colorée  à  l'honneur  des  Anglois; 
de  quoy  il  ne  se  faut  esbahyr,  veu  mesme  que  cet  auteur 
asseure  contre  la  vérité  des  propres  actes  que  nous  avons 
des  Anglois,  que  la  Pucelle,  après  avoir  esté  condamnée, 
voulant  prolonger  sa  vie  de  neuf  mois,  feignit  estre  grosse, 
et  qu'elle  fut  gardée  tout  ce  temps  là  et  après  exéquutée.  Or, 
est-il  qu'en  l'espace  de  sept  jours,  ils  ont  prononcé  et  exé- 
quuté  contre  elle  deux  diverses  sentences,  l'une  de  rétracta- 
tion le  25,  et  l'autre  de  mort  le  80  mai  1431,  ainsi  que  nous 
verrons  au  livre  second  ;  et  conséquemment  l'imposture  de 
Polydore  Virgile  demeure  confutée  par  les  propres  actes  du 
procez. 

Certes  la  Pucelle  n'estoit  ^point]  envoyée  de  Dieu  pour 
taverner  la  guerre,  comme  disoient  les  anciens,  mais  pour 
la  faire  ouvei-tcment  et  chasser  de  vive  force  les  Anglois, 

1.  Erreur.  Le  socoml  convoi  se  dirigea  et  cnlra  dans  Orléans,  non 
par  la  roule  de  la  Sologne,  rive  gauche  de  la  Loire,  mais  par  la  route 
de  la  Beauce,  rive  droite. 


DE    UUMREMY    A    COMPIÈGNE  107 

après  avoir  refusé  de  se  retirer  sur  la  sommation  qu'elle  leur 
avoit  faite,  comme  Ion  cognoit  par  tous  les  actes  de  sa  vie. 
Ce  que  pour  faire  entendre,  et  comme  les  Anglois  ont  été 
contraints  à  force  d'armes  de  lever  le  siège  d'Orléans,  et  en 
quel  estât  estoit  cette  ville  quand  la  Pucelle  y  arriva,  nous 
en  représenterons  ici  le  plan. 

Orléans  en   1429 

Elle  est  bastie  sur  un  haut  qui  est  un  peu  en  pente  vers  la 
rivière  de  Loire  qui  l'arrose  du  costé  du  midi  K  Au  septen- 
trion est  la  porte  Banière  (Bannier),  du  costé  de  Paris  ;  à 
l'orient,  celle  de  Bourgogne  ;  au  midi,  la  porte  du  Pont,  joi- 
gnant laquelle  est  la  porte  de  la  Faux,  autrement  la  porte  du 
port,  au  bout  de  quel  port  est  l'église  Saint-Laurent  qui  est 
une  paroisse.  A  l'occident  est  la  porte  de  la  Magdeleine. 

Et  faut  sçavoir  que,  depuis  le  siège,  la  ville  a  esté  grande- 
ment accrue  et  que  l'on  y  a  enclos  les  faubourgs.  Les  Anglois 
l'avoient  entourée  (sur  la  rive  droite)  de  sept  forts  ou  bas- 
tilles bien  flanquées  et  retranchées,  qui  s'entre-secouroient 
l'une  l'autre  :  ayans  fait  rompre  tous  les  chemins,  mo3'en- 
nant  certains  retranchements  qui  servoient  comme  de  ligne 
de  communication.  Du  costé  de  la  Sologne  il  y  avoit  trois 
forts,  car  au-dessus  d'Orléans,  au  plus  haut  de  la  rivière 
[sur  la  rive  gauche],  ils  avoient  fortifié  l'Eglise  de  Saint- 
Jean-le-Blanc  où  sont  aujourdhuy  les  Capucins,  et  plus  bas, 
tout  au  bout  du  pont  d'Orléans,  avoient  fait  une  grande  et 
forte  bastille,  bien  remparée  de  gros  boulevards,  larges  et 
profonds  :  bastille  qu'on  tenoit  lors  comme  imprenable,  et 
lui  avoient  imposé  le  nom  de  Londres,  se  vantant  qu'elle 
seroit  aussi  malaisée  à  tirer  de  leurs  mains  que  la  ville  de 
Londres,  capitale  d'Angleterre. 

A  la  porte  de  Bourgogne  ils  avoient  basti  un  fort  qu'ils 
appeloient  Saint-Loup,  parce  qu'il  estoit  proche  de  l'Eglise 

1.  Celte  description  d'Orléans  en  1 1±)  est  Uvs  insuffisante  et  inexacte. 
Par  exemple,  la  bastille  do  Londres  que  Richer  place  sur  la  rive  gau- 
che avec  celle  de  Saint-.Joan-le-Blanc  était  sur  la  rive  droite  vers  la 
Croix-Morin.  Xo'ir  Y  Histoire  du  sièffe  d'Orléans  par  le  chamoine  Dubois, 
in-8»,  Orléans  1894,  et  notre  Histoire  complète,  t.  U,  chap.  xm,  xiv. 


lU»  E.    RICHER.    LA    PUCELLE    D  ORLEANS 

Saint-Loup  qui  est  un  couvent  de  religieuses.  Semljlable- 
ment,  à  la  porte  Bannière,  proche  de  Saint-Lazare  et  de 
Saint-Paterne,  une  autre  bastille  secouroit  celle  de  Saint- 
Loup,  et  l'appeloient  Paris,  attendu  qu'elle  estoit  devers 
Paris,  et  donnoit  aussi  secours  à  celle  qui  estoit  h  l'occident, 
où  est  aujourd  hui  la  porte  de  la  Magdeleine,  laquelle  bastille 
ils  appeloient  Rouen,  et  faisoit  espaule  à  celle  de  Saint-Lau- 
rent qui  est  sur  le  port  d'Orléans  vers  l'occident. 

Tous  lesquels  forts  et  leur  situation  monstrent  qu'il  estoit 
impossible  humainement  de  secourir  Orléans  avec  le  peu  de 
forces  que  le  Itoy  avoit  alors.  Mais  incontinent  que  ces 
vivres  et  gens  de  guerre  furent  rendus  à  Orléans  en  toute 
seureté,  les  seigneurs  et  capitaines  qui  ne  se  fioient  et  asseu- 
roient  pas  à  ce  que  disoit  la  Pucelle,  tinrent  conseil  à  son 
desceu  (insu)  et  d'autant  que  la  ville  estoit  bien  munie  de 
vivres  et  de  toutes  choses  nécessaires,  résolurent  qu'on  ne 
hasarderoit  rien,  et  que  l'on  attendroit  encore  de  nouvelles 
forces  pour  contraindre  l'ennemi  de  lever  le  siège  ;  car  de 
toutes  parts  le  Roy  s'efforçoit  de  faire  des  levées. 

Le  sieur  de  Gaucour,  gouverneur  du  Dauphiné  et  grand 
maistre  de  l'hùtel  du  Roy,  eut  charge  de  garder  la  porte  de 
Bourgogne  et  de  ne  laisser  sortir  personne  ;  car  les  mains 
démangeoient  à  toute  l'infanterie  qui  brusloit  du  désir  de 
combattre,  comme  faisoit  pareillement  la  Pucelle  pour  faire 
cognoistre  les  signes  de  sa  mission.  Et  dès  le  grand  matin, 
un  bon  nombre  de  nos  arbalestriers,  c'estoient  les  gens  de 
pied  de  ce  temps-là,  sortirent  par  des  poternes  et  allèrent 
donner  l'alarme  à  la  bastille  de  Saint-Loup  où  plusieurs 
furent  blessez.  De  quoy  la  Pucelle  eut  advis  par  son  conseil, 
et  tança  fort  ses  escuyers,  leur  faisant  reproche  que  pen- 
dant qu'ils  dormoient  à  la  françoise,  l'ennemi  avoit  espandu 
le  sang  des  François.  Elle  se  fit  vistement  armer,  monta  à 
cheval,  demandant  son  estandard  qui  lui  fut  baillé  par  la 
fenestre  d'une  chambre  haute  où  elle  logeoit,  et  courut  à  la 
porte  de  Bourgogne  de  telle  roideur  que  son  cheval  faisoit 
sortir  le  feu  du  pavé.  Le  sieur  de  Gaucour  ne  put  jamais 
cmpescher  qu'elle  ne  fist  sortir  avec  elle  quelques  hommes, 
partie  d'arbalestiers,  partie  de  cavaliers,  à  la  teste  desquels 


DE    DOMUEMY    A    COMPIEGNE  109 

s'estanl  mise,  son  ostandart  en  main  toul  déployé,  fui  teslc 
baissée  donner  l'assaut  à  la  bastille  de  Saint  Loup  où  elle 
rencontra  plusieurs  de  nos  gens  blessez. 

Les  seigneurs  voyans  qu'on  ne  l'avoit  pu  empcvscher  de 
sortir,  la  suivirent  incontinent,  et  comme  oh  assailloit  cette 
bastille,  le  mareschal  de  Boussac,  de  Rays,  le  sieur  de  Gra- 
ville  et  autres  au  nombre  de  six  cens  cavaliers  s'avancèrent 
du  costé  de  la  bastille  de  Saint-Ladre.  Et  les  Anglois  qui  y 
estoient  en  garnison,  assistez  de  quelques  autres  troupes 
qu'on  leur  avoit  envoj^ées  de  renfort,  ayant  voulu  faire  une 
sortie  pour  secourir  ceux  de  Saint-Loup,  furent  repoussez, 
tellement  que  à  leur  barbe  cette  bastille  fut  enlevée,  desmolie 
et  bruslée. 

L'assaut  dura  plus  de  quatre  grosses  heures  :  et  demeurè- 
rent morts  sur  la  place  cent  quatorze  Anglois,  et  des  prison- 
niers au  nombre  de  plus  de  deux  cents.  La  Pucelle  sauva  les 
gens  d'Eglise  anglois  qui  se  trouvèrent  en  cette  bataille, 
s'estans  présentez  à  elle  revestus  de  leurs  habits  et  ornements 
d'Eglise,  et  les  amena  à  Orléans  quant  et  soy,  les  fit  bien 
traiter  et  après  les  renvoya  sains  et  saufs,  prenant  mesme  le 
soin,  quand  elle  rencontroit  quelque  soldat  anglois  blessé, 
de  le  faire  confesser  et  advertir  de  son  salut,  et  demander 
pardon  à  Dieu,  exerçant  toutes  sortes  de  bons  offices  et 
œuvres  de  charité  en  leur  endroit,  ce  qu'ils  n'ont  pas  fait  au 
sien. 

Le  jeudi,  cinquiesme  mai,  jour  de  l'Ascension  de  Nostre 
Seigneur,  fut  tenu  conseil  entre  la  Pucelle,  le  Bastard  d'Or- 
léans, les  marcschaux  de  Boussac  et  de  Rays,  Poton,  La  Hire, 
Ambroise  de  Loré,  etc.,  et  conclu  que  le  lendemain  au  matin, 
on  passeroit  la  rivière  pour  donner  l'assaut  aux  trois  bas- 
tilles qui  estoient  devers  la  Sologne,  afin  de  rendre  le  passage 
libre  de  ce  costé-là,  passage  que  les  Anglois  avoient  le  plus 
avantageusement  fortifié,  sçachant  bien  que  c'estoit  de  cette 
part  que  ceux  d'Orléans  pourroient  tirer  secours  de  Sa 
Majesté. 

Donc  le  vendredi,  sixiesme  mai,  avant  que  le  soleil  fust 
levé,  nostre  Pucelle  s'estant  tenue  preste,  dit  à  son  hoste 


110  E.    RICHE».    —    LA    PUCELLE    D  ORLEANS 

qu'elle  leur  apporleroildc  bonnes  nouvelles  et  qu'elle  lenlre- 
roit  en  la  ville  par  dessus  le  pont  '  :  qui  estoit  à  dire  que  les 
bastilles  seroienl  prises,  comme  il  fut.  Elle  sortit  d'Orléans, 
assistée  d'environ  trois  à  quatre  mille  hommes  de  guerre  qui 
passèrent  la  rivière  en  bateau  entre  Saint-Loup  et  la  tour 
neufve,  et  allèrent  premièrement  attaquer  la  bastille  de  saint 
.lean-le-Blanc.  La  Pucelle  fit  crier  par  ses  hérauts  qu'on  ne 
fist  aucun  tort  aux  Eglises  ni  aux  ecclésiastiques. 

La  garnison  de  ce  fort  voyant  les  François  teste  baissée 
venir  à  eux,  le  quitta  soudainement  et  se  retira  partie  en  la 
bastille  des  Tournelles,  partie  au  fort  des  Augustins  où  les 
Anglois  combattirent  vaillamment,  mais  à  la  fin  furent 
forcez  et  contrains  de  se  rendre.  Et  sur  le  soir,  les  nostres 
passsèrentà  la  bastille  des  Tournelles  pour  faire  leurs  appro- 
ches et  préparatifs,  afin  qu'au  lendemain  matin,  septiesme 
mai,  on  assaillit  cette  bastille  munie  de  toute  sorte  d'artillerie, 
de  vivres  et  autres  choses  nécessaires,  et  de  cinq  à  six  cens 
hommes  de  guerre  d'eslite  comn)andez  par  Classidas  et 
autres  vaillans  capitaines  Anglois,  lesquels,  ainsi  que  nous 
avons  desjà  remarqué,  n'eurent  jamais  plus  de  braves  hom- 
mes qu'ils  avoient  lors,s'estans  rendus  capables  par  les  guerres 
continuelles  qu'ils  avoient  eu  avec  les  nostres  depuis  la  prise 
du  Roy  Jean. 

Or,  la  Pucelle  avec  l'armée  campa  et  demeura  toute  la  nuit 
devant  cette  bastille-.  Et  le  Bastard  d'Orléans  repassa  en  la 
ville  à  deux  fins  :  premièrement,  pour  donner  l'ordre  que 
l'on  fist  bon  guet  et  que  l'on  se  gardast  de  surprise  au  dedans, 
pendant  qu'on  travailloit  pour  enlever  aux  Anglois  leurs 
dehors;  et  d'ailleurs,  pour  establir  commissaires  afin  d'en- 
voyer tout  ce  qui  seroit  nécessaire  aux  gens  de  guerre  qui 
tenoient  la  bastille  assiégée  car  on  ne  pensoit  pas  qu'elle 
dust  estre  si  tost  emportée.  Et  d'autant  que  ceux  d'Orléans, 
pour  empescher  que  les  Anglois  n'approchassent  plus  près 
de  leur  ville,  avoient  fait  rompre  plusieurs  arches  du  pont, 

i.  C"est  le  .saiiK^di  7  mai,  non  le  vendredi,  que  Jeanne  tint  ce  propos 
à  son  hôte. 

2.  Erreur  :  Jeanne  rentra  dans  Orléans  et  y  passa  la  nuit  du  ven- 
dredi au  samedi. 


DE    DOMIÏEMV    A    COMl'IEC.NE 


ils  firent  mettre  des  pièces  de  bois  pour  passer  par  dessus 
les  arches.  Et  le  premier  de  tous,  Nicolas  de  Giresme,  com- 
mandeur de  Rhodes,  se  hasarda  de  passer  par  dessus  une 
pièce  de  bois  fort  estroite,  ne  voulant  attendre  qu'il  y  en 
eust  d'autres,  tant  le  désir  qu'il  avoit  d'estre  à  l'assaut  estoit 
grand.  Toute  la  nuit,  ceux  d'Orléans  couroient  à  la  file  pour 
soutenir  leurs  gens  do  tout  ce  qu'ils  avoient  besoin,  vivres  et 
autres  choses. 

Le  soleil  ne  fut  pas  si  tost  levé  qu'on  sonna  pour  aller  à 
l'assaut,  et  la  Pucelle  selon  sa  coustume  se  mit  à  la  teste,  son 
estandart  à  la  main,  et  s'avança  sur  le  fossé,  et  prist  une 
échelle  pour  la  dresser  contre  le  boulevard,  donnant  courage 
aux.  François.  Mais  à  bien  assailli  bien  deffendu  :  et  fut-on 
jusque  sur  le  vespre  à  combattre,  et  la  Pucelle  atteinte  et 
blessée  entre  le  col  et  les  espaulesd'un  trait  d'arbaleste  qu'ils 
appeloient  vireton. 

Le  coup  entamoit  la  chair  de  plus  d'un  doigt  d'espaisseur, 
et  en  longueur  d'un  demi-pied  :  blessure  de  laquelle  elle 
avoit  eu  advis  par  ses  voix,  et  en  quinze  jours  fut  guérie, 
sans  jamais  discontinuer  pour  cela  d'aller  à  cheval  et  faire  la 
faction. 

Le  Bastard  d'Orléans  la  voyant  toute  en  sang,  et  que  les 
Anglois  se  defïendoient  si  vaillamment,  et  qu'il  estoit  desjà 
fort  tard,  vouloit  faire  sonner  la  retraite.  Ce  que  la  Pucelle 
empescha  disant  qu'ils  eussent  courage,  continuassent  l'as- 
saut, et  que  la  victoire  leur  estoit  tout  acquise.  Elle  donna 
son  enseigne  à  un  gentilhomme,  lui  en  chargea  expressé- 
ment de  l'advertir  quand  la  queue  tourneroit  vers  le  boule- 
vard des  Anglois.  Cependant  elle  se  retira  à  l'escart  en  une 
vigne  proche,  afin  de  prier  Dieu  et  panser  sa  plaie,  son  cha- 
pelain avec  elle,  ainsi  qu'il  a  déposé.  Et  cette  fille  pleuroit  et 
gémissoit,  craignant  que  sa  blessure  ne  fist  perdre  courage 
aux  gens  de  guerre,  et  qu'ils  n'eussent  plus  de  créance  en 
elle,  ne  plus  ne  moins  que  si  elle  n'eust  pas  esté  envoyée  du 
ciel.  Mais  Dieu  avoit  permis  cela  pour  l'humilier  et  la  tenir 
en  son  devoir,  tout  ainsi  qu'il  voulut  que  saint  Paul  ressentit 
des  infirmitez  de  la  nature  humaine  parmi  tant  d'autres 
grâces  qu'il  lui  avoit  départies. 


112  E.    RICIIER.    LA    l'UCELLE    D  OllLÉAXS 

Un  cei'lain  gentilhomme  voulut  charmer  sa  playe. 

—  A  Dieu  ne  plaise,  dit-elle.  J'aymerois  mieux  mourir  de 
mille  morts  que  de  permettre  qu'on  usast  d'aucune  sorce- 
lerie  en  mon  endroit,  ni  de  mon  consentement. 

On  y  appliqua  seulement  de  l'huile  et  du  lard  vieil. 
Celui  auquel  elle  avoit  donné  en  garde  son  cstandait  lui 
dit: 

—  Jeanne  (car  on  ne  l'appeloit  point  aulrement),  vostre 
estandart  et  toutes  les  enseignes  et  panonceaux  de  rarmée 
sont  tournés  du  costé  du  boulevard. 

Alors  elle  s'escria  que  la  victoire  estoit  à  eux,  qu'ils  allas- 
sent hardiment  à  l'assaut.  Le  sieur  Uolon,  son  gouverneur, 
dit  à  un  gentilhomme  Basque,  vaillant  de  sa  personne,  qu'il 
prist  l'enseigne  de  la  Pucelle  et  qu'il  s'advançast  quant  et 
lui  pour  la  porter  sur  le  boulevard.  Cette  fille  qui  relournoit 
de  faire  ses  prières  et  de  panser  sa  playe,  voyant  qu'on 
emportoit  son  estandart  sans  l'attendre,  et  ne  sçachant  pas 
que  ce  fust  le  sieur  Dolon  et  ceux  de  sa  compagnie,  couroit 
après  eux  criant  :  Mon  estandart,  mon  estandart  !  Et  les  ayant 
atteints,  les  .Vnglois  furent  assaillis  de  telle  révolution  qu'ils 
succombèrent  à  la  valeur  des  François  et  tous  mis  au  fil  de 
l'espée  ou  noyez,  aucuns  exceptez  qui  évitèrent  la  fureur  des 
gens  de  guerre.  Et  Glassidas  qui  avoit  honni  la  Pucelle  d'in- 
jures plus  que  tout  autre,  chose  indigne  d'un  grand  capi- 
taine et  d'un  homme  d'honneur,  fut  submergé  avec  les  sieurs 
de  Moulins,  de  Pommier,  le  bailly  de  Mantes  et  maints  autres 
de  qualité  et  de  remarque  :  lesquels  s'estant  retirez  en  une 
tourelle  en  laquelle  on  mit  le  feu,  pensans  se  sauver  par  le 
pont,  il  fondit  sous  eux  et  tombèrent  dans  la  rivière  tous 
armez. 

Les  prisonniers  racontèrent  que  durant  l'assaut,  il  leur 
sembloit  voir  tout  le  monde  armé  à  leur  ruine,  et  qu'il  ne 
leur  restoit  aucun  moyen  de  se  deffendre  contre  un  si  puis- 
sant assaut.  Mesme  aucuns  pensoient  voir  des  anges  en  l'ar- 
mée combattre  pour  les  François.  Le  duc  d'Alençon  tesmoigne 
avoir  ouy  dire  aux  chefs  de  guerre  et  seigneurs  qui  estoient 
à  l'assaut  en  cette  bastille  qui  avoit  esté  prise  en  un  jour, 
que  c'estoit  vrayment  un  miracle  (comme  le  comte  de  Dunois 


DE    DOMREMY    A    CÛMPIEGNE  113 

l'a  pareillomenl  certifié),  et  que,  le  siège  d'Orléans  estant 
levé,  lui  mesme  voulant  recognoistre  ce  qui  en  estoit,  en 
visita  tous  les  forts,  principalement  cette  bastille  du  pont. 
Kt  s'osbahissoit  comme  on  l'avoit  pu  emporter  en  si  peu  de 
temps,  estant  si  bien  retranchée  et  flanquée  de  gros  ravelins 
et  profonds  fossez,  munie  de  toutes  choses  nécessaires  : 
asseurant  qu'avec  bien  peu  de  gens  il  eust  voulu  entrepren- 
dre de  la  garder  au  moins  l'espace  de  six  ou  sept  jours  contre 
la  plus  puissante  armée  qui  se  pourroit  présenter. 

Toute  la  nuit  les  gens  de  guerre  demeurèrent  sur  le  champ 
de  bataille  pour  le  garder  en  signe  de  victoire,  et  recognois- 
tre si  les  Anglois  qui  restoient  aux  autres  forts  et  estoient  en 
garnison  aux  villages  et  autres  lieux  circonvoisins  d'Orléans, 
voudroient  point  faire  quelque  effort  pour  avoir  leur  revan- 
che; mais  ils  prinrent  bien  une  autre  résolution,  ainsi  que 
nous  verrons.  Quant  à  la  Pucelle,  à  cause  de  sa  blessure,  elle 
se  retira  dans  la  ville  pour  estre  pansée,  et  repassa  par 
dessus  le  pont,  ainsi  qu'elle  avoit  prédit  à  son  hoste,  et  ne 
mangea  aucune  autre  chose  que  du  pain  avec  du  vin  bien 
trempé,  ores  toutefois  qu'on  lui  eust  fait  présent  d'une 
grosse  alose  toute  vive  qu'on  avoit  prise  dans  la  rivière  de 
Loire. 

Ses  juges  lui  firent  divers  interrogatoires  sur  la  levée  du 
siège  d'Orléans,  et  entre  autres  choses  lui  imputèrent  calom- 
nicusement  qu'elle  s'estoit  vantée  parmi  les  gens  de  guerre 
de  recevoir  avec  la  main  ou  en  son  giron  les  boulets  d'artil- 
lerie et  les  traits  d'arbalestc.  Ce  qu'elle  leur  nia  tout  à  plat, 
et  respondit  avoir  bien  sceu  qu'elle  seroit  blessée,  et  mesme 
qu'elle  avoit  adverti  son  Roy  ;  davantage,  qu'il  y  eut  plus  de 
cent  hommes  de  guerre  de  navrez  à  cet  assaut.  Bien  reco- 
gnut-elle  avoir  asseuré  toute  l'armée  du  Roy  que  le  siège 
d'Orléans  seroit  levé  et  les  Anglois  contrains  de  se  retirer. 

De  vérité,  les  armes  qu'elle  portoit,  tout  ainsi  que  les 
autres  gens  de  guerre,  monstrent  assez  qu'elle  n'usoit  d'au- 
tres moyens  que  naturels  pour  se  conserver,  et  n'avoit  cette 
folle  opinion  de  ne  pouvoir  estre  blessée.  Car  jamais  ne  s'est 
exposée  aux  périls  de  la  guerre  que  bien  et  fortement  armée 
de  toutes  pièces,  tout  ainsi  que  les  autres  cavaliers. 


il4  E.    RIGHF.U.    LA    PUCELLE    d'oRLÉANS 

Les  Anglois  voyans  la  ville  d'Orléans  libre  du  costé  de  la 
Sologne  et  de  la  porte  de  Bourgogne,  jugèrent  bien  que  le 
siège  n'estoit  plus  tenable.  Et  les  François,  de  grand  matin, 
à  soleil  levant,  sortirent,  la  Pucelle  portant  son  enseigne  à 
leur  teste,  en  intention  de  combattre  les  Anglois  au  cas  qu'ils 
voulussent  entreprendre  quelque  chose.  Elle  fit  venir  des 
prestres  pour  célébrer  la  messe  au  milieu  de  l'armée,  car 
c'estoit  le  dimanche  huitiesme  mai.  Et  cependant  les  Anglois 
se  rangèrent  en  bataille  du  costé  de  la  Beausse,  comme  firent 
pareillement  les  François  qui  brusloient  du  désir  de  com- 
battre. Mais  la  Pucelle  aj-ant  veu  qu'ils  battoient  aux  champs 
et  marchoient  en  bataille  pour  faire  leur  retraite,  devers 
Meung-sur-Loire  : 

—  En  nom  Dieu,  dit- elle,  c'est  aujourd'huy  le  saint 
dimanche.  S'ils  eussent  fait  contenance  de  nous  assaillir, 
nous  les  eussions  combattus.  Mais  puisqu'ils  se  retirent,  lais- 
sons-les aller  et  nous  rendons  à  la  ville  pour  faire  actions  de 
grâces  à  Nostre-Seigneur  de  ce  qu'il  lui  a  plu  délivrer  Orléans 
d'en  si  grand  et  extrême  péril. 

Comme  il  futexéquuté;  car  on  lit  ce  jour-là  une  procession 
générale  pour  remercier  Dieu  de  la  levée  du  siège  et  de  la 
victoire  rempoitée  sur  les  ennemis  Et  depuis  ce  temps,  à 
mesme  jour  huitiesme  mai,  en  mémoire  de  la  levée  du  siège, 
les  habitants  d'Orléans  ont  tousjours  continué  de  faire  cette 
procession.  Semblablement  aussi,  l'on  rendit  grâces  à  Dieu 
par  toutes  les  villes  qui  estoient  en  l'obéissance  du  Boy. 

Nos  gens  gagnèrejit  à  la  levée  de  ce  siège  plusieurs  pièces 
de  grosse  artillerie  ou  mortiers  qu'ils  appeloient  bombardes, 
et  autre  attirail  que  les  Anglois  ne  purent  emmener,  outre 
grand  quantité  de  vivres  et  munitions  dont  leurs  bastilles 
estoient  bien  fournies. 

Le  sieur  de  Taliebot  tenoit  un  seigneur  François  fort  vail- 
lant de  sa  personne,  nommé  le  Bourg  de  Bar,  prisonnier  les 
fers  aux  pieds,  et  en  attendoit  grosse  rançon.  Il  l'avoit  donné 
en  garde  à  un  religieux  Augustin  Anglois  qui  estoit  son  con- 
fesseur. Ce  seigneur  voyant  les  Anglois  se  retirer,  subtil  qu'il 
estoit  et  bien  entendu  au  fait  de  la  guerre,  pria  l'Augustin  de 
lui  nyder  à  suivre  1  armée  anglaise  pas  à  pas,  attendu  qu'il 


DE    DOMREMY   A    COMl'IÈGNE  H5 

avoit  les  fers  aux  pieds.  Et  l'Augustin  lui  aydant  à  marcher, 
finalement  ce  seigneur  se  voyant  esloigné  des  Anglois,  il  con- 
traignit l'Augustin  de  le  porter  sur  ses  espaules  jusques  à 
Orléans  et  sauva  ainsi  sa  rançon.  L'Augustin  fut  bien  traité 
et  renvoyé  à  Tallebot  :  chascun  prenant  plaisir  de  voir  ce 
spectacle  à  la  levée  du  siège. 

Le  samedi,  quatorziesme  mai,  veille  de  la  Pentecoste,  la 
nouvelle  de  cette  victoire  fut  portée  à  Lyon  où  le  Te  Deum 
fut  solennellement  chanté^  et  M*-'  Jean  Gerson,  chancelier  de 
l'Université  de  Paris,  qui  s'étoit  là  réfugié  à  cause  que  les 
Anglois  tenoient  Paris,  composa  ce  jour-là  mesme  un  docte 
traité  latin  en  faveur  des  actes  miraculeux  de  la  Pucelle, 
voulant  rendre  tesmoignage  de  son  affection  au  bien  de  sa 
patrie  et  service  de  son  prince  :  lequel  traité  est  produit  en  la 
revision  du  procez,  à  la  fin  duquel  est  narré  que  la  veille  de 
Pentecoste  estoit  le  neufviesme  may,  qui  est  une  erreur  de 
scribe  ou  copiste,  car  le  siège  d'Orléans  fut  levé  dimanche 
d'après  l'Ascension,  huitiesme  mai,  et  samedi  d'après,  qua- 
torziesme, estoit  la  veille  de  Pentecoste. 

Monstrelet  a  escrit  que  les  Anglois  perdirent  huit  mille 
hommes  à  ce  siège,  chose  véritable,  comprenant  les  pertes 
qu'ils  firent  à  Jargeau  et  à  la  journée  de  Patay  K 

1.  Même  en  comprenant  toutes  ces  pertes,  on  estime  aujourd"liui 
cotte  évaluation  exagérée. 


CHAPITRE  X 

CAMPAGNE   DE   LA   LOIRE 

La  Pucelle  voyant  le  siège  d'Orléans  levé,  ne  voulant  pas 
perdre  une  minute  de  temps,  quoyque  blessée,  partit  d'Or- 
léans le  lundi  neufviesme  may  pour  aller  rendre  compte 
à  sa  Majesté,  qui  estoit  à  Loches  \  de  ce  qui  s'estoit  passé  à 
la  levée  du  siège  et  assaut  des  bastilles.  Elle  fut  accompagnée 
du  maréchal  de  Rays,  du  Bastard  d'Orléans,  du  baron  de  Cou- 
lonces  et  autres  seigneurs.  Au  partir  d'Orléans,  tous  les  habi- 
tants pleuroient  de  joie,  remerciant  afïectueusement  cette 
héroïque  vierge,  avec  offres  de  leurs  personnes  et  moyens  : 
dont  elle  les  remercia,  ne  demandant  autre  chosç  que  leurs 
prières  envers  Dieu  et  bonne  affection. 

Arrivée  qu'elle  fut  devant  le  Roy,  elle  s'agenouilla,  l'em- 
brassant par  les  jambes,  et  lui  dit  :  «  Gentil  Dauphin,  voilà 
le  siège  d'Orléans  levé  :  qui  est  la  première  chose  dont  jay 
eu  commandement  de  la  part  du  Roy  du  Ciel  pour  le  bien  de 
votre  service.  Reste  maintenant  à  vous  mener  à  Rheims  en 
toute  seureté  pour  y  estre  sacré  et  couronné.  Ne  faites  aucun 
doute  que  vous  n'y  soyez  très  bien  receu,  et  qu'après  cela  vos 
affaires  n'aillent  tousjours  prospérans  et  que  tout  ce  que 
jay  eu  ordre  de  la  part  du  Roy  du  Ciel  de  vous  dire  n'arrive 
en  temps  et  lieu.  » 

Le  Roy  lui  fit  un  très  grand  accueil  et  pareillement  toute 
la  cour,  comme  à  l'envy  :  ainsi  qu'on  voit  arriver  que  l'affec- 
tion des  subjects  incline  ordinairement  où  pend  celle  de  leur 

1.  GcUo  audience  de  Loches  n'eul  lieu  (lue  plus  lard.  La  Pucelle  vit 
le  roi,  à  Tours,  le  l.'i  mai.  De  Tours.  Ciiarles  VII  remmena  au  château 
de  Loches.  (Voir  Histoire  complète  de  Jeanne  d'Arc,  t.  ll.chap.  xviii.) 
D'après  Eberhard  Windecke.  «  elle  resta  auprès  du  roi  jusqu'après  le 
vingl-troisièmc  jour  de  mai.  »  l'rocès,  t.  IV.  p.  497. 


DE    DOMREMY    A    COMPIEGNE  H7 

prince;  et  en  outre  chascun  l'admiroit  pour  ses  propres 
mérites. 

Sur  celte  proposition  d'aller  à  Rheims  fut  tenu  conseil 
entre  tous  les  seigneurs  et  chefs  de  guerre  en  présence  du 
lloy,  pour  délibérer  et  dire  ce  qui  leur  en  sembloit.  Aucuns 
furent  d'advis  qu'on  tirasl  la  guerre  en  Normandie,  possédée 
entièrement  par  les  Anglois,  tout  ainsi  que  Scipion,  pour 
retirer  Annibal  de  l'Italie,  la  transporta  en  Afrique.  Les 
autres  remonstroient  qu'il  valoit  mieux  prendre  les  villes 
que  les  Anglois  occupoient  sur  la  rivière  de  Loire  pour  la 
rendre  libre  jusques  à  Lyon. 

Et  tous  unanimement  disoient  qu'il  n'y  avoit  aucune  raison 
de  penser  au  voyage  de  Rheims,  veu  qu'il  estoit  trop  embar- 
rassé et  périlleux  ;  que  tout  le  païs  par  où  il  falloit  passer  de 
proche  en  proche  estoit  ennemi,  et  toutes  les  villes,  chas- 
teaux  et  fortes  places  munies  de  grosses  garnisons  Angloises 
ou  Bourguignonnes  ;  qu'il  faudroit  former  autant  de  sièges 
qu'on  rencontreroit  de  villes  et  de  forts,  pour  se  faire  pas- 
sage, mesme  sur  les  rivières  de  Seine,  d'Ionne  et  de  Marne; 
que,  pour  ce  faire,  il  estoit  besoin  d'un  grand  attirail  de 
munitions  et  d'artillerie,  qu'il  estoit  impossible  de  trainer  à 
ce  voyage,  veu  la  grande  despense  nécessaire  à  cet  effet,  le 
Roy  manquant  de  finance  et  des  choses  nécessaires  ;  d'ailleurs 
qu'en  païs  tout  ennemi,  les  vivres  et  l'argent  manqueroient  au 
Roy  et  à  son  armée,  considéré  mesme  la  grande  disette  qui 
estoit  lors,  parce  que  les  laboureurs  ne  pouvoient  librement 
cultiver  les  terres  ni  semer,  à  cause  des  ravages  que  faisoient 
les  gens  d'armes;  que  le  Roy  pourroit  tout  à  son  aise,  après 
avoir  j-angé  ses  ennemis  à  la  raison,  se  faire  sacrer  et  cou- 
ronner ;  que  sans  cela  les  François  ne  laissoient  pas  de  le 
tenir  et  recognoistre  pour  leur  Roy  légitime  et  naturel.  Rai- 
sons fort  fréquentes  qui  esmouvoient  tout  le  monde  et  le  Roy 
mesme  :  ne  considérans  pas  que  Dieu  voulant  faire  quelques 
merveilles,  il  permet  que  les  affaires  viennent  à  un  tel  point 
auquel  humainement  on  ne  puisse  remédier,  afin  de  faire 
recognoistre  aux  hommes  sa  main  toute  puissante  et  leur 
oster  tout  subject  de  se  glorifier. 

Ur,  attendu  les  intrigues  et  perplexités  où  le  conseil  du 


118  E.  lUCHER.  —  I-A  PUCELLE  D  OKLEANS 

Uoy  e&toit,  Sa  Majesté  se  retira  en  son  cabinet  sans  rien  con- 
clure, assisté  de  messire  Christophe  de  Harcour,  de  son  con- 
fesseur, (futur)  évesque  de  Castres  ^  et  du  sieur  de  Trêves,  lequel 
peu  auparavant  estoit  chancelier  et  avoit  quitté  cette  charge 
à  cause  de  sa  vieillesse.  Et  comme  ils  devisoient  ensemble- 
ment  de  cette  affaire,  desirans  fort  sçavoir  ce  que  le  conseil 
de  la  Pucelle  lui  suggèreroit  en  cez  difficultez,  et  hésitans  par 
quel  moyen  on  lui  en  parleroit,  elle  advertie  par  ses  voix 
alla  droit  frapper  à  la  porte  du  cabinet,  et  lui  ayant  esté 
ouverte,  prévint  sa  Majesté  disant  : 

—  «  Noble  Dauphin,  ne  tenez  plus  de  si  longs  conseils, 
mais  préparez-vous  pour  vous  acheminera  Rheimsrecepvoir 
une  digne  couronne,  symbole  et  marque  de  la  réunion  de 
votre  Estât  et  de  tous  vos  subjects  à  votre   obéissance.   » 

Sa  Majesté  et  ceux  qui  estoient  ayec  lui  fort  estonnez  de 
l'entendre  ainsi  parler,  l'Evesque  de  Castres  demanda  à  la 
Pucelle  si  elle  avoit  sceu  de  quoy  l'on  traitoit  au  conseil  du 
Roy. 

Elle  répliqua  que  ses  voix  l'en  avoient  advertie. 

Ce  prélat  la  requist  vouloir,  en  la  présence  de  sa  Majesté  et 
pour  l'asseurer  davantage,. déclarer  par  quels  moyens  ses 
voix  se  communiquoient  à  elle  et  lui  faisoient  entendre  les 
choses  desquelles  elle  ne  pouvoit  humainement  avoir  cognois- 
sance. 

Elle,  rougissant  d'une  pudeur  virginale,  respondit  que 
voyant  ceux  avec  lesquels  elle  traitoit  faire  difficulté  de  la 
croire,  elle  se  retiroit  en  quelque  lieu  seci'et  pour  faire  ses 
prières,  gémissant  et  se  plaignant  de  ce  qu'on  ne  lui  avoit 
aucune  créance  ;  et  qu'alors  elle  entendoit  une  voix  qui  lui 
disoit  :  «  Fille  de  Dieu,  va,  va,  je  seray  à  ton  ayde.  >)  Que  par 
cette  voix  elle  demeuroit  toute  ravie  et  tellement  comblée, 
qu'elle  eust  bien  voulu  estre  toujours  avec  cette  voix,  ainsi 
que  nous  avons  dit  ailleurs. 

Et  ce  narré  est  la  propre  déposition  du  duc  de  Longue- 
ville,  Bastard  d'Orléans,  lequel  estoit  au  conseil  du  Roy  avec 


1.  Gérard  Machct.  Il  ne  fui  évoque  de  Castres  qu'après  la  mort  de  la 
Pucelle.  [Gallia  chrisliana,  t.  I,  col.  73.) 


DE    DOMREMV    A    COMPIÈGNE  119 

tous  les  autres  seigneurs  et  capitaines  qui  délibéroient  sur  le 
fait  du  voyage  de  Rheiuis  et  le  tenoient  autant  impossible  que 
seroit  laprisedeConstantinople  '-.  Mais  le  Hoy  ayant  entendu 
la  Pucelle  ainsi  parler  envoya  tout  sur-le-champ  Tévesque 
de  Castres  et  le  sieur  de  Trêves  faire  rapport  à  son  conseil 
comme  la  Pucelle  l'avoit  prévenu  sur  les  perplexités  aux- 
quelles il  estoit,  et  de  ce  qu'elle  lui  avoit  dit  qu'il  falloit  se 
résoudre  au  voyage  de  Rheims,  puisque  Dieu  l'avoit  ainsi 
ordonné,  lequel  sçauroit  bien  lever  toutes  les  difficultez  et 
empeschements  que  l'on  prévoyoit  et  craignoit-on  devoir 
arriver.  Donc  chacun  se  prépara  à  ce  voyage.  Seulement  fut 
résolu  qu'on  prendroit  auparavant  les  places  les  plus  impor- 
tantes sur  la  rivière  de  Loire,  pour  desboucler  Orléans  tant  à 
mont  qu'à  val  la  rivière. 

Mais  à  propos  du  moyen  que  les  voix  de  la  Pucelle  tenoient 
pour  se  communiquer  à  elle,  ses  juges  l'interrogèrent  bien 
précisément  là-dessus.  Et  respondit  admirablement  bien  : 
sçavoir  qu'elle  implorait  premièrement  à  son  ayde  Nostre- 
Seigneur  et  Nostre  Dame  à  ce  qu'ils  lui  envoyassent  conseil 
et  consolation,  et  qu'alors  ils  lui  envoyoient.  Les  juges  ayant 
de  plus  demandé  par  quelle  forme  elle  requéroit  ce  secours, 
répliqua  en  cette  manière  : 

—  Très  doux  Dieu,  en  l'honneur  de  votre  sainte  passion, 
je  vous  requiers  commentje  dois  respondre  à  ces  gens  d'Eglise. 
Je  sçay  bien,  quant  à  l'habillement  d'homme,  le  commande- 
ment comment  je  l'ay  pris,  mais  je  ne  sçay  point  par  quel 
moyen  je  le  dois  laisser.  Pour  ce,  plaise  à  vous  à  moy  l'ensei- 
gner-. 

Qui  est  sa  propre  déposition  régistrée  au  procezen  mesmes 
termes.  Car  les  juges  imputoient  à  grand  crime  de  ce  qu'elle 
avoit  pris  un  habillement  d'homme  et,  pour  ce  subject,  la  con- 
damnèrent comme  relapse  :  ne  considérans  pas  que  Dieu 
l'ayant  appelée  à  porter  les  armes,  l'avoit  pareillement 
exemptée  de  porter  un  habillement  de  femme.  Encore  lui 

1.  Procès,  t.  III,  p.  ii,i'2.  —Ce  n'est  pas  Gérard  Machet,  mais  Chris- 
lophe  dtlarcourt  qui  interrogea  la  Puctllc  sur  ses  voi.'ï. 

2.  Procès,  t.  I,  p.  279.  ; 


120  E.    RICHER.    —    LA    PUCEFXE    D  ORLEANS 

imputèrcnt-ilsàcrime  qu'elle  se  faisoit  appeler  Fille  de  Dieu, 
pour  avoir  rapporte'  que  ses  voix  l'avoient  ainsi  appelée, 
comme  nous  avons  dit  ci-dessus.  En  quoy  ces  gens  sem- 
bloient  vouloir  donner  loi  à  Nostre  Seigneur  comment  il  deb- 
vroit  parler  aux  âmes  qu'il  chérit,  et  empescher  qu'il  ne  parle 
en  termes  d'affection  ;  dont  nous  avons  tant  de  beaux  exem- 
ples aux  saintes  Escritures  et  histoire  ecclésiastique. 

Retournons  à  la  cour  du  Roy,  lequel  créa  lors  pour  lieute- 
nant général  de  son  armée  le  duc  d'Alençon,  tout  nouvelle- 
ment retourné  d'Angleterre  où  il  avoit  esté  détenu  prisonnier 
trois  ans  et  plus,  ayant  accordé  à  cent  mille  escus  pour  sa 
rançon,  desquels  il  avoit  payé  la  plus  grande  partie  et  donné 
caution  pour  le  reste.  A  raison  de  quoy  la  duchesse,  sa 
femme,  qui  estoit  de  la  maison  d'Orléans,  eust  volontiers 
désiré  que  son  mari  n'eust  point  entrepris  cette  charge,  crai- 
gnant les  hasards  de  la  guerre;  et  pour  cette  cause  pria  la 
Pucelle  d'avoir  monsieur  son  mari  pour  recommandé.  La- 
uelle  promit  à  cette  dame  de  le  ramener  sain  et  sauf;  comme 
de  vray  elle  fit,  l'ayant  préservé  au  siège  de  Jargeau  d'un 
coup  d'artillerie,  par  l'advis  qu'elle  lui  donna  de  se  retirer  sou- 
dainement d'une  place  où  il  se  trouvoit  exposé  à  la  bouche 
d'un  canon,  lequel  emporta  le  sieur  de  Lude  qui  estoit  tout 
proche  de  lui,  ainsi  que  le  mesme  duc  d'Alençon  a  tesmoi- 
gné  à  la  revision  du  procez.  Or,  sa  Majesté  commanda  au  duc 
d'Alençon  de  ne  rien  faire  sans  le  conseil  de  la  Pucelle,  qui 
estoit  comme  un  bon  ange  à  la  France. 

L'armée  du  Roy  estoit  composée  de  douze  cens  lances  et 
d'environ  six  mille  arbalestriers,  ainsi  que  le  mesme  duc 
d'Alençon  a  tesmoigné.  Le  rendez-vous  fut  aux  environs 
d'Orléans,  à  l'onziesme  juin  14:29.' Et,  delà,  on  s'achemina 
pour  assiéger  Jargeau,  qui  est  au-dessus  d'Orléans,  où  mes- 
sire  Guillaume  de  la  Poule,  comte  de  Suffort,  commandoit, 
assisté  de  messires  Jean  et  Alexandre  de  la  Poule,  ses  deux 
frères,  et  de  douze  cens  Anglois  bien  assortis  d'artillerie  et 
de  toutes  autres  choses  nécessaires  pour  soustenir  un  siège. 
Le  dimanche  douziesme  juin,  approches  faites,  artillerie 
pointée  et  breschc  raisonnable,  on  se  prépare  pour  donner 


DE    DOMUEMY    A    COMl'lÈUNE  121 

l'assaut.  Et  les  assiégeants  pensans  gagner  le  temps  et 
attendre  que  Tallebot  qui  leur  amenoit  du  secours  de  Paris 
fust  arrivé,  demandèrent  à  parlementer  et  quinze  jours  de 
tresve.  La  llire  s'advança  pour  parler  à  eux  sans  avoir  l'or- 
dre de  son  général  qui  le  lit  soudainement  rappeler.  Et  son- 
na-t-on  pour  aller  à  l'assaut  qui  fut  ardent  et  furieux,  car  à 
beau  jeu  beau  retour,  et  dura  plus  de  quatre  heures.  La 
Pucelle  s'cstant  advancéc  et  montant  sur  une  échelle,  son 
estandarten  main,  donnant  courage  aux  François,  fut  atteinte 
d'un  gros  caillou  qu'on  lui  jeta  sur  son  armet,  contrainte  de 
ployer  les  genoux  et  s'asseoir  à  terre  :  et  de  la  grandeur  du 
coup  le  caillou  se  rompit  en  plusieurs  pièces.  Mais  s'estant 
relevée  sur-le-champ,  cria  :  Ville  gagnée  !  Et  les  François 
allèrent  avec  une  telle  hardiesse  et  roideur  à  l'escalade,  que 
tout  céda  à  leurs  armes  ;  de  sorte  que  plus  de  onze  cens 
Anglois  passèrent  au  fil  de  l'espée  ^ 

Le  comte  de  Sulfort  et  ses  deux  frères,  accompagnez  de 
plusieurs  autres,  voyans  qu'ils  ne  pouvoient  plus  deffendre 
la  muraille  se  retirèrent  sur  le  pont  où  messire  Alexandre, 
frère  du  comte  de  Suffort,  fut  tué.  Et  le  comte  se  voyant 
pressé  par  un  gentilhomme  d'Auvergne  nommé  Guillaume 
Renaut  qui  lui  portoit  l'cspée  à  la  gorge,  demanda  s'il  estoit 
de  noble  race.  Le  François  respondit  que  oui.  Le  comte  dési- 
roit  encore  sçavoir  s'il  estoit  chevalier.  Et  ayant  répliqué 
que  non,  il  lui  bailla  l'accollée  auparavant  de  se  rendre  à 
lui. 

Messire  Jean  de  la  Poule  fut  pareillement  prisonnier,  outre 
plusieurs  autres  de  qualité  tant  en  noblesse  qu'en  valeur  et 
faits  d'armes.  Si  la  Pucelle  n'eust  été  prévenue  de  mort,  son 
dessein  estoit  que  tous  les  grands  seigneurs  Anglois  qu'on 
prendroit  prisonniers  fussent  gardez  en  représailles  et  contre 
échange  du  duc  d'Orléans,  détenu  prisonnier  en  Angleterre. 
Et  le  comte  de  Suiïort  fut  mis  entre  les  mains  du  Bastard  d'Or- 
léans à  cet  effet. 

Les  Anglois   et  Bourguignons  voyans  la  prospérité   des 

i.  Nombre  exagOiù.  Le  Journal  du  siège  d'Orléans  ne  parle  que 
(11'  «  quatre  ou  cinq  cents  Anglais  tués  ».  Journal,  édition  Cuissard, 
p.  'J'J-100. 


122  E.    niCIIER.    LA    rUCELLE    d'uULÉANS 

armes  de  cette  fille,  pour  la  ternir  des  crimes  de  sortilège, 
envoyèrent  [cueillirj  aux  marches  de  Lorraine  et  de  Cham- 
pagne tous  les  vaux  de  ville  qui  couroient  en  cepaïs-Ià  de  féez, 
afin  de  les  lui  imputer  malicieusement.  Et  les  informations 
portent  qu'ils  employèrent  premièrement  des  Cordeliers. 

Et  par  après  firent  faire  une  information  ;  et  n'ayant  trou- 
vé personne  qui  déposast  autre  chose  que  tout  hien  et  hon- 
neur de  cette  fille,  ainsi  que  nous  justifierons  ailleurs,  ils 
supprimèrent  leur  information. 

Le  comte  de  Suffort,  estant  prisonnier,  fit  voir  au  comte 
de  Dunois,  qui  l'avoit  en  garde,  quatre  vers  que  ceux  de  son 
parti  lui  avoient  envoyez,  contenans  que  d'auprès  du  Bois 
Ghesnu  (c'est  un  touffeau  de  chesne  fort  proche  de  Dompre- 
my,  lieu  natal  de  la  Pucelle)  devoit  venir  une  jeune  fille  qui 
monteroit  à  cheval  et  fouleroit  aux  pieds  ceux  qui  porteront 
des  arcs  et  arbalestes,  etc.  Et  le  mesme  comte  de  Sutfort 
disoit  que  Merlin,  prophète  des  Anglois,  leur  avoit  prédit 
cela,  ainsi  que  le  Bastard  d'Orléans  a  déposé.  Et  à  propos  de 
ce  Bois  Ghesnu,  et  de  l'arbre  qu'on  appelle  le  Beau  May,  on 
fit  divers  interrogatoires  à  la  Pucelle  sur  cela,  comme  pareil- 
lement ses  juges  lui  voulurent  imputer  à  cruauté  de  n'avoir 
pas  voulu  recevoir  ceux,  de  Jargeau  à  composition. 

Aussi  tost  que  cette  ville  fut  mise  en  l'obéissance  du  Roy, 
le  duc  d'Alençon,  la  Pucelle  et  les  autres  chefs  de  guerre  allè- 
rent à  Orléans  où  ils  séjournèrent  deux  ou  trois  jours,  atten- 
dant que  l'armée  du  Roy  s'avanceast  devers  Meung-sur-Loire 
au-dessous  d'Orléans.  Et  [l'armée]  croissoit  de  jour  à  autre, 
car  plusieurs  grands  seigneurs  et  capitaines,  excitez  du  bruit 
qui  couroit  de  la  Pucelle  et  de  ses  exploits  miraculeux  aux- 
quels ils  dcsiroient  prendre  part,  et  d'ailleurs  que  Sa  Majesté 
se  préparoit  pour  aller  à  Rheims  se  faire  couronner,  se  ve- 
noient  joindre  à  l'armée.  Et  pour  lors  y  arrivèrent  le  sieur 
de  Laval,  de  Lohéac,  son  frère,  de  C4havigny  en  Berry,  de  la 
Tour  en  Limousin,  le  vidame  de  Chartres  et  maints  autres. 

Le  quinziesme  juin,  le  duc  d'Alençon,  messire  Louis  de 
Bourbon,  comte  de  Vendosme,  et  la  Pucelle  partirent  d'Or- 
léans pour  assiéger  Boisgency  oîi  toute  l'armée  marcha,  et 


DE    DOMREMY    A    COMPIÈGXE  123 

en  passant,  enlevèrent  aux  Anglois  le  pont  de  Meung  qu'ils 
avoient  fortifié.  Et  de  là  tirans  à  Boisgency,  de  premier  abord 
contraignirent  les  Anglois  de  quitter  la  ville  pour  se  retirer 
au  chastéau  muni  de  tout  ce  qu'on  pouvoit  désirer  à  un  siège. 
Artus,  comte  de  Ricliemont,  connestable  de  France,  frère  du 
duc  de  Bretagne,  arriva  lors  à  l'armée  du  Roy,  accompagné 
de  messire  Jacques  de  Dinan,  sieur  de  Beaumanoir,  du  sieur 
de  Chastéau  Briant,  de  Rieux,  d'Albret  et  d'environ  douze  à 
quinze  cens  hommes  de  guerre  que  ces  seigneurs  avoient 
levez. 

Le  Roy  ayant  eu  advis  de  l'arrivée  du  connestable,  manda 
au  duc  d'Alençon  qu'il  se  retirast  et  esloignast  du  connes- 
table, et  qu'il  ne  vouloit  qu'on  le  receust  en  son  armée  :  ce 
qu'il  fit  semblablement  sçavoir  au  connestable.  La  cause  de 
ce  commandement  estoit  que  le  connestable  ayant  autrefois 
mis  en  crédit  auprès  du  Roy  le  sieur  de  la  Trémouille,  celui- 
ci  sccut  si  bien  et  accortement  posséder  l'esprit  de  son 
maistre,  que  finalement  il  désarçonna  le  connestable,  depuis 
qu'il  eust  fait  jeter  le  sieur  de  Gyac,  surintendant  des  finances, 
en  un  sac  en  l'eau  sans  aucune  forme  ni  figure  de  procez.  A 
raison  de  quoy  il  fut  contraint  de  se  retirer  de  la  cour  pour 
quelques  années.  Et  pensant  que  le  mal  talent  (ressentiment) 
du  Roy  fust  passé,  sur  le  bruit  des  armes  de  la  Pucelle  et  du 
couronnement  de  sa  Majesté,  il  se  vint  rendre  à  l'armée  du 
Koy. 

Le  duc  d'Aleneon  a  témoigné  que  la  Pucelle  estois  d'advis 
qu'on  exéquutast  le  commandement  de  sa  Majesté,  et  que 
lui,  semblablement.  s'y  estoit  résolu,  sçavoir  qu'on  ne  rece- 
vroit  pas  le  connestable  de  Richemont.  Toutefois,  les  sieurs 
deSantrailles,La  Hire  et  plusieurs  autres  ayant  remonstréau 
duc  d'Alençon  que  si  on  employoit  la  faveur  de  la  Pucelle  en- 
vers le  Roy  pour  remettre  en  ses  bonnes  grâces  le  connestable, 
veu  que  cela  estoit  pour  le  bien  de  son  service  et  au  temps 
qu'il  avoit  plus  besoin  de  force  pour  exéquuter  de  grands 
effets,  il  estoit  vraisemblable  que  le  Roy  ne  refuseroit 
pas  cela  à  la  Pucelle  qui  ne  lui  avoit  encore  rien  demandé  : 
finalement,  tous  les  seigneurs  furent  de  cette  opinion,  et 
enscmblement    prièrent   celte   fille  vouloir   rendre   ce   bon 


124  E.    RICHEU.    LA    l'UCELLE    DollLÉANS 

office  au  connesta)3le,  lequel  ne  tendoit  qu'au  bien  du  ser- 
vice du  Roy.  A  quoy  elle  consentit  volontiers  :  mais,  au 
préalable,  désira  que  le  connestable  promistet  jurast  présen- 
tement entre  les  mains  du  duc  d'Alençon  de  bien  et  loyale- 
ment servir  Sa  Majesté,  et  que,  pour  garantie  de  cette  pro- 
messe, tous  les  seigneurs  qui  approuvoient  cette  réconcilia- 
tion, baillassent  leurs  scellez  avec  celui  du  connestable 
pour  les  représenter  au  Roy,  ainsi  qu'il  fut  exéquuté. 

Et  par  ce  moyen  le  connestable  demeura  au  siège  de 
Boisgency  ;  car  on  remonstra  à  sa  Majesté  que  si  son  armée 
se  retiroit,  ainsi  qu'il  l'avoit  commandé,  cela  retarderoit 
grandement  ses  affaires  et  son  sacre,  duquel  la  Pucelle  avoit 
si  grand  soin  :  que  pour  prendre  Boisgency,  il  falloit  avoir 
une  partie  de  l'armée  du  costé  de  la  Sologne;  ce  que  l'on  ne 
pourroit  faire  au  cas  que  les  forces  que  le  connestable  avoit 
se  retirassent,  veu  mesme  que  ïallebot  amenoit  des  gens  de 
guerre  de  Paris  à  ceux  de  Boisgency.  Ce  qui  contenta  aucu- 
nement sa  Majesté,  et  le  sieur  de  La  Trémouille  qui  la  possé- 
doit  n'osa  appertement  s'opposer  à  ce  conseil. 

Le  bailly  anglois  d'Evreux  commandoit  au  chasteau  de 
Boisgency.  Et  se  voyant  assiégé  tant  du  costé  de  la  Sologne 
que  de  la  Beausse,  demanda  la  Pucelle  pour  parlementer,  et  la 
nuit  l'accord  de  la  reddition  fut  conclu,  à  sçavoir  que  les 
Anglois  qui  estoient  au  chasteau  de  Boisgency  se  pourroient 
retirer  oi^i  bon  leur  sembleroit  avec  leurs  armes  et  chevaux, 
sans  toutefois  emporter  autres  choses  de  tous  leurs  biens 
que  la  valeur  d'un  marc  d'argent,  et  que  de  dix  jours  ils  ne 
porteroient  les  armes  contre  le  Roy. 

La  mesme  nuit  que  celte  composition  fut  arrestée,  les 
sieurs  de  Tallebot,  d'Escales,  et  messire  Jean  Fascot  (FalstoO) 
avec  quatre  mille  hommes  de  guerre  d'eslite,  arrivèrent  de 
Paris  pensans  venir  au  secours  de  Jargeau;  mais  le  voyant 
rendu,  ils  hastèrent  le  pas  et,  pour  venir  plus  commodément 
laissèrent  leur  attirail  et  bagage  à  Etampes,  tachant  de 
gagner  Boisgency,  où  n'aj'^ant  pu  arriver  à  temps,  ils  s'effor- 
cèrent de  surprendre  le  pont  de  Meung  :  toutefois  en  vain, 
pour  ce  que  l'advant  garde  des  François  s'y  achemina  sou- 


DE    DOMREMY    A    COMPIEGNE  125' 

daimmcnt,  ce  qui  fui  cause  que  les  Anglois  se  réfugièrent 
dedans  la  ville  de  Meung  et  la  quittèrent  le  mesmejour  pour 
aller  à  Janville  en  Beausse,  qui  tenoit  pour  eux  et  [où  ils] 
avoient  fait  un  fort.. 

La  Pucelle  ayant  eu  révélation  qu'ils  seraient  deffaits,  fut 
d'advis  qu'on  fist  choisir  en  toute  l'armée  de  quatorze  à 
quinze  cens  hommes  conduits  par  La  Hire,  Poton  de  San- 
trailles,  messire  Ambroise  de  Loré,  Jamet  du  Tilloy,  de 
Termes  et  deBeaumanoir,  pour  courir  sus  aux  Anglois  et  les 
empescher  de  faire  leur  retraite,  pendant  que  le  gros  de 
l'armée  s'avanceroit,  marchant  toujours  en  bataille.  Leduc 
d'Alençon  et  le  comte  de  Dunois  ont  attesté  avoir  demandé 
lors  h  la  Pucelle  ce  qui  estoit  bon  de  faire,  et  qu'elle  leur  dit 
en  riant  :  —  Bons  espérons,  bons  espérons.  —  Gomment? 
repartirent-ils  :  devons-nous  fuir  ?  —  Non,  ce  seront  les  Anglois 
qui  ne  rendront  aucun  combat,  dit-elle.  Mais  ils  auront  beau 
faire  :  nous  les  attraperons,  quand  ils  s'envoleroient  aux 
nues.  Le  Dauphin  gagnera  aujourd'huy  une  des  plus  signa- 
lées victoires  que  prince  ait  obtenue  depuis  longtemps.  »  — 
.Vjoutant]  que  son  Conseil  l'en  avoit  asseurée. 

Les  avant-coureurs  ayant  toujours  harassé  et  empesché 
les  Anglois  de  se  pouvoir  fortifier  ni  retirer  en  quelque  lieu 
advantageux,  l'armée  du  Roy  les  atteignit  et  les  pressa  de 
telle  sorte  qu'ils  furent  mis  en  déroute  à  Patay,  et  de  quatre 
mille  qu'ils  estoient,  il  en  demeura  sur  la  place  plus  de  deux 
mille  deux  cens,  tant  Anglois  que  mauvais  François  qui 
avoient  espousé  leur  parti,  et  le  reste  se  sauva  à  force  d'es- 
perons.  Et  entre  autres,  messire  Jean  Fascot,  capitaine  bien 
renommé,  eut  un  cheval  de  si  bonne  haleine  et  de  si  bons 
espérons,  qu'il  se  sauva  à  Gorbeil,  et,  comme  rapporte  Mons- 
trelet,  fut  depuis  accusé  de  lâcheté  par  Tallebot  et  privé  de 
l'ordre  du  Jartier  blanc  ^  par  le  duc  de  Bethford. 

Aucuns  des  fuyards  pensant  faire  retraite  à  Janville,  on 
leur  ferma  les  portes.  Ils  y  avoient  laissé  leur  bourse  et 
partie  de  leur  bagage  en  passant,  qui  demeura  au  profit  des 
habitans  et  du  capitaine,  lequel  ce  mesme  jour  fit  serment 

1.  Ue  la  Jarretière. 


126  E.    RICIIER.    —    LA    PUCELLE    D  ORLÉANS 

d'estre  bon  François  et  de  bien  servir  le  Roy.  Et  par  toute  la 
Beausse  les  Anglois  abandonnèrent  les  forts  qu'ils  y  avoient 
bastis  et  se  retirèrent  aux  villes  et  places  fortes. 

Les  sieurs  de  Tallebot,  d'Escales  et  autres  de  qualité  furent 
prisonniers.  Et  comme  on  les  présentoit  au  duc  d'Alençon, 
assisté  de  la  Pucelle,  du  connestable  de  Ricbemont  et  de 
plusieurs  autres  seigneurs,  il  leui*  dit  :  —  Vous  n'eussiez 
pas  ce  matin  pensé  devoir  estre  nos  prisonniers.  —  C'est  la 
fortune  et  le  bazard  de  la  guerre,  répliqua  Tallebol  :  les 
armes  sont  journalières. 

Jamais  ce  brave  cbevalier  n'a  pu  approuver  que  ceux  de 
sa  nation  souillassent  leurs  mains  au  sang  de  nostre  Pucelle, 
et  remonstra  au  duc  de  Bethford,  au  comte  de  Sufifort  et 
autres,  que  cette  mort  leur  seroit  aussi  peu  honorable  que 
d'avoir  fuy  devant  cette  fille  à  la  guerre.  Et  pour  toute 
raison  on  lui  dit  qu'on  la  feroit  mourir  comme  sorcière. 

Or,  tout  ainsi  que^  cette  deffaite  mit  l'espouvante  et  la 
frayeur  au  cœur  des  Anglois,  au  cas  pareil  rcleva-t-elle 
grandement  le  courage  des  nostres  qui  ne  demandoient  plus 
que  le  combat,  la  Pucelle  leur  estant  comme  un  ange  de 
bonnes  nouvelles,  ayant  rendu  la  rivière  de  Loire,  tant  à  val 
qu'à  mont,  toute  libre,  excepté  La  Charité. 

Le  lloy  estoit  lors  à  Sully-sur-Loire,  où  le  duc  dWlençon, 
la  Pucelle  et  tous  les  seigneurs  qui  se  trouvèrent  à  lajournée 
de  Patay,  se  rendirent  incontinent.  Et  la  Pucelle,  se  jetant 
à  ses  pieds,  le  supplia  humblement  recevoir  en  grâce  le 
connestable  de  llichemont,  qui  lui  avoit  amené  plusieurs 
seigneurs  et  de  belles  forces,  et  avoit  volonté  de  le  bien  et 
fidèlement  servir,  mesme  s'y  estoit  obligé  par  serment  et  par 
son  propre  scellé,  comme  tous  les  autres  seigneurs  là 
présents  qui  le  cautionnoient  et  intercédoient  pour  lui. 

A  quoy  le  Roy  s'accorda,  ne  pouvant  refuser  cette  grâce  à 
la  Pucelle  qui  lui  avoit  rendu  tant  de  bons  et  signalez 
services.  Toutefois  pour  la  jalousie  qui  estoit  entre  le 
connestable  et  le  sieur  de  la  Trémouille,  favori  du  Roy,  sa 
Majesté  ne  voulut  jamais  souffrir  que  le  connestable  l'accom- 
pagnast  à  son  sacre,  et  lui  donna  charge  de  demeurer  au 


DE    DOMREMY    A    COMPIÈGXE  127 

delà  de  la  rivière  de  Loire  et  confins  du  pais  du  Maine  et  de 
la  Normandie  pour  y  faire  la  guerre.  De  quoy  la  Pucelle  et 
les  autres  seigneurs  furent  beaucoup  desplaisans,  veu  que 
le  connestable  estoit  vaillant  seigneur  et  avoit  en  sa  compa- 
gnie plusieurs  hommes  en  mains  et  de  commandement  qui 
pouvoient  estre  fort  utiles  au  voyage  du  Roy  pour  a^-der  à 
remettre  les  villes  de  la  Champagne,  Brie  et  Picardie  en  son 
obéissance.  Mais,  il  n'y  eut  point  de  remède  à  cela,  d'autant 
que  le  sieur  de  La  Trémouille  gouvernoit  le  prince  coiîime 
bon  lui  sembloit,  estant  d'un  naturel  facile  pour  recevoir 
toutes  les  impressions  que  ceux  auxquels  il  avoit  quelque 
créance  lui  donnoient.  Et  est  chose  fort  notable,  quand  le 
connestable  recommanda  premièrement  au  Roy  le  sieur  de 
la  Trémouille,  que  le  Roy  lui  prédit  qu'il  le  cognoissoit  mieux 
que  lui,  et  qu'il  se  repentiroit  de  l'avoir  advancé  en  cour. 

La  chronique  de  Richemont,  laquelle  d'Argentray,  histo- 
riographe breton,  a  suivie,  afin  de  ne  recognoistre  et  advouer 
la  courtoisie  de  la  Pucelle  à  l'endroit  du  connestable,  et 
mesme  pour  lui  jeter  en  passant  un  trait  de  sa  mesdisance, 
raconte  que  le  Roy  ayant  eu  nouvelle  que  le  connestable  de 
Richemont  s'advançoit  pour  joindre  son  armée  à  Boisgency, 
il  commanda  au  ducd'Alenron,  son  lieutenant  général,  qu'on 
le  combattist,  et  que  la  Pucelle  en  estoit  d'advis,  ores  que 
plusieurs  grands  seigneurs  et  capitaines  et  le  duc  d'Alençon 
mesme  (qui  estoit  nepveu  du  connestable  à  cause  de  Marie 
de  Bretagne,  sa  mère,  sœur  du  duc  de  Bretagne  et  du  connes- 
table,) n'y  pussent  consentir.  Que  pour  cette  raison,  arrivé 
que  fut  le  connestable  à  l'armée,  comme  chascun  lui  con- 
jouissoit,  et  que  la  Pucelle  lui  eut  embrassé  le  genouil,  il 
lui  parla  en  cette  sorte,  qui  est  une  harangue  de  quelque 
rodomont  fier  à  bras  : 

—  Jeanne,  on  m'a  dit  que  vous  voulez  me  combattre.  Je 
ne  sçay  pas  qui  vous  êtes,  ni  de  par  qui  envoyée,  si  c'est  de 
par  Dieu  ou  de  par  le  diable.  Si  de  par  Dieu,  je  ne  vous 
crains  point,  car  Dieu  cognoist  tout  ainsi  mon  intention  que 
la  vostre.  Si  de  par  le  diable,  je  vous  crains  encore  moins, 
et  faites  du  mieux  ou  du  pire  que  vous  pourrez. 

Voilà  sommairement  ce  que  rapporte  d'Argentray,  lequel 


128  E.    Rir.IIF.R.    LA    PUCELLE   DORLÉANS 

en  cela,  comme  en  toute  son  histoire,  est  toujoui-s  singulier 
aux  choses  qui  regardent  sa  patrie,  estant  prévenu  de  haine, 
colère  et  fierté  à  l'endroit  des  François,  et  de  trop  grand 
amour  envers  sa  nation  :  qualitez  peu  convenables  à  un 
historien  pour  se  rendre  croyable  et  persuader  les  lecteurs. 
Lesquelles  qualitez  rendent  encore  plus  reprochable  l'his- 
toire de  Jacques  Meyer,  le  plus  passionné  Bourguignon  qui 
fust  jamais.  Si  ce  que  d'Argentray  raconte  de  cette  fille 
estoit  véritable,  les  Anglois  qui  lui  ont  fait  son  procez  et, 
faute  de  charges,  lui  ont  imposé  tant  de  choses  fausses,  et 
détorqué  à  crime  de  cruauté  et  inhumanité  barbares  toutes 
ses  actions,  n'eussent  pas  oublié  de  lui  justement  reprocher 
le  contenu  de  cette  belle  harangue,  et  quelle  auroit  voulu 
qu'on  taillast  en  pièces  le  connestable,  très  bon  serviteur  du 
Roy,  et  que  cela  estoit  un  argument  qu'elle  n'avoit  charac- 
tère  ni  mission  du  Ciel,  ainsi  qu'elle  s'en  vantoit. 

De  vérité,  la  déposition  du  duc  d'Alençon  convainc  de 
manifeste  imposture  cette  chronique  de  Richemont  et 
pareillement  d'Argentray.  Car  ce  prince  tesmoigne  que  le 
Roy  leur  commanda  seulement  de  se  retirer  du  siège  de  Bois- 
gency,  au  cas  que  le  connestable  se  voulust  joindre  à  l'armée 
du  Roy,  et  qu'il  se  préparoit,  comme  faisoit  aussi  la  Pucelle, 
d'obéir  au  commandement  de  sa  Majesté,  ainsi  qu'il  estoit 
raisonnable;  mais  que  les  autres  seigneurs  furent  d'advis 
qu'on  usast  de  remonstrances  et  qu'on  employast  cette  fille 
pour  la  reconciliation  du  connestable.  Que  si  ayant  esté 
envoyée  du  ciel  spécialement  pour  débeller  les  Anglois, 
ennemis  conjurez  du  Roy  et  de  l'Estat,  auparavant  que  de 
mettre  la  main  à  l'œuvre,  elle  a  voulu  premièrement  les 
sommer  de  donner  la  paix  à  la  France  par  plusieurs  fois,  et 
davantage,  afin  de  ne  point  espandre  le  sang  humain  au 
fort  de  la  guerre,  ne  s'est  jamais  aydé  d'armes  offensives, 
est-il  croyable  qu'elle  eust  voulu  conseiller  de  combattre  le 
connestable  qui  venoit  au  secours  de  sa  Majesté?  C'est  un 
conseil  d'un  forcené,  non  d'une  personne  bien  sensée.  Et  il 
faut  croire  que  si  le  Roy,  incité  par  quelque  passion  du  sieur 
de  La  Trémouille,  eust  commandé  de  combattre  le  connes- 
table, la  Pucelle  l'en  eust  diverti. 


DE    DOMREMV    A    COMPIEGiNE  129 

Véritablement,  si  Dieu  n'eust  permis  que  toute  la  vie  et 
les  actions  de  cette  fille  eussent  esté  exactement  criblées  et 
contredites  par  ses  propres  ennemis  qui  lui  ont  fait  son 
procez  et  nous  en  ont  laissé  les  actes  originaux,  tant  de  part  et 
d'autre  ce  n'eussent  esté  que  contes  fabuleux  qu'on  eust 
publiés  d'elle  :  c'est  pourquoy  il  importe  grandemcntque  son 
histoire  soit  co2;nue. 


CHAPITRE   XI 

DE  GIEN  A  REIMS.  —  LE  SACRE 

Après  cette  grande  deflfaite  des  Anglois^  [ceux-ci]  sçachant 
bien  que  le  Uoy  se  préparoit  pour  aller  à  Rheims,  prièrent 
le  duc  de  Bourgogne  de  se  rendre  à  Paris,  comme  il  fit,  où 
ils  renouvelèrent  leurs  confédérations.  Et  le  duc  de  Bethford 
qui  avoit  espousé  la  sœur  du  duc  de  Bourgogne,  afin  d'en- 
tretenir ce  prince  en  son  amitié,  envoya  expressément  sa 
femme  aux  Païs-bas,  pour  veiller  sur  les  actions  de  son 
frère  et  empescher  qu'il  ne  se  rendist  François. 

Sa  Majesté  se  disposant  au  voyage  de  Rheims,  aucuns 
estoient  d'advis  qu'il  menast  quant  et  soy  la  Royne,  sa 
femme,  fille  du  feu  roy  de  Sicile,  pour  estre  couronnée  avec 
lui.  Toutes  fois,  après  avoir  tenu  conseil,  on  jugea  que  cela 
ne  feroit  qu'embarrasser  et  retarder  son  voyage,  attendu 
mesme  que  tout  le  pais  par  où  il  falloit  passer  estoit  ennemi. 
Le  Roy  partit  de  Gien  le  jour  de  saint  Pierre  et  saint  Paul 
1429,  ayant  en  son  armée  environ  douze  mille  hommes  de 
guerre  et  entre  autres  trois  princes  de  son  sang,  sçavoir,  le 
duc  d'Alençon,  lieutenant  général,  le  comte  de  Clermont, 
depuis  duc  de  Bourbon,  et  le  comte  de  Vendosme,  les  mares- 
chaux  de  Boussac  et  de  Rays,  l'amiral  de  Culant,  le  Bastard 
d'Orléans,  les  sieurs  de  Laval  et  de  Lohéac,  le  comte  de 
lîoulogne,  Ambroise  de  Loré,  les  seigneurs  de  Thouars,  de 
Sully,  de  Chaumont  sur  Loire,  de  la  Trémouille,  de  Prie,  de 
Ghavigny,  de  Ghabanes,  Poton  de  Santrailles,  la  Hire, 
Janiet  du  Tilloy,  d'Illicrs,  et  la  Pucelle  tousjours  à  la  teste  de 
l'armée  avec  son  enseigne  déployée,  faisant  faire  à  l'armée 
de  très  grandes  journées. 

De  Gien  on  s'achemina  vers  Auxerre.  La  Pucelle  et  plu- 
sieurs autres  estoient  d'advis,  pendant  que  l'armée  du  Roy 


DE    DOMREMY    A    COMPIÈGNE  131 

estoit  toute  fraîche  et  gaillarde,  qu'on  assiégeast  cette  ville 
pour  donner  terreur. aux  autres  places  qui  tenoient  pour 
l'ennemi  :  veu  mesme  que  l'opinion  et  renommée  sert  de 
beaucoup  à  la  guerre,  et  que  les  peuples  suivent  tousjours  le 
courant  de  la  fortune.  Mais  les  habitans  divertirent  ce  coup, 
et  secrètement  firent  largesse  de  deux  mille  escus  au  sieur  de 
la  Trémouille,  avec  promesse  de  fournir  vivres  et  toutes 
autres  choses  nécessaires  à  l'armée  du  Roy,  et  mesme  des 
bateaux  pour  passer  la  rivière.  Et  le  sieur  de  la  Trémouille, 
qui  possédoit  l'esprit  de  son  maistre,  lui  fit  entendre  que 
cette  ville  tenoit  pour  le  duc  de  Bourgogne,  lequel  il  falloit 
doucement  ramener  à  son  parti  et  ne  pas  aigrir  :  que 
d'ailleurs  ce  siège  retarderoit  d'autant  plus  son  sacre.  Il  fallut 
en  passer  par  là  :  de  quoy  la  Pucelle  et  autres  seigneurs  ne 
furent  guères  contens. 

Au*  partir  d'Auxerre,  l'armée  tira  à  Saint-Florentin  qui  se 
rendit  à  sa  Majesté  :  et,  de  là,  gagnèrent  Troyes  en  Cham- 
pagne, où  il  y  avoit  six  cens  Bourguignons  en  garnison, 
lesquels  ayant  fait  une  sortie  pour  recognoistre  l'armée  du 
Roy,  furent  bien  battus  et  contrains  de  regagner  hastive- 
ment  la  ville  qui  fut  sommée  de  se  mettre  en  l'obéissance  de 
son  pi;ince  naturel;  à  quoy  les  habitants  ne  voulurent 
entendre.  Et  l'armée  du  Roy,  ayant  là  campé  deux  ou  trois 
jours,  souffrit  une  grande  disette  :  tellement  que  plus  de 
six  mille  hommes,  durant  ce  temps-là,  ne  mangèrent  point 
de  pain,  l'année  estant  fort  stérile,  parce  que  les  laboureurs 
ne  pouvoient  demeurer  aux  villages  pour  cultiver  et  ense- 
mencer les  terres,  mais  estoient  contrains  de  se  retirer  aux 
villes  et  places  fortes  et  labourer  ce  qu'ils  pouvoient 
à  l'entour  de  ces  places,  sous  le  signal  que  leur  donnoit 
celui  qui  faisoit  le  guet  au  clocher,  sonnant  le  tocsin,  ainsi 
que  nous  avons  veu  durant  les  guerres  de  la  Ligue.  Et  la 
plupart  de  l'armée  du  Roy  ne  vivoit  que  de  febves  qui  avoient 
esté  semées  cette  année  par  l'advis  d'un  Cordelier,  nommé 
Frère  Richard,  lequel  preschant  l'Advent  et  le  Caresme  en 
la  ville  de  Troyes  avoit  exhorté  le  peuple  en  ses  sermons  à 
semer  force  febves,  afin  de  suppléer  au  deffaut  du  bled  et 
autres  vivres. 


132  E.    RICHER.    —    LA    PL'CELLE    D  ORLEANS 

Ce  Cordelier  estoit  célèbre  prédicateur  et  en  très  grande 
réputation  parmi  le  peuple.  Monstrelet  en  fait  mention, 
disant  qu'il  incitoit  hommes  et  femmes  à  quitter  leurs 
atours  et  brasveries,  et  mesme  aies  brusler  en  pleine  rue,  en 
feux  de  joye.  Mais  il  se  mesprend,  asseurant  qu'il  estoit 
Augustin.  Il  se  nommait  Roch  Richard  et  fut  licencié  en 
théologie  l'an  1410.  Pasquier  en  a  fait  un  placard  notable  en 
son  histoire.  Nous  aurions  aujourd'huy  grand  besoin  de 
semblables  prédicateurs,  afin  de  réprimer  le  luxe  qui  règne 
en  France  et  partout  ailleurs,  où  chascun  à  l'envy  fait  de  la 
despense  superflue  en  toute  sorte  de  choses,  et  beaucoup 
plus  que  ses  moyens  ne  portent.  Ce  Cordelier  tenoit  lors  le 
parti  Anglois,  et,  tant  qu'il  y  a  esté  engagé,  ils  l'ont  estimé 
et  honoré  comme  un  saint  personnage;  mais  depuis  qu'il  eut 
embrassé  le  service  du  Roy,  ils  l'ont  voulu  diflamer  d'apos- 
tasie :  tant  les  hommes  sont  iniques  juges  en  leur  propre 
cause  ! 

Les  seigneurs  et  capitaines  considérans  que  plus  ils  demeu- 
roient  à  l'entour  de  la  ville  de  Troyes,  plus  la  disette  et  néces- 
sité de  vivres  augmentoit,  et  que  les  habitans  ne  se  vouloient 
sousmettre  à  l'obéissance  du  Roy,  tinrent  conseil  sans  y  ap- 
peler la  Pucelle  pour  délibérer  de  ce  qui  seroit  bon  de  faire. 
Et  furent  divisez  en  opinions.  Aucuns  estoient  d'advis  qu'on 
marchast  droit  à  Rheims  sans  s'arrester  ailleurs.  Au  con- 
traire, les  autres  remonstroient  que  Chalons  et  Rheims,  qui 
avoient  des  garnisons,  suivroient  l'exemple  de  Troyes  et  ne 
se  rendroient  point  :  que  l'armée  du  Roy  ayant  failli  d'em- 
porter la  première  ville  qu'elle  avoit  sommée,  et  n'ayant 
vivres,  ni  munitions,  ni  artillerie  suffisante  pour  la  forcer, 
seroit  exposée  à  la  dérision  de  ses  ennemis,  que  les  vivres  et 
l'argent  manqueroient  incontinent,  et  qu'ils  ne  voyoient  rien 
de  plus  expédient  que  de  rebrousser  chemin  au  delà  de  la 
rivière  de  Loire. 

Messire  Renaut  de  Chartres,  archevesque  de  l\heims,  rt- 
monstroit  avec  indignation  que  trop  légèrement  on  avoit 
preste  l'oreille  h  cette  bergère,  plus  tost  emportée  de  zèle  in- 
discret que  conduite  par  raison  :  que  toutes  ces  diflicultez 


DE    DOMREMY    A    COMPIEGNE  133 

avoient  l>icn  esté  préveues  et  débattues  à  Loches,  quand  on 
proposa  d'entreprendre  ce  périlleux  voyage. 

Mais  comme  tout  le  conseil  du  Roy  vouloit  conclure  qu'il 
falloit  retourner  au  delà  de  la  Loire,  Messire  Robert  Masson, 
homme  prudent  et  de  bon  conseil,  ancien  chancelier  de 
France,  remonstra,  auparavant  de  résoudre  aucune  chose, 
qu'il  lui  sembloit  qu'on  devoit  entendre  parler  la  Pucelle  qui 
avoit  conseillé  et  fait  entreprendre  ce  voyage,  et  exéquuté 
plusieurs  autres  choses  qu'on  tenoit  autant  et  plus  impossi- 
bles que  la  prise  de  la  ville  de  Troyes.  Et  comme  ce  person- 
nage disoit  son  advis,  la  Pucelle  advertie  par  ses  voix  des 
intrigues  et  perplexitez  auxquelles  le  conseil  du  Roy  flottoit, 
alla  brusquement^  heurter  à  la  porte  de  la  chambre  où  il  se 
tenoit,  et  lui  ayant  esté  ouverte,  adressa  sa  parole  au  Roy, 
disant  : 

—  Gentil  Dauphin,  ne  tenez  plus  de  si  longs  conseils,  mais 
mettez  la  main  à  l'œuvre  et  commandez  que  Ion  assiège  cette 
ville.  En  nom  Dieu,  je  vousasseure  que  dans  trois  jours  vous 
y  entrerez  par  amour  ou  par  force,  et  que  la  Bourgogne  sera 
bien  estonnée. 

Le  chancelier  répliqua  comme  en  colère  : 

—  Jeanne,  l'on  attendroit  bien  encore  huit  jours  si  l'on 
estoit  asseuré  que  ce  que  vous  dites  réussist. 

—  N'en  doutez  point,  dit-elle.  Que  chascun  me  suive  et 
mette  la  main  à  l'œuvre,  car  Dieu  veut  que  l'on  s'employe 
soy-mesme. 

Toute  armée  qu'elle  estoit,  (elle)  monta  sur  son  coursier, 
courut  la  première  sur  le  fossé,  disant  que  l'on  apportast  du 
bois  et  des  fagots  pour  combler  les  fossez  de  la  ville,  des 
clayes  et  des  eschelles.  Et  toute  l'armée  suivoit  les  mouve- 
ments de  cette  fille,  chascun  estant  ravi  en  admiration  de  la 
voir  si  puissamment  agir,  faisant  plus  d'effet  seule  que  plu- 
sieurs autres,  ainsi  que  le  duc  de  Longueville  a  tesmoigné. 
Elle  fit  sonner  l'alarme  pour  aller  à  l'assaut  du  costé  où  est 
aujourd'huy  la  porte  de  la  Magdeleine  et  de  Comporté.  Ce 

1.  Inexactitude.  On  alla  chercher  la  Pucelle  et  elle  se  rendit  à 
l'appel  du  roi. 


134  E.    RICIIER.    LA    PUCELLE    d'uRLÉANS 

que  les  habitans  voyaos,  saisis  de  crainte  et  de  frayeur,  et 
considërans  la  renommée  qui  couroit  de  cette  fille  qu'on  esti- 
moit  estre  envoyée  du  Ciel,  eurent  recours  aux  églises  pour 
prier  Dieu.  Et  le  premier  de  tous,  Messire  Jean  Lesguisé,  leur 
évesque,  doué  de  grande  probité  et  sainteté  de  vie,  leur 
monstra  le  chemin,  Dieu  les  inspirant,  de  se  rendre  au  Roy 
leur  souverain  seigneur.  De  sorte  que  l'évesque  et  les  prin- 
cipaux habitans  de  la  ville,  ce  mesme  jour,  demandèrent  à 
parlementer  et  sortirent  à  ces  fins  :  comme  aussi  frère  Ri- 
chard, Coi'delier,  leur  prédicateur,  lequel  ayant  aperçeu  le 
Pucelle  et  s'en  estant  approché,  faisoit  le  signe  de  la  croix 
et  jetoit  de  l'eau  bénite,  ne  plus  ne  moins  que  s'il  eust  voulu 
exorciser  quelqu'un  possédé  du  malin  esprit.  De  quoy  cette 
fille  rioit,  disant  : 

—  Approchez  hardiment,   je  n'ay  garde  de  m'envoler. 

Certes,  l'eau  béniste  et  la  croix  de  Nostre  Seigneur  sont  les 
rempars  de  Dieu.  Depuis  ce  temps-là,  ce  Cordelier  suivit  le 
parti  du  Roy,  et  le  duc  de  Bethford  en  fait  mention  en  une 
lettre  qu'il  publia  pour  servir  de  manifeste  après  le  couron- 
nement de  Sa  Majesté,  comme  pareillement  [en  font  mention] 
les  actes  du  procez  de  la  Pucelle. 

La  composition  et  reddition  de  cette  ville  que  tous  les  ca- 
pitaines tenoient  pour  miraculeuse,  fut  que  les  gens  de 
guerre  qui  y  estoient  en  garnison  se  retireroient,  vies  et  bagues 
sauves,  où  bon  leur  sembleroit;  que  le  Iloy  donnoit  abolition 
générale  à  tous  les  habitans  de  la  ville  ;  que  ceux  qui  avoient 
esté  pourveus  d'offices  ou  bénéfices  par  le  Roy  d'Angleterre 
demeureroient  en  leurs  charges  et  bénéfices  et  en  feroient 
l'exercice,  pourveu  qu'ils  prissent  nouvelles  provisions  et 
lettres  de  sa  Majesté.  Le  Roy  gratifia  particulièrement  l'éves- 
que de  Troyes  de  lettres  d'anoblissement  qu'il  lui  accorda 
tant  pour  lui  que  pour  son  lignage. 

La  garnison  avoit  plusieurs  prisonniers  qu'elle  pouvoit 
emmener  en  vertu  de  ce  traité,  lui  ayant  esté  permis  de  sor- 
tir vie  et  bagues  sauves.  Toutefois  la  Pucelle  ne  le  voulut 
souffrir  et  supplia  sa  Majesté  de  faire  composition  pour  les 
prisonniers  qui  avoient  esté  pris  tenant  son  parti.  Comme 
elle  fut  faite,   cette  composition  servit  après  de  formulaire 


DE    DOMnEMY    A    COMPIÈGNE  135 

pour  toutes  les  autres  places  qui  suivirent  l'exemple  de  la  ville 
de  Troyes  et  obéirent  à  sa  Majesté.  Or,  comme  après  cet  ex- 
ploit, aucuns  seigneurs  et  capitaines  louoient  la  Pucelle,  di- 
sans  qu'on  ne  trouvoit  en  aucun  livre  ancien  ou  moderne  des 
faits  semblables  aux  siens  : 

—  En  nom  Dieu,  respondit-elle,  mon  seigneur  a  un  livre 
auquel  pas  un  clerc,  tant  soit-il  parfait  en  cléricature,  ne 
sauroit  lire. 

Onques  on  ne  l'ouyt  s'attribuer  aucune  louange,  ains  rap- 
portoit  tout  ce  qu'elle  exéquutoit  au  Roy  du  ciel,  duquel  elle 
estoit  envoyée. 

Après  que  sa  Majesté  eutpourveu  à  la  seureté  delà  ville  de 
Troyes,  establi  un  gouverneur,  un  maire  et  autres  officiers, 
il  s'achemina  incontinent  à  Ghalons  en  Champagne.  Car  la 
Pucelle  le  pressoit,  et  pour  cette  occasion  ne  voulut  mesme 
coucher  en  la  ville  de  Troyes,  afin  de  gagner  païs.  Et  la 
nouvelle  de  la  réduction  de  la  ville  de  Troyes  estant  publiée, 
ceux  de  Chalons,  conduits  par  l'évesque,  vinrent  au  devant 
de  sa  Majesté  lui  apporter  les  clefs  de  la  ville  et  rendre  en- 
tière obéissance. 

Et  après  y  avoir  pourveu,  tout  ainsi  qu'à  la  ville  de  Troyes, 
le  Roy  partit  incontinent  pour  aller  à  Rheims  où  le  duc  de 
Bourgogne  avoit  mis  six  cens  hommes  en  garnison,  comman- 
dez par  les  sieurs  de  Saveuse  et  de  Chastillon;  lesquels  firent 
assembler  les  habitans  pour  les  résoudre  à  tenir  bon  et  les 
asseurer  que  dans  trois  sepmaines  ou  un  mois  tout  au  plus 
tard,  ils  leur  amèneroient  secours  suffisant  pour  faire  lever 
le  siège,  au  cas  que  le  Roy  les  voulut  forcer.  Et  sur  cela  sor- 
tirent de  la  ville  pour  aller  quérir  ce  secours. 

Mais  comme  les  choses  naturelles  cherchent  leur  centre, 
au  cas  pareil  les  subjects  se  remettent  facilement  en  l'obéis- 
sance de  leur  prince  naturel.  C'est  pourquoy,  aussi  tost  que 
ces  gens  de  guerre  eurent  désemparé  la  ville  de  Rheims,  les 
bourgeois  tinrent  conseil  et  envoyèrent  devers  le  Roy  qui 
estoit  logé  à  quatres  lieues  de  Rheims  en  un  chasteau  nommé 
Septsaulx  qui  appartenait  à  l'Archevesque  de  Rheims,  lui 
offrir  les  clefs  de  la  ville  et  toute  obéissance  :  auquel  lieu 


136  E.     UICUEU.    L\    PUCELLE    d'oULÉAXS 

furent  faites  et  scellées  les  lettres  de  la  reddition  conformes 
à  celles  de  Troyes  et  Chalons  en  Champagne. 

Aucuns  ont  escrit  que  les  garnisons  qui  estoient  à  Hheims 
pour  le  Bourguignon  voulurent  emporter  la  sainte  Ampoule 
quant  et  eux,  pour  empescher  le  couronnement  du  lloy, 
mais  que  Dieu  renversa  leur  dessein. 

Le  Roy  y  entra  le  samedi  seiziesme  juillet  1429,  et  pareille- 
ment messire  Renaut  de  Chartres,  archevesque,  lequel  n'y 
avoit  jamais  mis  le  pied  depuis  sa  promotion  audit  archeves- 
ché.  Tout  le  monde  conjouissoit  à  sa  Majesté  et  jetoit  les 
yeux  sur  la  Pucelle  par  grande  admiration,  ne  plus  ne  moins 
que  sur  l'Ange  protecteur  de  la  France.  Le  duc  de  Lorraine, 
frère  du  roi  de  Sicile,  et  le  seigneur  de  Commercy,  accompa- 
gnez de  gens  de  guerre,  vinrent  trouver  sa  Majesté  à 
Rheims  et  lui  offrir  leur  service.  Le  père  de  la  Pucelle  y 
arriva  semblablementavec  son  fils  aîné,  nommé  Jacquemine 
et  quelques  autres  de  leurs  parens  que  le  Roy  fit  loger  par 
ses  fourriers  en  l'hostel  de  l'Asne  rayé,  où  ils  furent  desfrayez 
aux  despens  de  la  ville  de  Rheims. 

N'est-ce  pas  chose  miraculeuse  que  le  Roy,  en  si  peu  de 
temps,  aye  pu  faire  un  si  grand  et  périlleux  voyage  avec  son 
armée,  et  que  ses  ennemis  qui  tenoient  toutes  les  villes  et 
destroits  par  oîi  il  falloit  passer,  n'ayent  jamais  osé  paroistre 
en  campagne  pour  l'empescher  ou  retarder?  Certes,  si  les 
dates  [du  journal]  du  siège  dOrléans  sont  véritables,  comme 
je  les  tiens  pour  telles,  la  Pucelle  a  fait  faire  soixante  et  six 
lieues  à  l'armée  du  Roy  en  neuf  jours,  compris  deux  ou  trois 
jours  que  l'on  demeura  devant  la  ville  de  Troyes  pour  la  ré- 
duire en  l'obéissance.  Le  chemin  que  sa  3Iajesté  a  tenu 
depuis  Gien  jusqu'à  Rheims  en  Champagne,  revient  <à  ce 
nombre  là  ;  exploit  merveilleux,  comme  pareillement  l'arri- 
vée de  cette  fille  à  Chinon  et  la  conduite  des  convoys  de 


1.  Aucun  (locument  ne  mentionne  la  prosenco  du  li'ère  aîné  do 
Jeanne  à  Hcims.  Son  cousin  par  alliance,  Duiand  Laxart,  accompa- 
gna Jacques  d'Arc.  (Déposition  de  Lavart,  l'rocès.  t.  il,  p.  445).  Husson 
Lemaître.t.  III,  p.  198,  du /'rocès,  parle  bien  d'un  frère  de  l'héroïne,  mais 
c'est  de  Pierre  et  il  le  nomme.  K.  Richer  aura  pris  Pierre  pour 
Jacquemin. 


DE    DOMREMV    A    COMPIEGNE  137 

vivres  qu'elle  rendit  dans  la  ville  d'Orléans  sans  aucun  retar- 
dement ni  péril. 

Le  dimanche  dix-septiesme  juillet,  afin  de  ne  pas  perdre  le 
temps  qu'il  falloit  employer  à  la  réduction  des  autres  villes, 
et  la  Pucelle  pressant  le  couronnement  du  Roy,  sa  Majesté 
envoya  en  l'abbaye  Saint-Rémi  les  mareschaux  de  Boussac  et 
de  Rays,  le  sieur  de  Graville  et  l'admirai  de  Gulant  pour  avoir 
la  sainte  Ampoule  et  faire  les  sermens  accoutumez  de  la  con- 
duire et  reconduire  seurement.  Et  l'abbé,  revestu  de  ses  ha- 
bits, pontificaux,  sçavoir  crosse  et  mitre,  l'apporta  jusques 
devant  l'église  Saint-Denis  où  l'archevesque  se  rendit  assisté 
de  tout  son  clergé  pour  la  recevoir  de  l'abbé  qui  la  mit  entre 
ses  mains,  et  par  après  la  porta  sur  le  grand  autel  de  Nostre- 
Dame  de  Rheims,  cathédrale.  Et  le  Roy  s'estant  présenté  à 
genoux  devant  le  maistre  autel,  revestu  de  sa  chappe  royale 
et  autres  habits  accoutumez  en  cette  solennité,  l'archevesque 
lui  lit  faire  les  sermens  ordinaires  usitez  en  telles  cérémonies. 
Puis  le  duc  d'Alençon,  lieutenant  général  du  Roy,  lit  cheva- 
lier sa  Majesté,  et  peu  après  [le  roy  Charles]  fut  sacré  et  cou- 
ronné. 

Et  au  mesme  instant  le  Roy  fit  le  sieur  de  Laval  comte;  et 
messieurs  d'Alençon,  de  Bourbon  etde  Vendosrae,  princes  du 
sang,  donnèrent  l'accolade  à  plusieurs  gentilshommes  qu'ils 
firent  chevaliers.  A  cette  cérémonie,  la  Pucelle  tenoit  son  es- 
tandart  en  main,  fort  proche  du  Roy.  Et  lors,  on  distribua  à 
tous  les  seigneurs  et  chevaliers  et  à  la  Pucelle  une  livrée  de 
gants.  Et  le  service  divin  et  toutes  les  cérémonies  parfaites 
et  accomplies,  la  sainte  Ampoule  fut  reportée  par  l'archeves- 
que et  reconduite  par  les  mesmes  seigneurs  qui  l'avoient  esté 
quérir. 

Quand  la  Pucelle  vit  le  Roy  sacré  et  couronné  et  prest  à  se 
retirer  de  l'église,  en  présence  de  tous  les  princes  et  sei- 
gneurs elle  se  mist  à  genoux  devant  lui,  l'embrassant  par 
les  jambes,  et  avec  abondance  de  larmes  dit  : 

—  (jentil  Roy,  je  rends  grâces  à  Dieu  qu'il  lui  a  plu  si 
heureusement  et  en  peu  de  temps  accomplir  ce  qu'il  m'avoit 
commandé  vous  dire  et  asseurer  de  sa  part,  sçavoir  que  vous 
estiez  le  seul  vray  et  légitime  Roy  de  France,  que  je  ferois 


138  E.    niCllER.    LA    l'UCELLE    d'oRLÉANS 

lever  le  siège  d'Orléans,  et  vous  amènerois  en  toute  seureté 
à  Rheims,  malgré  tous  vos  ennemis,  pour  y  estre  sacré  et 
couronné,  ainsi  que  vous  avez  esté.  Et  ne  doutez  point  que 
vos  affaires  ci  après  ne  prospèrent  tousjours  de  bien  en  mieux 
et  que  les  choses  que  je  vous  ay  prédites  n'adviennent  au 
temps  que  Dieu  l'a  ordonné.  Voilà  ma  mission  accomplie  ^ 

Tous  les  assistants  furent  ravis  d'admiration,  et  plu- 
sieurs espandoient  des  larmes  de  la  grande  joie  qu'ils  avoient 
conceue. 

Le  Iloy  séjourna  tout  le  dimanche  et  lundi  à  Rheimg,  où 
il  laissa  pour  gouverneur  Antoine  de  Hélande,  sieur  d'Her- 
cauville,  nepveu  de  l'archevesque.  Et  le  mardi  dix  neuf- 
viesme  juillet,  s'achemina  à  Saint-Marcoul  pour  y  faire  la 
neufvaine  selon  que  les  Roys  de  France  ont  accoustumé.  Cer- 
tainement Dieu  a  fait  une  grâce  particulière  aux  Roys  de 
France  de  les  avoir  douez  de  la  vertu  de  guérir  des  escrouel- 
les  après  leur  sacre.  Et  est  chose  bien  remarquable  que  le 
Roy  d'Angleterre  qui  se  disoit  Roy  de  France,  et  depuis 
l'usurpation  qu'il  en  avoit  fait,  tenoit  en  sa  puissance  la  ville 
de  Rheims,  n'osa  jamais  se  faire  sacrer  et  couronner.  Sa  cons- 
cience le  condamnoit  comme  usurpateur.  Pour  cette  cause  la 
Pucelle  estoit  divinement  inspirée  de  presser  le  Roy  de  se 
faire  sacrer  et  couronner,  donnant  par  là  entendre  que  le 
sacre  et  couronnement  de  sa  Majesté  estoient  la  condamna- 
tion de  l'Anglois  et  du  Bourguignon  qui  luy  faisoit  espaule  : 
comme  de  vérité  l'effet  l'a  monstre. 

Mais  à  propos  de  ce  que  la  Pucelle  avoit  porté  son  estan- 
dart  au  sacre  de  sa  Majesté,  messire  Pierre  Gauchon,  évesque 
de  Beauvais,  faisant  le  procez  à  cette  fille,  voulut  imputer 
cela  à  sorcelerie,  veu  que  les  enseignes  et  guidons  des  autres 
seigneurs  n'y  avoient  esté  portez;  feignant  encore,  mais 
faussement,  qu'elle  avoit  fait  flotter  son  estandartsur  la  teste 
du  Roy.  Et  davantage,  qu'on  alloil  à  elle  comme  au  devin, 

1.  Ces  mots  :  «  Voilà  ma  mission  accomplie,  »  sont  de  rimaginatioii 
de  Richor  :  Jeanne  ne  les  a  point  prononcés.  La  mission  de  l'envoyée  de 
Dieu  ne  fut  accomplie  que  lors  que  l'Anglais,  comme  elle  l'avait 
annoncé,  «  fut  bouté  hors  de  toute  France.  »  Voir  notre  Etutle  :  Jeanne 
d'Arc  el  sa  mission  d'après  les  documents. 


DE    DOMREMY    A    COMPIEGNE  139 

ayant  fait  retrouver  les  gants  d'un  seigneur  qui  avoient  este' 
perdus.  Quant  aux  deux  derniers  articles,  elle  maintint  abso- 
lument estre  faux  et  calomnieux.  Et  le  premier  aussi,  pour 
ce  qui  est  de  la  sorcelerie;  disant  en  outre  qu'il  estoit  bien 
raisonnable  que  son  estandart,  ayant  participé  au  travail  et 
à  la  peine,  ressentit  quelque  chose  de  l'honneur  et  fut  pré- 
sent au  sacre  du  Roy';  joint  mesme  qu'il  avoit  esté  dressé 
principalement  pour  amener  sa  Majesté  à  Ilheims,  afin  d'y 
estre  couronnée. 


i.  C"est  le  cas  de  rappeler  la  fière  réponse  de  l'héroïne  :  <(  Il  avoit 
eslé  à  la  peine,  c"esloit  bien  raison  ou'il  i'ust  à  l'honneur.  »  {Procès, 
t.  I,  p.  1S7.) 


CHAPITRE    Xil 

DU  SAGRP]    A    LA    TENTATIVE    SUR   PARIS 

Incontinent  après  le  sacre  du  Roy,  la  Pucelle  escrivit  des 
lettres  au  duc  de  Bourgogne  pour  le  prier  au  nom  et  de  la 
part  du  Roy  du  ciel  d'entendre  à  la  paix  et  de  s'unir  avec  le 
Roy,  son  souverain  seigneur,  ayant  l'honneur  d'estre  de  son 
sang  :  l'asseurant  de  la  mesme  part  qu'il  estoit  le  vray  et 
légitime  Roy  de  France,  et  qu'il  en  demeureroit  paisible 
[possesseur]  malgré  les  Anglois,  qui  seroient  finalement 
exterminez  de  Paris,  voire  de  toute  la  France,  ainsi  qu'ils 
l'avoient  naguères  esté  de  devant  Orléans  et  de  toute  la 
Beausse,  et  que  tout  cèderoit  aux  armes  du  Roy,  comme  il 
recognoistioit  par  expérience. 

Elle  envoya  ses  lettres  par  ses  hérauts  auxquels  le  duc  de 
Bourgogne  ne  fit  mise  ni  recepte,  mesprisant  les  advertisse- 
ments  que  cette  fille  lui  donnoit,  ores  qu'ils  fussent  énoncez 
en  esprit  de  prophétie.  Et  attendu  le  mcspris  de  ce  duc, 
depuis,  quand  le  Roy  lui  envoya  ses  ambassadeurs,  la  Pucelle 
prédit  véritablement  que  jamais  on  n'auroit  paix  avec  lui 
sinon  au  bout  de  la  lance,  c'est-à-dire  que  les  armes  du  Roy 
prospérans,  ainsi  qu'elles  firent  tousjours  depuis  son  sacre, 
finalement  il  seroit  contraint  d'abandonner  l'Anglois  et  de 
s'accorder  avec  sa  Majesté,  comme  il  arriva.  Et  les  juges  de 
cette  fille  ayans  voulu  détorquer  à  cruauté  ce  qu'elle  avoit 
dit  qu'on  n'auroit  onques  la  paix  avec  le  duc  de  Bourgogne 
sinon  au  bout  de  la  lance,  elle  leur  respondit  franchement 
que,  s'il  ne  se  rangeoit  à  la  raison  et  ne  recognoissoit  sa 
Majesté,  il  auroit  asprement  la  guerre,  et  que  ses  voix  lui 
avoient  donné  asseurance  qu'il  seroit  contraint  de  s'accorder. 

Environ  le  dix-huitiesme  juillet  1429,  le  Roy  alla  loger  à 


DE    DÛMREMY    A    COMPIÈONE  141 

Vailly,  petit  village  distant  de  Soissons  de  quatre  lieues  : 
auquel  village  les  habitans  de  Soissons  qui  tenoient  pour  le 
Bourguignon  lui  portèrent  les  clefs  de  leur  ville,  comme 
liront  pareillement  ceux  de  Laon,  de  Chasteau-Thierry,  de 
Provins  et  de  plusieurs  autres  places.  De  manière  que  depuis 
son  sacre,  il  sembloit  qu'il  n'eust  autre  chose  à  faire  pour 
réduire  les  villes  à  son  obéissance  que  d'envoyer  ses  fourriers 
pour  y  marquer  les  logis.  Et  Monstrelet,  auteur  croyable, 
estant  du  conseil  du  duc  de  Bourgogne,  asseure  que  si  l'ar- 
mée du  Roy  se  fust  avancée  devers  la  rivière  de  Somme, 
toutes  les  villes  situées  sur  ce  fleuve  comme  Abbeville, 
Amiens,  Corbin,  Péronne  et  Saint-Quentin,  abandonnoient  le 
parti  du  Bourguignon,  qui  eut  assez  de  peine  à  les  confirmer 
et  retenir  en  devoir,  y  envoyant  de  ses  gens  tout  exprès.  Mais 
le  Roy  estoit  retenu  par  l'espérance  qu'on  lui  donnoitquece 
duc  se  rangeroit  à  la  raison. 

Sa  Majesté  establit  La  Hire  pour  bailly  de  Vermandois,  et 
ayant  séjourné  quelques  jours  à  Soissons,  y  laissa  pour  gou- 
verneur un  escuyer  de  Picardie  nommé  Guichard  Bournel, 
après  avoir  fait  serment  de  bien  et  loyalement  servir;  néant- 
moins  il  fut  depuis  pratiqué  et  gagné  par  le  duc  de  Bour- 
gogne, ainsi  que  nous  verrons.  De  Soissons,  le  Roy  alla  à 
Chasteau-ïhierry  et  y  mit  Poton  de  Saintrailles  pour  gouver- 
neur; et  en  mesme  temps  Provins  luy  rendit  obéissance. 

Le  duc  de  Bethford,  régent  en  France  pour  l'Anglois, 
considérant  la  prospérité  des  affaires  du  Roy  et  qu'il  tenoit 
la  campagne,  voulant  conserver  sa  créance  parmi  le  peuple 
et  les  gens  de  guerre  de  son  parti,  tira  des  garnisons  tout  ce 
([u'il  avoit  de  meilleur.  Et  au  mesme  temps  le  cardinal  Win- 
thon  (de  Winchester),  son  oncle,  grand  oncle  du  roi  d'Angle- 
terre, luy  amena  quatre  mille  Anglois  de  renfort  qu'il  avoit 
levez  par  ordonnance  du  pape  Martin  V,  etsoudoyez  des  deniers 
du  clergé  d'.Vngleterre,  pour  envoyer  en  Bohesme  contre  les 
llussites  qui  avoient  tout  nouvellement  deffait  l'armée  de 
l'Empereur.  Néantmoins  le  duc  de  Bethford  s'en  servit  pour 
faire  la  guerre  en  France  aux  catholiques,  et  avec  ce  renfort 
et  plus  de  huit  cens  hommes  de  guerre  que  le  duc  de  Bour- 
gogne lui  envoya,  partit  de  Paris,  tirant  àCorbeil  et  àMelun 


i42  E.  lUCHER.  LA  TUCELLE  D  ORLÉANS 

pour  asseurer  ces  villes  et  marcher  jusques  à  Montereau- 
Faut-Yonne,  ayant  plus  de  dix  mille  combattans  en  son 
armée,  faisant  courir  le  bruit  partout  où  il  passoit  qu'il  alloit 
donner  la  bataille  à  l'armée  du  Roy  pour  mettre  fin  aux. 
misères  du  peuple,  pour  leurrer  et  amuser  le  peuple,  crai- 
gnant qu'en  un  tel  débris  de  leurs  affaires  il  ne  se  rangeast 
du  parti  de  sa  Majesté.  En  son  manifeste  il  blasme  le  Roy  de 
s'estre  servi  de  gens  superstitieux  et  réprouvez  pour  séduire 
le  peuple,  sçavoir  d'une  femme  portant  habit  d'homme  et 
dissolue  en  son  gouvernement,  comme  aussi  d'un  frère  men- 
diant qu'il  appelle  apostat  et  séditieux.  C'est  frère  Richard, 
lequel  Monstrelet  taxe  comme  ayant  favorisé  le  parti  de  sa 
Majesté  pendant  mesme  qu'il  estoit  parmi  les  Anglois.  Le 
mesme  manifeste  reproche  semblablement  au  Roy  d'avoir 
preste  consentement  au  meurtre  de  Jean  de  Bourgogne  et 
faussé  sa  foy,  et  qu'à  cette  occasion  il  seroit  deschu  du  droit 
qu'il  pouvoit  prétendre  à  la  couronne,  etc. 

Monstrelet  appelle  cela  une  lettre  qu'il  prétend  avoir  esté 
envoyée  au  Roy,  ce  qui  n'est  pas;  car  c'est  un  papier  volant 
que  le  duc  de  Bethford  fit  courir  pour  retenir  le  peuple  en 
devoir  et  asseurer  Melun,  Corbeil  et  Montereau-Faut-Yonne, 
desquelles  villes  la  conservation  de  Paris  despendoit  à  mont 
la  rivière  Seine.  Aussi  ne  dit-il  point  que  ce  manifeste  ait 
esté  envoyé  par  des  hérauts,  comme  il  estoit  nécessaire. 
C'estoit  donc  un  papier  qu'on  faisoit  publier,  tout  ainsi  que, 
durant  les  troubles  de  la  Ligue,  nous  avons  veu  qu'on  en  a 
fait  courir  infinis  à  semblable  dessein. 

Et  le  mesme  historien,  pour  flatter  son  parti,  adjouste  de 
plus  que  ce  duc  fut  chercher  l'armée  du  Roy  et  ne  la  put 
rencontrer;  où,  au  contraire,  nos  historiens  narrent  que  sa 
Majesté  ayant  entendu  que  le  duc  de  Bethford  estoit  vers 
Melun,  il  s'y  achemina  et  fit  ranger  son  armée  en  bataille,  et 
qu'il  y  séjourna  plusieurs  jours,  attendant  les  Anglois 
lesquels  par  prudence  politique  et  précipice  de  leurs  affaires 
ne  dévoient  rien  bazarder. 

Et  le  mesme  Monstrelet  se  contredit,  asseurant  que  l'armée 
du  Roy  estoit  beaucoup  plus  forte  que  celle  de  l'Anglois.  Oui 
estoit  une  suffisante  response  au  prétendu  manifeste  du  duc 


DE    DOMREMV    A    COMl'IEGNE  143 

de  Bclhford,  sçavoir  de  lui  mettre  en  barbe  une  puissante 
armée  et  opposer  des  faits  à  de  vaines  paroles  qui  sont  inu- 
tiles quand  il  est  question  d'en  venir  aux  mains,  comme  alors 
les  François  ne  cherchoient  autre  chose.  Et  celui  qui  emporte 
le  fruit  et  l'utilité  de  la  guerre,  ainsi  qu'a  fait  sa  Majesté,  est 
vrayment  victorieux. 

On  tient  pour  maxime  d'Estat  que  jamais  on  ne  doit  traiter 
de  la  paix  en  habit  de  deuil,  c'est  à  dire  après  quelque  grand 
désastre  ou  deffaveur;  mais  que,  pour  la  faire  honorablement 
et  utilement,  les  Princes  ou  Républiques  y  doivent  penser 
sérieusement  durant  leurs  plus  grandes  prospéritez,  et,  afin 
de  la  faire  réussir  à  leur-advantage,  avoir  de  fortes  et  puis- 
santes armées,  de  manière  que  leurs  armes  n'ayent  autre  but 
que  la  paix.  Raison  qui  incita  le  Roy  en  cet  heureux  flux 
d'affaires,  se  voyant  maistre  de  la  campagne  et  de  plusieurs 
bonnes  villes,  d'envoyer  messires  Renautde  Chartres,  arche- 
vesque  de  Rheims  et  chancelier  de  France,  Christophe  de 
Harcour,  evesque  de  Castres,  son  confesseur',  les  sieurs  de 
Gaucour.  de  Dampierre  et  autres  sages  seigneurs,  au  duc  de 
Bourgogne  pour  négocier  de  la  paix  et  lui  remonslrer  que 
l'injure  faite  à  defunct  son  père  ne  devoit  estre  imputée  à  sa 
3Iajesté,  veu  son  bas  âge  et  minorité,  mais  à  ceux  en  la  puis- 
sance desquels  il  estoit  lors,  ne  leur  osant  ni  pouvant  con- 
tredire :  que  le  duc  de  Bourgogne  avoit  l'honneur  d'estre  du 
sang  de  France,  et  conséquemment  capable  de  succéder  à  la 
couronne  lui  et  les  siens,  avenant  changement  de  lignée  : 
que  fortifiant  le  parti  Anglois,  il  se  privoit  lui  mesme  de  ce 
droit  inestimable,  et,  posé  que  les  prétentions  de  l'Anglois 
réussissent,  qu'il  ne  pouvoit  jamais  rien  prétendre  à  la  cou- 
ronne ni  se  prévaloir  d'estre  du  sang  de  France  contre  la  loy 
fondamentale  de  l'Estat,  qui  devoit  estre  gardée  inviolable 
comme  chose  sacrée. 

Le  duc  de  Bourgogne  fit  cognoistre  aux  ambassadeurs  du 
Roy  qu'il  avoit  fort  agréable  ce  qu'on  lui  proposoit  afin  de 

1.  Erreur  coiuuiise  par  plusieurs  historiens,  notamment  par  M.  de 
Itaranle.  Clirislophc  d'Harcourt  n'était  ni  confesseur  du  roi,  ni  ecclésias- 
tique. 


144  E.    RICIIER.    —    LA    l'UCELI.E    o'onLÉANS 

le  réconcilier  avec  sa  Majesté,  et  tous  ses  sujets  mesmcs 
desiroienl  grandement  la  paix.  De  sorte  que  plusieurs  alloient 
trouver  le  chancelier  pour  obtenir  de  lui  lettres  d'abolition 
des  choses  passées,  ainsi  que  raconte  Monstrelet.  Et  ce  prince 
promist  qu'il  feroit  par  après  entendre  sa  volonté  au  Uo}', 
lequel  lui  envoya  autant  de  passeports  qu'il  en  désira  pour  aller 
et  venir  librement  par  toutes  les  terres  et  places  de  son  obéis- 
sance; et  environ  le  mois  de  septembre  furent  faites  tresves 
entre  le  Koy  et  le  Bourguignon  jusques  à  Pasques  pro- 
chaines. 

Et  cependant  le  comte  de  Luxembourg  qui  estoit  lieute- 
nant du  Bourguignon  —  c'est  le  père  du  comte  de  Saint-Pol 
que  Louis  X  fit  décapiter,  —  désirant  tousjours  pescher  en 
eau  trouble,  comme  pareillement  l'evesque  d'Arras  et  quel- 
ques autres  des  principaux  conseillers  de  ce  prince,  l'em- 
peschèrent  de  faire  accord  avec  sa  Majesté,  pratiquez  à  cet 
effet  par  l'Anglois,  et  mesme  par  la  duchesse  de  Bethford, 
sœur  du  duc  de  Bourgogne,  laquelle  son  mari  avoit  fait 
expressément  aller  au  Païs-bas  vers  son  frère  pour  le  retenir 
au  parti  anglois  avec  lequel  il  se  rallia  plus  estroitemcnt  que 
jamais  :  ces  Achitophels  faisans  entendre  à  leur  maistre  que 
s'il  traitoit  avec  le  Roy,  il  faudroit  quitter  toute  la  Picardie 
qui  servoit  de  frontière  à  toutes  ses  terres  qui  sont  deçà  la 
rivière  de  Somme;  semblablement  aussi  tout  ce  qu'il  avoit  en 
la  Champagne  qui  couvroil  et  fortifioit  son  duché  de  Bour- 
gogne, et  autres  semblables  raisons  fondées  sur  l'utilité;  et 
d'ailleurs  l'apostume  n'estoit  pas  encore  venue  en  sa  matu- 
rité pour  se  descharger. 

Sur  l'espérance  qu'on  avoit  donnée  au  Boy  qu(»  le  duc  de 
Bourgogne  entendroit  h.  la  paix,  aucuns  conseilloient  à  sa 
Majesté  de  repasser  en  Berry,  à  quoy  il  prestoit  aisément 
l'oreille  pour  le  désir  qu'il  avoit  de  voir  la  Boyne  son 
espouse.  Mais  le  duc  d'Alenyon,  les  comtes  de  Clermont  et 
de  Vendosme,  princes  du  sang,  le  duc  de  Lorraine  et  autres 
seigneurs  et  capitaines  lui  firent  entendre  que  la  guerre  se 
faisoit  autant  par  bonne  opinion  et  renommée  que  par  autres 
moyens.  Au  reste,  que  ce  qu'il  attendoit  du  duc  de  Bour- 
gogne n'esloit  fondé  qu'en   espérance  bien  légère  et  incer- 


DE    DOMREMY    A    OOMPIEGXE  145 

laine;  que  durant  des  tresves  ou  pourparlers  de  paix,  on  se 
doit  plus  défier  et  tenir  sur  ses  gardes  que  jamais,  et  sur  le 
déclin  des  affaires  de  ses  ennemis,  qu'il  se  falloit  évertuer  et 
leur  enlever  le  plus  de  places  qu'il  seroit  possible,  lesquelles 
se  deffendroient  l'une  l'autre  de  proche  en  proche;  que  s'il 
se  retiroit,  difficilement  pourroit-on  conserver  ce  qui  s'estoit 
rendu  à  son  obéissance  au  deçà  de  Loire;  joint  que  toutes 
ces  villes  estoient  au  milieu  d'un  païs  ennemi,  où  l'Anglois 
et  le  Bourguignon  avoient  toute  sorte  d'advantages,  leurs 
forces  unies  et  bien  aisées  d'assembler  en  peu  de  temps  pour 
s'entresecourir. 

Ce  qu'entendu,  le  Roy  rebroussa  chemin  vers  Chasteau- 
Thierry,  et  de  là  à  Crespy  en  Valois  et  à  Dammartin.  Tout  le 
monde  venait  au-devant  de  sa  Majesté  comme  en  procession, 
chantant  A'oe7,  Noël,  Te  Deum  laudamus,  et  autres  hymnes 
de  l'Eglise^ 

Or,  tout  ce  peuple  accourant  à  la  foule  pour  rendre  obéis- 
sance à  sa  Majesté,  se  plaisoit  merveilleusement  à  voir  la 
Pucelle  qui,  d'autre  part,  pleuroit  de  joye  asseurant  qu'elle 
cust  bien  désiré  finir  ses  jours  parmi  un  si  bon  peuple,  tout 
affectionné  au  service  de  son  prince.  Ce  que  le  chancelier  de 
France  ayant  entendu,  dit  à  cette  fille  : 

—  Jeanne,  sçavez-vous  bien  quand  vous  mourrez? 

—  Non,  dit-elle  :  c'est  quand  il  plaira  à  Uieu.  Mais  je  vou- 
drais bien  retourner  h  mes  parens  et  vivre  avec  eux  en  ma 
première  condition  champestre,  car  le  tracas  de  la  guerre 
m'ennuye. 

Toutefois  sa  Majesté  ni  tous  les  seigneurs  ne  lui  voulurent 
jamais  permettre  de  se  retirer,  estimans  qu'elle  leur  estoit  à 
grand  bonheur.  Elle  sçavoit  bien  que  son  temps  estoit  ter- 
miné à  un  an  ou  environ,  ainsi  qu'elle  l'avoit  prédit  au  Roy; 

1.  Celle  coustuiiie  de  clianter  Noël  durant  l'Advent  et  à  la  Nativité  de 
Nostro  Seigneur  a  fait  quo  le  peuple,  au  siècle  de  la  Pucelle,  intcr- 
préloit  CCS  termes,  Noi-l,  Soi-l,  pour  une  manière  de  compliment, 
comme  qui  diroit:  Vous,  soyez  le  bien  venu.  El  me  souviens  en  ma 
jeunesse  avoir  veu  et  ou\'  chanter  de  vieux  Noëls  imprimez  en  lettres 
gothiques  auxquels  il  y  avoit  le  verset  pour  refrain  ordinaire  :  «  Criez 
à  haute  voix,  Noël,  sois  bien  venu  ;  »  qui  est  cela  mesmc  que  l'asquier 
remarque  en  ses  Recherches.  (Remarque  de  Richcr). 

10 


146  E.    RICIIEU.    LV    PUCELLE    d'oRLÉANS 

mais  son  Conseil  ne  lui  a  voit  pas  encore  révélé  qu'elle  devoit 
estre  prisonnière. 

C'est  grand  merveille,  depuis  quelle  eut  mené  le  Roy  à 
Orléans  pour  estre  sacré,  cognoissant  que  cela  estoit  le  but 
principal  de  sa  mission^  et  combien  les  événements  de  la 
guerre  sont  incertains  et  périlleux,  elle  ne  s'entremettoit  plus 
de  donner  conseil  aux  seigneurs  et  capitaines  pour  les  affaires 
de  guerre,  mais  pour  l'ordinaire  suivoit  l'advis  et  résolution 
des  chefs  de  l'armée,  les  asseurant  tousjours  en  général  de 
l'heureux  succez  des  affaires  de  sa  Majesté,  et  que  tout  ce 
qu'elle  avoit  prédit  de  la  part  du  Roy  duciel  adviendroit  en  son 
temps.  Et  tout  cela  monstre  qu'elle  estoit  fort  prudente  et  se 
gardoit  bien  d'exposer  ses  révélations  au  mespris. 

Le  duc  de  Bethford  voyant  l'armée  du  Roy  tirer  à  Dammar- 
tin,  afin  de  retenir  en  bride  ce  qui  restoit  de  villes  à  son 
parti,  fit  avancer  son  armée  jusqu'à  Mitry  en  France  pour 
couvrir  la  ville  de  Meaux  que  les  Anglois  avoient  grande- 
ment fortifiée  et  munie  de  grosses  pièces  d'artillerie  ou  mor- 
tiers de  fonte  de  fer,  esquels  un  homme  peut  entrer  tout 
vestu.  Et  encore  aujourd'huy  l'on  y  en  voit  trois;  comme 
pareillement  il  y  en  a  un  à  Troyes  en  Champagne  qu'ils  appel- 
lent «  la  grosse  Guiilaumette  ».  Pour  se  servir  de  ces  mor- 
tiers, ils  les  emplissoie.nt  de  poudre,  de  clous  et  de  pierres, 
et  les  mettoient  sur  des  pièces  de  bois  en  forme  de  chantiers 
à  quelque  bresche  ou  advenue. 

Jean,  Bastard  de  Saint-Pol,  qui  fut  depuis  seigneur  de  llaut- 
bourdin,  estoit  gouverneur  de  Meaux  pour  les  Anglois,  les- 
quels, à  ce  qu'on  dit;  ont  fortifié  le  grand  marché  tel  qu'on 
le  voit  aujourd'hui,  ou  plustost  tel  qu'il  estoit  l'an  lo7:2,  car 
il  fut  démantelé  après  la  Saint-Barthélémy. 

Le  duc  de  Bethford  fit  loger  son  armée  en  un  Heu  advan- 
tageux  auprès  de  Mitry  où  il  se  retrancha  et  se  fortifia  selon 

i.  «...  Le  but  principal  do  .sa  luissiun.  »  Ici  Richer  rentre  dans  le 
vrai.  La  lovée  du  sièye  d'Orléans,  lo  -sacro  de  Keiins,  le  relèvement 
moral  du  pays,  tel  était  pour  Jeanne  l'objet  principal  de  sa  «  mission 
de  vie  ».  L'e.vpulsion  (înale  de  l'Anglais  restait  l'objet  de  sa  «  mission 
de  survie  »,  et  elle  devait  inaniuer  lo  pK'in  accomplisscnicnt  do  sa 
mission  providentielle. 


DE    DOMREMY    A    COMPIEGNE  147 

leur  coustumc  avec  leur  charroy  et  des  paux  ou  poinçons, 
ainsi  que  Monstrelet  les  appelle.  C'estoienL  de  gros  pieux  de 
bois  de  chesne  aiguisez  qu'ils  fichoient  bien  avant  en  terre, 
et  leurs  arbalestriers  inettoient  là-dessus  leurs  arbalestes 
pour  tirer  plus  seurement,  et  lors  estoient  tenus  pour  les 
meilleurs  arbalestriers  de  l'Europe.  Le  Roy  ayant  envoyé 
Poton,  La  Hire  et  quelques  autres  pour  recognoistre  la  con- 
tenance de  l'ennemi  et  l'attirer  au  combat,  ces  seigneurs 
ayant  rapporté  qu'il  estoit  trop  périlleux  de  l'assaillir,  sa 
Majesté  se  retira  devers  Crespy  en  Valois  avec  son  armée,  et 
le  duc  de  Bethford  regagna  Paris. 

Cependant  le  ville  de  Beauvais  se  rendit  à  l'obéissance  du 
Roy,  encore  que  messire  Pierre  Cauchon  en  fut  evesque  et 
seigneur  temporel  et  spirituel,  en  tant  que  comte  de 
Beauvais  et  pair  de  France.  Il  estoit  docteur  en  théologie  de 
Paris  et  fils  d'un  vigneron  du  diocèse  de  Rheims.  G'estoit 
l'homme  le  plus  partial  et  engagé  au  Roy  d'Angleterre, 
duquel  il  estoit  conseiller  d'Estat  et  pensionnaire,  qui  fut 
lors  en  toute  la  France  :  aussi  fut-il  destiné  pour  faire  mou- 
rir la  Pucelle. 

Le  duc  de  Bethford,  voyant  Beauvais  rendu,  fit  marcher 
son  armée  à  Senlis  pour  le  conserver  et  empescher  aussi  que 
Gompiègne,  lequel  avoit  esté  sommé  de  faire  obéissance  à  sa 
Majesté,  ne  se  rendist,  comme  il  n'en  cherchoit  que  l'occasion. 
Poton,  La  Hire,  Ambroise  de  Loré  et  autres  seigneurs  et 
capitaines  d'élite  eurent  ordre  de  sa  Majesté  pour  chevaucher 
et  recognoistre  l'ennemi.  [Ils]  rapportèrent  qu'il  gagnoit 
une  petite  rivière  où  on  ne  pouvoit  passer  que  deux  chevaux 
de  front.  A  raison  de  quoy  l'armée  du  Roy  qui  marchoit 
tousjours  en  bataille  hasta  le  pas  pour  surprendre  les  Anglois 
au  passage  du  Ileuve;  mais  elle  ne  put  arriver  qu'ils  ne 
fussent  desj<à  tous  passez.  Les  deux  armées  firent  halte  jus- 
qu'à soleil  couchant,  esloignées  l'une  de  l'autre  environ 
d'une  petite  lieue,  sans  rien  faire  ni  entreprendre  de  mémo- 
rable, et  la  nuit  survenant  fit  retirer  tous  les  coureurs  de 
part  et  d'autre,  chascun  en  son  quartier. 

Le  lendemain,  de  grand  matin,  l'armée  du  Roy  fut  ordon- 
née en  quatre  bataillons,  avant-garde,  bataille,  arrière-garde, 


148  K.    RIGHEU.    LA    PUCP.LLE    D  ORLÉANS 

et  le  qualrjesme  de  réserve  pour  secourir  ceux  qui  seroient 
les  plus  pressez,  outre  certaines  compagnies  de  cavalerie  pour 
les  ailes.  Les  ducs  d'Alenç.on  et  de  Vendosme  eurent  charge 
de  l'avant-garde;  les  duc  de  Bourbon  et  de  Lorraine,  de  la 
bataille;  le  Woj  h  l'arrière-garde;  les  maréchaux,  de  Boussac 
et  de  Rays  prindrent  le  soin  des  ailes  ;  et  la  Pucelle,  le  Bas- 
tard  d'Orléans,  le  comte  d'Albrct,  La  Ilire,  Poton  et  autres 
qui  avoient  la  conduite  du  bataillon  de  réserve,  prindrent 
des  postes  pour  soustenir  ceux  qui  en  auroient  besoin.  Dis- 
position qui  fait  recognoistre  que  nos  gens  estoient  bien 
exercez  aux  armes  depuis  si  longues  et  fascheuses  guerres,  et 
après  tant  de  batailles  perdues  par  trop  de  téméraire  valeur, 
assez  ordinaire  aux  Français,  pour  se  trop  précipiter  et  mes- 
priser  leur  vie,  ainsi  qu'il  arriva  à  Poitiers  quand  le  Roy 
Jean  fut  fait  prisonnier,  et  depuis  à  la  journée  d'Azincourt 
et  de  Verneuil. 

Or,  les  Anglois  se  rangèrent  en  première  bataille  et  se 
campèrent  en  un  lieu  de  forte  assiette,  ayant  au  dos  un  grand 
estang  qui  les  couvroit,  et  toute  la  nuit  s'estoient  retranchez 
de  fossez,  avec  leurs  poinçons,  charroys  et  autres  embarras- 
sements.  Le  duc  de  Bourgogne  avait  envoyé  au  duc  de  Beth- 
ford,  son  beau-frère,  l'eslite  de  ses  meilleurs  chevaliers  et 
capitaines,  comme  Jean  de  Villiers,  sieur  de  l'Isle-Adam, 
seigneur  de  Villiers-le-Bel,  les  sieurs  de  Croy,  de  Créqui,  de 
Béthune,  de  Fosseux,  de  Saveuse,  de  Launoy,  de  Brimeu, 
de  Lalouin,  de  Humiers,  le  Bastard  de  Saint-Pol  et  autres.  Il 
y  avoit  trois  bannières  en  leur  bataille,  l'une  de  France, 
l'autre  d'Angleterre,  et  celle  de  saint  Georges  laquelle  le  sieur 
de  Villiers  l'Isle-Adam  portoit. 

L'armée  du  Roy  approcha  de  celle  des  Anglois  à  deux  traits 
d'arbaleste,  et  leur  fut  envoyé  un  héraut  pour  sçavoir  s'ils 
en  vouloient  manger  et  sortir  de  leurs  retranchements.  Plu- 
sieurs François  s'advancèrent  à  pied  et  à  cheval  jusqu'au 
camp  des  Anglois  afin  de  les  attirer  au  combat,  et  faisoient 
de  grandes  escarmouches.  Chascun  de  son  costé  secourut  les 
siens  par  petites  rencontres,  sans  que  le  gros  de  l'armée 
branlast  de  part  ni  d'autre,  et  se  retiroient  à  leurs  batail- 
lons. Le  sieur  de  la  Trémouille,  favori  de  sa  Majesté,  monté 


DE    DOMREMV    A    COMPlÈGiNE  149 

et  armé  à  l'aclvantage,  la  lance  en  main  ayant  donné  des 
espérons  à  son  cheval,  tresbucha  au  milieu  d'un  gros  de 
cavalerie  ennemie  et  fut  en  très  grand  danger  d'être  pris  ou 
tué  s'il  n'eustété  diligemment  et  fortement  secouru,  etrafrais- 
chi  d'un  autre  cheval  :  ce  qui  attacha  les  uns  et  les  autres  à 
combattre  un  long  temps  de  main  à  main  jusques  à  soleil 
couchant.  Et  de  l'effort  du  combat  il  s'esleva  une  poussière 
si  épaisse  et  obscure  que  François,  Bourguignons  et  Anglois 
se  meslèrent  ensemble  de  telle  sorte  qu'à  grand  peine  s'en- 
trecognoissoient-ils  l'un  l'autre.  Et  la  nuit  survenant  fit 
prendre  quartier  à  chascun.  Les  Anglois  se  retirèrent  en 
leur  fort,  et  les  François  allèrent  loger  à  demie  lieue  de  Mont 
Espilloy. 

Il  y  eut  de  part  et  d'autre  plusieurs  prisonniers  et  aucuns 
tuez  et  blessez.  Monstrelet  dit  jusques  à  trois  cens  hommes 
et  asseure  que  le  duc  de  Bethford  remercia  affectueusement 
les  Bourguignons  d'avoir  si  bien  combattu  pour  la  cause  du 
Roy  d'Angleterre,  les  priant  de  continuer.  Il  dit  que  la 
Pucelle  flotloit  en  grande  irrésolution,  estant  tantost  d'avis 
de  combattre  et  tantost  non.  Ce  qui  doitestre  pris  et  entendu 
non  à  la  rigueur  de  ce  que  cet  auteur  rapporte,  mais  suivant 
la  réponse  que  la  Pucelle  fit  à  ses  juges,  sçavoir  que  depuis 
le  couronnement  de  sa  Majesté  qui  estoit  l'accomplissement 
de  sa  mission,  elle  aimoit  mieux,  pour  les  affaires  de  guerre, 
suivre  le  conseil  des  seigneurs  et  capitaines  que  d'en 
donner  aucun.  Bien  relevoit-elle  tousjours  le  courage  aux 
soldats,  les  asseurant  en  général  de  la  prospérité  des  affaires 
de  sa  Majesté. 

Le  lendemain,  de  grand  matin,  les  Anglois  se  mirent  en 
chemin  pour  gagner  Paris,  craignans  que  le  Roy  n'y  fit  quel- 
que pratique,  et  sa  Majesté  tira  vers  Crespy  en  Valois  où  elle 
loga.  Et,  le  lendemain,  s'en  alla  à  Compiègne  qui  tout  nou- 
vellement lui  avoit  rendu  obéissance,  où  il  fut  reçu  honora- 
blement. Il  y  eslablit  pour  gouverneur  un  gentilhomme  du 
païs  de  Picardie  nommé  Guillaume  Flavy,  lequel  a  esté  soup- 
çonné d'avoir  trahi  la  Pucelle.  Sur  la  fin  du  mois  d'aoust,  le 
Boy  partit  de  Compiègne  pour  aller  à  Senlis  qui  le  recognut. 
Et  le  duc  de  Bethford,   craignant  qu'il  ne   tournast  vers  la 


150  E.     RIClFEli.    LA    PUCELLE    D  ORLÉANS 

Normandie,  s'y  achemina  pour  fortifier  les  places  tant  de  sa 
présence  que  de  gens  et  jnunitions  de  guerre.  Il  laissa  à  Paris 
deux  mille  hommes  en  garnison,  et  messire  Louis  de  Luxem- 
bourg, cvesque  de  Thérouane,  qui  se  disoit  chancelier  de 
France,  avec.JeanRatelet  et  Simon  Morhier,  chevalier  anglois, 
outre  les  sieurs  de  l'Isle-Adam,  de  Créqui,  de  Lannoy,  de 
Saveuse,  de  Bonneval  et  autres  chevaliers  qui  suivoient  le 
duc  de  Bourgogne.  Le  Roy,  voyant  le  duc  de  Bethford  tour- 
ner vers  la  Normandie,  partit  de  Sentis  le  dernier  d'aoust  et 
vint  à  Saint-Denis  en  France  qui  lui  ouvrit  les  portes;  et 
ceux  de  la  garnison  de  Paris  estans  sortis,  on  faisoit  ordi- 
nairement des  charges. 


CHAPITRE  XIII 

L'KGHEC   DE   PARIS.  —   RETOUR  VERS   LA  LOIRE 

Le  troisiesme  septembre  1429,  l'armée  du  Roy  advança 
pour  taster  le  pouls  aux  habilans  de  Paris  et  recognoistre 
s'ils  ne  se  divisoient  point  entre  eux.  Mais  se  sentans  cou- 
pables pour  les  torts  et  injures  énormes  qu'ils  avoient  faites 
à  sa  Majesté,  ayant  massacré  plusieurs  de  ses  bons  ser- 
viteurs et  commis  autres  grands  excez,  ainsi  que  remar- 
que Monstrelet,  et  d'ailleurs  que  pour  les  eschauffer  de  plus 
en  plus  en  leur  conspiration,  les  Anglois  et  Bourguignons 
leur  faisoient  entendre  que  le  Roy  les  vouloient  totalement 
ruiner,  ils  conspirèrent  davantage  entre  eux  et  promirent 
solennellement  d'endurer  toute  sorte  d'extremitez  auparavant 
que  de  se  rendre. 

Le  duc  d'Alençon,  la  Pucelle,  le  comte  de  Clermont,  de 
Vendosme,  de  Laval,  les  maréchaux  de  Boussac  et  de  Rays, 
La  Ilire  et  Poton  se  logèrent  à  la  Chapelle  qui  est  un  petit 
village  faisant  le  mi  chemin  de  Paris  et  de  Saint-Denis.  Et  le 
lendemain  qui  estoit  un  dimanche  ou  autre  jour  de  festeS 
donnèrent  jusques  au  marché  aux  pourceaux  devant  la  porte 
Saint-Honoré,  firent  pointer  et  tirer  plusieurs  pièces  d'artil- 
lerie tant  pour  battre  les  murailles  que  la  ville.  Le  sieur  de 
SaintA'allier,  Dauphinois,  accompagné  de  quelques  gens  de 
guerre,  alla  mettre  le  feu  à  la  barrière  de  la  porte  Saint- 
Ilonoré  :  ils  chassèrent  les  Anglois  du  boulevard  qu'ils  avoient 
en  garde  hors  de  la  porte.  Et  afin  d'empescher  qu'ils  ne  pus- 
sent faire  quelque  sortie  par  la  porte  Saint-Denis  pour  sur- 
prendre les  François,  le  duc  d'Alençon  et  le  comte  de  Gler- 

1.  La  fête  la  Nativité  de  la  Sainto-Viorge. 


11)2  E.    RICHER.    LA.    PUCELLE    d'oRLÉAXS 

mont  se  mirent  en  embuscade  entre  la  porte  Saint-Honoré  et 
[celle]  de  Saint-Denis.  La  Pucelle  se  jeta  dans  le  fossé  et  passa 
au  pied  des  murailles  entre  la  porte  Saint-Honoré  et  de  Saint- 
Denis,  et  avec  sa  lance  sondoit  la  profondeur  de  l'eau  et  de 
la  bourbe  du  fossé,  criant  qu'on  apportastdes  fagots,  du  bois, 
des  clayes  pour  remplir  le  fossé,  et  des  eschelles  pour  aller 
à  l'assaut.  Elle  fut  suivie  du  mareschal  de  Rays  et  de  plusieurs 
autres. 

Cependant  les  Parisiens  tiroient  incessamment  leur  artille- 
rie :  et  la  Pucelle  ayant  esté  un  fort  long  temps  sur  la  contres- 
carpe de  la  muraille,  derrière  un  dos  d'asne,  criant  tousjours  : 
A  l'assaut,  à  l'assaut  ;  elle  fut  atteinte  d'un  trait  d'arbaleste 
qui  lui  perça  de  part  en  part  l'une  des  cuisses,  sans  toutefois 
qu'elle  voulust  bouger,  criant  tousjours:  A  l'assaut.  Mais  les 
seigneurs  et  capitaines  voyant  la  nuit  approcher,  et  qu'il 
estoit  impossible  de  remplir  le  fossé,  et  davantage  qu'il  falloit 
une  bien  plus  grande  armée  que  n'estoit  celle  du  Iloy  pour 
assaillir  et  emporter  Paris  de  force,  —  car  le  Roy  avoit  esté 
contraint  laisser  une  grande  partie  de  son  armée  en  garnison 
aux  villes  réduites  à  son  obéissance,  —  prièrent  instamment 
la  Pucelle  de  se  vouloir  retirer,  et  fallut  que  le  duc  d'xVlen- 
çon  mesme  l'envoyast  quérir,  et  avec  toute  l'armée  se  ren- 
dirent à  la  Chapelle  oîi  ils  passèrent  la  nuit.  Il  y  eutplusieurs 
gens  de  guerre  blessez  de  l'artillerie  que  tiroient  les  Pari- 
siens. 

Le  lendemain  allèrent  à  Saint-Denis  où  notre  Pucelle  offrit 
en  l'église  une  armure  complète  avec  une  espée.  Sur  quoy 
interrogée  par  ses  juges,  qui  la  calomnioient  d'avoir  fait  cette 
offrande  afin  que  le  peuple  adorast  ses  armes,  elle  repartit 
que  c'estoit  la  coustume  des  gens  de  guerre  ayant  esté 
blessez  et  préservez  de  quelque  grand  péril,  ainsi  qu'elle 
avoit  esté  à  l'assaut  de  Paris,  d'offrir  leurs  armes  aux  églises, 
comme  elle  avoit  fait  à  Saint-Denis.  Et  attendu  que  cetassaut 
fut  donné  un  jour  de  dimanche,  ou  mesme  le  jour  de  la  Nati- 
vité Nostre-Dame,  de  quoy  cette  fille  n'estoit  bien  mémora- 
tive,  les  mesmes  juges  lui  demandèrent  si  c'estoit  bien  faitaux 
jours  de  feste  de  faire  la  guerre.  Elle  respondit  que  c'estoit 
mieux  fait  de  solenniser  en  tout  et  partout  les  jours  de  feste: 


DR    DOMREMY    A    COMPIÈGNE  133 

néantmoins  qu'il  estoit  aussi  loisible  d'assaillir  ses  ennemis 
aux  jours  de  feste,  car  cela  est  un  préalable  de  la  loy  de 
nature  qui  autorise  la  deffense  de  soy  mesme. 

Enquise  si  ses  voix  lui  avoient  conseillé  d'aller  à  cet  assaut, 
répliqua  que  non  :  mais  ayant  veu  la  noblesse  françoise 
désireuse  d'exploiter  quelques  vaillantises  et  faits  d'armes, 
elle  l'avoit  assistée.  Or  Dieu  avoit  réservé  la  reddition  de 
Paris  à  sept  ans  après,  ainsi  que  cette  fille  prédit  :  laquelle 
estoit  résolue  de  demeurer  avec  la  garnison  de  Saint-Denis 
par  advis  de  son  conseil,  sinon  que  les  seigneurs  l'emme- 
nèrent malgré  elle  à  cause  de  sa  blessure  qui  fut  guérie  en 
cinq  jours:  et  asseurc  que  ses  voix  lui  donnèrent  depuis  per- 
mission de  partir  de  Saint-Denis  avec  l'armée^. 

Le  Roy  séjourna  à  Saint-Denis  jusqu'au  douziesme  septem- 
bre, et  y  laissa  pour  commander  le  comte  de  Vendosme  avec 
une  forte  garnison  :  auquel  prince  il  avoit  donné  le  gouver- 
nement de  Picardie,  et  pour  lieutenant  l'admirai  de  Culant. 
Il  créa  pour  son  lieutenant  général  en  toutes  les  villes  coiv 
quises  en  deçà  de  la  rivière  de  Loire  Monseigneur  de  Bour- 
bon. Et  pendant  qu'il  estoit  à  Saint-Denis,  eut  nouvelles  que 
Lagny  se  vouloit  mettre  en  son  obéissance  :  oii  il  se  trans- 
porta incontinent  et  y  laissa  pour  gouverneur  Ambroise  de 
Loré,  et  pour  son  lieutenant  messire  Jean  Foucaut,  gentil- 
homme limosin,  lesquels  donnèrent  bien  des  affaires  à  ceux 
de  Paris,  courant  tous  les  jours  à  leur  porte. 

Durant  le  séjour  de  sa  Majesté  à  Lagny,  la  Pucelle  estant 
avec  lui,  on  porta  en  l'église  Nostre  Dame  de  Lagny  un  enfant 
mort-né,  qui  avoit  esté  gardé  trois  jours  sans  qu'on  y  apper- 
ceut  aucun  mouvement  ni  respiration,  et  avoit  tout  le  corps 
noir  et  livide.  Le  peuple  se  persuada  que  les  prières  de  la 
Pucelle  pourroientimpétrer  de  Nostre-Seigneur  qu'il  fit  misé- 
ricorde à  cet  enfant  pourestre  baptisé,  et  la  pria-t-on  d'aller 
à  l'église  à  cet  effet  où  semblablemeiit  toutes  lesjeunes  filles 
de  la  ville  se  rendirent.  Et  après  avoir  fait  ensemble  leurs 
prières,  cet  enfant  bailla  par  trois  diverses  fois,  se  remua 

1.  Procès,  t.  I,  p.  b",  179. 


11J4  E.    RICIIEU.    LA    rUCELLE    D  ORLEANS 

aussi  et  la  couleur  lui  revint  toute  vermeille  ;  fut  baptisé  et 
mourut  un  peu  après  :  ce  que  l'on  attribuoit  à  miracle  '. 

Et  les  juges  de  la  Pucelle,  selon  leur  ordinaire,  l'ayant 
voulu  calomnier  ne  plus  ne  moins  que  si  elle  se  fust  fausse- 
ment arrogé  le  pouvoir  de  faire  des  miracles,  elle  repartit 
qu'ayant  esté  advertie  qu'on  prioit  Dieu  à  l'église  pour  un 
enfant  mort-né,  qu'elle  s'y  estoit  rendue  et  véritablement 
avoit  prié  Nostre-Seigneur  avec  les  autres  filles  de  la  ville; 
qu'en  cela  il  n'y  avoit  aucun  mal,  et  si  miracle  s'en  estoit 
ensuivi,  devoit  estre  attribué  à  la  miséricorde  de  Dieu,  lequel 
avoit  exaucé  les  prières  faites  en  commun. 

Sur  la  fin  du  mois  de  septembre,  le  Roy  partit  de  Lagny 
pour  retourner  en  Berry,  s'achemina  à  Provins  et  alla  passer 
à  gué  et  en  bateau  les  rivières  d'Yonne  et  de  Seine  :  d'autant 
que  la  ville  de  Sens  ne  le  voulut  recognoistre.  Il  tira  à  Cour- 
tenay,  passa  Loire  à  Gien  et  de  là  à  Bourges,  la  Pucelle  avec 
lui,  qui  desiroit  demeurer  en  risle-de-France  où  estoit  tout 
le  fort  de  la  guerre.  La  Royne  vint  au-devant  de  sa  Majesté. 
Quelque  temps  après,  la  garnison  de  Saint-Denis  désempara, 
faute  de  solde  et  de  vivres.  Semblablement  le  duc  de  Bour- 
bon, que  nous  avons  ci-devant  qualifié  de  comte  de  Clermont, 
ayant  esté  constitué  lieutenant  général  pour  le  Roy  sur  tout 
ce  qu'il  avoit  conquis  en  TIsle-de-France,  Picardie,  Brie  et 
Champagne,  se  retira  en  Bourbonnais  à  cause  des  ravages 
que  les  gens  de  guerre  tant  d'une  part  que  d'autre  faisoient 
sur  le  pauvre  peuple,  faute  "d'estre  payez;  car  accoutumez 
qu'ils  estoient  à  la  picorée,  ne  se  pouvoient  abstenir  d'exercer 
des  actes  d'hostilité  les  uns  envers  les  autres  ;  de  manière  que 
la  tresve  que  le  Roy  avoit  faite  avec  le  duc  de  Bourgogne, 
désirant  soulager  le  peuple  qui  sestoit  rangé  à  son  obéis- 
sance, demeura  du  tout  inutile,  car  il  estoit  impossible  de 
labourer  les  terres. 

1.  Est-C(!  à  l'occasion  du  passage  de  Charles  VII  à  Lagny  en  1429, 
coninac  le  dit  Richer,  ou  après  lo  départ  de  Jeanne  de  Sully-sur-Loire 
en  1430  (nouveau  style)  et  sa  venue  à  Lagny  qu'eut  lieu  cet  incident  de 
l'enfant  revenu  à  la  vie,  aucun  texte  ne  le  dit  clairement.  Il  est  pour- 
tant plus  vraisemblable  de  rattacher  ce  fait  au  séjour  que  fit  la 
Pucelle  en  cette  ville  après  qu'elle  eût  quitté  le  roi.  Voir  Procès,  t.  I, 
p.  105.100,  et  t.  IV.  p.  '.11. 


DE    DOMREMV    A    COMPIEGNE  155 

Le  comte  de  Vendosme  demeura  pour  commander  au  lieu 
du  due  de  Bourbon,  et  gouverner  les  dites  provinces,  faisant 
de  nécessité  vertu,  joint  le  grand  detïaut  d'argent  qui  est  le 
nerf  de  la  guerre.  Depuis  l'assaut  que  l'armée  du  Roy  donna 
à  Paris,  les  habitans,  considéré  que  tant  de  villes  se  retiroient 
de  l'obéissance  des  Anglois,  voulurent  pourvoir  à  leur  seu- 
reté  et  avoir  pour  gouverneur  le  duc  de  Bourgogne  qui  estoit 
de  leur  langue  et  de  leur  païs  ;  et  fallut  que  leducdeBethford 
en  passast  par  là.  Et  cette  ville  servit  après  d'un  bon  gage  au 
Bourguignon  pour  mieux  faire  sa  paix  et  rendre  sa  condition 
meilleure  avec  sa  Majesté.  Et  tout  cela  estoit  un  accessoire 
des  énonciations  prophétiques  de  notre  Pucelle. 

Arrivé  que  le  Uoy  fut  à  Bourges,  où  il  passa  l'hiver,  on  tint 
conseil  de  ce  qui  estoit  bon  de  faire  pour  le  bien  et  advance- 
mentde  ses  affaires  en  Berry  et  aux  environs.  Et  fut  résolu 
qu'on  assiègeroit  La  Charité.  Monsieur  d'Albret  eut  charge 
de  l'armée.  Et  estant  à  Meung-sur-Yèvre,  fut  trouvé  par  con- 
seil que,  pour  rendre  le  Bourbonnois  libre,  il  falloit  prendre 
la  ville  de  Saint-Pierre-le-Moustier  où  l'armée  alla  camper. 
Et  y  fut  donné  un  rude  assaut  auquel  les  François  fureut 
repoussez,  et  se  retirèrent  tous,  la  Pucelle  exceptée  et  quatre 
ou  cinq  de  ses  gens  qui  l'assistoient. 

Le  sieur  Dolon  qui  estoit  blessé  au  pied  et  ne  pouvoit  mar- 
cher, voyant  que  cette  fille  ne  s'estoit  [pasj  retirée  avec  les 
gens  de  guerre,  monte  incontinent  à  cheval  et  court  à  elle,  lui 
demandant  ce  qu'elle  faisoit  là  toute  seule,  et  pourquoy  elle 
ne  se  retiroit  dii  péril  avec  les  gens  de  guerre.  Elle,  après 
avoir  oslé  son  heaume,  respondit  qu'elle  estoit  bien  assistée 
et  avoit  en  sa  compagnie  cinquante  mille  de  ses  gens',  et  ne 
partiroit  de  sa  place  que  la  ville  ne  fust  prise:  s'escria  qu'on 
apportast  du  bois,  des  fagots,  des  claies,  eschelles,  pour  aller 
à  l'assaut,  ainsi  qu'il  fut  effectué.  De  sorte  que  les  gens  de 
guerre,  la  voyant  si  résolue,  s'efforcèrent  et  prindrent  la  ville 
sans  grande  résistance.  Chose  que  le  sieur  Dolon  tesmoigne 
avoir  voue,  et  l'attribue  à  un  secours  particulier  du  Ciel.  Joint 
que  la  Pucelle  asseura  lors  avoir  pour  sa  seureté  cinquante 
mille  de  ses  gens  ;  qui  est  une  manière  de  parler  commune 


1^6  E.    RICllER.    LA    l'UCELLE    o'onLÉANS 

aux  personnes  envoyées  de  Dieu.  Quand  le  serviteur  d'Elisée 
advertrt  son  maistrc  que  le  Roy  de  Syrie  avoit  envoyé  une 
grosse  armée  pour  l'enlever,  il  lui  respondit  :  a  Ne  crains 
point,  car  nous  avons  plus  de  gens  à  nostre  ayde  qu'il  n'en 
■ont  avec  eux.  »  (Livre  IV  des  Rois,  chapitre  vi.) 

Au  reste  la  ville  de  La  Charité  fut  assiégée  par  l'advis  des 
capitaines,  et  non  de  la  Pucelle  qui  brusloit  du  désir  de  repas- 
ser en  risle-de-France  ;  mais  le  Roy  et  les  seigneurs  l'en 
empeschèrent  et  la  tirèrent  en  ce  siège  durant  une  rude  sai- 
son de  l'hiver.  Car  il  geloit  à  pierres  fendre,  et  pour  cette  rai- 
son une  certaine  femme  nommée  Catherine  de  la  Rochelle, 
dont  il  sera  parlé  au  second  livre,  dissuadoitlaPucelle  daller 
à  ce  siège  de  La  Charité.  Les  historiens  ne  parlent  point  si  ce 
fut  devant  ou  après  Noël  qu'il  fut  fait^  Là  comme  partout 
ailleurs,  elle  donna  preuve  de  son  courage  et  valeur,  et  la 
première  sauta  dans  le  fossé  pour  aller  à  l'assaut.  Mais  la 
rudesse  du  temps,  qu'ils  eurent  plusàcombattre  que  l'ennemi, 
empcscha  le  succez  au  désir  de  sa  Majesté.  Et  les  juges  de 
cette  fille,  à  l'accoustumé,  ayans  voulu  attribuer  cette  entre- 
prise au  malin  esprit  qui  avoit  [d'après  eux]  honteusement 
déceu  cette  fille,  faisant  entendre  qu'on  emporteroit  cette 
ville,  et  de  plus  lui  imputans  d'avoir  usé  d'aspersions  d'eau 
bénite  dans  les  fossez  pour  jeter  son  sort,  elle  leur  nia  abso- 
lument que  cela  fust,  et  maintint  n'avoir  point  esté  au  siège 
de  La  Charité  par  l'advis  de  son  conseil,  ains  seulement  des 
capitaines  qui  l'y  avoient  attirée  malgré  elle. 

Tout  durant  l'hiver  qu'elle  fut  à  Bourges,  elle  logea  chez 
la  veuve  du  Trésorier  du  Roy  et  y  fut  environ  trois  mois  : 
pendant  lequel  temps  sa  Majesté,  par  lettres  patentes  don- 
nées à  Meung-sur-Yèvre  au  mois  de  décembre  1429,  et  regis- 
tréesen  sa  Chambre  des  comptes  le  seiziesme  janvier  au  dit 
an,  anoblit  la  Pucelle  et  tout  son  lignage,  en  recognoissance 
■des  grandes  grâces  que  Dieu  lui  avoit  faites  par  l'entremise 
de  cette  fille,  desquelles  lettres  sera  amplement  parlé  au  livre 
quatriesme  des  Eloges. 


1.  Ce  lut  avant  Norl.  Pour  les  fêles  de  Noël,  on  Taïu-ait   vue   à  Jar- 
gcau,    d'après   le   Bourgeois  de  Paris,  Journal,  p.  21\,  édit.  A.  Tuetey. 


DE    DOMREMY    A    COMPIEGNE  157 

Le  duc  de  Bourgogne  se  servit  des  tresves  pour  se  mieux 
préparer  à  la  guerre  contre  sa  Majesté,  et  induire  ses  subjects 
à  rébellion,  ainsi  qu'il  arriva  de  Richard  Bournel,  gouver- 
neur de  Soissons.  C'est  pourquoy,  sur  le  renouveau,  les  Fran- 
çois eurent  bien  des  affaires  en  l'Isle  de  France  ;  ce  qui 
donna  subject  àlaPucelle  d'y  aller  avec  sa  compagnie  durant 
le  caresme  14129.  Et  le  sieur  Dolon,  intendant  de  sa  maison 
qui  l'avoit  tousjours  assistée,  ne  l'accompagna  point  à  ce 
voyage  ^  Pendant  ce  temps  la  ville  de  Sens  et  de  Melun  rendit 
obéissance  au  Roy;  [ce]  qui  servit  bien  ses  affaires  pour  avoir 
un  passage  libre  sur  la  rivière  de  Seine,  afln  que  ce  qu'il 
avoit  de  forces,  tant  au  deçà  qu'au  delà,  s'entrecourussent 
plus  aisément,  comme  il  arriva  depuis. 

1.  CV'st  probablement  uno  orreur.  D'aulon  dit  lui-iiiôine  avoir  passé 
un  an  entier,  par  ordre  du  roi  avec  la  Pucelie  :  et  il  est  certain  qu'il 
lut  pris  avec  elle  à  la  sortie  de  Conipiègne.  Voir  sa  déposition.  Procès, 
t.  m,  p.  218  et  t.  IV.  p.  439,  447. 


CHAPITRE   XIV 

LA  SORTIE  DE  COMPIKGNE.  —  PRISE  DE  LA  PUCELLE 

La  Pucelle,  environ  Pasques,  passant  par  Melun  pour  aller 
à  Lagny,  estant  sur  les  fosse's  de  cette  ville,  eut  révélation 
qu'auparavant  la  Saint-Jean  prochaine  1430  — car  en  France 
l'année  commençoit  à  Pasques  —  elle  seroit  prise  et  finale- 
ment livrée  aux  Anglois  :  que  tout  cela  se  faisoit  pour  le 
mieux,  et  le  devoit  supporter  de  bon  cœur  et  prendre  cou- 
rage, que  Dieu  l'assisteroit.  Elle  demanda  l'heure  et  le  jour 
à  ses  voix  qui  ne  lui  respondirent  qu'en  général,  et  l'asseu- 
rèrent  seulement  du  secours  particulier  de  Nostre-Seigneur 
en  cette  grande  adversité.  Véritablement  si  elle  eust  sceu  le 
jour  de  sa  prise,  elle  eust  esté  en  perpétuelle  inquiétude. 
Confesse  avoir  lors  fait  une  requeste  à  Dieu,  qu'il  lui  plust 
ne  permettre  qu'elle  fust  longtemps  travaillée  en  prison, 
ains  qu'elle  mourust  bientost.  Mais  quoy,  Dieu  n'exauce  pas 
toujours  nos  prières  :  il  sçait  mieux  que  nous  mesmes  ce  qui 
nous  est  nécessaire.  Depuis  ce  temps,  il  ne  se  passoit  pas  de 
jour  que  ses  voix  ne  la  consolassent,  lui  ramentevans  cette 
prison,  ainsi  qu'elle  a  plusieurs  fois  déposé  devant  ses  juges, 
asseurant  quelle  fust  morte  sans  les  consolations  ordinaires 
qu'elle  recevoir. 

La  ville  de  Lagny  qui  tenoit  le  parti  du  lloy  incommodait 
grandement  les  Parisiens,  parce  que  la  garnison  enlevoit 
tout  jusques  à  leurs  portes,  et  rendoit  la  ville  de  Meaux 
inutile  pour  secourir  Paris  de  vivres.  A  cette  occasion,  les 
Anglois  résolurent  d'assiéger  Lagny  et  pour  cet  effet  firent 
de  grands  préparatifs.  Leduc  de  Bourgogne  y  envoya  quatre 
cens  hommes  conduits  par  un  de  ses  capitaines  qui  estdit  du 

1.  Procès,  l.  I,  p.  Mo. 


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DE    DOMREMY    A    COMPIEGNE  159 

païs  d'Arras  et  se  nommoit  Franquet  d'Arras.  Monstrelet  dit 
que  c'estoit  un  vaillant  guerrier,  et  Meycr  en  fait  un  Achille, 
asseurant  que  c'estoit  le  plus  vaillant  de  tous  les  Bourgui- 
gnons, sans  mesme  excepter  les  seigneurs.  Or,  la  Pucelle 
s'estant  rendue  à  Lagny  oii  Ambroise  de  Loré  et  Jean  Foucaut 
commandoient,  [ils]  chargèrent  les  Anglois  et  ce  Franquet 
d'xVrras  de  telle  sorte  qu'ils  furent  entièrement  deffaits,  et  ce 
capitaine  Bourguigon  fait  prisonnier,  et  depuis  exéquuté  à 
Lagny.  Meyer  asseure  que  cette  exéquution  fut  cause  que  les 
Bourguignons  conceurent  une  haine  mortelle  contre  la 
Pucelle,  lui  imputans  d'avoir  fait  mourir  ce  vaillant  capi- 
taine, comme  pareillement  l'evesque  de  Beauvais  l'en  accuse. 
Partant  il  est  nécessaire  d'en  représenter  au  vray  l'histoire. 

Le  maistre  de  l'hostellerie  de  l'Ours  à  Paris  estoit  bon 
François,  serviteur  du  Roy  et  de  la  compagnie  de  la  Pucelle. 
11  fut  blessé  et  pris  prisonnier  à  cette  charge  où  Franquet 
d'Arras  et  les  Anglois  avoient  esté  deffaits.  Cette  fille  desiroit 
qu'on  fist  un  eschange  de  son  homme  avec  le  capitaine  Bour- 
guignon ;  à  quoy  s'accordèrent  les  gens  de  guerre.  Mais  tout 
le  peuple  du  païs,  sçachant  que  ce  Bourguignon  estoit  pri- 
sonnier, vint  à  Lagny  faire  plainte  de  ses  voleries,  brigan- 
dages et  meurtres,  criant  miséricorde.  Et  les  juges  de  Lagny 
et  de  Senlis  remonstrèrent  à  la  Pucelle  que,  rachetant  un 
homme  si  scélérat  du  gibet  qu'il  avoit  mérité  cent  fois,  elle 
serait  cause  d'un  grand  mal.  Cependant  le  maistre  de  l'hos- 
tellerie de  l'Ours,  des  compagnons  de  la  Pucelle,  décéda.  A 
raison  de  quoy  elle  respondit  aux  juges,  puisque  son  homme 
estoit  mort,  qu'ils  fissent  justice  de  Franquet  d'Arras  selon 
Dieu  et  leur  conscience. 

Pour  ce  subject,  l'evesque  de  Beauvais  interrogea  cette 
fille  si  c'estoit  péché  mortel  prendre  un  homme  à  rançon  et, 
après,  le  faire  mourir  :  sans  lui  nommer  Franquet  d'Arras. 
Elle  repartit  sur  le  champ  n'avoir  jamais  consenti  qu'on  fist 
mourir  cet  homme,  sinon  qu'il  eust  mérité  la  mort  :  qu'il 
avoit  recognu  et  confessé  volontairement  aux  juges,  qui 
furent  quinze  jours  entiers  à  lui  faire  son  procez,  avoir 
commis  plusieurs  vols,  meurtres  et  trahisons  :  qu'on  lui 
avoit   dit   qu'elle    seroit  cause    d'un   grand   mal,    retirant 


160  E.    RIGHER.    —    LA    PUCELLE    D  ORLEANS 

un  homme  du  gibet'.  [Ses  juges^  lui  demandèrent  encore  si 
elle  avoit  donné  ou  fait  donner  de  l'argent  à  celui  qui  avoit 
pris  Franquet  d'Arras.  —  Quoy  ?  dit-elle  :  pensez-vous  que 
je  sois  une  argentière  ou  trésorière  de  France  pour  ainsi 
donner  de  l'argent  ?  —  Car  bien  souvent  elle  régentoit  ceux 
qui  lui  faisoient  des  interrogatoires  impertinents.  Gomme 
une  autre  fois,  lui  ayant  demandé  si  saint  Michel  estoit  tout 
nu,  quand  elle  le  vit  : 

—  Pensez-vous  que  Uieu  n'aye  de  quoy  le  vestir? 

Et  s'il  avoit  des  cheveux.  :  —  Pourquoy  les  lui  aurait-on 
coupez?  répliqua-t-elle. 

Pour  retourner  à  Franquet  d'Arras,  ceux  qui  escrivent  une 
histoire,  comme  a  fait  Meyer,  se  doivent  souvenir  que  c'est 
toute  autre  chose  exercer  cruauté,  perfidie  et  brigandage,  et 
de  faire  la  guerre,  ainsi  que  l'exemple  des  Carthaginois  et 
des  Romains  nous  l'apprend.  Ce  Bourguignon  estoit  un  homme 
fort  déterminé  et  cruel,  prenant  tout  le  monde  à  rançon  et 
commettant  infinis  meurtres.  Et  durant  les  guerres  princi- 
palement civiles,  il  se  trouve  tousjours  de  pareils  garne- 
ments qui  se  font  redouter  comme  le  feu  du  ciel  du  pauvre 
peuple  qui  n'en  peut  mais;  tout  ainsi  qu'en  nos  guerres, 
nous  avons  veu  le  baron  des  Adrets,  La  Motte-Serrant, 
Tremble-Cour,  Gaucher  et  semblables  pestes  qui  se  signa- 
loient  par  toute  sorte  de  cruautez. 

Le  duc  de  Bourgogne  voulant  faire  cognoistre  aux  Pari- 
siens qui  l'avoient  eslu  pour  gouverneur,  ce  qu'il  pouvoit, 
faisoit  de  grands  préparatifs  pour  former  un  siège  et  prendre 
quelques  places.  Le  comte  de  Luxembourg,  son  lieutenant 
général,  fut  mettre  le  siège  devant  le  chasteau  de  Choisy, 
qui  est  au  diocèse  de  Beauvais,  assez  proche  de  Compiègne 
au  delà  de  la  rivière  d'Oise.  Durant  lequel  siège,  le  gouver- 
neur de  Soissons  qui  avoit  juré  fidélité  au  Roy  se  révolta  et 
derechef  s'engagea  au  parti  du  Bourguignon.  La  Pucelle 
ayant  eu  nouvelle  du  siège  de  Choisy,  voulut  y  aller  au 
secours   et   se  présenta  à  Soissons  pour  passer  la  rivière 

1.  Procès,  1.  I.  p.  dSS,  264. 


DE    DOMREMY    A    COMPIEGNE  161 

d'Aisne.  Mais  le  gouverneur  qui  ne  s'estoit  encore  déclaré  et 
n'en  attendoit  que  l'opportunité,  lui  refusa  les  portes,  crai- 
gnant qu'elle  n'eust  eu  vent  de  sa  révolte  et  ne  se  rendist 
maistresse  en  la  ville  par  le  moyen  des  habitans.  Donc,  en 
mesme  temps,  le  duc  de  Bourgogne  demeura  maistre  de 
Choisy  et  de  Soissons.  Ue  quoy  laPucelle  conceutun  extrême 
desplaisir,  vu  que  de  toutes  les  villes  et  places  qui  avoient 
recognu  sa  Majesté  depuis  son  sacre,  aucune  n'avoit  aban- 
donné son  devoir  et  la  fidélité  due  à  son  Prince. 

Au  partir  du  siège  de  Choisy,  le  duc  de  Bourgogne  voulant 
faire  ses  conquestes  de  proche,  fit  marcher  son  armée  à 
Gompiègne  où  se  rendirent  semblablement  les  comtes  de 
Suffort  et  d'Arondel  avec  plus  de  mille  Anglois.  La  Pucelle 
courut  de  Grespy  en  Valois  pour  aller  au  secours  de  Gom- 
piègne, et  y  entra  le  vingt  quatriesme  jour  de  mai  1430,  veille 
de  l'Ascension  de  Nostre  Seigneur,  fort  matin.  Et  après  s'estre 
reposée,  sur  les  vespres,  à  cinq  heures  du  soir  fit  une 
furieuse  sortie  où  elle  combattit  vaillamment  et  repoussa 
l'ennemi  par  trois  diverses  fois  jusques  au  lieu  où  il  estoit 
campé.  Et  à  cette  charge  le  sieur  de  Créqui  et  plusieurs 
autres  furent  griefvement  blessez.  Mais  l'alarme  générale 
donnée,  ayant  tous  accouru  au  secours,  coupèrent  le  chemin 
à  la  Pucelle  comme  elle  s'estoit  mise  sur  le  derrière  et  à  la 
queue  de  ses  gens  pour  faire  la  retraite,  ainsi  qu'elle  avoit 
accoustumé. 

Le  chevalier  Bayard  requéroit  trois  choses  en  un  capi- 
taine, lesquelles  ont  rendu  cette  fille  recommandable  à  la 
guerre  :  à  sçavoir  assaut  de  lévrier,  deffense  de  sanglier, 
retraite  de  loup.  Et  comme  ce  brave  seigneur  fut  tué  faisant 
sa  retraite,  au  cas  pareil  la  Pucelle  fut  prise  «  faisant  grand 
manière  d'entretenir  ses  gens  et  de  les  ramener  sans  perte  »  : 
propres  termes  de  Monstrelet.  Un  arbalestrier  l'ayant  démon- 
tée et  abattue  de  son  cheval,  elle  se  rendit  au  bastard  de 
Wandonne,  gentilhomme  de  Picardie  qui  se  trouva  le  plus 
proche  d'elle. 

Les  actes  de  son  procez  portent  qu'elle  fut  prise  au  delà 
du  pont  de  Gompiègne  du  costé  du  septentrion,  et  que  le 
pont  est  hors  la  ville  du  mesme  costé,  faisant  la  séparation 

a 


162  E.    mCHEU.    —    LA    PUCELLE    D  ORLEANS 

du  diocèse  de  Beauvais  et  de  Soissons  :  tellement  que  la 
partie  du  pont  qui  est  à  l'occident  est  de  l'évesché  de  Beau- 
vais, et  l'autre  partie  qui  est  à  l'orient  du  costéde  Noyon,  est 
du  diocèse  de  Soissons.  Donc  la  Pucelle  ayant  esté  prise  au 
delà  du  pont  du  costé  de  Picardie  vers  l'orient,  et  ayant  eu  la 
rivière  d'Oise  et  le  boulevard  de  Gonipiègne  à  l'opposite  du 
lieu  OLi  elle  fut  prise,  il  est  certain  qu'elle  n'estoit  [pas]  justi- 
ciable de  l'evesque  de  Beauvais,  ainsi  que  tous  ceux  qui  ont 
escrit  en  la  revision  du  procez  remarquent,  chose  qu'ils 
sçavoient  très  bien  en  ce  temps  là.  Et  conséquemment, 
l'evesque  de  Beauvais  s'est  malignement  et  faussement  arrogé 
ce  pouvoir  pour  la  faire  mourir. 

Nos  historiens  rapportent  que  Guillaume  de  Flavy  et  quel- 
ques autres  capitaines  portant  envie  à  cette  héroïque  vierge 
de  ce  qu'on  lui  attribuoit  tous  les  beaux  exploits  de  guerre 
qui  s'exéquutoient,  complotèrent  entre  eux  de  la  faireprendre. 
Et  Belleforest  adjouste  que  Flavy,  gouverneur  de  Gompiègne, 
en  fut  depuis  recherché  en  justice,  et  qu'ayant  évadé  faute 
de  preuves  suffisantes,  néantmoins  le  jugement  de  Dieu 
tomba  sur  lui  et  que  sa  propre  femme  qu'il  traitoit  mal  le 
fit  mourir,  et  eut  abolition  de  ce  forfait,  ayant  monstre  par 
bonnes  instructions  que  son  mari  avoit  conspiré  la  mort  de 
cette  fille  et  promis  au  sieur  de  Luxembourg  de  [la]  lui 
livrer  :  chose  qui  n'est  aucunement  probable,  vu  la  déposi- 
tion de  la  Pucelle  qui  assure  avoir  esté  prise  le  mesme  jour 
qu'elle  entra  dans  Gompiègne,  et  ne  dit  point  qu'on  lui  aye 
fermé  la  barrière  pour  l'empescher  de  faire  sa  retraite,  ainsi 
que  nos  historiens  veulent  persuader.  Car  les  Anglois  et 
Bourguignons  se  saisirent  du  passage  pour  empescher  la 
Pucelle  de  gagner  le  pont  de  Gompiègne. 

Richard  de  Wassebourg  narre  le  fait  de  la  femme  de  Guil- 
laume Flavy  tout  autrement  que  Belleforest,  et  ce  qu'il  dit 
ne  me  semble  aussi  véritable.  Monstrelet  assure  qu'un  nommé 
Poton  le  Bourguignon,  frère  du  maistre  d'hostel  de  la  Pucelle, 
fut  pris  avec  elle.  Meyer,  et  mesme  aucuns  de  nos  historiens 
ont  escrit  que  c'estoit  Poton  de  Santrailles  qui  fut  pris  à 
cette  charge  :  qui  est  une  grande  erreur.  Car  ce  brave  cava- 
lier, comme  pareillement  La  Hire,  estoit  Gascon,  et  assista  le 


DE    DOMREMY    A    COMPIÈGNK  163 

comte  de  Vendosme  et  le  mareschal  de  Boussac  pour  faire 
lever  le  siège  de  Compiègne,  et  depuis  fut  prisonnier  de 
guerre  du  comte  de  Warwic.  Belleforest  dit  que  Poton  estoit 
lors  grand  escuyer  de  France. 

Cette  prise  de  la  Pucelle  combla  dejoye  toute  l'armée  du 
duc  de  Bourgogne,  et  la  ville  de  Compiègne  d'un  extrême 
deuil.  Les  Parisiens  en  furent  incontinent  advertis,  qui  en 
firent  des  feux,  dejoye  et  chantèrent  le  Te  Deum  en  l'église 
Nostre  Dame  de  Paris.  Et  les  prédicateurs  tirent  bien  retentir 
cela,  publians  que  c'estoit  une  sorcière. 

Le  bastard  de  Wandonne  la  mit  en  main  du  sieur  de  Luxem- 
bourg, général  de  l'armée,  et  le  duc  de  Bourgogne  la  voulut 
voir  et  parla  à  elle  à  Margny.  3Ionstrelet  asseure  qu'il  estoit 
présent.  De  Margny  elle  fut  menée  cà  un  chasteau  nommé 
Beaulieu  d'où  elle  se  pensa  sauver.  C'est  pourquoy  elle  fut 
depuis  transportée  au  chasteau  du  Crotoy^,  qui  est  semblable 
à  la  Bastille  de  Paris.  Et  en  ce  temps  la  ville  du  Crotoy  estoit 
un  port  de  mer,  aujourd'huy  ruiné  parce  que  la  mer  a  fait 
un  autre  lit  ou  canal  et  a  laissé  le  Crotoy  tout  à  sec.  La 
Pucelle  y  fut  environ  quatre  mois,  et  depuis  menée  au  païs 
d'Artois,  logée  au  chasteau  de  Beaurevoir  appartenant  au 
sieur  de  Luxembourg.  Car  les  Bourguignons  voyans  les 
affaires  du  Roy  prospérer,  ne  se  tenoient  point  assurez  de 
la  Pucelle  tant  qu'elle  seroit  aux  terres  de  France,  bien  que 
le  duc  de  Bourgogne  se  fust  emparé  de  tout  ce  qui  apparte- 
noit  au  lloy  au  deçà  et  au  delà  de  la  rivière  de  Somme,  mesme 
de  Thérouane. 

Après  cette  prise,  le  duc  de  Bourgogne  pressa  fort  Compiè- 
gne et  s'asseuroit  bien  de  l'emporter  par  famine,  ayant  fait 
bastir  tout  à  l'entour  des  forts  et  bastilles  pour  empescher 
qu'il  ne  fust  secouru  de  vivres  ni  d'hommes.  Le  siège  conti- 
nua jusques  à  environ  la  Saint-Martin  d'hiver,  que  le  comte 
de   Vendosme,   lieutenant  général   pour   le   Roy,    assembla 

1.  Méprise  de  l'auteur.  C'est  au  château  de  Beaurevoir  que  Jean  de 
de  Luxembourg  lit  transporter  sa  prisonnière.  Jeanne  ne  vint  au 
Crotoy  qu'après  avoir  été  vendue  aux  Anglais. 


164  E.  RICHER.  —  LA  PUCELLE  D  ORLEANS 

toutes  les  forces  du  païs,  sçavoir  le  mareschal  de  Boussac, 
gouverneur  de  Senlis,  Poton  de  Chasteau-Thierry,  Ambroise 
de  Loré  de  Lagny,  Jacques  de  Ghabanes  de  Greil  et  plusieurs 
autres  qui  donnèrent  la  chasse  aux  Anglois  et  Bourguignons 
auxquels  les  espérons  servirent  plus  que  leurs  armes.  Et 
perdirent  tout  leur  attirail,  outre  une  bonne  partie  de  leur 
armée  qui  demeura  sur  la  place.  Et  par  ce  moyen  Compiègne 
fut  en  liberté. 

Pendant  que  la  Pucelle  estoit  prisonnière  au  chasteau  de 
Beaurevoir,  les  Bourguignons  lui  faisoient  souvent  entendre 
que  Compiègne  estoit  réduit  à  l'extrémité  et  demandoit  com- 
position qu'on  lui  avoit  refusée.  Que,  pour  servir  d'exemple 
aux  autres  villes  qui  s'estoient  révoltées,  on  y  mettroit  tout 
à  feu  et  à  sang,  jusques  mesme  aux  petits  enfants  du  ber- 
ceau, et  qu'elle  seroit  livrée  aux  Anglois.  Ce  qui  esmeut 
et  excita  cette  fille  à  telle  compassion  à  l'endroit  de  ces  pau- 
vres habitans  qui  se  monstroient  fidèles  à  leur  Prince,  qu'elle 
résolut  de  sauter  du  haut  d'une  tour  où  elle  estoit  prison- 
nière pour  les  aller  secourir  ^  Et  s'estant  fort  blessée,  ses 
voix  qui  luy  avoient  toujours  déconseillé  de  sauter,  la  conso- 
lèrent, [la]  firent  confesser,  et  en  outre  l'assurèrent  que 
Compiègne  seroit  secouru  et  délivré,  ainsi  qu'il  arriva. 

Or,  attendu  que  la  Pucelle  fut  prise  par  les  Bourguignons, 
Jacques  Meyer,  après  Christianus  Masseus,  —  qui  estoit 
aussi  Bourguignon,  natif  de  Cambray,  —  a  escrit  que  les 
armes  de  cette  fille  n'avoient  pareil  effet  à  l'endroit  des 
Bourguignons  que  contre  les  Anglois.  Belle  raison,  certes  : 
comme  si  l'on  devoit  juger  de  cela  par  cette  prise.  Car  les 
Anglois  qui  l'ont  fait  mourir  pourroient  à  plus  forte  raison 
s'en  prévaloir.  Qui  ne  considère  que  l'effet  des  armes  de 
cette  vierge  se  doit  mesurer  par  les  victoires  qu'elle  a 
obtenues  contre  les  uns  et  les  autres,  et  par  tant  de  bonnes 
villes  qu'elle  a  mises  en  l'obéissance  de  Sa  Majesté,  desquelles 
le  duc  de  Bourgogne  s'estoit  saisi;  comme  Troyes,  Chalons, 
llheims,  Laon,  Soissons,  Chasteau-Thierry,  Beauvais,  Com- 

1.  Ce  prétendu  «  saut  »  ne  lut  qu'une  tentative  d'évasion  au  moyen 
de  linges  attachés  à  une  fenêtre.  Ces  linges  se  rompirent  et  la  Pucelle 
loiiiba  au  |)icd  du  donjon. 


DK    DOMREMY    A    C0MP1È(;NE  165 

piègnc,  Provins,  etc.  La  vérité  est  que  les  Bourguignons 
estant  nés  François  et  subjects  du  Roy,  la  Pucelle  n'estoit 
pas  venue  pour  les  exterminer  du  royaume  comme  les 
Anglois,  mais  seulement  pour  les  ranger  à  leur  devoir  et  à 
recognoistre  Sa  Majesté,  ainsi  qu'ils  ont  esté  finalement  con- 
trains d'obéir  par  la  prospérité  des  armes  du  Roy,  selon  que 
la  Pucelle  avait  prédit. 

Durant  tout  le  temps  qu'elle  fut  prisonnière,  elle  deman- 
doit  quatre  choses  à  Nostre  Seigneur  :  premièrement,  qu'elle 
fut  bientost  expédiée  ;  secondement,  qu'il  lui  plust  ayder 
aux  François  et  conserver  les  villes  et  places  de  leur  obéis- 
sance ;  en  troisiesme  lieu  et  sur  toutes  choses,  de  faire  le 
salut  de  son  âme  ;  et  que,  si  elle  estoit  menée  à  Paris,  elle 
pust  avoir  copie  des  interrogatoires  qu'on  lui  avoit  faits 
à  Rouen  et  de  tout  ce  qu'elle  y  avoit  respondu,  afin  de  pou- 
voir donner  cette  copie  à  ceux  qui  la  voudroient  derechef 
examiner,  et  qu'elle  ne  fust  travaillée  par  tant  de  captieux 
et  malins  interrogatoires. 

Tout  le  temps  qu'elle  a  esté  en  France  se  termine  à  deux 
ans  :  le  premier  desquels  comprend  ses  expéditions  mili- 
taires. Elle  partit  de  Vaucouleur  pour  venir  au  service  de 
Sa  Majesté  au  mois  de  febvrier  1428  (vieux  style,  pour  1429), 
et  le  premier  de  ses  exploits  fut  la  levée  du  siège  d'Orléans, 
le  huitiesme  mai,  dimanche  d'après  l'Ascension,  l'an  1429. 
Et  conséquemment  mena  le  Roy  à  Rheims  au  mois  de  juil- 
let. Et  repartit  en  Berry  avec  Sa  Majesté.  Et  devers  Pasques 
suivant,  I4o0,  s'achemina  en  l'Isle  de  France,  et  fut  prise  à 
Gompiègne  le  vingt-quatriesme  mai,  veille  de  l'Ascension  : 
de  manière  que  son  premier  et  dernier  exploit  de  guerre  fut 
la  sepniaine  de  l'Ascension,  dans  le  mois  de  mai,  en  une 
année  révolue.  Et  ayant  esté  un  an  entier  en  prison,  les 
Anglois  la  firent  mourir  au  bout  de  l'an,  la  veille  de  la  feste 
Dieu,  le  trentiesme  mai  mil  quatre  cens  trente  et  un. 


NOTE    EXPLICATIVE 

JEANNE  DARC  A-T-ELLE  ÉTÉ  PRISE,  COMME  L'ASSURE  E.  RICHER, 
DANS  LE  DIOCÈSE  DE  SOISSONS 


La  Pucelle  se  trouvait  sur  la  rive  droite  de  l'Oise,  près  du  bou- 
levard de  Compiègne  et  de  son  fossé,  lorsqu'elle  fut  entourée  par 
un  gros  d'ennemis  et  faite  prisonnière.  L'évéque  de  Beauvais  pré- 
tendit que  ce  territoire  appartenait  à  son  diocèse  et  réclama  la 
Pucelle  pour  la  juger.  Le  roi  d'Angleterre,  qui  ne  voulait  pas  d'au- 
tre juge  que  ce  prélat,  lui  fit  livrer  la  prisonnière. 

Pierre  Cauchon  produisit-il  la  preuve  que  la  rive  droite  de  l'Oise 
en  face  Compiègne  était  tout  entière  partie  de  son  diocèse?  On 
peut  répondre  négativement. 

Une  enquête  a-t-elle  été  ordonnée  à  cet  effet  ?  Elle  ne  paraît  avoir 
jamais  été  faite,  pas  plus  par  les  amis  que  par  les  ennemis  de 
l'Angleterre.  Ce  qui  est  certain  c'est  que  si  l'Université  de  Paris  et 
les  dirigeants  du  parti  anglais  crurent  l'évéque  de  Beauvais  sur 
parole,  un  des  canonistes  de  la  revision,  Paul  Pontanus,  révoqua 
sa  parole  en  doute  et,  dans  la  première  des  dix-neuf  questions 
qu'il  soumit  aux  juristes,  il  se  demanda  si,  en  vérité,  la  Pucelle 
fut  prise  sur  le  territoire  du  diocèse  de  Beauvais  ;  d'autant  que,  à 
cette  époque,  Compiègne  était  du  diocèse  de  Soissons. 

Edmond  Richer  est  le  premier  historien  qui  ait  protesté  contre  la 
prétention  de  l'évéque  Pierre  Cauchon  et  qui  l'a  déclarée  contraire 
à  la  vérité.  Si  le  docteur  de  Sorbonne  n'a  pas  été  dupe  d'une 
méprise  ou  d'une  illusion,  l'irrégularité  du  procès  de  Rouen  éclate- 
rait en  pleine  évidence,  et  les  arguments  que  développent  les  cano- 
nistes seraient  relégués  au  second  plan. 

Mais  quel  est  le  moyen  qui  permettra  de  vérifier  l'exactitude  des 
assertions  d'Edmond  Richer? 

Une  carte  authentique  du  temps,  ou  du  moins  d'avant  le  Concor- 
dat, délimitant   exactement  le   diocèse  de  Beauvais  et  celui  de 


DE    DOMREMY    A    COMPIKGXE  167 

Soissons,  auquel  alors  appartenait  Compiègnc,  serait  décisive. 
Mais  cette  carte  et  tout  document  équivalent,  on  a  eu  beau  les 
chercher,  on  ne  les  a  point  trouvés. 

Il  est  question,  au  moment  où  nous  écrivons,  d'un  manuscrit  de 
la  fin  du  XYi*^  siècle  qui,  à  loccasion  du  transport  des  restes  mortels 
de  Henri  III  ;Y  Compiègne,  mentionne  une  croix,  placée  au  milieu 
du  pont  de  cette  ville,  laquelle  croix  marquait  la  limite  des  deux 
diocèses.  Quelle  est  la  portée  de  cette  information  ? 

Si  elle  est  sérieuse,  nous  serions  en  présence  de  deux  documents 
du  même  temps,  les  auteurs  vivant  l'un  et  l'autre  à  la  fin  du 
xv!*^  siècle.  Resterait  alors  à  examiner  si  les  deux  documents  sont 
inconciliables. 

Autant  qu'il  nous  est  permis  d'en  juger,  ils  ne  le  seraient  pas. 
L'annaliste  de  Compiègne  aurait  raison,  et  l'historien  delà Pucelle 
n'aurait  pas  tort  :  celui-ci  compléterait  celui-là.  Mais,  en  ce  cas, 
c'est  Pierre  Cauchon  qui  serait  pris  décidément  en  flagrant  délit 
de  mensonge. 

Nous  dirions  donc  : 

L'annaliste  de  la  fin  du  xvi"  siècle  ne  se  tromperait  pas  en  disant 
que  la  croix  du  pont  de  Compiègne  séparait  les  deux  diocèses 
d'une  certaine  manière.  Mais  l'historien  de  la  Pucelle  ne  se  trom- 
perait pas  non  plus  en  ajoutant  que,  si  la  partie  de  la  rive  droite  de 
l'Oise  au  sud  de  la  croix  du  pont,  était  du  diocèse  de  Beauvais,  la 
partie  de  cette  même  rive  droite,  au  nord  de  la  croix  et  du  pont, 
dans  la  direction  de  Noyon,  appartenait  au  diocèse  de  Soissons, 
comme  elle  appartient  aujourd'hui  à  l'une  des  paroisses  de  Com- 
piègne. Or.  c'est  en  cette  partie  de  la  rive  droite,  tout  près  et  au 
nord  du  pont  de  Compiègne,  c'est-à-dire  sur  le  territoire  du  diocèse, 
de  Soissons,  que  fut  livré  le  combat  dans  lequel  l'héroïne  perdit  sa 
liberté. 

Nous  soumettons  cet  essai  de  conciliation  aux  réflexions  des 
hommes  compétents. 

Pu. -H.   D. 


DISSERTATION   THEOLOGIQUE 

SUR     LES 

APPARITIONS,  RÉVÉLATIONS  ET  MISSION 
DE  LA  PUGELLE 


Observations  sur  ce  document. 

Le  procès  de  béatification  de  Jeanne  d'Arc  a  étonné  beaucoup 
d'esprits,  sérieux  d'ailleurs  et  impai'tiaux. 

Cet  étonnement  n'a  point  cessé;  il  a  plutôt  grandi  lorsque,  en 
1904.  le  Souverain  Pontife  a  proclamé  solennellement  «  l'héroïcité 
des  vertus  »  de  la  servante  de  Dieu,  c'est-à-dire  cet  «  héroïsme 
intégral  »  que  maints  historiens,  d'une  école  plus  anglaise  que 
française,  s'obstinent  à  mutiler,  sinon  à  nier.  En  vérité,  sem- 
blent-ils dire,  c'est  de  la  génération  spontanée  que  cette  sainteté 
prétendue  de  la  libératrice  dOrléans.  Quatre  siècles  et  plus  se 
sont  écoulés  avant  qu'on  s'en  soit  aperçu.  Comment,  après  un  laps 
de  temps  aussi  considérable,  démêler  la  légende  de  l'histoire  ? 

Penser  ou  s'exprimer  de  la  sorte,  c'est  se  méprendre  grandement. 
La  sainteté  de  la  Pucelle  est  un  fait  aussi  certain,  aussi  aisé  à 
constater  historiquement,  que  cel-ui  de  sa  vaillance  et  dé  son 
patriotisme.  Avec  un  peu  de  bonne  volonté,  les  chercheurs  n'au- 
ront pas  de  peine  à  saisir  la  trace  que  la  question  de  la  sainteté 
de  Jeanne  a  laissée  à  travers  Ihistoire.  Elle  se  pose  à  Rouen,  le 
jour  même  de  son  supplice.  Elle  s'examine  et  se  tranche  en  pi-in- 
cipe  en  1456.  le  jour  où  les  juges  délégués  par  le  Saint-Siège  cassent 
la  sentence  du  tribunal  de  Rouen  et  réhabilitent  la  condamnée.  Elle 
préoccupe  l'opinion  avec  des  fortunes  dilférentes  jusqu'à  l'heure 
où,  le  fruit  étant  mûr,  l'Église  n'a  qu'à  tendre  la  main  pour  le 
cueillir. 

Un  document  inédit  (jui  atteste  cette  préoccupation  de  l'opinion 


DE    DOMREUV    A    COMPIÈGNE  169 

au  cours  des  siècles,  c'est  la  dissertation  qu'Edmond  Richer  a 
placée  à  la  fin  du  premier  livre  de  son  histoire  de  la  Pacelle  pour 
servir  de  conclusion  au  récit  qu'il  vient  de  présenter. 

D'après  l'auteur,  la  mission,  les  apparitions,  les  révélations  de 
Jeanne  étaient  de  Dieu.  Conclure  de  la  sorte,  c'était  concevoir, 
dès  1628,  l'espérance  que,  un  jour  ou  l'autre,  l'Église,  qui  a  pro- 
clamé en  1456  l'innocence  de  la  martyre  de  Rouen,  proclamerait 
de  même  son  héroïsme  de  chrétienne  et  sa  sainteté. 

Voici  le  texte  même  du  vieux  docteur  de  Sorbonne  sur  la  mission 
divine  et  les  apparitions  célestes  de  la  libératrice  d'Orléans.  Ce  docu- 
ment est  un  document  inédit,  mais  non  un  document  inconnu. 

Inédit,  parce  qu'il  n'a,  jusqu'à  présent,  jamais  été  publié,  ni 
même  analjsé  et  discuté. 

Mais  non  incùimu.  parce  que  dans  le  premier  livre  de  l'histoire  de 
laPucelle,  ce  document  s'est  offert  aux  yeux  de  tous  les  historiens 
et  érudits  qui  ont  consulté  le  manuscrit  10448  de  la  Bibliothèque 
nationale. 

J.  Quicherat  et  L'Averdy  parlent  en  plusieurs  passages  de  l'his- 
toire de  Richer;  mais  ils  ne  mentionnent  nulle  part  sa  Dissertation 
sur  les  révélations  de  V héroïne  \ 

Dans  Jeanne  d'Arc  libératrice  de  la  France  (in-8,  Paris,  Delà- 
grave,  sans  date),  M.  Joseph  Fabre  exprime  une  opinion  avanta- 
geuse de  l'histoire  d'E.  Richer.  Elle  est,  remarque-t-il,  «  très 
consciencieuse  »,  et  il  en  donne  deux  extraits. 

Néanmoins,  M.  Fabre  ajoute  :  «  Il  s'en  faut  que  toutes  les  pages 
du  manuscrit  d'E.  Richer  soient  dignes  de  celles-là.  u  Prenant 
alors,  sans  avertir  le  lecteur,  la  Dissertation  en  question,  il  en 
détache  quelques  lignes  relatives  aux  apparitions  démoniaques. 
Ces  lignes  le  font  sourire.  Ce  sont,  dit-il.  «  des  puérilités  »  dont 
le  pédantisme  théologique  est  seul  responsable  -. 

Passons  ce  sourire  à  un  critique  du  xix'^'  siècle.  Tout  à 
l'heure,  on  verra  que  la  Dissertation  du  docteur  de  Sorbonne 
contient  autre  chose  que  des  puérilités.  Quoique  le  Rév.  P. 
Ayroles  ne  l'ait  ni  analysée,  ni  reproduite  dans  son  grand 
ouvrage,  La  Vraie  Jeanne  d'Arc  :  la  Pacelle  devant  l'Eglise  de  son 
temps-,  il  la  mentionne  honorablement  et  la  loue  comme  elle  le 
mérite.  «  Richer,  dit-il.  était  théologien.  Il  a  étudié  les  mémoires 


1.  L'Averdy,  Notices  sur  les  deux  procès,  et  Des  manuscrits  sur  l'iiis- 
toire  de  Jeanne  d'Arc,  p.  18.'i-198.  —  J.  Quicherat.  Procès,  t.  V,  p.  389, 
469,  395,  etc. 

2.  Op.  cit.,  p.  2i7,  248. 


no  E.    RICHER.    LA    PUCELLE    D  ORLÉANS 

du  procès  de  réhabilitation,  et  il  en  a  donné  la  substance  dans 
une  courte  dissertation  où  il  établit  la  divinité  des  révôlations  de 
Jeanne.  »  Sur  le  manuscrit  même,  on  voit  écrit  à  la  marge  : 
à  omettre.  «  Ce  serait,  remarque  le  révérend  Père,  retrancher  du 
manuscrit  les  meilleures  pages'.  » 

Gardons-nous  donc  de  les  retrancher,  et  même  de  les  passer  sous 
silence.  Le  moment  est  venu  d'en  faire  connaître  les  pi-incipales 
et  de  les  publier.  Nous  les  donnons  en  français  un  peu  rajeuni  et 
en  resserrant  la  marche  du  discours,  sans  toutefois  en  altérer  la 
substance. 


DE  LA  MISSION,  DES  APPARITIONS,  DES  REVELATIONS 
DE  LA  PUCELLE 

L'auteur  fait  d'abord  observer  «  que  tout  le  motif  des 
juges  qui  ont  condamné  la  Pucelle  ne  provenant  d'ailleurs 
que  des  révélations  qu'elle  disoit  avoir  du  ciel  pour  le  salut 
et  repos  de  la  France  »,  il  y  a  lieu  et  il  se  propose  de  «  faire 
un  traité  de  sa  mission  suivant  les  règles  de  théologie  et 
droit  canon  par  ordre  et  méthode  très  facile  ». 

Mais,  avant  d'entrer  en  matière,  il  estime  devoir  rappeler 
un  principe  qui  domine,  en  quelque  sorte,  tout  ce  sujet,  à 
savoir  que,  même  depuis  la  prédication  de  l'Evangile  et 
l'établissement  de  l'Eglise,  Dieu,  quand  il  le  juge  bon,  confie 
à  des  âmes  de  son  choix  des  missions  spéciales  ;  «  il  leur  dis- 
pense et  départ  des  privilèges,  et,  bien  que  faibles  par 
nature,  il  les  rend  puissantes  et  relevées  en  grâces,  les 
envoyant  extraordinairement  pour  opérer  des  merveilles  aux 
yeux  du  monde  et  confondre  les  puissances  de  la  terre  ». 
Tels  furent,  sous  l'Ancien  Testament,  Moïse,  Debora,  David, 
Judith,  Esther.  Tels  ont  été,  depuis  le  Nouveau,  a  un  grand 
nombre  de  saints  que  l'Eglise  révère  comme  les  organes  du 
Saint-Esprit,  et  comme  ayant  opéré  des  miracles  en  son 
nom  ». 

On  se  demandera  naturellement,  poursuit  l'auteur,  quels 
moyens  permettront  de  distinguer  les  personnages  vraiment 

1.   Op.  cil.,   p.  113.  In-8°.  Paris,  1890. 


DE    DOMKEMY    A    COMI'IKGNE  171 

envoyés  d'en  haut,  de  ceux  dont  la  mission  n'est  que  fausse 
et  imaginaire. 

Dans  notre  condition  présente,  répond-il,  un  seul  moyen 
nous  le  permettra.  Il  consistera  à  examiner  attentivement 
«  les  effets  et  circonstances  de  ces  missions  extraordinaires, 
la  vie,  les  mœurs  et  actions  des  personnes  qui  se  disent 
envoyées  de  Dieu,  et  à  soumettre  le  tout  au  jugement  de 
l'Eglise  ». 

En  ce  qui  regarde  spécialement  la  Pucelle,  comment  cons- 
tater avec  certitude  de  façon  directe,  si  vraiment  elle  a  eu 
des  révélations;  si  c'est  saint  Michel,  saint  Gabriel,  saintes 
Catherine  et  Marguerite  qui  lui  ont  donné  conseil  ?  Il  y  a  là 
un  ordre  de  faits  transcendants,  inaccessibles  à  l'intelligence 
de  l'homme,  «  connu  de  Dieu  seul  et  de  cette  fille  à  laquelle 
il  a  plu  à  Dieu  se  manifester  ». 

Mais  nous  enquérir  si  dans  la  vie,  les  actes,  les  mœurs,  les 
habitudes,  les  sentiments,  les  propos  de  l'héroïne,  il  ne  se 
rencontre  rien  qui  la  rende  indigne  ou  peu  digne  de  ces 
faveurs  célestes  et  de  cette  mission  divine,  c'est  une  précau- 
tion que  nous  ne  devons  pas  négliger,  un  examen  auquel  il 
convient  de  procéder  diligemment. 

L'auteur  entreprend  aussitôt  cet  examen  en  ces  termes  : 


LA  PIETE  DE  JEANNE  D  ARC  JEUNE  FILLE 
ET  SES  RÉVÉLATIONS 

Quelle  est,  en  premier  lieu,  la  jeune  fille  qui  assure  avoir 
eu  telles  révélations? 

C'est  une  fille  vierge,  âgée  de  treize  ans,  saine  de  corps  et 
d'esprit,  forte,  robuste,  bien  sensée,  très  catholique,  laquelle 
maintient  que  dès  l'âge  de  treize  ans  ces  voix  se  sont  mani- 
festées à  elle.  «  Estoit  en  outre  fort  humble,  grandement 
adonnée  à  la  piété  et  à  la  vertu,  ne  faisoit  aucun  discours 
extravagant,  fréquentoit  les  sacremens. 

«  Or,  vu  la  pauvreté,  condition,  ignorance  et  rudesse  de 
tout  son  lignage,  il  est  impossible  qu'on  ait  pu  l'instruire 


172  E.  RIGHER.  —  LA  PUCELLE  D  ORLEANS 

pour  feindre  telles  choses,  attendu  Testât  auquel  les  affaires 
du  Roy  de  France  estoient  lors  réduites,  tout  lui  estant  con- 
traire et  très  favorable  aux  Anglais  et  aux  Bourguignons.  Et 
à  parler  humainement,  ces  pauvres  gens,  voire  Baudricour, 
capitaine  de  Vaucouleur,  avoient  lors  beaucoup  plus  à  crain- 
dre ou  espérer  des  Anglais  et  Bourguignons  proches  d'eux, 
que  de  Charles  VII  qui  estoit  comme  relégué  au  delà  de  la 
rivière  de  Loire,  et  ne  pensoit  qu'à  se  réfugier  en  Dauphiné 
ou  en  Espagne,  au  cas  que  la  ville  d'Orléans  se  perdist.  Le 
duc  de  Bourgogne  tenoit  la  ville  de  Langres  et  de  Troyes,  et 
toutes  les  places  de  la  marche  de  Champagne. 

«  Il  y  a  plus.  Posé  que  Baudricour  ou  quelqu'un  du  pais 
eust  esté  disposé  pour  feindre  telles  choses,  cette  fille  natu- 
rellement estoit  incapable  de  recevoir  ces  impressions  en 
son  esprit,  vu  les  grandes  et  ardues  difficultez  qui  les  accom- 
pagnoient,  estant  impossible  aux  hommes  de  les  surmonter 
sans  grâce  et  assistance  particulière  du  ciel.  Voire  même 
que  le  conseil  divin  de  cette  fille  lui  ayant  plusieurs  fois 
révélé  qu'il  falloit  qu'elle  allast  au  secours  du  Roy  de  France, 
elle  s'en  estoit  maintes  fois  esloignée  et  excusée,  tant  sur 
son  sexe,  condition  et  incapacité  de  faire  la  guerre,  que  sur 
ce  que  c'estoit  chose  prodigieuse  voir  une  fille  de  son  âge 
parmi  les  gens  d'armes  ;  et  de  tout  cela  font  foy  les  actes  du 
procez.  » 

II 

GOMMENT    SE     PRÉSENTENT     LES     RÉVÉLATIONS 
DEL A     PUCELLE 

«  Secondement  faut  considérer  les  révélations  et  visions 
que  la  Pucelle  dit  lui  estre  apparues  et  avoir  donné  conseil 
dès  l'âge  de  treize  ans  pour  l'induire  à  entreprendre  ce  qu'elle 
a  fait.  Car  examinant  le  tout  par  les  règles  que  les  docteurs 
requièrent  en  la  discrétion  des  anges  de  lumière  d  avec  les 
esprits  malins,  on  peut  conclure  sans  doute  qu'elle  a  eu  ces 
révélations  de  la  part  de  Dieu. 

1.  «  En  premier  lieu,  saint  Michel,  saint  Gabriel,  saintes 
Catherine  et  Marguerite,  qu'elle  maintient  lui  estre  apparus. 


DE    DOMREMY    A    COMPIEGNE  173 

sont  connus  et  honorez  en  l'Eglise  catholique,  apostolique  et 
romaine.  Conséquemment,  elle  ne  dit  rien  en  cela  contraire 
aux  traditions  et  aux  usages  de  l'Eglise. 

2.  «  La  Pucelle  a  déposé  devant  ses  juges  que  saint  Michel 
lui  apparut  le  premier  de  tous  en  forme  d'un  bon  pru- 
d'homme et  lui  enjoignit  d'estre  bonne  fille,  de  se  bien  et 
saintement  gouverner,  de  croire  saintes  Catherine  et  Margue- 
rite de  tout  ce  qu'elles  lui  conseilleroient,  tant  pour  son 
gouvernement  particulier  que  pour  secourir  le  Roy  de 
France  en  ses  adversitez. 

«  Assure  pareillement  que  ses  saintes  lui  recomman- 
doient  d'aller  souvent  à  l'Eglise,  de  fréquenter  les  sacrements, 
de  conserver  sa  virginité  qu'elle  voua  lors  à  Dieu  par  leur 
advertissement  :  et  l'a  tousjours  gardée,  mesme  conversant 
parmi  les  gens  de  guerre,  et  estant  prisonnière  entre  les 
mains  des  Anglois  qui  ont  tasché  mainte  fois  de  la  violer. 
Et  tout  cela  tient  du  miracle,  et  ne  peut  estre  sans  spéciale 
assistance  du  ciel  :  estant  certain  que  les  malins  esprits  se 
gardent  bien  de  donner  semblables  conseils  et  secours  pour 
y  persévérer  ;  et  la  persévérance  au  bien  est  un  certain 
argument  de  prédestination. 

3.  «  En  troisième  lieu,  onques  ne  demanda  à  ses  voix  que 
le  salut  de  son  âme,  et  réciproquement  ne  lui  ont  rien  pro- 
mis autre  chose  pour  tout  ce  qu'elle  a  si  laborieusement 
souffert  et  exploité. 

4.  «  N'a  jamais  eu  ces  révélations  qu'elle  n'aye  vu  une 
grande  et  constante  clarté,  et  senti  une  très  bonne  odeur  : 
présomption  que  c'estoient  des  Anges  de  lumière. 

5.  «  Elle  se  trouvoit  estonnée  de  premier  abord,  aperce- 
vant cette  grande  lumière  ;  mais,  incontinent  après,  telle- 
ment consolée  qu'elle  désiroit  estre  tousjours  avec  ce  divin 
conseil,  ou  bien  qu'il  l'emmenast  quant  et  soy  [avec  lui]. 

6.  «  Quelquefois,  à  leur  arrivée,  faisoit  le  signe  de  la  croix 
sans  que  pour  cela  ces  visions  disparussent  ni  se  retiras- 
sent. 

7.  «  Leurs  voix  et  paroles  estoient  douces,  humbles, 
agréables,  attrayantes  et  fort  intelligibles.  Au  contraire, 
celles  des  malins  esprits  sont  rudes,  horribles,  effroyables. 


174  E.     HICHER.    —    l,A    PUCELLE    D  ORLEANS 

8.  «  Ne  les  a  jamais  trouvez  variez  ni  en  diversité  de 
paroles,  comme  sont  les  esprits  malins  qui  ne  parlent  que 
par  équivoque,  énigmes,  amphibologies,  hyberboles  et  illu- 
sions, pour  tromper,  décevoir,  et  perdre  ceux  qui  leur  pres- 
tent  l'oreille. 

9.  «  N'est-ce  pas  une  grande  merveille  de  prédire  les 
choses  futures,  contingentes,  cognues  à  Dieu  seulement, 
ainsi  que  notre  Pucelle  a  fait?  Car,  au  temps  que  les  affaires 
du  Roy  étoient  humainement  désespérées  et  que  tout  rioit 
aux  Anglois,  elle  prédit  la  levée  du  siège  d'Orléans,  la  def- 
faite  des  Anglois  à  Patay  et  le  couronnement  de  Sa  Majesté  à 
Rheims,  que  Paris  se  rendroit  à  son  obéissance  dans  sept 
ans  révolus,  que  peu  après,  les  Anglois  seroient  entièrement 
exterminez  de  la  France,  et  que  le  duc  de  Bourgogne  seroit 
contraint  de  se  ranger  à  son  devoir  :  outre  plusieurs  autres 
choses  merveilleuses,  lesquelles  nous  passons  sous  silence  ; 
comme  d'avoir  cognu  le  Roy  et  Baudricour  qu'elle  n'avoit 
jamais  vus  auparavant,  d'avoir  dit  au  Roy  ses  plus  secrètes 
pensées  et  gémissements,  et  au  duc  d'Alençon  qu'il  se  reti- 
rast  de  la  bouche  d'une  artillerie  qu'on  alloit  tirer,  qui 
emporta  le  sieur  de  Lude. 

10.  «  Prédisant  ainsi  les  choses  futures  contingentes,  les 
énonçoit  d'un  esprit  posé,  tranquille  et  bien  rassis,  estant  à 
soy  et  non  point  agitée  de  fureur,  comme  les  Ménades,  Bac- 
chantes, Sibylles  et  autres  personnes  possédées  des  esprits 
malins. 

11.  «  Quel  grand  miracle  est-ce  qu'après  avoir  esté  dili- 
gemment examinée  à  Chinon  et  à  Poitiers,  le  Roy,  tous  les 
princes  de  son  sang,  seigneurs,  noblesse,  et  tant  de  capi- 
taines et  vaillants  soldats  François  se  soient  volontairement 
soumis  à  sa  conduite  et  ayent  combattu  sous  son  drapeau, 
encore  qu'elle  n'eust  jamais  vu  armes  ni  armées?  Gela  ne 
surpasse-t-il  pas  tout  pouvoir  et  croyance  humaine,  princi- 
palement entre  les  François  qui  combattoient  contre  les 
Anglois  pour  la  loy  salique? 

12.  «  Faut  considérer  le  dernier  période  de  sa  vie,  qu'elle 
est  morte  saintement,  faisant  ses  prières  à  nostre  Sauveur 
Jésus-Christ,  ayant  toujours  le  nom  de  Jésus  en  la  bouche, 


DE    DOMREMY    A    COMPIÈGNE  175 

invoquant  laVierge  et  tous  les  saints,  de  sorte  qu'elle  esmou- 
voit  tout  le  monde  à  compassion  et  à  pleurer;  mesme  l'éves- 
que  de  Beauvais,  qui  l'avoit  condamnée,  et  plusieurs  Anglois 
ne  purent  retenir  leurs  larmes. 

«  Bref,  il  n'y  a  ni  qualité  ni  condition  aucune  qu'on  puisse 
désirer  aux  Anges  de  lumière,  qui  ne  se  rencontre  aux  esprits 
qui  ont  assisté  et  conseillé  cette  fille.  » 


DES     APPARITIONS     DE     SAINTE     CATHERINE 
ET    DE     SAINTE     MARGUERITE 

«  Touchant  les  voix  de  saintes  Catherine  et  Marguerite, 
desquelles  cette  fille  estoit  assistée  et  conseillée,  vu  que  le 
Saint-Esprit  qui  gouverne  l'Eglise,  adjuvat  infu^mitates  nos- 
tras,  et  postulat  pro  nobis,  gemitibus  inenarrabilibus  S  c'est- 
à-dire  qu'il  prévient  notre  infirmité  pour  nous  secourir  en 
toutes  nos  nécessitez,  comme  fait  une  nourrice  son  enfant 
et  une  poule  ses  poussins,  naïfves  comparaisons  de  l'Escri- 
ture  ;  n'est-il  pas  croyable  que  la  Pucelle  ayant  recognu  que 
les  filles  et  femmes  avoient  grande  dévotion  à  ces  vierges, 
elle  s'y  soit  adonnée  à  leur  imitation,  ainsi  mesme  qu'elle  a 
confessé  et  recognu  devant  ses  juges  ;  et  que  pour  ce  subject 
et  y  avoir  plus  contribué  de  zèle  et  ferveur  que  toutes  les 
autres  personnes  de  son  siècle.  Dieu  a  voulu  recognoistre  et 
confirmer  sa  dévotion,  lui  envoyant  deux  Anges  revestus  de 
la  forme  et  figure  des  vierges  qu'elle  honoroit,  pour  la  con- 
duire et  gouverner  en  toutes  sortes  d'affaires  ?  Chose  qui 
semble  beaucoup  plus  probable  et  conforme  à  l'Ecriture 
sainte,  que  de  dire  ou  penser  aucuns  saints  apparoir  ordi- 
nairement aux  personnes. 

«  La  raison  en  est  évidente,  pour  ce  que  les  Anges  sont  es- 
prits créez  de  Dieu  pour  estre  envoyez  aux  hommes  et  exploi- 
ter quelque  ministère,  et,  à  cette  fin,  prennent  telle  forme  ou 
figure  qu'il  plaist  à  Dieu  :  lequel  par  sa  bonté  infinie  s'accom- 

1.  Romains,  vu. 


176  E.  RIGHER.  LA  PUCELLE  D  ORLÉANS 

mode  à  notre  bassesse  et  incapacité.  (Lisez  Saint  Thomas  en 
la  première  partie  de  sa  Somme,  question  quatre-vingt- 
neuf,  article  huitiesme,  response  au  second  argument.)  Rai- 
sons qui  me  font  croire  que  toutes  les  bonnes  ou  mauvaises 
apparitions  dont  il  est  mémoire  dans  la  Bible,  ou  aux  his- 
toires des  saints  et  escrits  des  Pères,  doivent  plus  tost  estre 
attribuez  aux  bons  ou  mauvais  Anges  qui  servent  Dieu  à  cet 
effet,  qu'aux  âmes  des  défunts.  Non  toutefois  que.  par  la 
volonté  et  ordonnance  de  Dieu,  il  ne  puisse  quelquefois  arri- 
ver que  les  âmes  des  défunts  apparoissent  en  leurs  propres 
personnes. 

«  Et,  ces  choses  bien  digérées,  il  sera  aisé  de  développer 
toutes  les  malignes  cavillations  de  lévesque  deBeauvais,  qui 
blasmoit  nostre  Pucelle  avoir  assuré  que  les  Anges  et  ses 
vierges  s'estoient  manifestées  à  elle,  et  qu'elle  leur  avoit 
rendu  pareil  honneur  que  l'Église  aux  saints  bienheureux  du 
paradis  :  semblablement  aussi  ce  qu'aucuns  pourroient  pré- 
tendre que  les  légendes  de  saintes  Catherine  et  Marguerite 
sont  apocryphes.  » 

IV 

MAUVAISES  RAISONS  ALLÉGUÉES  PAR   LES   JUGES   DE   LA  PUCELLE 
POUR    NIER    LA    VÉRITÉ    DE    SES    RÉVÉLATIONS 

«  Mais  puisque  saint  Paul,  si  éminent  et  relevé  en  grâces 
et  faveurs  du  ciel,  parlant  de  ses  propres  révélations  (//  Cor., 
chap.  xii),  dit  cognoistre  un  homme  croyant  en  Jésus-Christ, 
lequel  a  esté  ravi  jusques  au  troisiesme  ciel,  et  ne  sçavoir 
point  si  ce  ravissement  a  esté  fait  par  extase  et  abstraction 
réelle  de  l'esprit  hors  du  corps,  ou  bien  s'il  a  esté  transporté 
au  ciel  en  corps  et  en  àme  ;  quelle  témérité,  voire  impiété, 
aux  juges  de  la  Pucelle,  en  chose  si  obscure,  incognue  et 
incertaine  aux  hommes  que  sont  les  révélations,  d'avoir 
prononcé  une  si  cruelle  sentence  de  mort,  par  laquelle  elle 
fut  abandonnée  à  la  possession  de  ses  ennemis  mortels  pour 
estre  bruslée  toute  vive?  Considéré  mesme  qu'en  tous  les 
actes  de  leur  prétendu  procez,  il  ne  se  trouve  aucune  preuve. 


DE    DOMREMY    A    COMPIEGNE  177 

non  pas  mesme  présomption  valable,  du  moindre  crime 
qu'ils  ont  calomnieusement  imputé  à  cette  fille. 

«  Davantage  :  si  saint  Paul  a  flotté  en  des  incertitudes 
pour  ne  sçavoir  comment  ni  en  quelle  façon  il  a  eu  ses  révé- 
lations, bien  qu'il  les  recognust  véritables,  doit-on  trouver 
estrange  qu'une  bergère  aye  hésité  aux  maintes  questions 
malignes  et  captieuses  que  l'évesque  de  Beauvais  lui  a  faites 
sur  ses  apparitions  :  pour  exemple,  si  outre  les  faces  et  figu- 
res des  Anges  qui  lui  apparoissoient,  elle  avait  vu  leur 
corps.  Car  cette  fille  n'ayant  parlé  que  des  faces  et  figures,  ils 
la  tirent  et  transportent  malignement  à  divers  interroga- 
toires touchant  les  corps  des  Anges,  si  Dieu  les  avoit  créez 
ainsi  dès  le  commencement,  si  saint  Michel  avait  des  balan- 
ces et  des  ailes,  comment  les  Anges  pouvaient  parler,  n'ayant 
point  de  corps,  et  tout  cela  pour  la  faire  tomber  en  quelque  ab- 
surdité :  et  néantmoins  s'est  pertinementdesveloppée  de  leurs 
pièges. 

«  Quant  aux  signes  certains  de  sa  mission  sur  lesquels 
ils  la  pressèrent  tant,  certes  ils  n'estoient  pas  plus  capables 
de  les  recognoistre  que  les  scribes  et  Pharisiens  de  reco- 
gnoistre  ceux  que  Nostre  Seigneur  et  les  apostres  faisoient, 
lesquels  ils  ont  calomniez  comme  provenant  de  Béelzébub. 
Aussi  Jésus-Christ  leur  répond  (en  saint  Mathieu,  xii),  qu'ils 
n'auront  point  d'autre  signe  que  celui  du  prophète  Jonas, 
lequel  alla  prescher  aux  Ninivites  leur  damnation,  au  cas 
qu'ils  ne  fissent  aucune  pénitence  :  qui  est  le  signe  véritable 
et  certain  que  cette  fille  a  donné  aux  Anglois,  ayant  prédit 
leur  expulsion  du  royaume  de  France,  pour  n'avoir  voulu 
adjouster  foy  à  ce  qu'elle  leur  énonçoit  de  la  part  du  Roy  du 
ciel.  Et  même  respondant  au  quarantiesme  article  de  la  pro- 
duction de  l'évesque  de  Beauvais,  assure  qu'attendu  les 
signes  qu'ils  demahdoient,  elle  s'estoit  maintes  fois  mise  en 
prière  à  ce  qu'il  plust  à  Dieu  révéler  à  quelqu'un  du  parti 
anglois  la  vérité  de  sa  mission  ;  mais  si  ceux  qui  demandent 
des  signes  n'en  sont  pas  dignes,  que  ce  n'estoit  point  sa  faute  : 
[ce]  qui  est  sa  propre  réponse. 

«  Au  demeurant,  la  levée  du  siège  d'Orléans,  la  deffaite  des 
Anglois  à  Jargeau  et  Patay,  le  sacre  et  couronnement  du 

12 


178  E.    RICHER.    LA    PUCEl.LE    D  ORLEANS 

Roy,  une  douzaine  de  bonnes  et  fortes  villes  réduites  en  l'o- 
béissance de  Sa  Majesté  presque  sans  coup  férir,  et  tout  cela 
joinct  à  la  bonne  vie  de  cette  fille  et  circonstances  ci-dessus 
alléguées,  ne  devoient-ils  estre  tenus  par  les  Anglois  pour  si- 
gnes certains  que  cette  fille  avoit  mission  du  ciel  :  sinon  i^à 
moins]  que  Dieu  les  eust  frappez  d'aveuglement  pour  acqué- 
rir la  paix  de  la  France  par  leur  entière  extermination,  à 
laquelle  eux-mesmes  ont  donné  juste  titre  pour  n'avoir  obéi 
à  ce  que  Dieu  leur  annonçoit  par  une  simple  bergère.  Car  il 
choisit  les  choses  les  plus  basses  et  infirmes  du  monde  pour 
bouleverser  et  confondre  les  plus  fortes  et  éminentes,  dit 
saint  Paul. 


DE     LA    MISSION    DE    LA    PUCELLE    CONSIDEREE 
DANS     SES    EFFETS 

«  Après  avoir  montré  quels  sont  les  esprits  et  révélations 
de  la  Pucelle,  considéré  leurs  qualitez  et  propres  opérations 
en  elles  mesmes,  et  qu'il  ne  se  trouve  aucune  qualité  aux  es- 
prits de  lumière  de  laquelle  les  siens  ne  soyent  fortement 
assistés  et  munis,  il  nous  reste  à  faire  voir,  outre  ce  que 
nous  avons  desjà  remarqué,  ce  que  ces  esprits  ont  opéré  en 
cette  fille  et  par  son  entremise,  tant  pour  son  esgard  qu'à 
raison  du  public,  et  juger  de  la  vérité  de  sa  mission  par 
l'évidence  des  effets,  ainsi  qu'a  dit  Nostre  Seigneur, 
«  qu'on  cognoist  l'arbre  au  fruit  et  les  hommes  aux 
«  œuvres  »  ;  et,  en  saint  Jean,  v,  que  «  ses  œuvres  rendoient 
«  asseuré  témoignage  quel  il  estoit  et  par  qui  envoyé  ». 

«  Faisant  donc  une  revue  de  toute  la  vie  de  cette  fille,  con- 
sidérons que  ne  sçachant  A  ni  B,  et  ayant  tellement  quelle- 
ment  appris  sa  créance  de  sa  mère  qui  ne  sçavoit  aussi  ni 
lire  ni  écrire,  [ayant]  toujours  vescu  grossièrement  aux 
champs  parmi  les  villageois  et  les  troupeaux  de  bestes  qu'elle 
gardoit  ;  que  dès  l'âge  de  treize  ans  des  voix  lui  apparurent 
premièrement,  et  depuis  comme  elle  se  priva  de  toutes  sor- 
tes de  plaisirs  et  récréations  auxquelles  les  jeunes  filles  de 
son  âge  ont  accoutumé  de  s'adonner,  pour  vaquer  aux  œuvres 


DE    DOMREMV    A    COMPIEGNE  179 

de  piété  et  choses  sérieuses  ;  et,  nonobstant  cette  manière  de 
vie  grossière  et  champestre  et  la  condition  de  sa  naissance, 
qu'elle  est  grandement  prudente  et  intelligente  aux  choses 
divines  et  humaines. 

«  Voyons  combien  sa  vie  est  esloignée  de  toute  fantaisie  et 
dissimulation;  voyons  sa  grande  simplicité  et  humilité,  son 
grand  zèle  et  ferveur  à  la  foy  et  religion  ca'tholique,  sa 
piété  au  service  de  Dieu  et  de  l'Eglise  qu'elle  proteste  vou- 
loir servir  de  tout  son  pouvoir,  et  que,  si  elle  avoit  quelque 
sentiment  ou  croyance  que  les  gens  d'Eglise  luy  asseurassent 
répugner  aux  articles  de  la  foy,  elle  aymeroit  plus  tost  mou- 
rir mille  morts  que  d'y  adhérer;  (voyons  encore)  sa  résigna- 
tion à  la  volonté  de  Dieu,  son  obéissance  à  exécuter  ses 
commandements,  quoy  que  moins  séants  à  la  nature  de  son 
sexe  et  de  sa  condition  ;  prenons  garde  à  la  magnanimité  de 
son  courage,  aux  admirables  responses  qu'elle  fait  sur  les 
questions  captieuses  de  théologie  qu'on  lui  propose  pour  la 
décevoir,  et  que  sesjuges,  qui  estoient  ses  ennemis  mortels, 
lui  ayant  demandé  si  elle  ne  se  vouloit  pas  soumettre  à 
l'Eglise,  par  ce  mot  Eglise  ne  pouvant  entendre  ni  com- 
prendre autre  chose  sinon  les  ecclésiastiques  du  parti  an- 
glois  qu'elle  voyait  rassemblez  pour  la  condamner,  refusa 
plusieurs  fois  de  se  soumettre  à  TEglise  au  sens  qu'elle  en- 
tendoit,  demandant  qu'on  appelast  aussi  bien  des  ecclésiasti- 
ques du  parti  de  son  Roy  que  de  celui  d'Angleterre.  Et  fina- 
lement un  certain  docteur  en  théologie  lui  ayant  expliqué 
ce  terme  ambigu,  et  remonstré  que  lEglise  militante  uni- 
verselle comprenait  le  pape,  les  cardinaux,  archevesques, 
evesques.  prestres,  etc.,  elle  se  soumit  librement  et  voIoq- 
tairement  au  Pape,  demanda  plusieurs  fois,  et  persista  jus- 
ques  à  la  fin,  d'estre  renvoyé  à  lui  ;  de  toutes  lesquelles  cho- 
ses ses  ennemis  ont  tenu  registre  dans  leur  prétendu  pro- 
cez. 

«  Ne  faut  point  aussi  omettre  sa  grande  constance  et  pa- 
tience auxadversitez  qu'elle  a  souffertes,  soit  sa  prison  la  plus 
rigoureuse  et  inhumaine  qu'on  pourrait  imaginer,  soit  le 
supplice  de  la  mort  cruelle  qu'on  lui  fit  iniquement  soufirir  : 
Dieu  l'ayant  ainsi  permis  pour  confondre  l'iniquité,  rendre 


180  E.  niCHER.  —  LA  PUCELLE  D  ORLEANS 

assuré  témoignage  à  la  postérité  de  ses  vertus  héroïques,  et 
empescher  que  le  peuple  ne  l'idolastrast,  ou  qu'elle  mesme, 
emportée  de  l'esprit  de  vaine  gloire  et  de  tant  de  prospéritez, 
ne  s'oubliast  à  l'exemple  de  Salomon. 


VI 


LA    MISSION    DE     LA    PUCELLE    ET    LE     RELEVEMENT 
DU     ROYAUME 

«  Quant  au  général  des  actions  de  la  Pucelle,  concernant 
le  royaume  de  France,  n'est-il  pas  vraisemblable  que  la 
Providence  divine  aye  voulu  se  servir  de  cette  fille  pour  réu- 
nir et  conserver  cette  monarchie  comme  ayant  tousjours 
esté  le  bras  droit  de  l'Eglise,  le  refuge  du  Saint-Siège  aposto- 
lique et  de  tous  les  princes  affligez  ou  opprimez,  et  servi  de 
balance  et  contrepoids  à  tous  les  autres  estats  qui  ont  voulu 
entreprendre  tyranniquement  sur  leurs  voisins?  Et  n'y  eut 
onques  princes  ni  peuples  qui  ayentsi  libéralement  espandu 
leur  sang  pour  la  religion  que  les  François  :  tesmoins  les 
guerres  qu'ils  ont  entreprises  pour  le  recouvrement  de  la 
terre  sainte  et  en  chasser  les  Sarrasins  et  infidèles. 

«  Mais  ce  qui  rend  ici  le  bénéfice  et  la  grâce  de  Dieu  plus 
admirable,  est  que  Charles  VII  de  sa  nature  estoit  foible  et 
peu  agissant,  et  pour  cette  raison  la  Pucelle  respondit  à  ses 
juges  «  qu'il  avoitplu  à  Dieu  exécuter  telles  merveilles  par 
«  une  simple  fille,  »  rapportant  à  Dieu  tout  ce  qu'elle  avoit 
accompli,  l'ayant  envoyée  pour  moyenner  la  paix  entre  le 
Roy  de  France,  celui  d'Angleterre  et  le  duc  de  Bourgogne.  A 
quoy  ces  deux  princes  n'ayant  voulu  entendre,  elle  avoit  or- 
dre du  ciel  de  leur  faire  la  guerre  très  justement  :  vu  que 
l'Anglois  s'estoit  intrus  au  royaume  sous  prétexte  d'avoir 
espousé  Madame  Catherine,  sœur  du  Roy  Charles  VII.  Et 
chacun  cognoist  que,  parla  loy  de  Testât  de  France,  les  filles 
ne  peuvent  succéder  au  royaume. 

«  Que  si  c'est  chose  louable  de  procurer  la  paix  et  la  jus- 
tice entre  personnes  privées,  combien  à  plus  forte  raison  en- 
tre des  roys  et  princes.  Joint  que  plus  le  bien  est  général  et 


DE    DOMREMY    A    COMPIÈGNE  181 

commun,  plus  il  est  méritoire  à  celui  qui  en  est  l'instrument. 
Or,  quelle  sorte  de  guerre  plus  juste  et  raisonnable  que  celle 
qu'on  entreprend  pour  la  defïense  de  sa  patrie  et  d'un  royau- 
me injustement,  voire  tyranniquement  usurpé  !  et  ce  encore 
aux  fins  d'obtenir  la  paix,  faire  régner  l'ordre,  afin  que 
Dieu  soit  servi  et  honoré,  et  le  peuple  délivré  de  l'oppres- 
sion et  des  ravages  qu'une  guerre  civile  entraîne  quant  et 
soy. 

«  Car  auparavant  le  secours  que  Dieu  envoya  au  roy  Char- 
les Vil  par  cette  fille,  toute  la  France  n'estoit  qu'un  brigan- 
dage, et  ainsi  que  Nicolas  de  Clémengis  a  laissé  par  escrit,  il 
y  avoit  plus  de  justice  et  d'ordre  entre  les  diables  d'enfer 
qu'entre  les  François.  Et  pouvoit-on  dire  de  ce  pauvre  peuple 
ce  que  le  Psalmiste  tesmoigne  des  Egyptiens,  ps.  lxxvii  : 
«  Que  Dieu  avoit  envoyé  sur  nous  l'indignation  de  son  ire, 
«  et  fait  pleuvoir  toutes  sortes  de  tribulations,  misères  et  ca- 
«  lamitez  sur  la  France  par  l'entremise  des  mauvais  anges  »  ; 
lesquels  sont  ennemis  de  tout  ordre  et  justice  et  ne  se  délec- 
tent qu'aux  confusions  et  ruines  des  peuples. 


VII 

UNE  MISSION  DIVINE  EST-ELLE  INCOMPATIBLE,  CHEZ  UN  MÊME 
SUJET,  AVEC  LES  INFIRMITÉS  HUMAINES,  LES  PERSON- 
NAGES   DES    DEUX    TESTAMENTS    ET   LA    PUCELLE. 

«  Mais  d'autant  que  plusieurs  actions  de  la  Hucelle  res- 
sentent l'infirmité  humaine,  et  que  ses  ennemis  ont  voulu  de 
là  inférer  qu'elle  nestoit  pas  envoyée  de  Dieu,  comme  elle 
disoit,  il  nous  faut  monstrer  par  comparaison  du  petit  au 
plus  grand  et  des  choses  très  certaines  avec  les  probables, 
quelles  ont  été  les  actions  des  prophètes,  apostres  et  saints 
personnages  desquels  personne  ne  peut  révoquer  en  doute  la 
mission;  et  comme  bien  souvent  ils  ont  hésité,  chancelé,  et 
[esté]  en  maintes  irrésolutions,  et  que  tous  leurs  gestes  et 
actions  n'ont  pas  toujours  émané  de  l'esprit  de  Dieu,  mais 
bien  souvent  de  leurs  propres  motifs  accompagnez  de  gran- 
des infirmitez  et  passions  humaines.  Car  ores  que  Dieu  leur 


182  E.     RICHER.    LA    l'UCELLE    D  ORLEANS 

aye  départi  des  grâces  extraordinaires,  si  est-ce  toutefois 
qu'il  ne  les  a  [pas]  dépouillez  des  passions  et  infirmitez  aux- 
quelles la  nature  humaine  est  subjecte  par  la  condition  de 
son  estre,  afin  de  leur  faire  sçavoir  ce  qu'ils  sont  naturelle- 
ment, «  vermis  et  slilla  guttulœ,  toute  corruption  et  une  petite 
goutte  d'eau  »,  ainsi  que  parle  l'Escriture,  et  que  sans  la 
grâce  de  Dieu  ils  ne  peuvent  rien.  A  la  vérité,  on  voit  qu'ils 
ont  craint  et  fuy  la  mort,  tout  ainsi  que  les  autres  hom- 
mes. 

<(  Au  chapitre  premier  de  Iliérémie,  Dieu  lui  révèle  et 
l'asseure  «  qu'il  l'a  rendu  comme  une  cité  très  forte  et  impre- 
«  nable,  une  colonne  de  fer,  un  mur  d'airain  contre  les  Roys 
V  de  Juda,  les  princes,  les  prestres  et  tout  le  peuple  généra- 
«  lement,  et  qu'ils  ne  pourront  en  aucune  façon  se  prévaloir 
«  contre  lui.  »  Ce  nonobstant,  il  n'y  eut  jamais  prophète 
plus  affligé  et  persécuté  que  Hiérémie  ;  car,  après  une  longue 
et  cruelle  prison,  finalement  il  fut  lapidé.  Et  à  cette  histoire 
peut-on  rapporter  ce  que  la  Pucelle  avoit  dit  estre  asseurée 
de  ses  voix,  estre  délivrée  de  prison  :  ayant  par  imbécillité 
humaine  interprété  la  délivrance  de  son  âme  de  la  prison  de 
son  corps  pour  une  délivrance  de  la  prison  en  laquelle  elle 
estoit  détenue  par  les  Anglois.  Et  ses  ennemis  lui  ayans  re- 
proché cela  ne  plus  ne  moins  que  si  elle  avoit  esté  déceue  par 
les  malins  esprits,  semble  pouvoir  estre  comparée  aux  Juifs, 
lesquels  ayans  mis  prisonnier  et  fait  mourir  Hiérémie,  lui 
reprochoicnt  ou  pouvoient  reprocher  qu'il  estoit  un  faux 
prophète,  ayant  asseuré  que  Dieu  le  fortifieroit  tellement, 
que  ni  Roys,  ni  Princes,  ni  prestres,  ni  tout  le  peuple  de  Juda 
ne  pourroient  prévaloir  contre  lui,  qui  néantmoins  l'ont  fait 
mourir  et  lapidé. 

«  Les  Apostres  semblablement  n'ont  [pas]  esté  exempts 
des  infirmitez  et  passions  humaines.  Saint  Paul  n'a-t-il  pas 
repris  saint  Pierre  et  saint  Barnabe  (Galates,  chap.  ii)  «  Quod 
«  non  recte  atnbulai-eoit  ad  veritatem  Evangelii  —  de  n'avoir 
«  [pas]  droitement  et  sincèrement  marché  en  la  vérité  évan- 
«  gélique  ?  »  Et  aux  Actes,  xv,  nous  voyons  saint  Paul  et 
saint  Barnabe  se  séparer  l'un  d'avec  l'autre,  comme  par  despit, 
pouf  ce  que  Joannes  Mcwcus  s'estant  volontairement  mis  en 


DE    DOMREMY    A    COMMEGNE  183 

leur  compagnie  afin  d'annoncer  l'Evangile,  il  les  quitta  depuis  ; 
et  voulant  derechef  retourner  avec  eux,  saint  Paul,  offensé 
d'une  telle  légèreté  et  inconstance,  ne  voulut  admettre  cet 
homme  avec  lui. 

«  Le  mesme  saint  Paul,  aux  Galates,  v,  dit  :  «  Tous  ceux 
«  qui  vous  troublent,  puissent  [ils]  bien  estre  retranchez.  » 
Et,  aux  Actes,  xxiii,  parlant  au  grand  prestre  Ananias  qui 
l'avoit  fait  outrager,  l'appelle  «  paroi  blanchie  »  et  dit  «  que 
«  Dieu  le  punira  ».  Paroles  d'aigreur,  lesquelles  saint  Jé- 
rôme et  quelques  autres  Pères  tiennent  avoir  eschappé  à 
saint  Paul  par  impatience  et  infirmité  humaine  de  laquelle  il 
n'estoit  exempt. 

«  Ces  choses  bien  pesées,  on  ne  se  doit  esbahir  si,  du  pro- 
cez  de  la  Pucelle,  on  veoit  une  simple  bergère,  mineure  d'ans, 
prisonnière  depuis  un  an  entier,  les  fers  aux  pieds,  ne  sça- 
chant  lire  ni  écrire  pour  controller  et  régler  les  actes  de  ce 
prétendu  procez,  signer  et  contresigner  ses  dépositions,  afin 
d'empescher  les  effets  de  l'inimitié  mortelle  de  ses  ennemis, 
avoir  quelquefois  fait  des  saillies  dont  néantmoins  elle  s'est 
incontinent  relevée  par  la  grâce  de  Dieu,  lequel  finalement 
n'abandonne  jamais  ses  serviteurs.  Que  le  lecteur,  par  compa- 
raison des  choses  basses  avec  les  plus  hautes  et  relevées, 
considère  bien  les  faits  et  dits  de  la  Pucelle  auxquels  ses  en- 
nemis trouvent  plusàredire,  véritablement  il  cognoistra  n'y 
avoir  rien  qui  ne  soit  grandement  excusable,  voire  mesme 
louable  et  admirable,  que  les  signes  et  révélations  de  la  Pu- 
celle sont  suffisans  et  valables  selon  les  règles  de  la  théologie 
et  de  l'histoire,  et  que  les  Anglois  n'ont  eu  autre  subject  de  la 
faire  mourir  que  la  haine  mortelle  qu'ils  lui  portoient  pour 
avoir  secouru  le  Roy  Charles  VII  par  ordonnance  du  ciel,  et 
leur  avoir  prédit  qu'ils  seroient  entièrement  chassez  du 
Royaume  de  France  ^  » 

1.  Ce  (jui  lait  l'importance  de  cette  dissertation,  c'est,  autant  que  sa 
valeur  logique,  la  date  à  Icuquelle  elle  a  été  rédigée  et  la  forme  qu'elle  a 
revêtue.  Cette  date  est  celle  de  1628  ou  1630;  la  forme  sous  laquelle  elle 
se  présente  n'est  qu'à  moitié  scolastique  ;  elle  a  été  écrite,  non  en  latin, 
mais  en  français. 

A-t-elle  élé  connue  des  docteurs  de  l'université  de  Paris  ? 

Elle  a  dû  l'être  au  moins  de  quelques-uns,  vu  le  grand  savoir  et    la 


184  E.    RICHER.    —    LA    PUCELLE    d'oRLÉANS 

grande  réputation  de  l'auteur,  encore  qu'il  n'ait  pas  eu  le  temps  de  la 
faire  imprimer. 

Rapprochement  qui  confirme  cette  induction  :  Dix  ans  après,  en 
1637,  le  protonotaire  André  du  Saussay  publiait  son  Martyrologium 
Galhcanum.  dans  lequel  il  faisait  une  place  à  Jeanne  la  Pucelle. 
«  vierge  et  martyre  ». 

On  pourra  consulter,  sur  ce  sujet  de  la  mission  do  la  Pucelle,  notre 
dernière  étude  critique  :  Jeanne  d'Arc  et  sa  mission  d'après  les  docu- 
ments (in-12,  G.  Beaucliesne,  Paris)  ;  le  dernier  chapitre  de  notre  Histoire 
complète,  et  les  chapitres  xxi-xxv  de  notre  étude  :  Les  visions  et  les  voix. 


FIN    DU    PREMIER    LIVRE 
DE    l'histoire    DE    LA    PUCELLE    d'oRLÉANS 


LIVRE  SECOND 
[LE  PROCÈS   DE  ROUEN! 


AVANT-PROPOS  DE  L'ÉDITEUR 

Le  procès  à  la  suite  duquel  la  Pucelle  fut  brûlée  à  Rouen,  ne  fut 
ni  un  procès  civil,  ni  un  procès  en  cour  martiale;  ce  fut  un  pro- 
cès ecclésiastique  en  cause  de  foi  qui,  sous  les  dehors  d'un  procès 
régulier,  ne  fut  en  réalité  qu'un  faux  procès  d'Eglise  et  un  procès 
de  vengeance  d'Etat. 

Afin  que  les  lecteurs  peu  familiarisés  avec  ces  matières  puissent 
aisément  s'en  rendre  compte,  nous  rappellerons  brièvement  trois 
choses  : 

{'^  En  quoi  consistaient  les  procès  en  cause  de  foi.  procès  ecclé- 
siastiques criminels  au  premier  chef  ; 

2'^  Ce  qu'a  été  le  procès  de  la  Pucelle,  tel  que  les  documents  les 
plus  authentiques  nous  l'ont  fait  connaître-  ; 

3"  De  quelle  manière  E.  Richer  a  traduit  et  commenté  ce  procès. 


1.  Le  lecteur  voudra  bien  se  rappeler,  à  propos  de  ce  livre  second, 
les  explications  que  nous  avons  présentées  page  34  sur  les  modifications 
légères  apportées  à  la  ponctuation,  à  la  coupure  des  alinéas,  et  à  l'or- 
thographe d'E.  Riclier.  Il  en  sera  de  même  pour  le  livre  n  et  pour  le 
livre  in.  Nous  aurons  lieu  parfois  d'ajouter  des  sous-titres.  Dans  ce  cas, 
ils  seront  mis  entre  parenthèses. 

"2.  Sur  la  première  de  ces  questions,  l'on  pourra  consulter  l'Appen- 
dice I  que  nous  avons  mis  à  la  fin  du  tome  III  de  notre  Hisloire  com- 
plète de  Jeanne  d'Arc.  Sur  la  seconde,  notre  élude  critique  Jeanne  d'Arc 
ei  VÉglise,  Paris,  Ch.  Poussielgue  l'JOS.  Sur  les  deux,  le  ûireclorium 
Inquisitorum  de  Nicolas  Eymeric,  in-4o,  Rome,  MDLXXXVII. 


180  E.    RICHER.    LA    PUCELLE    d'(JRLÉAXS 

SECTION  PREMIÈRE 

DES  PROCÈS  ECCLÉSIASTIQUES  EN  CAUSE  DE  FOI 

I 

Du  pouvoir  judiciaire  de  1  Église  et  des  crimes  contre  la  foi  ; 
en  particulier,  de  l'hérésie. 

L'Eglise  catholique,  en  tant  que  société,  est  une  société 
complète  ;  Jésus-Christ  ne  la  pas  laissée  désarmée.  Aussi  bien 
que  les  sociétés  politiques  et  civiles,  l'Eglise  possède  les  deux 
pouvoirs,  législatif  et  judiciaire,  au  moyen  desquels  les  sociétés 
humaines  assurent  et  protègent  d'une  part  les  intérêts  multiples  de 
leurs  membres,  de  l'autre  répriment  et  châtient  ceux  qui.  violant 
les  lois  de  la  collectivité,  se  rendraient  coupables  des  crimes  ou 
délits  spécifiés  par  ces  lois. 

L'Eglise  a  donc  tout  ensemble  son  code  de  lois  édicté  par  les 
conciles  et  les  Souverains  Pontifes,  et  ses  tribunaux  chargés  de 
connaître  des  crimes  commis  en  violation  de  ces  lois  et  de  les 
punir. 

Les  plus  graves  de  ces  crimes  sont  les  crimes  en  matière  de  foi, 
l'hérésie  principalement,  le  schisme,  la  sorcellerie  avec  invocation 
des  démons,  etc. 

Pour  cette  raison,  les  procès  criminels  en  matière  d'hérésie  ont 
été,  de  la  part  des  Souverains  Pontifes,  l'objet  d'une  réglementation 
des  plus  approfondies. 

Que  faut-il  entendre  par  <>  crime  d'hérésie  ». 

Il  faut  distinguer  entre  le  péché  d'hérésie  et  le  crime  d'hérésie. 
Il  peut  y  avoir  péché  d'hérésie  sans  que  pour  cela  il  y  ait  crime. 

11  n'y  a  que  péché  d'hérésie,  tant  que  la  négation  opiniâtre  d'une 
vérité  de  foi  enseignée  par  l'Eglise  reste  mentale  et  n'est  pas  ma- 
nifestée extérieurement. 

Mais  l'hérésie  devient  un  crime  lorsqu'elle  se  manifeste  au  dehors 
de  manière  à  être  remarquée  et  à  devenir  une  occasion  de  chute 
pour  autrui  :  à  l'Eglise  alors  s'impose  la  mission  de  réprimer  ce 
crime  et,  s'il  y  a  lieu,  de  le  punir. 

Au  moyen  âge,  l'Eglise  n'était  pas  la  seule  à,  voir  un  crime  véri- 
table dans  l'hérésie  manifestée  de  manière  à  contaminer  la  société 
chrétienne;  les  princes  et  les  Etats  n'en  jugeaient  pas  autrement. 


LE    PROCÈS.    AVANT-PROPOS  187 

Ils  nictlaienl  rhérésie-crime  non  seulement  au  niveau,  mais  au- 
dessus  du  crime  même  de  lèse-majesté,  et  ils  la  traitaient  en  con- 
séquence. Les  hérétiques  et  soi-disant  tels  qui,  comparaissant  en 
justice,  s'opiniâtraient  dans  leurs  erreurs  étaient  condamnés  à  des 
peines  proportionnées  à  leur  culpabilité,  et  cette  peine  plus  d'une 
fois  était  la  peine  de  mort.  Dans  ce  cas,  c'était  la  justice  séculière 
qui,  ratifiant  la  sentence,  était  chargée  de  l'exécuter. 

Il  ne  faut  donc  pas  s'étonner  si  les  fidèles  qui  se  rendaient  cou- 
pables du  crime  d'hérésie  devenaient  Tobjet  de  poursuites  judi- 
ciaires et  d'un  procès  criminel  en  cause  de  foi;  procès  jugé  confor- 
mément aux  lois  canoniques  et  aux  décrets  des  souverains  Pontifes 
sur  cette  matière. 

Quelles  personnes  pouvaient   être  par  concomitance  l'objet  des 
poursuites  judiciaires  appliquées  aux  hérétiques. 

Les  hérétiques  formels  n'étaient  pas  les  seuls  contre  lesquels 
s'exerçaient  les  poursuites  en  matière  de  foi;  à  cause  des  maux 
et  des  désordres  graves  qu'engendre  la  perversité  hérétique,  ces 
poursuites  s'exerçaient  également  contre  tous  ceux  qui  la  favori- 
saient de  quelque  manière.  Tels  les  fidèles  qui  écoutaient  volon- 
tiers, recevaient  chez  eux,  défendaient  les  propagateurs  de  l'erreur 
en  matière  de  foi  ;  telles  aussi  les  personnes  adonnées  aux  prati- 
ques de  la  divination,  à  la  magie  noire,  aux  sortilèges,  aux  malé- 
fices dans  lesquels  il  est  fait  appel  implicitement  ou  expressément 
à  l'intervention  des  démons.  Tout  chrétien  coupable  de  ces  pra- 
tiques devenait  par  cela  seul  justiciable  des  tribunaux  ecclésiasti- 
ques, et  sujet  aux  peines  spécifiées  par  le  droit. 

II 
Des  juges  des  procès  en  cause  de  foi. 

La  première  des  conditions  requises  pour  la  régularité  de  tout 
procès  et  de  tout  jugement  en  matièi*e  de  foi,  c'est  que  le  juge  soit 
légitime  et  compétent. 

Sont  juges  légitimes  et  compétents  : 

Le  Pape  dans  l'Eglise  universelle,  et  les  prélats  et  religieux  qu'il 
délègue  pour  les  causes  qui  leur  sont  assignées  ; 

Les  Evéques,  dans  les  limites  de  leur  juridiction  et  de  leurs  dio- 
cèses :  ils  sont  alors  juges  «  ordinaires  »  ; 

Les  Inquisiteurs  dans  les  provinces  qui  leur  sont  confiées  :  mais 
alors  ils  ne  sont  que  les  délégués  du  siège  apostolique. 


188  E.    RICHER.    LA    PUGELLE    D  ORLEANS 

Des  causes  majeures. 

Néanmoins,  il  est  des  cas  dans  lesquels  il  n'y  a  et  ne  peut  y 
avoir  qu'un  juge  compétent,  le  Souverain  Pontife  :  c'est  quand  il 
s'agit  des  causes  dites  majeures.  Les  Conciles  et  le  droit  réservent 
le  jugement  de  ces  causes  au  Saint-Siège.  Ainsi  en  est-il,  par 
exemple,  quand  il  s'agit  de  prononcer  en  matière  de  visions  et  de 
révélations. 

De  l'évéque  en  tant  que  «juge  ordinaire.» 

Dans  son  diocèse  et  dans  les  limites  de  sa  juridiction,  l'évéque, 
qu'il  juge  seul  ou  conjointement  avec  l'inquisiteur,  peut  jugera 
litre  de  juge  ordinaire. 

Sont  soumis  en  ce  cas  à  sa  juridiction  les  hérétiques  ayant  leur 
domicile  ou  quasi  domicile  dans  son  diocèse,  ou  bien  y  ayant  com- 
mis quelque  crime  contre  la  foi,  y  ayant  par  exemple  répandu 
l'erreur,  pratiqué  la  magie,  la  sorcellerie  et  l'invocation  des  dé- 
mons. 

Mais  que  l'évéque  instrumente  seul  ou  de  concert  avec  l'inqui- 
siteur, il  est  tenu  de  se  conformer  en  tout  aux  prescriptions  et  aux 
règles  de  la  procédure  inquisitoriale. 

De  la  composition  du  tribunal. 

Lorsque  l'évéque  ou  l'inquisiteur,  en  un  mot  le  juge  compétent 
a  formé  sa  conviction  sur  la  nécessite  de  poursuivre  un  prévenu  en 
matière  de  foi,  il  doit  choisir  et  mander  des  conseillers  pour  l'as- 
sister durant  le  procès. 

Ces  conseillei's  ou  assesseurs  devront  être  des  «  gens  de  savoir  — 
feriti  ».  c'est-à-dire  des  théologiens,  canonistes,  légistes,  deux  au 
moins,  d'une  probité  au-dessus  de  toute  suspicion. 

Après  cela,  le  juge  s'occupera  dechoisir  et  nommer  officiellement 
les  auxiliaires  du  tribunal.  Ce  sont  par  ordre  d'importance,  le  Pro- 
moteur chargé  de  soutenir  l'accusation,  les  notaires  greffiers,  l'exa- 
minateur des  témoins,  l'exécuteur  des  commandements  du  tribu- 
nal ou  huissier. 

Des  procès  dits  de  chute  et  des  procès  de  rechute. 

La  manière  de  conduire  les  débats  est  différente  selon  qu'il  s'agit 
d'un  procès  de  chute  ou  d'un  procès  de  rechute. 
On  appelle  ■procès  de  chute  celui  dans  lequel  le  prévenu  est  accusé 


LE    PROCES.    —    AVANT-PROPOS  189 

pour  la  première  lois  du  crime  d'iiérésie  ou  de  sorcellerie;  procès 
dont  il  sortira  condamné  et  absous. 

On  appelle  procès  de  rechute  le  procès  intenté  à  un  accusé  retombé 
dans  les  erreurs  et  pratiques  opposées  à  la  foi,  après  avoir  été  dans 
un  premier  procès,  dit  de  chute,  accusé  de  perversité  hérétique, 
sans  toutefois  avoir  été  condamné  à  la  peine  capitale  et  livré  a"u 
bras  séculier.  Tel  est  le  cas  pour  les  accusés  dont  le  procès  de 
chute  se  termine  par  une  abjuration.  En  abjurant,  ils  s'engagent 
par  serment  à  ne  pas  retomber  dans  les  crimes  et  pratiques  dont 
ils  ont  été  absous. 

Tandis  que  la  peine  du  procès  de  chute  peut  n'être  que  la  prison, 
la  peine  du  procès  de  rechute  ou  relaps,  quand  le  relaps  a  été 
constaté  juridiquement,  est  toujours  la  mort  du  bûcher. 

Nous  parlerons  d'abord  de  la  manière  dont  les  juges  en  matière 
de  foi  doivent  conduire  les  causes  ou  procès  de  chute. 


III 
Des  procès  de  chute. 

De  leur  ouverture.  —  Les  procès  en  cause  de  foi  peuvent  s'ouvrir 
de  trois  manières  :  par  voie  d'accusation  expresse,  par  voie 
de  dénonciation  simple,  par  voie  d'enquête  ou  d'inquisition. 

Dans  les  procès  par  voie  d'accusation  expresse,  les  accusateurs 
s'engagent  à  faire  la  preuve. 

Dans  les  procès  par  voie  de  dénonciation,  les  dénonciateurs  ne 
s'y  engagent  pas. 

Dans  les  procès  par  voie  d'enquête  ou  inquisition,  au  juge, 
êvêque  ou  inquisiteur,  incombe  l'obligation  d'ouvrir  les  poursuites 
ex  officia,  en  vertu  de  sa  fonction  et  de  son  devoir  de  juge,  et  non 
sur  les  instances  des  parties. 

Mais,  condition  grave,  le  droit  ne  permet  pas  au  juge  enquêteur 
d'ouvrir  le  procès,  à  moins  d'avoir  acquis  la  preuve  et  la  conviction 
que  la  personne  signalée  est  vraiment  et  sérieusement  diffamée  en 
matière  de  foi. 

«  C'est  une  règle  certaine  en  droit,  disent  les  canonistes,  qu'au- 
cun supérieur  ne  peut  intenter  une  action  judiciaire  par  voie 
d'enquête  spéciale  contre  quelqu'un  qui  ne  serait  pas  déjà 
diffamé.   » 

Il  suit  de  là  que  antécédemment  à  tout  procès  canonique,  et 
comme  condition  indispensable,  les  juges  doivent  être  en  possession 


190  E.    RICIIER.    —    LA    PUCELLE    D  ORLEANS 

d'informations  sérieuses,  dignes  de  foi,  établissant  la  diffamation 
de  l'accusé.  Ce  point  établi,  ils  peuvent  ouvrir  le  procès. 

Droits  reconnus  aux  accusés  en  cause  de  foi. 

Les  juges  ecclésiastiques  n'ont  pas  seulement  des  droits  à  exercer 
envers  les  accusés  en  matière  de  foi  ;  ils  ont  aussi  des  devoirs  à 
remplir  à  leur  égard  et  des  droits  à  respecter. 

1°  De  par  la  loi  naturelle  et  les  lois  ecclésiastiques,  tout  accusé 
doit  être  en  possession  des  moyens  de  se  défendre,  et  admis  à  faire 
valoir  contre  ses  juges  toutes  exceptions  et  causes  légitimes  de 
récusation. 

C'est  le  cas  lorsque  les  juges  sont  suspects  et  animés  vis-à-vis  de 
l'accusé  de  sentiments  hostiles  connus. 

2°  Tout  accusé  a  droit  également  à  un  conseil  et  à  un  défenseur. 
«  Le  droit  de  défense,  est  un  droit  naturel,  dit  le  Directoire  des 
Inquisiteurs  :  c'est  pourquoi  on  ne  peut  et  on  ne  doit  pour  aucun 
motif  le  refuser  à  personne.  » 

3°  A  tout  accusé  âgé  de  moins  de  vingt-cinq  ans.  le  droit  cano- 
nique concède  non  seulement  un  avocat  conseil  et  défenseur,  mais 
encore  un  curateur  qui  est  chargé  de  le  guider  dans  les  actes  de  la 
défense. 

4"  Enfin,  un  des  droits  les  plus  certains  de  l'accusé  en  matièi-e 
de  foi,  était  celui  détre  incarcéré  non  dans  les  prisons  séculières 
ou  prisons  dEtat,  mais  dans  les  prisons  ecclésiastiques  où  les 
femmes  et  jeunes  filles  étaient  placées  sous  la  garde  de  personnes 
de  leur  sexe. 

ÏV 

Des  deux  parties  des  procès  de  chute  ;  du  procès  d'office 
et  du  procès  ordinaire. 

Le  procès  de  chute  ouvert,  il  se  divise  en  deux  parties  dont  l'une 
porte  le  nom  de  procès  d'office,  et  l'autre  celui  de  procès  ordi- 
naire. 

Dans  le  procès  d'office,  le  juge  commence  par  constituer  le  tri- 
bunal, puis  il  instruit  la  cause,  fait  examiner  les  témoins,  interroge 
l'accusé,  soit  par  lui-même,  soit  par  les  assesseurs  qu'il  délègue 
à  cet  effet,  et  fait  recueillir  exactement  les  interrogations  et  les 
réponses . 

De  là  le  nom  de  2yrocL's  d'office  donné  à  cette  partie  du  procès, 


LE    PROCÈS.    AVANT-PROPOS  191 

le  juge  paraissant  constamment  au  premier  plan  en  vertu  de  sa 
fonction  de  juge. 

Dans  le  procès  ordinaire,  le  juge  semble  céder  la  place  au  promo- 
teur qui  entre  en  scène,  précise  ses  accusations  qu'il  fonde  sur  les 
réponses  de  l'accusé,  et  les  soutient  par  toutes  les  voies  de  droit,  au 
besoin  par  la  torture.  Quand  les  moyens  d'action  du  promoteur 
sont  épuisés,  quand  le  juge  estime  la  cause  suffisamment  éclaircie, 
il  conclut  en  la  cause  et  fixe  le  jour  pour  le  prononcé  du 
jug-ement. 

La  partie  la  plus  importante  du  procès  d'office  a  été  celle  des 
interrogatoires  ; 

La  partie  la  plus  importante  du  procès  ordinaire  est  celle  du 
réquisitoire  ou  de  l'acte  d'accusation. 

Le  moment  venu  d'arrêter  la  sentence,  le  juge  ne  doit  le 
faire  qu'après  avoir  pris  Lavis  de  ses  conseillers  et  assesseurs  aux- 
quels il  devra  communiquer  toutes  les  pièces  des  débats. 

Sil  s'agit  d'une  sentence  de  condamnation,  il  faut  que  la  culpa- 
bilité de  l'accusé  ait  été  «  pleinement  établie»,  et  que  les  preuves 
en  soient  claires,  positives,  certaines. 

C'est  alors  pareillement  qu'on  examine  s'il  y  a  lieu  d'exiger  de 
Laccusé  une  abjuration  solennelle,  et  l'affirmative  résolue,  de 
préparer  toutes  choses  et  de  procéder  comme  le  droit  l'a  réglé. 

Le  jour  du  prononcé  de  la  sentence  sera  un  jour  non  férié.  Le 
juge  la  prononcera  assis  sur  son  tribunal,  —  de  jour  et  non  de  nuit, 
—  elle  sera  mise  par  écrit  et  lue  d'un  bout  à  l'autre. 

Si  la  peine  prononcée  est  l'abandon  au  bras  séculier,  elle  ne  sera 
exécutée  qu'après  une  deuxième  sentence  portée  par  le  juge 
séculier  qui  alors  livrera  le  condamné  au  bourreau. 

V 

Des  procès  de  rechute  et  des  relaps. 

Sous  le  nom  relaps,  on  désigne  les  héréti(iues  qui  ayant  subi  un 
premier  jugement  en  matière  de  foi  et  ayant  été,  quoique  coupables, 
soustraits  à  la  peine  capitale,  retombaient  de  nouveau  dans  leurs 
erreurs,  et  à  leur  première  chute  en  ajoutaient  une  seconde,  dite 
rechute  ou  relaps. 

Dénoncés  aux  juges  ecclésiastiques,  les  relaps  devenaient  l'objet 
d'un  procès  nouveau,  dit  de  rechute,  lequel  était  très  court  et  abou- 
tissait inexorablement  à  une  sentence  de  condamnation  et  au 
supplice  du  feu. 


192  E.    RICIIER.    LA    PUCELLE    D  ORLEANS 

La  rechute  dans  le  crime  d'hérésie  étant  chose  plus  coupable  que 
la  chute,  laquelle  était  elle-même  jugée  plus  grave  que  le  crime  de 
lèse-majesté,  les  lois  canoniques  traitaient  les  relaps  rigoureu- 
sement et,  qu'ils  se  repentissent  ou  non,  les  livraient  aux  bras 
séculier. 

Les  procès  de  relaps  étaient,  avons-nous  dit,  de  courte  durée. 

Le  procès  de  chute  de  la  Pucelle  fut  d'environ  cinq  mois;  son 
procès  de  rechute  fut  expédié  en  trois   jours,  supplice  compris. 

Dans  les  procès  de  relaps,  le  juge  compétent  commençait  par 
constater  juridiquement  le  fait  de  la  rechute.  Il  réunissait  ensuite 
des  consulteurs  de  conscience  et  de  savoir,  leur  signalait  le  fait  et 
re  cueillait  leur  avis.  Après  quoi  il  faisait  savoir  au  relaps  qu'il 
n'avait  plus  rien  à  espérer  en  ce  monde  et  qu'il  devait  songer 
uniquement  à  son  salut. 

En  même  temps,  mandement  était  fait  au  bailli  ou  magistrat 
principal  de  la  localité,  de  se  rendre  à  tel  jour,  à  telle  heure,  en  tel 
endroit,  jamais  dans  une  église,  avec  ses  gens  pour  prendre  livraison 
du  condamné. 

Au  jour  fixé,  une  prédication  publique  avait  lieu,  le  juge  ecclé- 
siastique rendait  son  arrêt,  le  bailli  à  son  tour  prononçait  une 
sentence  capitale,  le  bourreau  prenait  possession  du  relaps,  le  con- 
duisait au  bûcher,  sauf  à  ne  lexécuter  que  lorsque  les  membres  du 
tribunal  ecclésiastique  s'étaient  retirés,  car  ils  n'assistaient  jamais 
au  supplice. 

Le  seul  adoucissement  qui  fût  apporté  à  la  peine  des  relaps 
dignes  d'intérêt,  en  Espagne  par  exemple,  c'était,  avant  de  les 
livrer  aux  flammes,  de  les  faire  périr  par  strangulation  ou  autre- 
ment ;  mais  morts  ou  vivants,  ils  étaient  toujours  brûlés. 

On  leur  permettait  aussi,  quand  ils  donnaient  des  signes  de 
repentir,  de  recevoir  les  sacrements  de  pénitence  et  d'Eucharistie 
avant  de  marcher  au  supplice. 

VI 

Les  tribunaux  ecclésiatiques  en  matière  de  foi  et  nos  tribunaux 
criminels  d'aujourdui.  Des  juges  d'Église  et  de  leur,  autorité. 

Ce  quil  y  a  lieu  de  noter  dans  la  législation  del'Église  en  matière 
criminelle,  c'est  l'importance  du  rôle  assigné  aux  juges  et  l'étendue 
de  leur  autorité. 

Dans  nos  tribunaux  actuels,  c'est  un  magistrat  qui  est  chargé 
d'instruire  l'affaire  et  d'interroger  une  première  fois  l'accusé  ;  c'est 


LE    PROCÈS.    AYAXT-PROPOS  193 

la  chambre  des  mises  en  accusation,  c'est-à-dire  d'autres  magistrats 
(jui  décident  s'il  y  a  lieu  de  renvoyer  le  prévenu  devant  les  tribu- 
naux compétents,  police  correctionnelle  ou  cours  d'assises  ;  c'est 
un  conseiller  de  la  cour  d'appel  assisté  de  deux  autres  conseillers  qui 
préside  et  dirige  les  débats  ;  ce  sont  les  membres  du  jury  qui 
déclarent  l'accusé  coupable  ou  non  coupable  ;  c'est  enfin  le  prési- 
dent qui  applique  la  peine  déterminée  par  la  loi  ou  le  renvoie 
absous  et  hors  de  cause. 

11  en  est  tout  différemment  dans  les  procès  en  matière  de  foi.  Le 
juge  intervient  dès  la  première  heui'e  et  il  dirige  tout  jusqu'au 
prononcé  de  la  sentence. 

11  est  à  la  fois  le  juge  d'instruction  et  le  représentant  de  la 
chambre  des  mises  en  accusation  ;  il  préside  aux  interrogatoires 
et  aux  débats,  il  entend  l'acte  d'accusation  ou  réquisitoire  et,  après 
avoir  pris  lavis  de  ses  assesseurs,  il  est  seul  à  décider  en  sa  cons- 
cience si  l'accusé  doit  être  condamné  ou  absous,  et,  dans  les  causes 
de  chute,  quelle  peine  doit  lui  être  infligée. 

.V  devoir  donner  ime  idée  exacte  de  limportance,  du  rôle  et  de 
l'étendue  de  l'autorité  du  juge  ecclésiastique,  Évêque  ou  Inquisiteur, 
il  faut  dire  qu'il  n'y  a  guère  aux  débats  d'autre  autorité  que  la  sienne. 

De  fait,  les  assesseurs,  quelque  doctes  qu'ils  soient,  n'ont  aucune 
initiative.  Leur  voix  est  purement  consultative. 

C'est  à  ce  point  que  si  le  droit  oblige  les  juges,  sous  peine  de 
nullité,  à  prendre  l'avis  des  assesseurs  sur  l'arrêt  à  porter,  les 
juges,  une  fois  cette  condition  remplie,  reprennent  leur  liberté  et 
peuvent  prendre,  même  contre  l'unanimité  de  leurs  conseillers, 
telle  décision  qu'il  leur  plaira. 

Voilà  pourquoi,  malgré  l'avis  contraii'e  de  plus  des  trois  quarts 
de  ses  assesseurs,  l'évêque  de  Beauvais  put  prendre  sur  lui.  sans 
qu'on  pût  s'y  opposer  juridiquement,  de  proclamer  Jeanne  relapse, 
de  la  condamner  et  de  la  livrer  au  bras  séculier. 


SECTION  DEUXIEME 

DU    PROCÈS    DE    LX    PUCELLE 
1 

Les  préliminaires. 

Avant    même   que  la  Pucelle    fût  tombée  entre  les   mains  des 
Anglo-Bourguignons,  l'éventualité  avait  été  prévue  elles  dirigeants 

13 


194  E.    RICHER.    —    LA    PUCELLE 'd'orLÉANS 

de  la  politique  anglaise  avaient  axTèlé  que  la  captive  serait  ti'aduile 
devant  un  tribunal  ecclésiastique,  jugée  pour  crime  d'hérésie  et 
sorcellerie,  condamnée  et  brûlée. 

11  fallait  qu'elle  mourut.  Avec  une  cour  martiale,  elle  eût  pu 
n'être  condamnée  qu'à  la  prison.  Avec  un  procès  en  cause  de  foi 
et  un  procès  de  relaps  au  bout,  la  mort  de  la  l^ucelle  devenait 
inévitable.  Et  chose  d'un  prix  inlini,  l'on  pourrait  en  faii'e  retomber 
l'odieux,  non  sur  l'Angleterre  et  son  gouvernement,  mais  sur 
l'Eglise  et  ses  institutions. 

Dès  que  l'Université  de  Paris  apprit  le  résultat  de  la  sortie  de 
Compiègne,  le  vicaire  général  de  l'inquisiteur  écrivit  à  Jean  de 
Luxembourg,  requérant  que  la  prisonnière  lui  fût  livrée  pour  être 
jugée  en  cause  de  foi. 

L'Université  de  Paris  eût  voulu  que  le  procès  fût  jugé  à  Paris 
même.  Jusqu'au  21  novembre  1430,  elle  en  caressa  l'espoir.  Mais  les 
régents  anglais  ne  furent  pas  de  cet  avis.  Us  décidèrent  que  leur 
ennemie  serait  jugée  à  Rouen,  et  que  le  procès  aurait  pour  juge 
principal,  non  l'inquisiteur  de  France  où  l'un  de  ses  représentants, 
mais  l'évêque  de  Beauvais,  sur  qui  ils  savaient  pouvoir  compter. 

Ce  pi'élat  prétendait  que  la  Pucelle  avait  été  prise  sur  le  territoire 
de  son  diocèse.  Les  Anglais,  dont  il  ne  faisait  qu'exécuter  lesplans, 
se  gardèi-ent  bien  d'établir  que  sa  prétention  était  justifiée,  et  que 
vraiment  la  rive  de  l'Oise  où  Jeanne  était  tombée  entre  les  mains 
de  ses  ennemis  appartenait  au  diocèse  de  Beauvais,  non  à  celui  de 
Soissons.  En  conséquence,  le  procès  de  Rouen  devint  en  appa- 
rence, non  un  procès  d'inquisition  proprement  dite,  mais  un  procès 
de  «  l'Ordinaire  »,  avec  l'évêque  de  Beauvais  pour  juge  principal. 

C'est  en  cette  qualité  que  Pierre  Cauchon  ouvrit  et  conduisit  les 
débats.  11  y  est  tout  et  il  y  fait  tout.  Le  vice-inquisiteur  ne  parait 
qu'à  regret,  en  mars  seulement,  et  jusqu'au  bout  il  ne  remplitquun 
rôle  insignifiant. 

II 

Les  commencements  du  procès. 

Les  lois  de  l'Église,  consciencieusement  observées,  n'eussent 
jamais  permis  au  juge  choisi  par  l'Angleterre  d'arriver  au  but  qui  lui 
était  marqué,  c'est-à-dire  de  faii"e  condamner  et  supplicier  la  Pucelle 
justement.  Aussi  l'évêque  de  Beauvais  ne  se  gêne-t-il  pas  pour 
violer  à  son  aise  celles  de  ces  lois  qui  entravent  son  action. 

Son  premier  acte  d'autorité  eût  dû  consister  à  exiger  que  la  pré- 


LE    PROCÈS.    AVANT-PROPOS  193 

venue  fût  tirée  de  la  prison  d'État  où  elle  avait  été  enfermée  et 
mise  en  prison  dÉglise. 

Le  prélat  n'en  fit  rien  par  la  raison  que  «  cela  déplaisait  aux 
Anglais.  •) 

Son  devoir  était  non  seulement  de  ne  pas  refuser,  mais  de 
donner  à  Jeanne  mineure,  à  Jeanne  ignorante  de  toutes  les  chi- 
canés procédurières,  un  avocat,  un  conseil,  un  curateur.  Le  prélat 
laissa  laccusée  se  diriger  elle-même  et  défendre  ses  intérêts 
comme  elle  Tentendait. 

Elle  réclama  qu'au  nombre  des  assesseurs,  il  y  en  eut  qui  ne 
fussent  pas  ses  ennemis  déclarés  et  qui  appartinssent  au  parti 
français.  On  ne  tint  aucun  compte  de  ses  réclamations. 

Le  droit  exigeait  que  des  informations  préalables  établissent 
péremptoii'ement  que  la  jeune  fille  était  sérieusement  diffamée, 
suspecte  dans  sa  foi  et  dans  ses  mœurs,  adonnée  à  des  pra- 
tiques démoniaques.  Jamais,  l'évêque-juge  ne  produisit  à  ses 
assesseurs  des  informations  de  ce  genre.  Celles  qui  furent  recueil- 
lies étaient  toutes  favorables  à  la  prévenue.  D'où,  à  la  première 
heui*e,  une  iniquité  flagrante,  et  pour  le  procès,  une  cause 
de  nullité. 

III 
Du  procès  d'office. 

Cependant  le  procès  d'office  commence.  En  ce  procès,  Jeanne  va 
subir  quinze  interrogatoires,  tous  présidés  par  l'évèque  de  Beauvais, 
auquel  à  partir  du  13  mars,  se  joint  le  vice-inquisiteur  de  Rouen, 
Jean  Lemaitre. 

De  ces  quinze  interrogatoires,  six  furent  publics,  neuf  eurent 
lieu  en  présence  des  juges  et  de  quelques  témoins  seulement.  Le 
premier  interi'ogatoire  public  se  fit  dans  la  chapelle  du  château 
de  Rouen  ;  les  autres  dans  une  salle  dite  de  parernerU,  située  au 
bout  de  la  grande  salle  du  château.  Quarante-deux  assesseurs 
assistaient  au  premier;  aux  suivants,  il  yen  eut  jusqu'à  cinquante- 
huit. 

Les  neuf  interrogatoires  non  publics  eurent  lieu  dans  la  prison 
de  Jeanne,  souvent  à  raison  de  deux  par  jour,  un  le  matin,  l'autre 
après  midi,  tous  d'ordinaire  très  longs.  Deux  docteurs  de  l'Uni- 
versité de  Paris  assistèrent  à  ces  interrogatoires;  deux  ou  trois 
témoins  les  accompagnaient.  Au  dernier,  les  six  docteurs  de  Paris 
furent  présents. 


196  E.    RICIIER.    LA    PUCELLE    d'ORLÉAXS 

Dans  ces  neuf  inlcrrogaloires  de  la  prison,  l'on  reprit  les  unes 
après  les  autres  les  questions  déjà  traitées  dans  les  six  interroga- 
toires publics  et  on  les  approfondit  à  loisir. 

Ce  que  furent  ces  interrogatoires,  nous  ravons  dit  dans  notre 
Histoire  complète  de  Jeanne  d'Arc,  c.hap.  xxix-xxxv.  Quelles  furent 
les  matières  traitées  ?  des  matières  de  théologie  pour  la  plupart  ; 
il  n'est  pas  de  ])ages  où  il  ne  soit  question  de  visions  et  de  révéla- 
tions, c'est-à-dire  de  sujets  réservés  à  l'appréciation  et  au  juge- 
ment du  Saint-Siège. 

Et  quelles  étaient  les  parties  aux  prises?  D'un  côté  les  plus 
fameux  docteurs  de  l'Université  de  Paris,  maîtres  en  théologie,  en 
décret,  en  droit  civil;  de  l'autre,  une  pauvre  fille  des  champs,  ne 
sachant  ni  lire,  ni  écrire,  et  n'ayant  jamais  appris  un  mot  de  théo- 
logie. 

IV 

Du  procès  ordinaire. 

Avec  les  interrogatoires  de  la  prison  se  termine  le  procès  d'office. 
Avec  le  réquisitoire  du  promoteur  commence  le  procès  ordinaire. 

Dans  celui-ci,  l'évéque  de  Beauvais,  sans  jamais  cesser  de  tout 
diriger  et  de  présider,  charge  le  promoteur  Jean  d'Estivet,  de  pro- 
duire contre  la  Pucelle  les  accusations  qu'il  estime  devoir  soutenir 
et  de  les  faire  valoir  selon  la  raison  et  le  droit.  Et  alors  se  dérou- 
lent les  actes  suivants. 

Lecture  publique  du  réquisitoire  en  soixante-dix  articles. 

Les  trente  premiers  sont  lus  le  mardi  27  mars  à  l'accusée,  en 
présence  des  deux  juges  et  de  trente-sept  assesseurs  ;  et  les  quarante 
derniers,  le  mercredi  28  mars,  en  présence  d'une  asseml)lée  non 
moins  imposante. 

A  chacun  des  articles,  l'accusée  oppose  les  l'éponses  que  lui  dicte 
sa  conscience.  Mais  que  dire  d'un  magistrat,  d'un  prêtre,  qui  prête 
à  la  jeune  fille  le  contraire  de  ce  qu'on  lit  dans  les  interrogatoires? 

Les  douze  articles  et  les  admonitions. 

Les  nombreux  articles  du  Réquisitoire  ne  satisfirent  pas  l'évéque 
de  Beauvais.  Désirant  soumettre  le  cas  de  Jeanne  à  la  censure  de 
l'Université  de  Paris,  il  fit  rédiger  par  Nicolas  Midj  douze  articles 
résumant  les  principaux  chefs  d'accusation. 

Dans  la  seconde  moitié  d'avril  1431,  quatre  des  principaux  asses- 


LE    PROCÈS.    AVANT-PROPOS  197 

seurs  de  P.  Cauchon  portaient  à  Paris  le  texte  nouvellement  rédigé. 

Sans  attendre  le  résultat  de  cette  démarche,  les  juges  adressaient 
le  même  texte  aux  maîtres  et  docteurs  présents  dans  la  capitale  de 
la  Normandie,  avec  prière  de  «  donner  par  écrit  un  conseil  salutaire 
sur  ces  articles  » . 

Le  14  mai.  ll'nivcrsité  de  Paris  réunie  en  assemblée  solennelle, 
ratifiait  les  censures  dont  les  docteurs  des  Facultés  de  théologie  et 
de  décret  avaient  frappé  les  douze  articles.  Le  19  mai,  l'évêque  de 
Hcauvais  en  avait  entre  les  mains  l'instrument  authentique  et  en 
donnait  communication  à  ses  assesseurs. 

En  attendant  l'arrivée  de  cette  pièce,  on  avait  procédé  à  l'égard 
de  l'accusée  aux  actes  suivants  : 

Le  18  avril,  exhortation  de  l'évéque  de  Beauvais  à  laPucelle  dans 
sa  prison  sur  la  soumission  à  l'Église. 

Le  2  mai,  dans  une  salle  du  château  de  Rouen,  admonition 
publique  à  la  Pucelle  par  maître  Jean  de  Ghàtillon,  archidiacre 
d'Evreux,  en  présence  des  deux  juges  et  de  soixante-trois  asses- 
seurs. 

Les  9  et  12  mai,  on  examine  s'il  n'est  pas  expédient  de  soumet- 
tre la  prisonnière  à  la  torture,  et  l'on  juge  bon  d'attendre. 

Le  19  mai,  l'évéque  couvoque  cinquante  assesseurs  dans  la  cha- 
pelle da  l'archevêché,  et  leur  donne  communication  de  la  réponse 
de  l'Université  de  Paris.  La  plupart  des  assesseurs  présents  accep- 
tent ses  conclusions,  et  demandent  qu'il  soit  fait  à  l'accusée  une 
admonition  charitable. 

Le  23  mai,  cette  admonition  eut  lieu  dans  une  salle  du  château, 
proche  de  la  prison  de  Jeanne.  Elle  fut  faite  par  Pierre  Maurice,  de 
l'Université  de  Paris.  Ce  docteur  j  exposa  le  sens  des  douze  articles 
et  exhorta  Jeanne  à  se  soumettre  aux  censures  de  l'Université. 

Conclusion  de  la  cause. 

L'admonition  terminée,  l'évéque' de  Beauvais  conclut  en  la  cause 
et  désigna  le  lendemain  pour  le  prononcé  de  la  sentence  définitive. 


L'abjuration  du  cimetière  de  Saint-Ouen.  —  Sentence  d  absolution. 
Fin  du  procès  de  chute. 

Le  24  mai  1431,  dernier  jour  du  procès  de  chute,  l'évéque-juge  ne 
procure  pas  seulement  aux  Anglais  le  spectacle  qu'il  avait  annoncé, 


198  E.    RICHER.    —    LA    PUCELLE    d'oRLÉAXS 

le  prononcé  de  la  sentence  définilive  ;  il  y  joint  une  surprise  et 
une  ignoble  comédie.  Cette  surprise,  c'est  ce  que  Ton  a  nommé 
«  l'abjuration  de  la  Pucelle  »  ;  cette  comédie,  c'est  la  scène  arran- 
gée par  l'évêque  et  ses  affidés  pour  faire  croire  que  la  jeune  fille 
avait  réellement  accepté,  prononcé  et  souscrit  une  abjuration  en 
cause  de  foi. 

A  huit  heures  du  matin,  sur  la  place  du  cimetière  de  Saint-Ouen, 
en  présence  des  juges,  de  plusieurs  prélats,  de  nombreux  ecclésias- 
tiques et  d'une  grande  foule,  prédication  publique  de  maître  Guil- 
laume Erard  pour  préparer  le  prononcé  de  la  sentence. 

Après  la  prédication,  sommation  à  la  Pucelle  par  le  prédicateur 
et  par  l'Evèque  de  Beauvais,  de  soumettre  ses  dits  et  faits  aux  ju- 
ges et  à  leurs  assesseurs. 

Refus  de  la  Pucelle  :  elle  en  appelle  au  Pape.  Pierre  Cauchon 
répond  qu'on  n'a  pas  besoin  du  Pape;  que  les  évéques  sont  «  juges 
ordinaires  »  et  réguliers  dans  leurs  diocèses. 

Il  commence  à  lire  la  sentence. 

Pendant  cette  lecture,  on  circonvient  l'accusée,  et  on  finit  par 
l'amener  à  signer  une  rétractation  insignifiante  de  six  à  huit 
lignes. 

Les  affidés  de  P.  Cauchon  profitent  de  cette  concession  pour 
répandre  le  bruit  que  Jeanne  abjtu-e  en  cause  de  foi  et  se  reconnaît 
coupable  de  tous  les  crimes  dont  elle  était  accusée. 

L'évêque  accréditera  cette  fausse  rumeur  en  faisant  insérer  une 
cédule  fabriquée  exprès  dans  l'instrument  du  procès.  Reprenant 
la  lecture  de  la  sentence,  au  lieu  de  condamner  et  de  livrer  la 
jeune  fille  au  bras  séculier,  il  lui  inflige  la  peine  d'une  prison 
perpétuelle;  —ce  qu'on  appelait  une  sentence  d'absolution,  parce 
qu'elle  faisait  grâce  de  la  vie. 

La  sentence  rendue,  Jeanne  demande  à  être  mise  en  prison 
ecclésiastique,  comme  on  venait  de  le  lui  promettre,  avec  des 
femmes  pour  la  garder.  L'évêque  donne  l'ordre  de  la  ramener  en 
sa  prison  du  château. 

Ainsi  finit  le  procès  de  chute. 


VI 

Du  procès  de  rechute. 

Uualre  jours  après  la   fin  du  procès  de  chute  (28  mai),  l'évêque 
de  Reauvais  ouvre  le  procès  de  rechute. 


LE    PROCÈS.    AVANT-PROPOS  199 

Le  dimanche  27  mai,  à  la  suite  crun  guet-apens  de  ses  gardiens, 
la  Pucèlle  avait  repris  l'habit  d'homme. 

Un  grand  seigneur  ayant  tenté  de  lui  faire  violence,  elle  garda 
ledit  habit  auquel,  dans  sa  rétractation  du  24  mai,  elle  avait 
renoncé. 

Instruit  de  cette  reprise,  l'évéque  de  Beauvais  vient  le  lundi, 
dans  la  prison,  avec  les  membres  du  tribunal,  constater  le  fait. 

Le  29,  il  convoque  ses  assesseurs  et  leur  défère  le  cas.  Sur  qua- 
rante-deux assesseurs,  plus  de  trente  requièrent  qu'on  donne  lec- 
ture àlaPucelle  de  la  prétendue  formule  d'abjuration  qu'elle  avait 
disait-bn,  signée. 

Le  30,  sans  tenir  compte  de  cette  requête  et  de  cette  majorité, 
1  evéque  de  Beauvais  fait  comparaître  Jeanne  sur  la  place  du  Vieux- 
Marché  de  Rouen.  Là,  prédication  publique,  prononcé  de  la  sen- 
tence, condamnation  et  supplice. 

Ainsi  fut  expédié  le  procès  de  rechute,  ainsi  fut  mené  ce  qu'on 
nomme  le  procès  de  condamnation  de  la  Pucelle . 


SECTION  TROISIEME 

EDMOND    RICHER    ET    SON    EXPOSÉ    CRITIQUE 
DU    PROCÈS    DE    1431 

L'aperçu  qui  précède  sur  les  procès  en  cause  de  foi  et  l'analyse 
que  nous  venons  de  faire  du  procès  de  la  Pucelle  suffiront  à  rensei- 
gner le  lecteur  sur  le  sans-façon  avec  lequel  l'évéque  de  Beauvais 
laisse  de  côté  les  règles  sans  l'observation  desquelles  le  procès  ne 
pouvait  être  qu'irrégulier  et  nul  dés  la  première  heure.  C'est  à  la 
même  conclusion  qu'aboutit  l'exposé  raisonné  qu'Edmond  Richer 
en  a  présenté  dans  le  second  livre  de  son  histoire. 

A  propos  de  ce  livre  second,  nous  redirions  volontiers  le  mot 
déjà  cité  du  poète  ^  : 

Pro  capta  lectoris  habent  sua  fata  libelli  ! 

C'est  chose  triste  à  penser  que  Toubli  dans  lequel,  malgré  le  pro- 
fond savoir  dont  ces  pages  témoignent,  elles  sont  restées  jusqu'à  ce 
jour,  alors  que  tant  d'ouvrages  sans  valeur  survivent  et  occupent 
l'opinion. 

1.  Ce  mot  n'est  point  d'Horace,  comme  on  le  dit  couramment.  Véri- 
ûcation  faite,  il  est  de  Terentianus  Maurus,  poète  didactique  latin,  ori- 
ginaire d'Afrique,  qui  vivait  sous  Trajan. 


200  E.    RICHER.    LA    PUCELLE    D  ORLÉANS 

I\nppclons  brièvement  les  textes  sur  lesquels  s'exerce  la  critique 
de  notre  historien. 


Des  manuscrits  des  deux  procès  dont  Edmond  Richer  s'est  servi 
pour  écrire  le  deuxième  et  le  troisième  livre  de  son  histoire. 

1'=  Du  manuscrit  du  procès  de  condamnation. 

Le  manuscrit  dont  notre  auteur  s'est  servi  pour  sa  critique  du 
procès  de  condamnation  est  un  des  manuscrits  originaux  qu'on  peut 
voir  à  la  Bibliothèque  nationale. 

Ce  manuscrit  était  Tune  des  cinq  expéditions  authentiques  déli- 
vrées par  les  notaires  greffiers,  laquelle  se  ti'ouvait  à  la  disposition 
de  l'un  des  frères  Dupuis  (ou  Du  Puy)  dont  nous  avons  parlé  plus 
haut  :  c'est  Richer  lui-même  qui  nous  l'apprend  dans  VAdcertissement 
au  lecteur. 

«  Monsieur  du  Puis,  dit-il,  m'a  preste  l'original  de  ce  procès 
signé  de  trois  notaires....,  scellé  de  deux  sceaux,  le  plus  grand  de 
l'évêque  de  Beauvais,  le  plus  petit  de  frère  Jean  .Magistri,  inquisi- 
teur de  la  foj.  » 

Or,  ce  manuscrit,  nous  apprend  J.  Quicherat,  «  se  voit  à  la  Biblio- 
thèque nationale,  n°  5966  latin.  Il  était  marqué  autrefois  Cl. 
Puteani,  9675.  11  provient  de  DuPuy,  et  dès  lors  il  est  le  même  dont 
se  servit  Edmond  Richer.  Les  sceaux  sont  tombés,  mais  la  place 
en  est  encore  visible.  »   (.1.  Quicherat,  Procès,  t.  V,  p.  393.). 

2°  Des  manuscrits  du  procès  de  réhabilitation. 

Les  notaires  greffiers  du  procès  de  1455-56  nous  apprennent 
{Procès,  t.  n,  p.  76)  qu'ils  ont  délivré  sous  leur  seing  trois  expédi- 
tions de  la  rédaction  définitive.  Nos,  notarii  predlcti,  hoc  nostrum 
intégrale  authenticumquc  registrum  sub  volumine  triplicato  ccnsuimus 
redigendum. 

De  ces  trois  expéditions  nous  n'en  possédons  que  deux  :  l'une 
n°  597  latin,  in-folio,  vélin,  à  la  Bibliothèque  nationale  ;  l'autre, 
provenant  du  fonds  de  Notre-Dame,  n°  138,  in-folio  papier  et  vélin 
entremêlés,  qu'on  voit  aussi  à  la  même  Bibliothèque.  Ces  deux 
manuscrits  sont  légalisés  au  bas  de  chaque  feuillet  par  les  signa- 
tures Comitis  et  Ferrebouc,  l'un  avec,  l'autre  sous  la  formule  appro- 
bative  sic  affirmo. 

Edmond  Richer  nous  dit  avoir  eu  «  deux  originaux  de  la  revision 


LE    P150CÈS.    AVANT-PROPOS  201 

du  procès,  Tiin  du  trésor  de  Téglise  Noire-Dame  de  Paris,  lautre 
de  la  bibliothèque  de  Monsieur  Du  Lis,  conseiller  du  roy  et  avocat 
générai  en  la  cour  des  Aides  .  » 

Il  n'est  pas  douteux  que  le  premier  ne  soit  le  même  que  le  manus- 
crit de  la  Bibliothèque  nationale  mentionné  ci-dessus. 

Quant  à  l'original  appartenant  au  sieur  Du  Lis,  J.  Quicherat 
inclineày  voirie  «troisième  exemplaire  sorti  du  greffe  »,  qu'on  n'a 
pu  retrouver  de  nos  jours.  Un  point  toutefois  l'embarrasse:  c'est  que. 
au  rapport  de  Richer,  cet  exemplaire  ne  contenait  que  six  mémoires 
justificatifs,  au  lieu  de  huit,  dont  celui  qui  porte  les  trois  lettres 
capitales,  M.E.N.,  serait  de  Martin  Berrujer,  évêque  du  Mans, 
d'après  J.  Quicherat,  Marlinus,  episcopus  ceiiuinmiensiii  {Procès 
t.  V.  p.  464),  tandis  que  le  troisième  exemplaire  dont  parlent  les 
notaires  greffiers  contenait  et  les  huit  mémoires  et  les  écritures  du 
procès  de  condamnation. 

Ce  qui  fait  dire  à  l'éditeur  des  deux  procès  : 

«  Ou  Richer  s'est  mal  expliqué,  ou  le  manuscrit  de  M.  Du  Lis 
n'était  plus  un  texte  complet.  »  [Procès,  t.  V.  p.  467.) 

Il 

De  l'exposé  proprement  dit  que  fait  E.  Richer 
du  procès  de  Rouen. 

Dans  l'exposé  proprement  dit  qu'E.  Richer  fait  du  procès  de  Rouen, 
il  analyse  et  traduit  tout  ensemble;  il  analyse  fidèlement,  il  traduit 
exactement. 

Avant  de  commencer,  il  se  livre  à  quelques  considérations  préli- 
minaires, insistant  sur  lesmécompiesque  valut  aux  Anglais  la  mort 
de  la  Pucelle.  Il  cite,  à  ce  propos,  une  belle  page  dans  laquelle 
Philippe  deComioes  dépeint  le  triste  état  auquel  furent  réduits,  en 
ce  quinzième  siècle,  les  princes  et  seigneurs  de  la  maison  de 
Lancastre. 

Passant  ensuite  au  procès  lui-même,  E.  Richer  rappelle  avec 
quelle  passion  il  fut  conduit. 

Pour  lui,  le  procès  se  divise  en  cinq  parties. 

La  première  comprend  «  les  actes,  préambules  et  dispositifs  préli- 
minaires » . 

Le  seconde  est  la  partie  dite  procès  d'office,  partie  où  se  trouvent 
les  interrogatoires  au  nombre  de  quinze,  faits  à  la  prisonnière  avant 
le  Réquisitoire. 

E.  Richer  ne  distingue  pas  entre  les  six  premiers  interrogatoires 


202  E.    RICHER.    LA    PUCELLE    d'oRLÉANS 

qui  furent  publics  et  solennels,  et  les  neuf  suivants  qui  eurent  lieu 
dans  la  prison  de  laccusée,  en  présence  des  juges  et  de  quelques 
témoins  seulement. 

A  propos  de-  ces  quinze  interrogatoires,  l'historien  de  la  Pucelle 
signale  quelques-unes  des  questions  théologiques  bien  au-dessus  de 
la  portée  de  Jeanne,  sur  lesquelles  ses  juges  ne  rougirent  pas  de 
l'interroger  et. d'insister. 

Avec  la  troisième  partie  commence  le  procès  ordinaire  où  il  n'est 
guère  question  que  du  réquisitoire  du  promoteur  et  des  faits,  le 
plus  souvent  altérés,  faussés,  sur  lesquels  il  fonde  ses  accusations. 

La  quatrième  partie  est  consacrée  aux  douze  articles  envoyés  à 
l'Université  de  Paris. 

La  cinquième  partie  met  ensemble  l'abjuration  du  cimetière  de 
Saint-Ouen,  la  première  sentence,  dite  d'absolution,  le  procès  de 
rechute  et  la  condamnation  attendue  par  les  Anglais  avec  tant 
d'impatience. 

Des  textes  reproduits  et  analysés. 

Toutes  les  pièces  versées  au  procès,  telles  que  les  lettres  de 
l'Université  de  Paris,  de  l'évêque  de  Beauvais,  du  roi  d'Angleterre 
qui  se  trouvent  dans  l'édition  de  .1.  Quicherat,  se  trouvent  égale- 
ment dans  l'histoire  d'E.  Richer.  Entre  les  deux  textes,  il  n'existe 
que  des  différences  insignifiantes.  On  croirait  sans  difficulté  qu'ils 
ont  été  copiés  l'un  sur  l'autre. 

11  en  est  de  même  des  interrogatoires  du  procès  d'office.  Le  texte 
français  du  docteur  de  Sorbonne  suit  fidèlement  le  latin  de  J.  Qui- 
cherat. Nous  avons  relevé  les  quelques  variantes  qui  s'y  remar- 
quent :  elles  sont  de  nulle  importance. 

En  général,  la  traduction  est  d'une  exactitude  irréprochable. 

E.  Richer  ne  traduit  pas  les  préliminaires  de  la  plupart  des 
interrogatoires,  ceux  par  exemple  où  l'on  revient  sur  le  serment  de 
la  Pucelle  ;  il  se  contente  d'en  donner  une  analyse  substantielle.  Il 
traite  de  même  les  procès-verbaux  des  réunions  auxquelles  assistent 
seuls  les  juges  et  les  assesseurs. 

Mais  il  n'a  garde  d'omettre  aucune  des  circonstances  notables  de 
la  cause:  il  la  suit  pas  à  pas  et  il  ne  laisse  pas  de  lacune  sérieuse  à 
combler. 

Des  textes  traduits. 

Les  textes  du  procès  que  Richer  a  traduits  en  français  sont 
d'abord  les  (juinze  interrogatoires  du  procès  d'office  ; 


LE    PROCKS.    AVANT-PROPOS  203 

La  producUon  du  promoteur  ou  acte  d'accusation.  Dans  Richer, 
elle  compte  LXIV  articles,  au  lieu  de  LXX  qu'on  lit  dans  J.  Qui- 
cherat  ; 

L'interrogatoire  du  samedi  saint,  31  mars  ; 

Les  douze  «  propositions  »  —  expression  de  Richer  —  ou  articles 
envoyés  ù  l'Université  de  Paris; 

Les  interrogatoires  qui  ont  suivi  les  admonitions  charitables  ; 

Les  qualifications  de  chacune  des  facultés  de  théologie  et  de  dé- 
cret touchant  les  douze  articles  ; 

La  sentence  qui  suivit  la  rétractation  de  la  Pucelle  et  termina 
le  procès  de  chute  ; 

L'interrogatoire  du  28  mai  dans  la  prison,  après  la  reprise  de 
l'habit  d'homme; 

La  sentence  du  30  mai  1431  déclarant  la  Pucelle  relapse  et  la 
livrant  au  bras  séculier. 

D'une  traduction  de  pièces  de  ce  genre,  on  li'est  en  droit  d'exiger 
que  la  fidélité  et  l'exactitude.  Or,  la  traduction  de  Richer  présente 
ces  garanties  :  pour  le  temps  où  il  a  écrit,  on  ne  saurait  lui  faire 
un  reproche  de  manquer  d'élégance. 

11  n'existe,  au  point  de  vue  du  sens,  aucune  différence  appi'éciable 
entre  le  texte  traduit  et  l'original  des  manuscrits  tel  que  J.  Qui- 
cherat  l'a  relevé  et  édité.  L'on  peut  donc  sans  exagération  conve- 
nir qu'à  notre  docteur  de  Sorbonne  revient  le  mérite  d'avoir  été 
le  premier  à  user  du  texte  du  procès  de  condamnation  dans  ses 
parties  essentielles  et  à  le  traduire.  Mais  il  a  fait  davantage  ;  il  l'a 
soumis  à  un  examen  critique  approfondi,  et  il  en  a  mis  à  jour  la 
flagrante  iniquité. 

ni 

De  la  critique  du  procès  de  Rouen  par  E.  Richer  et  de  ses 
«  Advertissements.  » 

La  méthode  suivie  par  l'auteur  en  sa  critique  est  des  plus  sim- 
ples et  des  plus  loyales.  Elle  consiste  à  placer  d'abord  les  textes 
sous  les  yeux  du  lecteur,  et  à  faire  ressortir  de  ces  textes  ce  qu'ils 
accusent  d'invraisemblance,  de  malveillance,  de  partialité,  d'in- 
ventions perfides  chez  les  juges  de  la  Pucelle. 

C'est  dans  les  Advertissements  placés  à  la  suite  des  nombreux 
interrogatoires  et  des  incidents  principaux  de  la  cause,  que  Richer 
présente  les  observations  que  lui  suggèrent  les  textes  qu'il  vient 
d'exposer. 


20i.  E.    RICHER.    LA    PUCELLE    D  ORLÉANS 

Parmi  ces  observations,  signalons  celles  qui  l'amènent  à  contes- 
ter que  Jeanne  ail  été  faite  prisonnière  dans  le  diocèse  même  de 
Beauvais,  et  que  le  24  mai  143i,  au  cimetière  de  Saint-Ouen,  elle 
ait  accepté,  prononcé,  signé  le  long  formulaire  d'abjuration  que 
l'évêque-juge  a  fait  insérer  dans  l'instrument  du  procès. 

Sur  ce  dernier  point,  et  en  général  sur  tout  ce  qui  concerne 
l'évêque  de  Beauvais,  le  docteur  de  Sorbonne  a  vu  plus  clair  que 
.1.  Quicherat  et  que  les  défenseurs  du  juge  de  la  Pucelle. 

11  y  a  certainement  des  points  faibles  dans  la  critique  d"Edmond 
Richcr  ;  mais  on  ne  lui  contestera  pas  ces  deux  qualités,  un  savoir 
théologique  éprouvé  et  un  impeccable  bon  sens.  En  une  cause  essen- 
tiellement théologique,  où  il  est  constamment  et  à  près  uniquement 
question  d'apparitions,  de  visions,  de  révélations,  les  historiens 
doivent  se  réjouir  de  la  voir  traiter  par  un  homme  pour  qui  la 
science  théologique  et  le  droit  ecclésiastique  ont  peu  de  secrets. 

C'est  pourquoi  nous  nous  permettrons  d'appeler  l'attention  du 
lecteur  sur  les  AdvertissemeiUs  où  sont  remarquablement  éclaircies 
les  questions  que  les  juges  de  Rouen,  maîtres  in  sacra  pagina  et 
in  utvoque  jure,  semaient  comme  autant  de  pièges,  sous  les  pas  de 
l'accusée. 

Advertissements  principaux  et  questions  qui  y  sont  traitées. 

Première  partie,  premier  advertissement  :  Que  la  Pucelle  n'a 
pas  été  prise  dans  la  juridiction  spirituelle  de  l'évêque  de  Beauvais. 

Même  sujet  traité  plus  loin  à  propos  de  la  lettre  du  roi  d'Angle- 
terre, et  en  trois  ou  quatre  autres  circonstances  ; 

Deuxiè.me  advertissement. —  De  la  conduite  de  Charles  VII,  vis- 
à-vis  de  la  Pucelle  captive.  «  Que  par  toutes  nos  histoires,  etmesme 
au  trésor  de  Chartes  de  France,  il  ne  se  trouve  aucun  acte  public 
et  authentique  du  devoir  qu'on  a  fait  ou  dû  faire  pour  empescher 
les  desseins  des  Anglais.  » 

Premier  interrogatoire  public  :  advertisse.\ient.  —  Richer  appelle 
l'attention  du  lecteur  sur  les  «  interrogatoires  captieux  et  de  sub- 
tile théologie  faits  à  la  Pucelle  pour  l'embarrasser  et  la  faire  tom- 
ber en  quelque  contradiction.  » 

Troisième  interrogatoire  public  :  advertissement.  —  La  Pucelle 
déclare  croire  aussi  fermement  à  ses  voix  qu'elle  croit  la  foi  chré- 
tienne. 


LE    PROCÈS.    —    AVANT-PROPOS  "  205 

Il  n'y  a  là,  dit  E.  Riclier  qu'une  analogie.  La  croyance  de  Jeanne 
à  ses  voix  est  une  affaire  d'évidence  et  de  certitude  naturelles.  Sa 
foi  ohrélienne  a  pour  objet,  non  ce  qu  elle  voit,  mais  des  choses 
inaccessibles  que  Dieu  nous  a  révélées. 

Même  Advei^tissement.  à  la  fin  :  des  conditions  requises  pour  que 
la  présomption  de  sorcellerie  soit  valable. 

Quatrième  iatcri'OQaloire  pablic  :  advertisseuext.  —  Eclaircisse- 
ments sur  les  apparitions  des  saints  en  général,  des  saintes  Cathe- 
rine et  Marguerite  en  particulier;  sur  le  port  de  l'habit  d'homme. 

Du  principe  théologique  en  vertu  duquel  certaines  âmes  «  insi- 
gnemenl  prédestinées  »  sont  mises  en  possession  de  privilèges  ou 
soumises  à  des  obligations  spéciales  qui  les  dispensent  de  la  loi 
commune.  Ce  qui  est  en  plusieurs  points  le  cas  de  la  Pucelle. 

Huilième  séance  et  deuxicme  iiilerrogatoire  dans  la  j^rison  :  adver- 
TissEMENï.  —  Remarque  très  sage  au  sujet  des  révélations  intéres- 
sant les  princes  et  leurs  États  :  a  il  suffit  de  s'en  ouvrir  à  ceux 
auxquelles  elles  importent.  » 

Explications  à  propos  de  «  Satan  transformé  en  ange  de  lumière.  » 

Dixième  séance  et  quatrième  interrogatoire  dans  la  jyrison  :  adver- 
TissE.MENT.  —  Principe  dispensant  un  accusé  de  dire  la  vérilé  à  un 
juge  «  duquel  il  n'est  pas  justiciable.  » 

Explication  allégorique  du  signe  donné  au  roi  et  de  la  couronne 
qu'un  ange  avait  apportée.  Textes  malaisés  à  débrouiller. 

Onzième  séance  et  cincjuiéme  interrogatoire  dans  la  prison  :  adver- 
TissEMENT.  —  Des  faits,  erreurs  qui,  dans  la  vie  de  la  Pucelle,  comme 
dans  celle  des  apôtres  et  saints  personnages,  se  produisent.  Dieu  le 
permettant  ainsi,  par  infirmité  humaine. 

Treizième  séance  et  seplième  interrogatoire  dans  la  prison  :  advkr- 
TissE.MENT.  —  Que  l'évéque  de  Beauvais,  en  sommant  la  Pucelle  de 
soumettre  ses  dits  et  faits  à  l'Eglise  militante,  usait  d'équivoque, 
et  par  l'Église  en  question  entendait  les  évêques  et  prêtres  du  parti 
anglais.  Or,  «  par  toute  disposition  de  droit  humain  et  divin,  les 
ennemis  capitaux  sont  récusés  pour  juges  ». 

Quatorzième  séance  et  liuitièmc  interrogatoire  dans  la  prison  : 
AUVERTissEMENT.  — A  pi'opos  de  l'habit  d  homme  et  de  l'audition 
de  la  messe,  règle  théologique  :  "  Quand  deux    préceptes   divins 


206  E.    UICHER.    —   LA    PUCKLLE    D  ORLEANS 

semblent  se  heurter,  le  moindre  doit  céder  au  plus  grand,  le  con- 
ditionnel à  l'absolu  >K 

Quinzième  séance  et  neuvième  interrogatoire  dans  la  prison  : 
ADVERTissEMENT.  —  Digrcssion  historique  sur  le  meurtre  de  Jean 
sans  Peur,  duc  de  Bourgogne. 

De  la  production  du  Promoteur  ou  du  Réquisitoire. 

E.  Richer  ayant,  à  la  suite  des  interrogatoires,  cité  et  réfuté  les 
accusations  du  Promoteur,  il  se  borne  à  produire  le  texte  des 
articles  du  réquisitoire,  sans  les  faire  suivre  d'Advertissemcnts. 

A  lire  encoi*e  l'Advertissement  qui  suit  le  narré  de  la  scène  de 
Saint-Ouen  et  le  prononcé  de  la  sentence.  L'historien  de  Jeanne  y 
dénonce  le  faux  commis  par  l'évêque  de  Beauvais,  quand  il  fait 
«  registrer  en  ce  prétendu  procès  un  autre  formulaire  d'abjuration 
que  celui  qui  fut  lu  et  proposé  à  la  Pucelle  ». 

Viennent  ensuite  la  discussion  de  l'Information  posthume  et  des 
témoignages  qui  y  sont  allégués,  —  la  lettre  en  français  du  roi 
d'Angleterre  aux  prélats,  ducs,  nobles  et  cités  de  son  royaume  de 
France  ;  —  quelques  mots  sur  la  rétractation  exigée  de  deux  reli- 
gieux jacobins  qui,  le  jour  du  supplice  de  Jeanne,  avaient  dit  qu'elle 
était  condamnée  injustement. 

Richer  mentionne  simplement  la  lettre  à  l'empereur  et  aux  prin- 
ces de  la  chrétienté,  celles  de  l'Université  de  Paris  au  Pape  et  aux 
cardinaux,  et  il  finit  son  second  livre  en  relatant  un  incident  dont 
le  langage  tenu  sur  la  Pucelle  par  quelques  docteurs  de  Paris  au 
concile  de  Bàle  fut  l'occasion. 

E.  Richer  théologien  et  son  Histoire  de  la  Pucelle. 

Une  chose  qu'aucun  historien  ecclésiastique  ne  songe  a  contester, 
c'est  le  grand  savoir  de  Richer  et  la  connaissance  profonde  qu'il 
avait  des  pères  et  des  théologiens.  Mais  ce  qui  n'est  pas  plus  con- 
testable, c'est  le  désaccord  de  ses  idées  en  des  points  essentiels, 
principalement  sur  la  matière  de  l'Église  ^  avec  les  idées  en  faveur 

1.  Nous  avons  indiqué,  dans  notre  Introduction,  l'ouvrage  dans  lequel 
M.  l'abbé  Puyol  expose  et  discute  ces  idées.  Signalons  au  lecteur  l'écrit 
dans  lequel  Richer  lui-iuême  résume  ces  idées  et  présente  les  motifs  qui 
les  lui  avaient  fait  adopter.  Cet  écrit  a  pour  titre  :  Histoire  du  syndical 
d'Edmond  Richer  par  E.  liicher  lui-même.  1  vol.  in-12,  Avignon,  chez 
Alexandre  Girard,  M.DCC.LIH. 

Le  biographe  d'E.  Richer,  A.  Baillet,  place  cette  Histoire  au  n»  30 
dans  le  catalogue  qu'il  a  dressé  des  ouvrages,  imprimés  ou  non,  du 
docteur  de  Paris. 


LE    PUOCKS.    AVANT-PROPOS  207 

à  Rome  de  son  temps,  et  aujourd'hui  rerues  à  peu  prés  universel- 
lement dans  les  écoles  théologiques.  Sous  l'influence  de  ces  souve- 
nirs, de  graves  critiques  se  sont  demandés  si  le  gallicanisme  de 
Uicher  théologien  a  persisté  chez  Richer  historien  de  Jeanne  d'Arc 
et  s'il  ne  s'ailiche  pas  dans  les  séances  et  Advertissements  où  il  est 
question  de  la  soumission  de  la  Pucelle  à  l'Eglise.  A  ces  craintes, 
nous  pouvons  opposer  une  réponse  rassurante.  Non,  le  gallican 
qu'était  Edmond  Richer  ne  s'affiche  pas  chez  Richer  historien  ;  il 
ne  perce  même  pas,  et  ses  discussions  sur  la  soumission  à  l'Eglise, 
sur  les  appels  de  Jeanne  au  Saint-Siège,  sont  de  l'orthodoxie  la  plus 
pure.  Est-ce  la  Bienheureuse  qui  a  prédisposé  ainsi  et  converti  en 
quelque  sorte  son  panégyriste?  Quelle  qu'en  soit  la  cause,  l'effet  est 
au-dessus  de  toute  discussion,  et  Richer  demeure,  dans  sa  défense 
de  l'héroïne,  historien,  canoniste,  théologien  irréprochable. 

Dernières  observations. 

1"  A  partir  du  sixième  interrogatoire  public,  Jules  Quicherat  fait 
figurer  dans  son  édition  du  Procès,  t.  I,  pp.  9o  et  suivantes,  au 
bas  des  pages,  ce  que  l'on  possède  de  la  minute  française  prise  à 
l'audience  par  Guillaume  Manchon,  greffier  du  procès.  On  se 
demandera  peut-être  si  cette  minute  a  été  connue  d'Edmond  Ri- 
cher et  s'il  en  a  fait  usage. 

La  réponse  à  cette  question  ne  souffre  pas  de  difficulté.  Richer 
n'a  connu  ni  la  minute  française  que  nous  possédons,  ni  le  manus- 
crit de  D'Urfé  dans  lequel  elle  avait  pris  placé;  il  n'a  fait  usage 
ni  de  l'une  ni  de  l'autre,  et  son  texte  français  n'est  que  sa  tra- 
duction propre  du  latin  des  interrogatoires  et  autres  pièces  offi- 
cielles. 

La  raison  de  cette  réponse  est  péremptoire.  L'Averdv  qui,  le 
premier,  signala  la  présence  de  la  minute  dans  le  manuscrit  de 
D'Urfé,  ne  rencontra  ce  volume  qu'en  1787,  au  dépôt  des  Chartes  et 
monuments  historiques  de  la  place  Vendôme,  et  ne  put  savoir 
comment  il  y  était  arrivé.  De  ce  dépôt,  le  manuscrit  passa  à  la 
Bibliothèque  nationale.  Jules  Quicherat  l'y  trouva  et,  après  l'avoir 
étudié  à  fond,  confirma  le  jugement  de  L'Averdy  sur  l'authenticité 
de  la  minute  susdite.  Quant  à  ses  idées  sur  les  autres  parties,  on 
peut  les  voir  dans  le  cinquième  volume  de  son  grand  ouvrage, 
pp.  438  et  suivantes.  On  peut  regretter  que  Richer  n'ait  pas  eu 
sous  la  main  ces  textes  précieux;  ce  qu'il  a  pu  faire  à  leur  défaut, 
il  l'a  fait,  et  sa  traduction  reste  d'une  exactitude  à  laquelle  il  n'y 
a  qu'à  rendre  justice. 


208  E.    RICHER.    LA    PUCELLE    d'oRLÉANS 

2°  Edmond  Hicher  —  on  a  pu  sen  apercevoir  —  n'est  pas  un 
liistorien  de  l'école  descriptive.  11  y  a  certains  sujets  qu'il  eût  pu 
traiter,  les  uns  de  façon  plus  synthétique  et  plus  approfondie,  par 
exemple,  le  sujet  des  Voix  de  la  Pucelle;  les  autres  avec  des 
détails  plus  complets,  par  exemple  le  récit  de  l'abjuration  du 
cimetière  de  Saint-Ouen,  ceux  de  la  provocation  du  cas  prétendu 
de  relaps  et  de  la  scène  du  supplice.  Pour  le  sujet  des  Voix,  les 
interrogatoires  du  procès  d'office,  pour  les  deux  autres  les  dépo- 
sitions des  enquêtes  de  la  réiiabilitation  lui  offraient  une  documen- 
tation abondante.  Notre  historien  n'a  pas  cru  devoir  en  user,  de 
crainte  sans  doute  de  pécher  par  excès.  Si  ce  sont  là  de  vrais  desi- 
derata, nous  en  prévenons  le  lecteur,  sauf  à  y  suppléer,  si  les 
limites  du  cadre  qui  nous  est  tracé  le  permettent. 

LÉDlTEUll. 


J 


DE  COMPIEGNE  A  ROUEN 
CAPTIVITÉ,   PROCÈS,   SUPPLICE 


I 

[considérations    préliminaires.    AVANT    LE    PROCÈs] 

Deux  choses  incitoient  principalement  les  François  à 
mener  grand  deuil  de  la  prise  de  la  Pucelle.  La  première, 
qu'il  se  voioient  privez  de  sa  présence,  leur  ayant  toujours 
esté  à  très  grand  bonheur  :  outre  la  douceur  de  ses  mœurs 
agréable  à  tout  le  monde,  aucuns  exceptez  qui  pouvoient 
envier  l'esclat  de  sa  vertu. 

L'autre  cause  estoit  l'inimitié  mortelle  que  les  Anglois  et 
Bourguignons  portaient  à  cette  fille,  ayans  conspiré  sa  mort: 
et  ne  la  voulurent  jamais  délivrer  pour  quelque  offre  de 
finances  que  le  Roy  leur  fit'.  Caries  nostres  maintenoient 
qu'elle  devoit  être  traictée  en  prisonnier  de  guerre.  Et  tout 
ainsi  qu'à  une  nécessité  publique,  comme  un  siège  et  assaut 
d'une  ville,  les  femmes  et  les  filles  peuvent  licitement  pren- 
dre les  armes  pour  repousser  l'ennemi  commun  ;  au  cas 
semblable,  la  Pucelle  subjecte  de  sa  Majesté,  cognoissant 
l'extrémité  à  laquelle  estoit  réduit  son  Estât,  avoit  pu  par 
inclination  naturelle  prendre  les  armes  pour  la  deffense 
de  sa  patrie,  et  à  plus  forte  raison,  y  estant  particulière- 
ment invitée  par  ordre   spécial   qu'elle   en   avoit  du  ciel. 

1.  On  ne  connaît  pas  de  document  sérieux  établissant  que  Charles  YII 
ait  offert  au  roi  d'Angleterre  une  somme  quelconque,  ou  tenté  quoi  que- 
ce  soit  pour  délivrer  la  Pucelle. 

14 


210  E.    RICHEH.    LA    PUCELLE    D  ORLÉANS 

Sa  sainteté  de  vie  conjointe  à  ses  exploits  miraculeux 
montroient  clairement  que  les  ennemis  du  Roy  n'avoient 
[pas]  Dieu  pour  protecteur  de  leurs  armes.  xMais,  au  con- 
traire, les  Anglois  détorquoient  faussement  toutes  les  actions 
héroïques  de  cette  fille  à  sorcellerie,  hérésie,  idolâtrie,  publians 
que,  par  art  diabolique,  elle  avoit  promis  au  Roy  de  le  ren- 
dre paisible  [possesseur]  de  tout  le  royaume  de  France  et 
de  débeller  ses  ennemis.  Et  toutes  les  chaires  des  prédica- 
teurs de  leur  parti  retentissoient  de  tels  mensonges  et  calom- 
nies qu'ils  imputoient  à  la  Pucelle.  Procédé  qui  nous 
apprend  ce  que  peut  la  haine  publique  aux  discussions 
civiles,  et  qu'il  ne  faut  adjouter  foy  aux  bruits  de  ville  trom- 
petiez par  des  ennemis.  Certes,  il  n'est  pas  en  la  puissance 
de  l'Enfer  de  donner  des  royaumes  et  d'en  rendre  paisibles 
[possesseurs]  ceux  auxquels  il  les  promettroit,  estant  toute 
autre  chose  de  promettre  et  donner  :  joinct  que  les  pro- 
messes de  Satan  ressemblent  aux  songes  de  ceux  qui,  en  dor- 
mant, pensent  avoir  bien  de  l'argent,  et  après  estre  éveillez, 
se  trouvent  les  mains  vuides,  ainsi  que  dit  l'Ecriture.  Que  si 
cette  calomnie  des  Anglois  avoit  lieu  aujourd'huy,  maintes 
personnes  se  sacrifieroient  au  diable  pour  se  rendre  monar- 
ques et  obtenir  victoire  de  leurs  ennemis.  Et  ne  seroit  [pas] 
besoin  faire  tant  de  sièges  de  villes,  et  donner  tant  de 
batailles  rangées,  pour  gagner  et  conserver  les  royaumes. 

Saint  Paul,  chap.  ii  aux  Hébreux^  nous  apprend  que  «Dieu 
n'a  point  assubjecti  le  monde  aux  anges  pour  en  ordonner  à 
leur  volonté,  mais  au  Saint  Esprit  qui  distribue  et  départ 
ses  grâces  tout  ainsi  qu'il  lui  plaist  ;>.  Or,  tout  ainsi  que  la 
propérité  des  armes  du  Roy  démonstre  et  confirme  que  cette 
fille  estoit  envolée  de  Dieu,  attendu  que  les  Anglois  en  douze 
ou  quinze  ans  furent  totalement  exterminez  du  royaume  de 
France,  au  cas  semblable  elle  redargue  et  condamne  l'inique 
usurpation  des  ennemis  de  sa  Majesté,  et  nous  fait  voir  que 
toutes  les  forces  humaines,  la  sapience  du  monde  et  autres 
artifices  que  l'on  emploie  ou  oppose  contre  les  ordonnances 
du  ciel,  s'esvanouissent  en  fumée  :  et  les  Anglois  qui 
pensoient  flestrir  d'ignominie  le  Roy  de  France  et  ses  bons 
et  fidèles  subjccts  par  le  supplice  ignominieux  et  cruel  qu'ils 


DE    COMPIÈGNE    A    ROUEN.    LE    PROCÈS  211 

firent  endurer  h  la  Pucelle,  l'ayant  fait  brusler  comme  sor- 
cière, hérétique  et  imposant  des  mensonges  etfaussetez,  fai- 
sant séduire  et  idolastrer  le  peuple  après  elle,  ont  eux- 
mêmes  succombé  à  cette  haine  et  au  péril  et  peste  qui  en 
est  ensuivie.  Car  le  Roy  de  France  a  triomphé  de  toutes  leurs 
armées  et  provinces  qu'il  a  subjuguées  et  réunies  à  la  cou- 
ronne, n'ayans  plus,  Dieu  mercy,  qu'à  chercher  en  France 
sinon  les  sépulcres  et  ossements  de  tous  leurs  chefs  d'armées 
et  gens  de  guerre  qui  y  sont  morts  en  très  grand  nombre. 
Ce  que  la  Pucelle,  en  la  cinquiesme  séance  de  son  procez, 
leur  prédit  en  esprit  de  prophétie  articulée  en  ces  propres 
termes  au  procez  latin  : 

«  Item  dixit  quod  antequam  sint  septem  anni,  Anglici 
dimittent  majus  vadium  quam  fecerunt  coram  Aurelianis,  et 
quod  lotum  perdent  in  Francia  ;  dicit  etiam  quod  preefati 
Anglici  haberent  majorera  perditionem  quam  habuerunt 
in  Francia  ;  et  hoc  erit  per  magnam  victoriam  quam  Deus 
mittet  Gallicis.  Ego  bene  scio  istud  per  revelationem  quse 
mihi  facta  est,  et  quod  ante  septem  annos  eveniet.  »  {Pro- 
cès, t.  1,  p.  84.) 

Traduction  de  ce  passage  :  «  Elle  a  déposé  que  aupara- 
vant sept  ans,  les  Anglois  quitteront  un  bien  plus  grand 
gage  qu'ils  n'ont  fait  devant  Orléans  et  qu'ils  perdront  tout 
ce  qu'ils  ont  en  France*.  Dit  pareillement  qu'ils  recevront  la 
plus  grande  perte  qu'ils  ayent  onques  eue  en  France  ;  que 
cela  arrivera  par  une  grande  victoire  que  Dieu  envolera  aux 
Français  :  qu'elle  sçait  cela  par  révélation  qui  lui  a  esté 
faicte,  et  que  cela  adviendra  devant  sept  ans  révolus.  » 

De  vérité,  environ  sept  ans  après  la  mort  de  celte  fille, 
les  Anglois  furent  chassez  de  Paris  qui  est  un  gage  de  bien 
plus  grand  prix  et  conséquence  que  n'estoit  Orléans,  et  quel- 
que temps  après,  de  toute  la  Guyenne  et  Normandie.  De  sorte 
que  la  mort  de  cette  vierge  a  causé  leur  ruine  entière,  son 
sang  innocent  criant  vengeance  au  ciel. 

Les  Grecs  voulans  monstrer  que  la  Providence  divine  ne 
laissoit  jamais  aucuns  maléfices  impunis,  ont  peint  une 
déesse  Némésis  qui  recherchoit  la  vengeance  de  tous  les 


212  E.    RICHER.    LA    F'UCELLE    d'oRLÉANS 

forfaits  des  hommes,  comme  ils  disent  qu'elle  fit  à  l'endroit 
des  Perses  qui  avoient  voulu  ruiner  la  Grèce.  Car  toute  l'ar- 
mée de  Xerxès  qui  estoit  de  plus  de  seize  cent  mille  hommes 
fut  entièrement  dissipée  :  et  par  après,  retournez  qu'ils 
furent  en  leurs  païs,  ils  s'entrefirent  la  guerre  et  s'entre- 
tuèrent  les  uns  les  autres,  frères  bandés  contre  frères  :  vraye 
image  de  ce  qui  est  arrivé  aux  Anglois,  ainsi  que  Philippe 
de  Commines  a  sagement  remarqué,  au  livre  troisiesme, 
chapitre  quatriesme  de  ses  mémoires,  en  ces  propres  termes, 
parlant  des  guerres  survenues  entre  la  maison  de  l'Anclastre 
et  d'Yorth  [de  Lancastre  et  d'York  ,  celle-ci  ayant  entière- 
ment ruiné  l'autre. 

«  Durant  les  guerres  de  ces  deux  maisons  y  avoit  eu  en 
Angleterre  sept  ou  huit  grosses  batailles  et  [étoient]  morts 
cruellement  soixante  ou  quatre-vingt  princes  ou  seigneurs 
de  maison  royale  ;  et  ce  qui  n'estoit  mort  estoit  fugitif  en  la 
maison  du  duc  de  Bourgogne,  comme  ses  parents  de  L'An- 
clastre, lesquels  j'ay  veus  en  si  grande  pauvreté,  avant  que  le 
duc  de  Bourgogne  les  eust  recueillis,  que  ceulx  qui  deman- 
dent l'aumosne  ne  sont  pas  si  pauvres.  Car  j'ay  veu  un  duc 
estre  allé  à  pied  sans  chausses  après  le  train  du  duc  de  Bour- 
gogne, pourchassant  sa  vie  de  maison  en  maison  sans  se 
nommer.  —  G'estoit  le  plus  prochain  de  la  lignée  de  l'An- 
clastre et  avoit  espousé  la  sœur  du  roy  Edouard.  —  Après 
avoir  esté  cogneu  du  duc  de  Bourgogne,  il  eut  une  petite  pen- 
sion pour  s'entretenir.  Ceux  de  Sommerset  et  autres  y 
estoient  :  tous  sont  morts  depuis  ces  batailles.  Leurs  pères 
et  leurs  parents  avaient  pillé  le  royaume  de  France  et  pos- 
sédé, la  plus  part,  maintes  armées.  Ceux  qui  estoient  en  vie 
en  Angleterre  et  leurs  enfants  sont  finis  comme  vous  voyez. 
Et  puis  l'on  dit  que  Dieu  ne  punit  plus  les  gens  comme  il 
vouloit  du  temps  des  enfants  d'Israël,  et  endure  les  mauvais 
Princes  et  mauvaises  gens  '■.  « 

Considération  digne  de  l'esprit  judicieux  et  de  la  grande 
probité  de  Philippe  de  Commines  que  l'on  peut  comparer  à 

1.  Tout  ce  passage  de  Comincs,  que,  pour  simplifier  nous  avons  mis 
entre  guillemets,  est  souligné  dans  le  manuscrit  d'E.  Richer,  et  non 
guillemeté. 


DE    COMPIKGNE    A    ROUEN.    —    LE    PROCES  213 

Polybe  pour  les  beaux  enseignements  politiques  dont  il  a 
enrichi  ses  mémoires. 


II 


[DU    PROCES    MEME.  —    COMMENT    L  AUTEUR    LE    DIVISE 
ET    VA    l'étudier] 

Or,  les  Anglois  voulans  faire  succéder  leurs  desseins  et 
condamner  cette  fille  comme  sorcière,  hérétique,  etc., 
emploièrent  le  prétexte  de  la  religion  afin  de  tirer  cette 
cause  en  cour  d'Église.  Et  se  servit-on  premièrement  de 
V Unioersité  de  Paris  qui  estoit  devenue  toute  Angloise  par 
la  faction  des  ducs  de  Bourgogne  desquels  les  supposts  de 
l'Université  s'estoient  rendus  esclaves.  De  sorte  mesme  que 
pour  lors  la  Sorbonne  faisant  bastir  le  corps  ou  logis  qui 
estoit  sur  la  rue  de  Sorbonne  joignant  au  cloistre  Saint- 
Benoist,  y  fit  relever  en  bosse  les  armes  d'Angleterre, 
sçavoir  trois  grandes  roses  qui  avoient  chacune  en  diamètre 
un  pied  et  demy,  et  y  ont  demeuré  jusqu'à  cette  présente 
année  16:28,  que  ce  logis  a  esté  entièrement  démoli  pour 
satisfaire  au  dessein  de  M.  le  Cardinal  de  Richelieu  qui  faict 
rebastir  tout  à  neuf  le  collège  de  Sorbonne.  Et  faut  noter  que 
les  maisons  d'Yorth  et  de  l'Anclastre,  ces  deux  races  royales 
d'Angleterre,  avoient  blasonné  leurs  armes  de  trois  roses,  l'une 
des  blanches  et  l'autre  des  rouges  ;  blasons  qui  ont  servi  de 
distinction  pendant  leurs  mortelles  partialitez  et  divisé  tout 
le  royaume. 

Ce  procez  fut  premièrement  faict  et  couché  en  langue 
franroise,  car  la  Pucelle  n'en  entendoit  et  parloit  point 
d'autre  :  mais  depuis  quelques  années  après  sa  mort,  il  fut 
abrégé  et  rédigé  en  latin  par  maistre  Thomas  de  Courcelles, 
docteur  en  théologie,  l'un  des  juges  ',  et  Guillaume  Manchon, 
notaire  apostolique  à  Rouen  :  tellement  que  l'original  fran- 
çais sur  lequel  on  debvoit  faire  et  prendre  toutes  les  délibé- 

1.  Thomas  de  Courcelles  n'était  pas  un  des  juges  de  la  Pucelle,  mais 
l'un  des  six  docteurs  envoyés  par  l'Université  de  Paris,  dont  Pierre 
Gauclion  fit  ses  conseillers  intimes. 


214  E.    mCHER.    LA    PUCELLE    D  ORLEANS 

rations  de  l'innocence  ou  condamnation  de  la  Pucelle  fut 
malicieusement  supprimé  :  outre  que  les  juges  firent 
omettre  et  glisser  en  l'original  françois  tout  ce  que  bon  leur 
semble  pour  leur  décharge  et  rendre  cette  fille  plus  crimi- 
nelle. Ils  supposèrent  encore  douze  faux  articles  latins 
qu'ils  envolèrent  à  l'Université  de  Paris  pour  la  condamner 
comme  sorcière  et  hérétique.  Toutes  fois  si  n'ont-ils  pu  tant 
espandre  de  ténèbres  et  d'iniquitez  malignes  que,  Dieu 
mercy,  l'on  ne  tire  de  leur  prétendu  procez  de  grandes 
lumières  pour  la  justification  de  la  Pucelle  ;  quoique  l'éves- 
que  de  Beauvais  et  ceux  qui  Tont  assisté  n'aient  rien  omis  de 
tout  ce  que  leur  passion,  armée  des  forces  et  de  la  présence 
du  Roy  d'Angleterre,  leur  a  pu  fournir  pour  condamner 
cette  fille. 

Car  le  duc  de  Bethfort  ou  de  Sommerset,  régent  du 
royaume,  fit  expressément  venir  à  Rouen  le  Roy  d'An- 
gleterre, quoique  pupil  et  en  bas  âge,  crainte  qu'elle  ne  leur 
eschappast. 

Or,  afin  que  le  lecteur  puisse  juger  de  tout  ce  procez,  nous 
le  représenterons  tout  entier,  et  pour  en  faciliter  l'intelli- 
gence, nous  le  diviserons  en  cinq  parties. 

La  première  desquelles  contient  tous  les  actes,  préambules 
et  dispositifs  à  ce  procez. 

La  seconde  fera  veoir  ce  qu'ils  appellent  procès  d'office, 
c'est-à-dire  tous  les  interrogatoires  faicts  à  la  Pucelle,  avec 
ses  responses  et  confessions,  en  quinze  séances,  esquelles 
elle  a  esté  le  plus  souvent  examinée  six  heures  entières 
chacun  jour,  durant  tout  le  caresme,  sçavoir  trois  heures 
devant  et  autant  après  midy.  Outre  plus  de  soixante  articles 
calomnieusemenl  produits  par  le  Promoteur,  auxquels  sem- 
blablement  elle  a  respondu. 

Et  n'y  eust  onques  procez  auquel  ont  ait  apporté  tant  de 
haine,  tant  de  mauvaise  foy,  cavillations  et  chicaneries.  Une 
pauvre  bergère,  mineure,  âgée  d'environ  dix-neuf  ans,  ne 
sçachant  lire  ni  écrire,  ayant  les  fers  aux  pieds,  et  outre  cela 
enchaisnée  et  gardée  par  les  Anglois  qui  estoient  pareille- 
ment ses  juges  et  mortels  ennemis,  est  plusieurs  fois  inter- 
rogée sur  une   mesme   chose   à   divers  jours,  par  basions 


DE  COMPIÈGNE  A  ROUEX.  LE  PROCES  215 

rompus,  etmesme  plusieurs  parlans  à  elle  tout  à  la  fois  pour 
la  troubler  ;  et  n'est  pas  seulement  interrogée  sur  ces  pro- 
pres faicts  et  sur  tous  les  faux,  bruits  que  les  Anglois  avoient 
faict  courir  contre  son  honneur,  mais  aussi  sur  des  questions 
de  la  plus  sublime  théologie  scholastique  et  sur  des  équivo- 
ques desquels  un  sçavant  théologien  seroit  assez  empesché 
de  se  démesler  pertinemment,  comme,  par  exemple  : 

«  Si  elle  est  en  la  grâce  de  Dieu  ;  » 

Et  quand  elle  se  confesse,  «  si  elle  est  en  péché  mortel,  et 
croit  ne  pouvoir  pécher  mortellement,  ses  voix  lui  ayant 
révélé  qu'elle  seroit  sauvée  ; 

«  Si  les  voix  qui  parlent  à  elle  sont  immédiatement  créées 
de  Dieu  ; 

«  Pour  quoy  elle  a  fait  peindre  en  son  estandart  les 
anges  corporels,  et  si  Dieu  les  a  ainsi  créez  dès  le  commen- 
cement : 

«  De  quelle  stature  estoit  saint  JMichel,  comment  il  estoit 
vestu,  s'il  avoit  des  cheveux  et  les  balances  en  main  ;  et 
n'ayant  point  de  langue,  comment  il  pouvoit  parler  :  si,  à 
cause  de  sa  prison,  il  lui  a  manqué  aux  biens  de  la  grâce 
ou  de  la  fortune  ; 

«  .Si  elle  ne  veoit  pas  que  Dieu  a  révélé  immédiatement 
l'Escriture  Sainte  à  son  Eglise  et  qu'elle  ne  peut  errer  ;  et  si 
elle  ne  se  veut  pas  soumettre  en  tout  et  partout  à  l'Eglise 
militante  ; 

«  Si  ses  voix  parloient  Anglois  et  si  Dieu  hait  les  Anglois 
pour  ce  que  leurs  affaires  ne  prospèrent  à  présent  ;  et  quand 
elles  prospéroient,  s'il  estoient  aymés  de  Dieu  ; 

«  Si  son  Roy  a  bien  faict  en  faisant  tuer  le  duc  de  Bour- 
gogne ;  »  et  autres  semblables  questions  :  outre  plusieurs 
choses  ridicules,  obliquitez,  chicaneries  desquelles  un  Audi- 
teur de  Rote  on  subtil  advocat  du  Parlement  seroit  assez 
empesché  de  se  développer.  A  quoy  néantmoins  cette  lille  a 
satisfait  admirablement  bien  ;  ce  qui  donne  à  cognoistre 
qu'elle  estoit  illuminée  d'un  esprit  plus  qu'humain. 

En  la  troisiesme  partie  nous  représenterons  ce  qu'ils 
appellent  le  procez  ordinaire   lequel  ne  contient  rien   de 


210  E.    RICHER.    —    LA.    PUCEI.LR    d'oRLKANS 

vérité  quant  aux  charges,  mais  seulement  les  propositions 
et  inductions  que  le  promoteur  de  l'Evesque  de  Beauvais 
a  calomnieusement  et  faulssement  détorquez  des  dépositions 
et  responses  de  la  Pucelle  :  car  il  pose  pour  tout  avéré  ce 
quelle  a  nié  absolument,  et  au  contraire  [pour]  nié  ce  qu'elle 
a  confessé,  sans  apporter  d'ailleurs  aucunes  preuves  ni  pré- 
somptions valables  de  ce  qu'il  allègue. 

Gomme,  pour  exemple,  la  Pucelle  ayant  confessé  que  dès 
l'âge  de  treize  ans,  elle  a  esté  conseillée  par  saint  Michel  et 
saintes  Catherine  et  Marguerite,  et  excitée  fortement  d'aller 
au  secours  du  Roy  de  France,  il  conclut  de  là  que  dès  son 
premier  âge  elle  s'est  abandonnée  à  la  sorcellerie  et  a 
consulté  les  malins  esprits,  sans  en  donner  d'autre  preuve 
que  la  conspiration  qu'ils  avoient  faicte  de  faire  mourir  cette 
fille. 

La  quatriesme  partie  consiste  en  douze  articles  extraits 
de  ce  procez  ordinaire  qui  rendent  la  Pucelle  aussi  noire  et 
criminelle  que  les  diables  d'enfer.  Lesquels  articles  ont  esté 
envolez  à  l'Université  de  Paris  et  à  plusieurs  ecclésiastiques, 
çà  et  là,  voire  mesme  à  gens  de  palais  pour  donner  leur 
advis  et  censure  sur  iceulx  articles,  et  non  sur  les  propres 
confessions  et  dépositions  de  cette  fille  couchées  en  langue 
françoise  au  procez  original,  lequel  on  n'a  jamais  représenté 
à  l'Université  de  Paris  ni  à  tous  ceux  qui  ont  donné  juge- 
ment contre  la  Pucelle  ;  et  conséquemment  leur  juge- 
ment est  nul  comme  estant  donné  sur  des  faits  faulx. 

La  cinquiesme  [partie]  contient  deux  sentences  de  l'évesque 
de  Beauvais  données  en  moins  de  huit  jours  sur  ces  douze 
prétendus  articles  qui  furent  envolez  à  l'Universilé  de 
Paris. 

La  première  est  la  sentence  par  laquelle  ils  font  faulsse- 
ment entendre  que  la  Pucelle  s'est  volontairement  retractée, 
et  en  conséquence  de  cette  sentence  l'ont  après  condamnée 
comme  relapse  à  esire  bruslée  toute  vive,  sans  qu'au  préa- 
lable elle  ayt  esté  condamnée  par  aucun  juge  séculier  ou 
qu'il  soit  intervenu  de  sa  part  quelque  jugement  capital.  De 


DE    COMPIÈGNE    A    ROUEN.    LE    PROCES  217 

manière  que  de  la  main  de  l'Evesque  de  Beauvais  elle  passa 
immédiatement  en  celle  du  bourreau  ;  façon  de  procéder 
jamais  usitée  auparavant. 

Au  surplus,  il  y  a  en  ce  procez  plusieurs  interrogatoires  et 
redites  ennuyeuses  qui  ne  plairont  [pas]  au  lecteur.  Mais  il 
doibt  voir  qu'en  matière  d'histoire  il  vaut  beaucoup  mieux 
faillir  à  plaire  qu'à  rapporter  fidèlement  la  vérité  :  à  quoy  je 
me  suis  totalement  estudié. 


PREMIERE  PARTIE  DU  PROCEZ 

CONTENANT  LES  PRÉPARATIFS  ET  ACTES  PRÉAMBULAIRES 
A  ICELUY 

Afin  de  traicter  par  ordre  toutes  choses,  faut  sçavoir  que 
l'Université  de  Paris  a  rué  (jeté)  la  première  pierre  du  scan- 
dale contre  la  Pucelle,  ayant  escrit  en  langue  Françoise  au 
duc  de  Bourgogne,  pour  lors  gouverneur  de  Paris,  à  ce  qu'il 
luy  pleust  faire  délivrer  cette  fille  à  l'Evesque  de  Beauvais, 
en  ces  propres  termes  : 

Lettre  de  l'Université  de  Paris 
AU  DUC  de  Bourgogne 

«  Très  hauLei  très  puissant  Ih'ince,  et  noslre  très  redoublé  et  lion- 
noré  Seigneur  :  Nous  nous  recommandons  très  humblement  a  vostre 
haul tasse.  Combien  qu'aultres  fois,  nostre  très  redoublé  el  honnoré 
Seigneur,  Nous  ayons  par  devers  vostre  haultesse  escril  el  supplié 
très  humblement  à  ce  que  cette  femme  dicte  la  Pucelle  estant 
(la  mcrcy  Dieu)  en  vostre  subjeclion,  fus  mise  es  mains  de  la 
justice  de  l'Eglise  pour  luy  faire  son  procez  deuomenl  sur  les 
idolâtries  et  autres  matières  louchant  noire  saincle  foy,  el  les 
escandes  réparer  à  loccasion  d'elle  survenues  en  ce  Royaume  : 
ensemble  les  dommages  el  inconveniens  innumerables  qui  en  sont 
ensuyvis.  toutes  fois  nous  n'avons  eu  aulcune  response  sur  ce, 
el  n'avons  point  sceu  que,  pour  faire  du  faicl  d'icelle  femme  discu- 
cion  convenable,  ail  esté  faicte  aucune  provision  :  mais  doublons 
moult  que  par  la  faulseté  el  séduction  de  Pennemy  d'enfer  et  par 
la  malice  el  subtilité  des  personnes  mauvaises  vos  ennemys  el 
adversaires,  qui  mettent  toute  leur  cure  comme  l'on  dit  a  vouloir 
délivrer  icelle  femme  par  voycs  exquises,  elle  soit  mise  hors  de 
vostre  subjeclion  par  quelque  manière,  que  Dieu  ne  veuille  per- 
mettre. Car,  en  vérité,  au  jugement  de  tous  bons  catholiques 
cognoissans  en  ce,  si  grande  lésion  en  la  saincle  foy,  si  énorme 
péril,  inconvénient  et  dommage  pour  toute  la  chose  publique  de 
ce  Royaume  ne   sont  avenues  de  mémoire  d'homme,  si  comme 


DE    COMPIÈGNE    A    ROUEN.    —    LE    PROCÈS  219 

seroit  si  elle  partoit  par  telles  voies  damnées  sans  convenable 
réparation  :  mais  serait  en  vérité  grandement  au  préjudice  de 
voslre  honneur,  et  du  très  chrestien  nom  de  la  maison  de  France, 
dont  vous,  et  voz  très  nobles  progeniteurs,  avez  esté  et  estes  conti- 
nuellement rojaux  Protecteurs  et  très  nobles  membres  principaulx. 
Pour  ces  causes,  nostre  très  redoublé  et  honnoré  Seigneur,  Nous 
vous  supplions  derechef  très  humblement  qu'en  faveur  de  la  foj 
de  nostre  Sauveur,  à  la  conservation  de  la  saincte  Eglise,  et 
tuition  de  l'honneur  divin,  et  aussy  pour  la  grande  utilité  de  ce 
Royaume  très  chrestien,  il  plaise  à  vostre  haultesse  icelie  femme 
es  mains  de  l'Inquisiteur  de  la  foy  mettre,  et  l'envoier  seurement  par 
deçà,  par  ainsy  qu'aultres  fois  avons  supplié,  ou  icelie  femme  bailler 
ou  faii'e  bailler  a  Révérend  Père  en  Dieu  Monseigneur  l'Evesque  de 
Beauvais  en  la  juridiction  spirituelle  duquel  elle  a  esté  appre- 
handée  :  pour  à.  icelie  faire  son  procès  en  la  foy  comme  il  appar- 
tiendra par  raison,  à  la  gloire  de  Dieu  à  l'exaltation  de  nostre 
dicte  saincte  foy,  et  au  profit  des  bons  et  loyaulx  catholiques,  et  de 
toute  la  chose  publique  de  ce  Royaume  :  et  aussi  à  l'hohneur  et 
louange  de  votre  dicte  haultesse,  laquelle  notre  Sauveur  veuille 
maintenir  en  bonne  prospérité,  et  finalement  luy  donner  sa 
gloire.  Escript,  etc.  '  ». 

ADVERTISSEMENT 

Ces  lettres  ainsi  couchées  en  françois  témoignent  la  barba- 
rie du  siècle,  et  sont  tirées  du  procez  de  la  Pucelle,  tout  au 
commencement,  et  n'y  a  aucune  date.  3Iais  il  est  croyable 
quelles  ont  esté  escrites  incontinent  après  la  prise  de  la 
Pucelle.  Veu  mesme  que  par  icelles  l'Université  faict  men- 
tion avoir  desjà  envoie  d'autres  lettres  sur  ce  subject  au  duc 
de  Bourgogne.  Les  lettres  de  frère  Martin,  docteur  en  théolo- 
gie, suffragant  de  l'Inquisiteur,  sont  datées  du  vingt-sep- 
tième niay  1430,  qui  sont  trois  jours  seulement  après  la  prise 
de  la  Pucelle.  Or,  nous  apprenons  parles  lettres  de  l'Univer- 
sité que  les  serviteurs  du  Roy  s'emploioient  fort  afin  de  faire 
délivrer  cette  fille  pour  quelques  sommes  de  finance.  Et  la 
mesme  Université  requiert  qu'elle  soit  envolée  à  Paris,  ou 
mise  entre  les  mains  de  l'Evesque  de    Beauvais,    en  tant 

1.  Cette  lettre  se  trouve  dans  J.  Quiclicrat,  t.  I,  p.  8-10.  Entre  le  texte 
de  Richer  et  celui  de  J.  Quicherat,  il  n'y  a  qu'une  légère  différence 
d'orthographe.  Celle-ci  est  un  peu  plus  rajeunie  chez  Richer  que  chez 
J.  Quicherat.  La  lettre  est  sans  date. 


220  E.    mCHEU.  L\  PUCELLE  d'oULÉANS 

qu'ils  prétendent  qu'elle  avoit  esté  prise  en  son  diocèse  ou 
juridiction  spirituelle,  chose  faulse  et  supposée,  estant  certain 
qu'elle  fut  prise  au  territoire  deCompiègne  qui  est  en  la  juri- 
diction spirituelle  de  l'Evesque  deSoissons. 

Les  lettres  de  l'Université  au  seigneur  de  Luxembourg 
contiennent  encore  la  niesme  chose,  et  déclarent  plus  parti- 
culièrement que  les  François  vouloient  Iraicter  de  la  rançon 
de  la  Pucelle,  ce  que  pour  empescher  l'Evesque  de  Beauvais 
intervient,  faisant  entendre  qu'elle  lui  estoit  justiciable  et 
qu'on  ne  pouvoit  la  délivrera  aultre  qu'à  lui  sans  encourir 
les  peines  de  droict,  c'est-à-dire  les  censures.  De  tout  cela  le 
seigneur  de  Luxembourg  ne  se  soucioit  guères,  demandant 
une  grosse  rançon,  ainsi  que  nous  verrons. 

Les  lettres  de  l'Université  au  duc  de  Bourgogne  furent 
accompagnées  daultres  lettres  delà  mesme  Université,  escri- 
tes  pareillement  en  françois,  au  seigneur  de  Luxembourg  qui 
tenoit  la  Pucelle  captive  au  chasteaude  Beaurevoir  en  Artois, 
desquelles  ensuit  la  teneur  : 

Lettre  de  i,' Université  de  Paris 

A    NOBLE    et    puissant    SEIGNEUR    JeAN    DE    LUXEMBOURG  ' 

«  Très  noble, honoré  et  puissant  Seigneur,  Nousnous  recommandons 
moult  affectueusement  a  voslre  haulte  Noblesse.  Vostre  noble  pru- 
dence scait  bien  et  cognoist  que  tous  bons  cbevaliers  catboliques 
doibvent  leur  force  et  puissance  emploier  premièrement  au  service 
de  Dieu,  et  en  après  au  pi'ofit  de  la  cliose  publique:  en  especial  le 
serment  premier  de  la  cbevalerie  si  est  de  garder  et  deffendre 
l'bonneur  de  Dieu,  la  foy  catholique,  et  sa  saincte  Eglise.  De  ce 
sacrement  vous  estes  bien  souvenu  quand  vous  avez  vostre  noble 
puissance  et  présence  personnelle  emploiée  a  appréhender  cette 
femme  qui  se  dit  la  Pucelle,  au  moien  de  laquelle  l'honneur  de 
Dieu  a  esté  sans  mesure  offensé,  la  foy  excessivement  blessée,  et 
l'Eglise  trop  fort  deshonnorée,  car  par  son  occasion  idolâtries, 
erreurs,  mauvaises  doctrines  et  auslresmaulx  et  inconveniens  inesti- 
mables se  sont  ensuyvis  en  ce  Royaume.  Et  en  vérité  tous  loyaulx 
chrestiens  vous  doibvent  mercier  grandement  d'avoir  faict  si  grand 
service  à  nostre  saincte  foy,   et  a  tout  ce  Royaume.   Et  quant  à 

1.  Voir  J.  Quiclierat,  Procès,  t.  I,  p.  10-11.  Sur  les  deux  textes  com- 
parés, niêmos  observations  (|Uo  ci-dessus.  Quant  à  la  rançon  que  les 
Anglais  redoutaient,  Charles  VII  no  songea  pas  à  l'olTrir. 


DE    C0MPIP:GXE    a    ROUEN.    LE    PHOGES  221 

nous,  nous  en  mercions  Dieu  de  tous  nos  courages  et  vostre  nohli; 
prouesse,  tant  certes  que  faire  pouvons.  Mais  peu  de  chose  seroitavoir 
faict  telle  prinse  si  ne  s'ensuyvoit  ce  qu'il  appartient  pour  satis- 
faire l'offense  par  icelle  femme  perpétrée  contre  nostre  doux 
Créateur  et  sa  foy  et  sa  saincte  Kglise,  avec  ses  autres  mesfaicts 
innumerables,  comme  on  dit.  Et  seroit  plus  grant  inconvénient 
que  oncques  mais,  et  plus  grant  erreur  demoureroit  au  peuple  que 
par  avant:  et  si  seroit  intoUerable  offense  contre  la  majesté  divine 
si  celte  chose  demouroit  en  ce  point  :  ou  qu'il  advint  que  icelle 
femme  fust  délivrée  on  perdue,  comme  on  dit  aucuns  des  adver- 
saires soy  vouloir  efforcer  de  faire  et  appliquer  à  ce  tous  leurs 
entendemens  par  toutes  voyes  exquises,  et  qui  pis  est,  par  argent 
et  rançon.  Mais  nous  espérons  que  Dieu  ne  permettra  pas  advenir 
un  si  grand  mal  sur  son  peuple,  et  que  aussy  vostre  bonne  et 
noble  prudence  ne  le  souffrira  pas  ;  mais  y  sçaura  bien  pourveoir 
convenablement.  Car  si  ainsy  étoit  faicte  délivrance  d'icelle  sans 
convenable  réparation,  ce  seroit  deshonneur  irréparable  à  vostre 
grande  Noblesse  et  à  tous  ceulx  qui  de  ce  se  seroient  entremis. 
Mais  à  ce  que  telle  escande  cesse  le  plustot  que  faire  ce  pourra, 
comme  besoin  est,  et  pour  ce  que  en  cette  matière  le  delay  est  très 
périlleux  et  très  préjudiciable  à  ce  Royaume,  Nous  supplions  très 
humblement  et  de  cordiale  affection  à  vostre  puissante  et  honorée 
Noblesse,  que  en  [faveur  de  l'honneur  divin,  et  à  la  conservation 
de  la  foy  catholique,  et  au  bien  et  exaltation  de  tout  ce  Royaume, 
vous  veuillez  icelle  femme  mettre  en  justice,  et  envoier  par  deçà 
k  rinquisiteur  de  la  foy  qui  icelle  a  requise  et  requiert  instamment 
pour  faire  discussion  de  ses  grandes  charges,  tellement  que  Dieu 
en  puisse  estre  content,  et  le  peuple  édifié  deùement  en  bonne  et 
saincte  doctrine.  Ou  vous  plaise  icelle  faire  rendre  et  délivrer  à 
Révérend  Père  en  Dieu,  et  nostre  très  honoré  Seigneur  l'Evesque 
de  Reauvais  qui  icellQ  a  pareillement  requise,  en  la  juridiction 
duquel  elle  a  esté  appréhendée,  comme  on  dit.  Lesquels  Prélat  et 
Inquisiteur  sont  juges  d'icelle  en  la  matier.e  de  la  foy.  Et  est  tenu 
obéir  tout  clirestien  de  quelque  estât  qu'il  soit  à  eux,  en  ces  cas 
presens,  sur  les  peines  de  droict  qui  sont  grandes.  En  ce  faisant 
vous  acquérez  la  grâce  et  amour  de  la  haulte  divinité  :  vous 
serez  moien  de  l'exaltation  delà  saincte  foy,  et  aussy  accroistrez  la 
gloire  de  vostre  noble  et  heureux  nom,  et  mesme  de  très  haut  et 
puissant  Prince  nostre  très  redoublé  Seigneur  et  le  vostre,  Monsei- 
gneur de  Rourgongne.  Et  chacun  sera  tenu  à  prier  Dieu  pour  la 
prospérité  de  vostre  très  noble  personne,  laquelle  Dieu  nostre 
Sauveur  veuille  par  sa  grâce  conduire  et  garder  en  tous  ses 
affaires,  et  finalement  luy  rétribuer  joye  sans  fin.  Escript,  etc.  '  ». 

1.  J.  Quicherat,  p.  dl,  op.  cit.,  ajoute,  d'après  un  manuscrit  publié 
par  Buchon  :  «  ...  à  Paris  le  quatorzième  jour  de  juillet  (lualorze  cent 
trente.  »  Date  qui  ne  figurait  pas  sur  le  manuscrit  suivi  par  K.  Riclier. 


ZZZ  E.    RICHER.    LA    PUCELLE    D  ORLEANS 

Après  les  lettres  de  lUniversité  au  duc  de  Bourgogne  et 
au  seigneur  de  Luxembourg,  celles  de  frère  Martin  V,  docteur 
en  théologie  de  l'ordre  des  Jacobins,  vicaire  de  frère  Jean 
Gravèrent,  aussi  dominicain,  docteur  en  théologie,  Inquisi- 
teur de  la  foy  au  royaume  de  France,  sont  registrées  en  ces 
propres  termes  : 

Lettre  du  vicaire  de  l'Inquisiteur  de  la  foy 
AU  duc  de  Bourgogne  - 

«  A  très  haultet  très  puiasant  Prince  Philippe  duc  de  Bourgongne, 
comte  de  Flandres,  d'Arthois,  de  Bourgongne  et  de  Namur,  et  à 
tous  aultres  à  qui  il  appartiendra,  frère  Martin  M^  en  Théologie  et 
vicaire  général  de  l'Inquisiteur  de  la  foy  au  Royaume  de  France, 
salut  en  Jésus-Christ  nostre  vray  sauveur.  Gomme  tous  loyaulx 
Princes  Chrestiens  et  tous  aultres  vrays  catholiques  soient  tenus 
extirper  tous  erreurs  venans  contre  la  foy,  et  les  escandes  qui 
s'ensuivent  au  simple  peuple  chrestien  :  et  de  présent  soit  voix  et 
commune  renommée  que  par  certaine  femme  nommée  Jeanne 
que  les  adversaii-es  de  ce  Royaume  appellent  la  Pucelle,  ayant  esté 
à  l'occasion  d'icelle  en  plusieurs  citez,  bonnes  villes,  et  aultres 
lieux  de  ce  Royaume,  semez,  dogmatisez,  publiez  et  faict  publier 
et  dogmatiser  plusieurs  et  divers  erreurs,  et  encores  font  de 
présent,  dont  s'en  sont  ensuivis,  et  ensuivent  plusieurs  grandes 
lésions,  et  escandes  contre  Ihonneur  divin,  et  nostre  saincte  foy, 
à  la  perdition  des  âmes  de  plusieurs  simples  chrestiens,  les- 
quelles choses  ne  se  peuvent,  ne  [  ni  ]  doibvent  dissimuler,  ne  pas- 
ser sans  bonne  et  convenable  réparation;  et  il  soit  ainsy  que  la 
mercy  Dieu  ladicte  Jeanne  soit  de  présent  en  vostre  puissance  et 
subjection,  ou  de  vos  nobles  et  lojaulx  vaâsaulx  :  pour  ces  causes 
nous  supplions  de  bonne  affection  à  vous,  très  puissant  Prince, 
et  prions  vosdicts  nobles  vassaulx,  que  ladicte  Jeanne  par  vous  ou 
iceux  nous  soit  envolée  seurement  par  deçà,  et  brièvement.  Et 
avons  espérance  que  ainsy  le  ferez  comme  vrays  protecteurs  de 
la  foy,  et  detlendeurs  de  l'honneur  de  Dieu.  Et  à  ce  que  aucu- 
nement on  ne  face  empeschement  ou  delay,  sur  ce  que  Dieu 
ne  veuille.  Nous,  en  usant  des  droicts  de  nostre  office,  de  l'au- 
thorité  à  nous  commise  du  Saincl  Siège  de  Rome,  requérons 
instamment,  enjoignons  en  faveur  de  la  foy  catholique  et  sur  les 

1.  Son  nom  était  Billory  ou  Bellorini  ou  Bellornin.  D'après  le  père 
dominicain  Henri  Denifle,  ce  serait  Billory.  (Ci'.,  Charialarium  Univer- 
sitalis.  Paris,  t.  IV,  p.  510,  nuni.  2372.) 

2.  Voir  J.  Quiclierat,  Procès,  t.  I,  p.  12-13.  Mêmes  observations  qu'au 
sujet  des  lettres  précédentes. 


i 


DE  COMPIÈGXE  A  ROUEN.  LE  PROCES  223 

peines  de  droit,  aux  dessusdicts  et  à  tous  autres  personnes  catho- 
liques de  quelque  estât,  condition,  prééminence,  ou  authorité 
quils  soient,  que  le  plus  tost  que  seurement  et  convenablement 
faire  ce  pourra,  ilz  et  chacun  d'eulx  envoient,  et  amènent  toute 
prisonnière  par  devers  nous  ladicte  Jeanne  soupçonnée  véhémen- 
tement de  plusieurs  crimes  sentans  hérésie,  pour  ester  a  droit  par 
devant  nous  contre  le  procureur  de  la  saincte  Inquisition,  respon- 
dre,  et  procéder  comme  de  raison  debvra  au  bon  conseil,  faveur 
et  aide  des  bons  Docteurs  et  Maistres  de  T Université  de  Paris,  et 
îufitres  notables  Conseillers  estans  par  deçà.  Donné  a  Paris  soubs 
notre  scel  de  Toffice  de  la  saincte  Inquisition,  l'an  mil  quatre  cent 
trente,  le  vingt  septième  jour  de  may.  Signé  Le  Fourbel'R.  '  ». 

ADVERTISSEMENT 

Messire  Pierre  Cauchon,  conseiller  du  Roy  d'Angleterre  et 
Evesqiie  de  Beauvais,  désirant  grandement  d'estre  juge  en 
cette  cause,  et  sçachant  bien  que  sa  conscience  et  le  parti 
auquel  il  s'estoit  engagé  le  rendoient  trop  récusable,  a  faict 
tout  ce  qu'il  a  pu  afin  de  faire  intervenir  l'Inquisiteur  de  la 
foy  commis  par  le  Saint-Siège  apostolique  dans  le  royaume 
de  France,  pour  en  congnoistre  conjoinctement  avec  lui  :  et, 
à  ces  fins,  requitetinterpella  plusieurs  fois  maistre  Jean  Magis- 
tri,  docteur  en  théologie,  dominicain,  commis  à  l'Inquisi- 
tion pour  le  diocèse  de  Rouen,  vouloir  prendre  cognoissance 
de  ce  procez  conjoinctement  avec  lui.  Ge  que  Magistri  refusa 
maintes  fois  de  faire,  alléguant  pour  excuse  que  l'Evesque 
procédoit  en  tant  que  juge  ordinaire  de  la  Pucelle  comme 
ayant  esté  prise  en  son  diocèse,  et  que  son  vicariat  d'inqui- 
siteur ne  s'étendoit  que  sur  l'archevesché  de  Rouen.  Ce  con- 
sidéré, l'Evesque  de  Beauvais  somma  maistre  Jean  Gravèrent, 
dominicain,  docteur  en  théologie,  commissaire  général  de 
l'Inquisition  pour  tout  le  royaume  de  France,  à  ce  qu'il 
eust  à  se  rendre  en  la  ville  de  Rouen  pour  vaquer  à  ce  pro- 
cez. Gravèrent  ne  voulant  souiller  sa  conscience  en  ce 
procez,  amplifia  la  commission  de  maistre  Jean  Magistri 
pour  y  travailler  avec  l'Evesque  de  Beauvais.  Ce  nonobstant, 

1.  Dans  le  texte  de  J.  Quiclierat.  p.  12,  on  lit  «  le  xxvi»  jour  de  may  » 
«LU  lieu  de  «  vingt-septième  »  ;  et  au  nom  de  Le  Fourbeur  est  joint 
Cflui  de  «  Hébert  ». 


'J24  E.    RICHER.    —    LA    PUCELLE    D  ORLÉANS 

Magistri  différa  tant  quil  put,  ainsi  qu'on  le  recongnoist  par 
les  actes  du  procez  du  lundi,  dix-neufvième  febvrier  et  aultres 
jours  suyvans  jusques  au  lundi  douziesme  mars  1430  (vieux 
style),  que  la  huictième  séance  fut  tenue,  comme  pareillement 
par  la  déposition  des  témoins  qui  ont  esté  ouys  en  la  révision 
du  procez. 

Sommation  de  l'Evesque  de  Beauvais 

En  suite  des  lettres  de  l'Inquisiteur  de  la  foy,  au  procez  de 
la  Pucelle  est  insérée  la  sommation  que  l'Evesque  de  Beauvais 
a  faicte  au  duc  de  Bourgogne  et  au  comte  de  Luxembourg 
et  au  bastard  de  Wandonne  de  la  part  du  Roy  d'Angleterre, 
à  ce  qu'ils  aient  à  livrer  et  mettre  la  Pucelle  entre  les  mains 
dudict  Evesque  pour  lui  faire  et  parfaire  son  procez.  Voici  la 
teneur  dudict  acte. 

«  C'est  ce  que  requiert  l'Evesque  de  Beauvais  à  Monseigneur  le 
duc  de  Bourgongne,  et  à  Monseigneur  Jean  de  Luxembourg,  et  au 
bastar  de  Vendone,  par  le  Roy  nostre  Sire,  et  de  par  luy  comme 
Evesque  de  Beauvais.  Que  celle  femme  que  Ton  nomme  communé- 
ment Jeanne  la  Pucelle,  prisoniere,  soit  envolée  au  Boy  pour  la 
délivrer  à  l'Eglise  pour  luy  faire  son  procès,  pour  ce  qu'elle  est 
suspectionnée  et  diffamée  d'avoir  commis  plusieurs  crimes  comme 
sortilèges,  idolâtries,  invocations  d'ennemys,  et  autres  plusieurs 
cas  touchant  nostre  foy  et  contre  icelle.  Et  combien  qu'elle  ne 
doibt  point  estre  de  prise  de  guerre  comme  il  semble,  considéré  ce 
qui  dict  est,  neantmoins  pour  la  rémunération  de  ceux  qui  l'ont 
prise,  et  détenue,  le  Boy  veut  libéralement  leur  bailler  jusques  à 
la  somme  de  dix  mil  francs  :  et  pour  ledict  bastar  qui  l'a  prise, 
luy  donner  et  assigner  rente  pour  soustenir  son  estât  jusques  à 
deux  ou  trois  cens  livres.  Item  et  ledict  Evesque  requiert  de  par 
luy  aux  dessus  dicts,  et  à  chacun  d'eulx,  comme  icelle  femme  ait 
esté  pi"ise  en  son  diocèse,  et  soubs  sa  jurisdiction  spirituelle,  qu'elle 
lui  soit  rendue  pour  luy  faire  son  procez  comme  il  appartient. 
A  quoy  il  est  tout  prest  d'entendre  par  l'assistance  de  l'Inquisi- 
teur de  la  foy,  si  besoin  est,  et  par  l'assistance  des  Docteurs  en 
Théologie  et  en  décret,  et  austres  notables  personnes  expers  en 
faict  de  judicature,  ainsy  que  la  matière  l'equiert,  affm  qu'il  soit 
meurement  et  deuëment  faict  à  l'exaltation  de  la  foy,  et  à  l'ins- 
truction de  plusieurs  qui  ont  esté  en  cette  matière  deceus  et  abusez 
à  l'occasion  d'icelle  femme.  Item  et  en  la  parfin,  si  par  la  manière 
avant  dicte  ne  veulent  ou  soient  aucun  d'eulx  estre  contents  ou 


i 


DE  COMPIEGNE  A  ROUEN.  LE  PROCES  225 

obtempérer  en  ce  que  dessus  est  dit,  combien  que  la  prise  dicelle 
femme  ne  soit  pareille  à  la  prise  d'un  Roy,  Princes,  ou  autres  gens 
de  grand  Estât  lesquels  toutes  fois  si  pris  esloient  ou  aucun  de 
tel  estât,  fust  Roy,  le  Dauphin,  ou  autres  Princes,  le  Roy  le  pour- 
roit  avoir  s'il  le  vouloit,  en  baillant  dix  mil  francs  au  preneur, 
selon  droit,  usage  et  coutume  de  France,  ledict  Evesque  somme 
et  requiert  les  dessus  dictsau  nom  que  dessus,  que  ladicte  Pucelle 
luy  soit  délivrée  en  baillant  seureté  de  ladicte  somme  de  dix  mil 
francs  pour  toutes  choses  quelconques.  Et  ledict  Evesque  de  par 
luy.  selon  la  forme  et  peines  de  droicts,  ce  requiert  à  luy  estre 
baillée,  et  délivrée  comme  dessus  '  ». 

ADVERTLSSEMENT 

Cette  pièce  est  fort  considérable  et  montre  que  l'Evesque 
de  Beauvais  afîectoit  passionnément  d'estre  juge  de  la  Pucelle. 
Néantmoins  il  se  rend  récusable  par  ce  mesme  acte  en  plu- 
sieurs poincts. 

Le  premier  est  que  cette  sommation  est  faicte  pour  et  au 
nom  du  Roy  d'Angleterre,  ennemi  conjuré  du  Roy  de  France 
et  de  la  Pucelle  qui  avoit  deffaict  tous  ses  gens  au  siège 
d'Orléans,  de  Jargeau,  de  Boisgency  et  à  la  rencontre  de 
Patay  ;  outre  qu'elle  l'avoit  encore  expulsé  de  plusieurs 
bonnes  villes  de  France.  Raisons  qui  dévoient  empescher  ce 
prélat  d'emploier  en  ses  actes  le  nom  du  Roy  d'Angleterre, 
duquel  il  se  rend  agent  et  solliciteur,  préposant  mesme  son 
intérêt  particulier  à  celui  de  la  foy  et  de  l'Eglise,  demandant 
que  la  Pucelle  soit  mise  entre  ses  mains  et  non  de  l'Eglise. 

Secondement  il  prétexte  qu'elle  ne  doibt  [pas]  estre  traic- 
tée  comme  un  prisonnier  de  guerre,  supposant  qu'elle  est 
diffamée  de  plusieurs  crimes  contraires  à  la  foy,  et  consé- 
quemment  doibt  estre  livrée  à  l'Eglise,  qui  est  un  prétexte 
recherché  afin  d'empescher  qu'on  ne  délivrast  cette  fille  au 

1.  Cette  sommation  a  été  faite  au  duc  de  Bourgogne  de  la  part  de 
riivos(jue  de  Beauvais  l'an  1430,1e  quatorziesme  juillet,  et  fut  consignée 
intre  les  mains  du  duc  de  Bourgogne  qui  la  donna  à  Messire  Nicolas 
Rauliin,  son  chancelier,  et  lui  commanda  de  la  délivrer  au  comte  de 
Luxembourg,  seigneur  du  chasteau  de  Beaurevoir,  comme  elle  lui  fut 
mise  entre  les  mains.  Cet  acte  fui  dénoncé  et  e.x;écuté  par  Nicolas  de 
Mucillac  (Colart  de  Mailly).  bailly  de  Vermandois,  et  Jean  de  Pressy, 
en  présence  de  plusieurs  gens  de  guerre  et  aultres  seigneurs,  et  de 
Troquillol, notaire  apostolique.  [Noie  de  l'auteur.) 


226  E.    BICIIER.    —    LA    PUCELLE    d'oRLÉANS 

Roy  de  France.  Mais  à  l'endroilde  quelles  gens  est-elle  diffa- 
mée, sinon  par  ses  propres  ennemis?  Et  selon  la  pratique 
usitée  à  l'Inquisition  de  Rome,  il  falloit  avoir  auparavant 
faict  informer  sur  cette  diffamation  prétendue,  par  gens  et 
témoins  non  suspects,  et  produire  l'information  au  commen- 
cement du  procez  :  de  quoy  il  n'apparoist  rien.  Car  si  estre 
accusé,  mesmeparses  ennemis  mortels,  est  estre  convaincu, 
personne  ne  sera  innocent. 

En  troisiesme  lieu,  il  faict  un  acte  de  bourreau,  non  d'Eves- 
que,  marchandant  de  la  rançon  de  cette  pauvre  fille  pour  la 
faire  cruellement  mourir.  Et  fut  achetée  dix  mille  livres 
tournois  du  seigneur  de  Luxembourg,  outre  trois  cens  livres 
de  pension  annuelle  qu'on  donna  au  bastar  de  Wandonne 
pour  s'entretenir  :  il  estoit  gentilhomme  de  Picardie. 

Quatriesmement,  n'est-ce  pas  un  sacrilège  dire  qu'elle  a 
été  prise  dans  son  diocèse  afin  de  s'intrure  pour  juge?  Or, 
les  actes  du  procez,  septiesme  séance,  font  foy  qu'elle  a  esté 
prise  au-delà  du  pont  de  Compiègne,  lequel  borne  le  diocèse 
de  Beauvais.  Mais  quoy  ?  pour  donner  couleur  à  cette  cons- 
piration, il  falloit  y  mesler  la  religion. 

En  cinquiesme  lieu,  il  dit  qu'il  est  prêt  d'en  cognoistre  si 
besoin  est  avec  l'Inquisiteur  de  la  foy,  se  desfiant  qu'il  ne 
voudroit  estre  juge  en  cette  cause  :  comme,  de  vérité,  il  a 
décliné  tant  qu'il  a  pu  et  n'y  a  assisté  que  par  contrainte  et 
menaces  des  Anglois  sous  lesquels  il  vivoit.  Davantage  [de 
plus],  il  [l'évêque  de  Beauvais]  asseure  vouloir  bien  avoir 
pour  assesseurs  des  docteurs,  théologiens  et  canonistes  et 
aultres  personnes  versées  en  faict  de  judicature.  Sur  quoy 
est  à  noter  qu'il  a  faict  choix  de  tous  ceulx  qu'il  a  pensé 
debvoir  correspondre  à  sa  passion  et  au  désir  de  l'Anglois.  De 
sorte  que  si  aucun  gardoit  la  justice,  il  estoit  menacé  et  inti- 
midé, comme  entre  autres  furent  maistre  Jean  Lohier,  audi- 
teur de  Rote,  et  frère  Isambert  de  la  Roche  [de  la  Pierre],  do- 
minicain, lequel  ayant  adverti  la  Pucelle  de  se  sousmettre  au 
concile  de  Basle  qui  pour  lors  se  tenoit^  l'Evesque  de  Beau- 


1.  Ou  plutôt  allait  se  tenir,  car  il  ne  s'ouvrit  qu'en  juillet  1431, 
l'ucelle  ayant  été  déjà  brûlée . 


DE  COMPIÈGNE  A  ROUEN.  —  LE  PROCÈS  227 

vais  en  pleine  séance,  devant  toute  l'assemblée,  lui  dit  avec 
colère  :  «  Taisez-vous  de  par  le  diable!  »  Et  cette  séance  finie, 
les  Anglois  le  menacèrent  de  le  jeter  en  la  rivière. 

Brief,  cet  acte  rend  nul  tout  ce  que  ce  prélat  a  faict.  Et  les 
témoins  qui  ont  déposé  à  la  révision  du  procez,  asseurent 
qu'il  n'y  voulut  jamais  travailler  que,  au  préalable,  il  n'eust 
promesse  de  garantie  et  dédommagement  du  duc  deBethfort, 
régent,  —  car  le  Roy  d'Angleterre  estoit  lors  pupil  —  tant 
pour  sa  personne  que  pour  tous  ceulx  qu'il  emploieroit  à  ce 
jugement  :  de  quoy  furent  expédiées  lettres  que  nous  produi- 
rons au  troisiesme  livre. 

D'où  l'on  congnoist  que  la  Pucelle  estoit  desjà  condamnée 
auparavant  que  d'estre  examinée.  Et  le  Roy  d'Angleterre  fit, 
tous  les  frais  et  la  despense  de  ce  procez  pendant  les  cinq  ou 
six  mois  qu'on  y  travailla,  deffrayant  tous  les  docteurs  qu'on 
fesoit  venir  de  Paris.  A  la  vérité,  attendu  ce  que  la  Pucelle 
avoit  faict  et  géré  en  faveur  du  Roy  et  de  la  couronne  de 
France,  l'Anglois  sembloit  avoir  quelque  apparent  subjectde 
procurer  sa  ruine.  Mais  quant  à  l'Evesque  de  Beauvais,  né 
François  au  diocèse  de  Rheims,  estant  comte  de  Beauvais  et 
pair  de  France  en  tant  qu'Evesque  de  Beauvais,  il  n'en  avoit 
aucun  aultre  que  sa  pure  et  noire  malice  et  le  parti  du  Bour- 
guignon auquel  il  s'estoit  engagé  de  longue  main  avec  l'Uni- 
versité de  Paris,  oubliant  sa  naissance,  sa  patrie  et  son  Roy. 
Car,  s'il  eust  voulu,  après  la  réduction  de  Beauvais  en  l'obéis- 
sance du  Roy,  il  y  pouvoit  demeurer  à  l'exemple  des  Eves- 
ques  de  Troyes,  de  Châlons,  Soissons,  etc. 

Or,  le  différent  qui  survint  lors  entre  le  concile  de  Basle  et 
le  pape  Eugène  fut  grandement  nuisible  aux  affaires  de  la 
Pucelle.  Et  considérant  les  efforts  des  Anglois  pour  la  per- 
dre, et  qu'ils  n'épargnent  or,  argent,  ni  aultre  chose  quel- 
conque pour  obtenir  ce  qu'ils  prétendoient,  je  suis  grande- 
ment marry  que  par  toutes  nos  histoires,  ni  mesme  au  trésor 
des  Chartes  de  France,  il  ne  se  trouve  aucun  acte  public  et 
authentique  du  debvoir  qu'on  a  faict  ou  dû  faire  d'empescher 
les  desseins  des  .Anglois.  Et  me  semble,  sous  correction,  que 
Sa  Majesté  debvoit  lors  estre  conseillée  d'envoier  des  hérauts 
au  Roy  d'Angleterre  protester  de  nullité  de  tout  ce  procez, 


228  E.    RICHER.    LA    TUCELLE    d'oRLÉANS 

suivant  les  moyens  que  maistre  Jean  Lohier,  auditeur  de  Rote 
avoit  exposés  en  conférence  avec  l'Evesque  de  Beauvais,  ses 
conseillers  et  assesseurs,  et  demander  que  cette  fille  fust  en- 
voyée au  Saint-Siège  apostolique  pour  gagner  le  temps,  récu- 
sant l'Evesque  de  Beauvais.  Possible  que  ceulx  qui  estoient 
lors  en  faveur  auprès  du  Prince  portoient  envie  aux  faicts 
héroïques  de  la  Pucelle,  et  persuadèrent  au  Roy  que  Dieu 
l'ayant  envolée  miraculeusement  à  son  secours,  la  délivreroit 
aussi  miraculeusement  (comme  elle-même,  par  infirmité  hu- 
maine, le  pensoit  au  commencement  de  son  procez),  et  qu'il 
falloit  commettre  toute  cette  affaire  à  la  Providence  de  Dieu, 
que  cela  seroitplus  glorieux  au  Roy  et  tourneroit  à  la  grande 
confusion  des  Anglois.  Mais  telle  voye  semble  tenter  Dieu, 
lequel  ne  faict  pas  toujours  miracles  sur  miracles,  mais  veut 
que  les  causes  secondes  opèrent  de  leur  costé.  A  raison  de 
quoy  on  dit  en  commun  proverbe  :  Ayde-toi  et  Dieu  t'ay- 
dera. 


Lettre  de  l'Université   de  Paris  au  rov  d'Angleterre 

Cette  sommation  ainsi  faicte  au  duc  de  Bourgogne  et  au 
seigneur  de  Luxembourg  de  la  part  de  l'Evesque  de  Beau- 
vais, le  seigneur  de  Luxembourg  voulut  estre  nanti  de  la 
somme  de  dix  mille  francs  auparavant  que  de  mettre  la  Pu- 
celle entre  les  mains  des  Anglois;  comme  il  le  fut,  et,  ce 
moiennant,  la  leur  livra  au  commencement  de  novembre 
1430.  De  quoy  l'Université  de  Paris  ayant  eu  certaines  nou- 
velles, rescrit  en  latin  à  Messire  Pierre  Gauchon,  évesque 
de  Beauvais,  et  le  conjure  par  son  zèle  et  piété  de  demander 
au  Roy  d'Angleterre  que  cette  femme  soit  consignée  en  sa 
juridiction  et  [celle]  de  l'Inquisiteur  de  la  foy,  et  lui  faict 
comme  un  reproche  que  cela  auroit  esté  desjà  accompli,  s'il 
eust  usé  de  plus  de  diligence  qu'il  n'avoit  faict.  Ces  lettres 
sont  en  date  du  vingt  et  uniesme  novembre  1430.  Comme 
pareillement  celles  que  la  mesme  Université  escrit  en  fran- 
çois  au  Roy  d'Angleterre  dont  ensuit  la  teneur. 


DE  COMPIEGNE  A  ROUEN.  LE  PROCES  229 


A  1res  excellent  PrUice  le  Roy  de  France  et.  d'Angleterre 
nostre  très  redoublé  et  Souverain  Seigneur  et  Père. 

(1  Très  excellent  Prince,  nostre  tresredoubté  et  souverain  Seigneur 
et  Père,  nous  avons  de  nouvel  entendu  qu'en  vostre  puissance  est 
rendue  à  présent  cette  femme  dicte  la  Pucelle,  dont  nous  sommes 
moult  joyeux  :  confians  que  par  vostre  bonne  ordonnance  sera 
icelle  femme  mise  en  justice  pour  reparer  les  grans  maléfices  et 
escandes  advenus  notoirement  en  ce  Royaume  à  l'occasion  d'icelle 
au  grand  préjudice  de  l'honneur  divin,  de  nostre  saincte  foy,  et  de 
tout  vostre  bon  peuple.  Et  pour  ce  qu'il  nous  appartient  singuliè- 
rement selon  nostre  profession  extirper  telles  iniquitez  manifestes, 
mesmement  quand  nostre  foy  catholique  est  en  ce  touchée,  nous  ne 
pouvons  au  faict  dicelle  femme  dissimuler  la  longue  retardation 
de  justice  qui  doibt  desplaire  à  chacun  bon  Chrestien,  et  mesme- 
ment à  vostre  Royal  Majesté  plus  qu'à  tout  autre  pour  la  grand'obli- 
gation  que  vous  debvez  à  Dieu,  en  cognoissant  les  hauts  biens, 
honneurs  et  dignitez  qu'il  a  octroyez  à  vostre  excellence.  Et  combien 
que  sur  ce  nous  ayons  par  plusieurs  fois  escript  encores  à  présent, 
nostre  très  redoubté  et  Souverain  Seigneur  et  Père,  en  proposant 
toujours  très  humble  et  loyale  recommendation  à  ce  que  ne  soions 
notez  de  négligence  aucune  en  si  favorable  et  nécessaire  matière, 
Nous  supplions  tresliumblement,  et  en  l'honneur  de  nostre  Seigneur 
et  Sauveur  Jesu  Christ,  deprions  très  acertes  vostre  haulte  excel- 
lence que  icelle  femme  vous  plaise  ordonner  estre  mise  briefvement 
es  mains  de  l'Eglise  :  c'est  à  sçavoir  de  Révérend  Père  en  Dieu 
nostre  honoré  seigneur  l'Evesque  et  comte  de  Reauvais,  et  aussy  de 
l'Inquisiteur  ordonné  en  France,  ausquels  la  cognoissance  des 
metfaicts  d'icelle  appartient,  et  spécialement  en  ce  qui  louche 
nostre  dicte  foy  :  affîn  que  par  voye  de  raison  soit  faicle  discussion 
convenable  sur  les  charges  d'icelle  et  telle  réparation  comme  au 
cas  appartiendra,  en  gardant  la  saincte  vérité  de  nostre  foy,  et 
mettant  toute  erreur,  faulte,  et  scandaleuse  opinion  hors  des 
courages  de  vos  bons  et  loyaulx  subjecls.  Et  nous  semble  moult 
convenable,  si  c'estoit  le  plaisir  de  vostre  haultesse,  que  la  dicte 
femme  feust  amenée  en  cette  cité  pour  faire  son  procez  notablement 
et  seurement  :  car  par  les  Maistres,  Docteurs,  et  autres  notables 
personnes  estans  par  deçà  en  grand  nombre,  seroit  la  discussion 
d'icelle  déplus  grande  réputation  qu'en  autre  lieu.  Et  si  est  assez 
convenable  que  réparation  des  dicts  escandes  soit  i'aicte  en  ce  lieu, 
auquel  les  faicts  d'icelle  ont  esté  divulguez  et  notoires  excessive- 
ment. Et  en  ce  faisant,  gardera  votre  Royal  Majesté  sa  grande 
loyaulté  envers  la  souveraine  et  divine  Majesté,  laquelle  veuille 
octroyer  à  vostre  Excellence  prospérité  continuellement,  félicité 


230  E.    RIGHER.    LA    PUGELLE    d'oRLÉANS 

sans  fin.  Escript  a  Paris  en  nosLre  Congrégation  générale  solennel- 
lement célébrée  à  sainct  Mathurin,  le  vingt  et  uniesme  jour  de 
Novembre  l'an  1430.  Vostre  très  humble  et  dévote  fille  l'Université 
de  Paris.  Signé  Hébert.  » 


ADVERTISSEMENT 

Par  ces  lettres,  l'Université  demande  au  Roy  d'Angleterre 
qu'il  luy  plaise  envoler  la  Pucelle  à  Paris  pour  luy  estre  faict 
et  parfaict  son  procez.  Ce  qu'il  n'avoit  garde  d'accorder,  ne 
voulant  pas  que  ce  procez  feust  exposé  à  une  si  grande  et  si 
éclatante  lumière^  en  présence  de  tant  de  tesmoins  et  en  lieu 
où  la  liberté  feust  gardée,  pour  ce  que  finalement  la  vérité 
eust  esté  reconquérie.  Car  les  Anglois  ne  se  tenoient  pas 
trop  asseurés  des  Parisiens  qui  avoient  tout  fraischement 
voulu  avoir  pour  gouverneur  le  duc  de  Bourgogne  :  et  d'ail- 
leurs ne  vouloient  qu'on  mist  cette  fille  aux  prisons  ecclé- 
siastiques pendant  qu'on  lui  feroit  son  procez  :  ce  qui  feust 
arrivé  si  on  l'eust  envolée  à  Paris.  C'est  pourquoi  ils  firent 
choix  de  la  ville  de  Rouen  qu'ils  avoient  prise  et  conquise 
par  famine.  Mesme  afin  de  retenir  tout  le  monde  et  les  juges 
en  crainte,  le  duc  de  Bethfort  ou  de  Sommerset,  régent  au 
royaume  de  France,  fit  venir  d'Angleterre  à  Rouen  le  Roy  qui 
n'avoit  que  douze  ans,  ainsi  que  nous  avons  déjà  remarqué. 
Et  entre  tous  les  docteurs  de  Paris  l'Evesque  de  Beauvais 
esleut  ceulx  qu'il  tenoit  estre  le  plus  engagez  à  leur  faction  : 
comme  maistre  Guillaume  Erard,  de  Turonia  (Jacques  de 
Touraine),  Midy,  Beaupère,  etc. 

Partant  cette  fille  feust  menée  à  Rouen  au  mois  de  décem- 
bre 1430  et  mise  prisonnière  en  une  grosse  tour  du  chasteau, 
dans  une  cage  semblable  à  celles  qui  sont  en  la  bastille  de 
Paris,  et  demeura  en  cet  estât  jusqu'au  mois  de  febvriersuy- 
vant  qu'on  commença  de  lui  faire  son  procez.  Et  lors  fut 
tirée  de  cette  cage  et  la  mit-on  aux  fers,  outre  une  chaisne 
attachée  à  un  gros  poteau  avec  laquelle  elle  estoit  enchais- 
née.  Et  quand  on  la  menoit  devers  les  juges,  on  luy  ostoit  les 
fers  des  pieds. 


DE  COMPIÈGXE  A  HOUEN.  LE  PROCÈS  231 


Lettres  patentes  du  roy  d'Angleterre 

Le  troisiesme  janvier  1430  (vieux  style),  le  Roy  d'Angle- 
terre expédie  ses  lettres  patentes  auxquelles  il  déclare  qu'à 
la  requête,  sollicitation  et  instante  poursuite  du  Révérend 
père  en  Dieu  Messire  Pierre  Gauchon,  Evesque  et  comte  de 
Beauvais,  et  exhortations  des  docteurs  etmaistres  de  sa  fille 
l'Université  de  Paris,  il  ordonne  et  consent  que  toutes  et 
quantes  fois  que  bon  semblera  audict  Evesque,  Jeanne  dicte 
la  Pucelle  luy  soit  baillée  et  délivrée  réellement  et  de  faict 
par  ses  gens  et  officiers  qui  l'ont  en  garde,  pour  icelle  inter- 
roger et  examiner  et  faire  son  procez  selon  Dieu  et  raison , 
etc.  Ensuit  la  teneur  des  dictes  patentes  suivant  l'ordre 
qu'elles  sont  registrées  au  procez. 

«  Henry,  par  la  grâce  de  Dieu  Roy  de  France  et  d'Angleterre,  a  tous 
ceux  qui  ces  présentes  lettres  verront  salut.  Il  est  assez  notoire  et 
commun  comment,  depuis  aucun  temps  en  ça,  une  femme  qui  se 
faict  appeler  Jeanne  la  Pucelle  laissant  l'habit  et  vesture  de  sexe 
féminin,  s'est  contre  loy  divine  (chose  abominable  a  Dieu,  reprouvée 
et  defîendue  de  toute  loy)  vestue,  habillée  et  armée  en  estât  et  habit 
dhomrae,  a  faict  et  exercé  cruel  faict  d'homicides  :  et  comme  l'on 
dit,  a  donné  à  entendre  au  simple  peuple  pour  le  séduire  et  abu- 
ser, qu'elle  estoit  envoiée  de  par  Dieu  et  avoit  cognoissance  de  ses 
divins  secrets,  ensemble  plusieurs  autres  dogmatizations  très  péril- 
leuses a  nostre  saincte  foy  catholique,  moult  préjudiciables  et  scan- 
daleuses. En  poursuivant  par  elle  lesquelles  abusions,  et  exerçant 
hostilité  à  l'encontre  de  nous  et  de  nostre  peuple  a  esté  prinse 
armée  devant  Compiegne  par  aulcuns  de  nos  loyaulx  subjects,  et 
depuis  amenée  prisonnière  par  devers  nous.  Et  pour  ce  que  de 
superstitions,  fausses  dogmatizations,  et  autres  crimes  de  lèse 
majesté  divine,  comme  l'on  dit,  elle  a  esté  de  plusieurs  réputée 
suspecte,  notée,  et  diffamée,  avons  esté  requis  très  instamment  par 
Révérend  Père  en  Dieu,  nostre  ami  et  féal  Conseiller  l'Evesque  de 
Beauvais,  juge  ecclésiastique  et  ordinaire  de  la  dicte  Jeanne,  pour 
ce  qu'elle  a  esté  prise  et  appréhendée  es  termes  et  limites  de  son 
diocèse,  et  pareillement  exhortez  de  par  nostre  très  chère  et  ires 
saincte  fille  l'Université  de  Paris,  que  icelle  femme  veuillons  faire 
rendre,  bailler,  et  délivrer  audict  Révérend  Père  en  Dieu,  pour  la 
interroger  et  examiner  sur  les  dicts  cas,  et  procéder  contre  elle 
selon  les  ordonnances  et  dispositions  des  droicts  divins  et  cano- 
niques, appeller  ceux  qui  seront  à  appeller.  Pour  ce  est-il  que  nous 


232  E.    RICHER.    LA    PUCELLE    D  ORLÉANS 

qui  pour  révérence  et  honneur  du  nom  de  Dieu,  deiïensc  et  exal- 
tacion  de  sa  dicte  saincte  Eglise  et  foy  catholique,  voulons  dévo- 
tement obtempérer  comme  vrays  et  humbles  fils  de  saincte  Eglise 
aux  requestes  et  instances  de  Révérend  Père  en  Dieu,  et  exhor- 
tacions  des  Docteurs  et  Maistres  de  nostre  dicte  fille  l'Université  de 
Paris,  ordonnons  et  consentons  que  toutes  et  quantes  fois  que  bon 
semblera  au  dict  Révérend  Père  en  Dieu,  icelle  Jeanne  luv  soit 
baillée  et  délivrée  reaiment  et  de  faict  par  nos  gens  et  officiers 
qui  Pont  en  garde,  pour  icelle  interroger  et  examiner,  et  faire  son 
procez  selon  Dieu,  raison,  et  les  droicts  divins  et  saints  canons  par 
ledict  Révérend  Père  en  Dieu.  Si  donnons  en  mandement  à  nos  dicts 
gens  et  officiers  qu'icelle  Jeanne  ont  en  garde,  qu'au  dict  Révérend 
Père  en  Dieu  baillent  et  délivrent  i^ealment  et  de  faict,  sans 
refus  ou  contredict  aucun,  la  dicte  Jeanne  toutes  et  quantes  fois  que 
par  luy  en  seront  requis.  Mandons  en  outre  à  tous  nos  justiciers, 
officiers  et  subjects,  tant  françoys  comme  Anglois,  que  audict 
Révérend  Père  en  Dieu  et  à  tous  qui  sont  et  seront  ordonnez  pour 
assister,  vacquer,  et  entendre  au  dict  procez  ne  donnent  d'elTect  ne 
autrement  aucun  empeschement  ou  destourbier,  mais  si  requis  en 
sont  i)ar  ledict  Ikverend  Père  en  Dieu,  luy  donnent  garde,  ayde, 
et  deffense,  protection  et  confort  sur  peine  de  griefve  punicion. 
Toutes  fois  c'est  nostre  intencion  de  ravoir  et  reprendre  par  devers 
nous  icelle  Jeanne,  si  ainsy  estoit  qu'elle  ne  fut  convaincue  ou 
atteinte  des  cas  dessus  dicts,  ou  d'aucun  d'eulx  ,  ou  d'autre 
touchant  ou  regardant  notre  dicte  foy.  En  tesmoin  de  ce  nous 
avons  fait  mettre  nostre  scel  ordinnère  en  l'absence  du  grant  à  ces 
présentes.  Donné  à  Rouen  le  tiers  jour  de  janvier,  l'an  de  grâce  mil 
quatre  cent  trente,  et  de  nostre  régne  le  ix'^.  Signé.  Par  le  Roy  a 
la  relation  de  son  grant  conseil  :  J.  de  Rivel.  » 


ADVERTISSEMENT 

Les  susdites  lettres  du  Roy  d'Angleterre  ne  contiennent 
autre  chose  de  mémorable  [sinon]  que  l'Évesque  de  Beauvais 
est  son  féal  conseiller  et  qu'il  est  juge  ordinaire  de  la  Pu- 
celle  :  d'autant  qu'elle  a  esté  «  prise  es  limites  de  son  dio- 
cèse «,  et  ne  dit  pas  «  dans  le  diocèse  positivement  »,  ainsi 
qu'il  est  porté  aux  précédentes  lettres.  Or,  est-il  véritable 
que  cette  fille  fut  prise  aux  limites,  et  non  dans  ou  sur  le 
diocèse  de  Beauvais. 

AUTRES    ACTES    PRÉLIMINAIRES 

Suit  après  un  acte  du  vingt-huitiesme  décembre  1430,  par 


DE    COMPIKGiNE    A    ROUEN.    LE    PROCÈS  233 

lequel  l'Évesque  de  Beauvais  ayant  déclaré  au  chapitre  de 
Rouen,  le  siège  épiscopal  vaquant,  que  la  Pucelle  auroit 
esté  prise  en  son  diocèse,  et  que  désirant  lui  faire  son  procez 
en  la  ville  de  Rouen,  attendu  les  crimes  contre  la  foy  dont 
elle  est  diffamée,  il  leur  demande  territoire.  Pour  ces  causes 
ledit  chapitre  lui  accorde  volontairement  territoire  pour 
faire  et  parfaire  ce  procez  en  la  ville  de  Rouen  et  par  toute 
l'estendue  dudit  Archevêché,  etc.  Cet  acte  fait  cognoistre  le 
désir  que  cet  Evesque  avoit  de  perdre  la  Pucelle,  attendu  que 
lesdites  lettres  de  concession  précédent  celles  que  le  Roy 
d'Angleterre  a  données  pour  faire  livrer  la  Pucelle  à  l'Éves- 
que de  Beauvais.  Celles-ci  sont  en  date  du  troisiesmejanvier 
et  celles-là  du  vintg-huitiesme  décembre  1430  :  car  l'année 
commençoit  lors  à  Pasques.  Néantmoins  l'Évesque  de  Beau- 
vais a  faict  registrerau  dict  procez  les  lettres  du  Roy  d'Angle- 
terre devant  celles  qu'il  avoit  obtenues  du  chapitre  de  Rouen 
pour  avoir  territoire  :  afin  qu'on  ne  pense  pas  que  celte 
transposition  vienne  d'ailleurs  que  de  lui-mesme.  Partout 
nous  suivons  l'ordre  et  les  dates  qu'il  a  faict  registrer  en  ce 
procez. 

Autre  acte  du  neufviesme  janvier  1430,  moyennant  lequel 
cet  Évesque  constitue  promoteur  en  cette  cause,  maistre  Jean 
Destivet,  prestre  et  chanoine  des  églises  de  Bayeux  et  de 
Beauvais,  homme  qui  luy  estoit  totalement  affidé,  lequel  plus 
que  tout  autre  a  travaillé  et  injurié  la  Pucelle  en  prison, 
et  jamais  ne  l'appelait  autrement  que  p....,  ribaude  et  pail- 
larde, et  mesme  il  se  meltoit  en  une  chambre  auprès  de 
celle  où  elle  étoit,  parlant  à  elle  par  un  trou,  feignant  estre 
françois,  détenu  prisonnier  pour  la  décepvoir  et  tromper. 
Aussi  en  fut-il  puni  et  mourut-il  misérablement^. 

Autre  acte  du  mesme  jour  et  an,  par  lequel  l'Évesque  esta- 
blit  pour  notaires  en  ce  procez  messires  Guillaume  Colles 
autrement  Bosguillaume,  et  Guillaume  Manchon,  prestresdu 
diocèse  de  Rouen,  lesquels  ont  escrit  tous  les  actes  originaux 
du  procez  :   et  Dieu  a  permis  qu'ils  ayent  survécu  jusques  à 


1.  J.  Quiclierat  écrit  D'Estivet   avec  apostrophe.  —  Voir  Procès,  t.  I. 
p.  7  ;  t.  Il,  p.  18  ;  t.  III,  p.  162  :  t.  V,  p.  315. 


23*  E.    RICHEH.    LA    PUCELLE    d'oRLÉANS 

la  revision  d'icelui,  et  découvert  toutes  les  menées  et  injus- 
tices qui  y  furent  pratiquées. 

Ite^n,  le  mesme  jour  et  an,  [l'Evesque  de  Beauvais]  establit 
pour  commissaire,  conseiller  et  examinateur  des  tesmoins 
maistre  Jean  de  la  Fontaine,  maistre  es  arts  et  licencié  en 
droict  canon  :  lequel  établissement  n'a  esté  fait  que  pour 
donner  couleur  à  une  prétendue  information  faicte  aux  païs 
de  la  Pucelle  dont  il  sera  parlé  ci-après,  et  n'y  eust  jamais 
aucun  examen  de  tesmoins  en  tout  ce  procez. 

Le  mesme  jour  et  an,  eslit  et  commet  pour  exécuteur  de 
ses  mandements  et  ordonnances  maistre  Jean  INIassieu,  pres- 
tre  doyen  de  la  chrestienté  de  Rouen,  lequel  a  déposé  en  la 
révision  du  procez  pour  l'innocence  de  la  Pucelle  et  l'inique 
procédé  de  l'Evesque  de  Beauvais  duquel  il  a  eu  grande  et 
particulière  cognoissance. 

Item,  le  treiziesme  janvier  1430  (vieux  style),  ce  prélat 
faict  appeler  au  logis  oui  il  faisoit  sa  demeure  messires  Gilles, 
abbé  de  Fécamp,  docteur  en  théologie,  Nicolas  de  Venderès, 
licencié  en  droit  canon,  Guillaume  Haiton,  Nicolas  Gouppe- 
quesne,  bachelier  en  théologie,  Jean  de  la  Fontaine,  licencié 
en  droit  canon,  Nicolas  Loiseleur,  chanoine  de  l'église  de 
Rouen,  auxquels  il  expose  et  représente  tous  les  actes  faicts 
le  neuvième  janvier  et  leur  demande  conseil  sur  iceulx. 
Davantage,  fait  lire  en  leur  présence  certaines  informations 
faictes  au  païs  de  la  Pucelle,  avec  quelques  mémoires  sur 
les  choses  contenues  es  dictes  informations,  et  autres  parti- 
cularitez  recueillies  des  vaux  de  ville  que  les  Bourguignons 
et  les  Anglois  avoient  fait  courir  au  préjudice  de  la  Pucelle. 
Lesquelles  informations  ne  paraissent  point  au  procez  et 
n'ont  jamais  été  communiquées  à  la  Pucelle  et  conséquem- 
rnent  sont  de  nulle  considération.  Semblablement,  aucun  tes- 
moin  n'a  esté  ouy,  examiné  ni  recollé  et  confronté  à  icelle. 
Et  la  cause  pour  quoy  lesdites  informations  ne  furent  [pas] 
produictes  au  procez  est  que  les  tesmoins  déposèrent  tous 
pour  l'honneur  et  innocence  de  la  Pucelle,  ainsi  que  nous 
ferons  veoir  au  troisiesme  livre.  Néantmoins  les  conseillers 
jugèrent  les  dictes  informations  [suffisantes]  pour  faire  citer 
et  appeler  la  Pucelle  en  matière  de  foy  en  cour  d'Église,  ainsi 


DE    COMPIÈGNE    A    ROUEN.     —    LE    PROCES  235 

qu'il  est  porté  par  les  actes  :  et  toutes  fois  il  ne  s'est  trouvé 
aucun  qui  aye  déposé  avoir  vu  les  dictes  informations,  pas 
mesme  les  notaires. 


Des  conseillers  et  assesseurs  de  l'Évesque  de  Beauvais 

Quant  aux  conseillers  et  assesseurs  de  l'Évesque  de  Beau- 
vais, ceux  qui  ensuivent  ont  assisté  à  la  sentence  définitive. 

Maistre  Nicolas  de  Venderès,  licencié  en  droit  canon,  archi- 
diacre et  chanoine  de  l'Église  de  Rouen  ; 

Maistre  Gilles,  abbé  de  Fescamp,  docteur  en  théologie; 

Guillaume  Erard,  docteur  en  théologie,  sacristain  et  cha- 
noine de  l'Église  de  Langres  et  de  Laon  :  il  estoit  au  duc  de 
Bourgogne  ; 

Robert  Gillebert,  docteur  en  théologie  et  doyen  de  la  cha- 
pelle du  Roy  d'Angleterre  ; 

L'abbé  de  Saint-Ouen  de  Rouen  ; 

Jean  de  Chastillon,  docteur  en  théologie,  archidiacre  et 
chanoine  d'Évreux; 

Erard  Ermengart,  docteur  en  théologie  ; 

Guillaume  Boucher,  docteur  en  théologie  ; 

Pierre,  prieur  de  Longueville; 

Giffard,  docteur  en  théologie; 

Guillaume  Ilaiton,  bachelier  en  théologie; 

André  Marguerie,  licencié  en  droit  civil  et  bachelier  en 
droit  canon,  archidiacre  et  chanoine  de  l'Église  de  Rouen; 

Jean  Garin,  docteur  en  décret,  chanoine  de  Rouen; 

Denys  Gastinel,  licencié  es  droits,  et  chanoine  de  Rouen  ; 

Jean  a  Lespée,  licencié  en  droit  civil  et  chanoine  de 
Rouen; 

Pasquier  de  Valeez  [de  Vaulx],  docteur  en  droit,  chanoine 
de  l'Église  de  Paris  et  de  Rouen  ; 

Nicolas  3Iidy,  docteur  en  théologie,  chanoine  de  Rouen; 

Maistre  Jean  Beaupère,  docteur  en  théologie,  chanoine  de 
Rouen  et  de  Besançon; 

Pierre  de  Houdenc,  docteur  en  théologie  ; 

Jean  Fabri  (LeFèvrei,  docteur  en  théologie  ; 

Guillaume,  abbé  de  Mortemer,  docteur  en  théologie; 


236  E.     niCHER.    LA    PLXELLE    d'oI'.LÉAXS 

Jacques  Guesdon,  docteur  en  théologie  ; 

Nicolas  Coppequesne,  bachelier  en  théologie,  chanoine  de 
Rouen  : 

Guillaume  du  Désert,  chanoine  de  Rouen  ; 

Pierre  Maurice,  docteur  en  théologie,  chanoine  de  Rouen  ; 
Guillaume  de  Baudribosco,  bachelier  en  théologie; 

Nicolas  Gavai,  licencié  en  droict  civil  ; 

Nicolas  Loiseleur,  maistre  es  arts,  chanoine  de  Rouen  ; 

Guillaume  des  Jardins,  docteur  en  médecine,  chanoine  de 
Rouen  ; 

Jean  Tiphaine,  docteur  en  médecine  ; 

Guillaume  de  Liveto,  licencié  en  droict  civil  ; 

Geofïroy  de  Grotoy,  licencié  en  droict  civil  ; 

Pierre  Carrel,  licencié  en  droict  civil  ; 

Jean  Le  Doux,  licencié  es  droicts  ; 

Jean  Colombel,  licencié  en  droict  canon  ; 

Aubert  Morelli,  licencié  en  droict  canon  ; 

Martin  Ladvenu,  de  l'ordre  des  Frères  prêcheurs,  bache- 
lier en  théologie  ; 

Richard  de  Grouchet,  bachelier  en  théologie  ; 

Guillaume  de  la  Chambre,  licencié  en  médecine  ; 

Jean  Pigache,  bachelier  en  théologie. 

Thomas  de  Courcelles,  bachelier  en  théologie,  chanoine 
de  Thérouane  et  de  Laon  ; 

Gérard  Feuillet,  docteur  en  théologie; 

Jacques  de  Touraine,  docteur  en  théologie; 

Frère  Isanibert  de  Pélra,  jacobin,  bachelier  en  théologie  ; 

Jean  Maugier,  licencié  en  droict  canon  ; 

Rodolphe  Roussel,  docteur  es  droicts  et  trésorier  de 
l'Eglise  de  Rouent 

1.  En  tant  qu'elle  donne  les  noms  des  principaux  assesseurs  du  procès 
de  la  I*ucelle,  celte  liste  est  assez  exacte  ;  mais  en  certains  points  elle 
est  sujette  à  rectification.  Ainsi  E.  Richer  compte  parmi  les  assesseurs 
qui  assistèrent  à  la  sentence  du  Vieux-Marché  maître  Jean  Beaupère. 
Or  ce  docteur  ne  s'y  trouva  pas,  étant  déjà  parti  de  Rouen  pour  se 
rendre  au  concile  de  Bâle.  (Voir  Procès,  t.  II,  p.  21.) 

Au  reste  la  question  des  personnages  qui  à  divers  titres  assistèrent 
soit  aux  interrogatoires  du  procès  d'ofiice,  soit  aux  diverses  séances  des 
deux  causes  de  chute  et  de  rechute,  semble  peu  importante  à  Richer. 
Aussi  ne    songe-t-il   que  rarement  à  donner,  avant  ces  séances,   les 


DE    CÛMPIEGNE    A    ROUEN.    LE    PIIOCES  237 

Voilà  un  grand  nombre  de  conseillers,  tous  préparez  à  la 
ruine  de  la  Pucelle  et,  à  ces  fins,  choisis  par  l'Evesque  de 
Beauvais,  lequel  avoit  faict  venir  de  Paris  tous  ceux  qu'il 
estimoit  debvoir  seconder  ses  desseins. 


Sommation    a   Jean    Lemaitre.    —    Citation  de  la 
Pucelle 

Le  vingtiesme  febvrier  1430,  l'Evesque  de  Beauvais  somme 
et  interpelle  Jean  Magistri,  jacobin,  docteur  en  the'ologie,  et 
suffragant  de  l'Inquisiteur  de  la  foy  au  diocèse  de  Rouen, 
vouloir  prendre  cognoissance  avec  lui  de  cette  cause  :  ce 
qu'il  refuse  pour  les  raisons  ci-dessus  alléguées. 

Le  mesme  jour  et  an,  à  la  requeste  de  maistre  Jean  Desti- 
vet,  promoteur  en  la  cause,  chanoine  de  Beauvais,  maistre 
Jean  Massieu,  prestre  et  doyen  de  la  chrestienté  de  Rouen, 
exécuteur  des  mandements  de  l'Evesque  de  Bauvais,  cite  la 
Pucelle  pour  comparoir  devant  l'Evesque  et  respondre  aux 
charges  et  interrogatoires  qui  lui  seront  faits  en  matière  de 
foy,  etc.,  au  mercredi,  vingt-et-uniesme  febvrier  1430,  à 
huict  heures  du  matin,  en  la  chapelle  du  chasteau  de 
Rouen,  etc. 

La  Pucelle,  quoique  destituée  de  tout  conseil  humain 
et  mineure  d'ans,  nesçachant  lire  ni  escrire,  respond  qu'elle 
est  preste  d'obéir  et  de  dire  la  vérité  :  toutes  fois  requiert  et 
demande  audict  Evesque  qu'il  appelle  à  ce  procez  avec  soy 
des  gens  d'Eglise  du  parti  de  son  Roy  aussi  bien  que  du 
parti  anglois,  et  qu'il  lui  plaise  permettre  qu'elle  entende  la 
messe  auparavant  que  d'estre  interrogée.  Lesquelles  deux 
demandes  sont  libellées  en  Texploict  dudict  Massieu,  à  la 
condamnation  de  l'Evesque  :  mais  non  pas  une  troisiesme,  à 
sçavoir  puisqu'elle  estoit  entre  les  mains  de  l'Eglise,  qu'on 
luy  ostast  les  fers  des  pieds,  et  donnast  une  prison  plus  gra- 
cieuse, comme  il  estoit  de  justice. 

noms  des  assesseurs  qui  y  prirent  part.  On  trouvera  sur  ce  point  les 
indications  désirables  dans  l'édilion  du  procès  qu'a  publiée  la  Société 
do  l'bistoire  de  France. 


SECONDE   PARTIE 

CONTENANT   LE   PROCEZ   DIT   D'OFFICE 

PREMIÈRE  SÉANCE 

Le  mercredi,  vingt-et-uniesme  febvrier  1430  (vieux  style), 
l'Evesque  de  Beauvais  vient  à  la  chapelle  du  chasteau  de 
Rouen  où  cette  fille  est  amenée  par  maistre  Jean  Massieu,  et 
sur  les  trois  choses  qu'elle  avoit  requises,  l'Evesque  sans 
prendre  conseil  de  ses  assesseurs,  ordonne  de  sa  teste  ce  que 
bon  luy  semble,  sçavoir  : 

Attendu  les  crimes  dont  elle  estoit  diffamée,  ainsi  qu'il 
parle,  et  qu'elle  continuoit  de  porter  un  habillement 
d'homme,  qu'on  sursoieroit  à  lui  faire  entendre  la  messe. 
Bien  plus,  il  tança  aigrement  Massieu'  pour  ce  que  amenant 
la  Pucelle  à  cette  séance,  il  avoit  permis  qu'elle  se  présentast 
devant  le  saint  sacrement  pour  l'adorer  et  faire  ses  prières, 
auparavant  que  d'ester  à  droict  devant  ses  juges,  ainsi  que 
cette  fille  l'en  avoit  requis.  D'où  l'on  peut  aisément  juger  si 
un  tel  acte  est  louable  et  tolérable,  principalement  en  un 
juge  ecclésiastique.  Mais  ce  qui  le  faschoit  davantage,  c'est 
qu'ayant  conspiré  avec  lAnglois  de  condamner  cette  fille 
comme  impie  et  sorcière,  il  ne  voioit  rien  en  elle  de  conforme 
à  sonmalicieux  dessein. 

Quant  aux  deux  autres  demandes  de  la  Pucelle,  sçavoir 
qu'on  appelast  aussi  des  ecclésiastiques  du  parti  de  son  Roy 
comme  du  parti  des  Anglois,  n'estant  raisonnable  qu'ils  fus- 


1.  Ce  n'est  pas  ce  jour-là  ijue  ,1.  Massieu  lut  blâmé  d'avoir  permis  à 
la  Pucelle  de  s'arrêter  devant  la  chapelle  du  château,  nique  Jeanne  s'y 
arrêta,  mais  plus  tard,  au  cours  du  procès.  Ce  n'est  pas  non  plus  l'évêque 
de  Beauvais  qui  fit  à  Massieu  ce  reproche,  mais  le  promoteur  D'Estivct. 
Voir  la  déposition  de  J.  Massieu,  Procès,  t.  Il,  p.  16. 


DE  COMPIÈGNE  A  ROUEN.  —  LE  PROCÈS  239 

sent  juges  et  partie,  et  qu'elle  feust  mise  aux  prisons  de 
l'Eglise,  puisqu'elle  estoit  jugée  par  les  ecclésiastiques,  et 
qu'on  lui  ostast  les  fers  des  pieds  :  sur  ce  dernier  chef,  l'Eves- 
que  allègue  pour  toute  raison  que  la  Pucelle  s'estant  voulu 
plusieurs  fois  sauver,  on  lui  avoit  mis  les  fers  aux  pieds;  et 
quant  au  premier  point,  il  le  passe  sous  silence  sans  y  faire 
aucune  response.  Aussi  estoit-ce  chose  de  grande  impor- 
tance. 

N'est-il  pas  vray  que  si  cette  fille  eust  eu  du  conseil  et  se 
feust  fermée  et  résolue  à  ces  deux  demandes,  protestant  de 
ne  point  respondre  sinon  qu'on  lui  fîst  raison  sur  ces  deux 
chefs,  que  cet  Evesque  ne  lui  pouvoit  faire  son  procez? 
Maistre  Jean  Lohier,  qui  avoit  esté  par  un  long  temps  audi- 
teur de  Rote',  s'estant  lors  trouvé  à  Rouen,  fut  requis  par 
l'Evesque  de  Beauvais  de  travailler  à  ce  procez:  ce  qu'il 
refusa,  remontrant  que  parle  style  de  la  Gourde  Rome,  per- 
sonne ne  pouvoit  estre  accusé  d'hérésie  et  autres  cri- 
mes desquels  on  accusoit  la  Pucelle,  que  au  préalable  il  n'y 
eust  information  canoniquement  faicte  comme  elle  seroit 
prévenue  des  crimes  susdits,  qu'il  n'en  avoit  esté  faicte 
aucune,  et  mesme  n'avoit  précédé  diffamation  quelconque 
sur  laquelle  pust  instruire  l'information,  sinon  des  bruits 
que  les  Anglois,  ses  ennemis  mortels,  avoient  faict  courir  : 
de  plus,  que  cette  fille  n'estoit  [pas]  aux  prisons  ecclésiasti- 
ques, mais  en  celle  du  Roy  d'Angleterre,  son  ennemi  mortel  ; 
que  les  juges  et  officiers  qui  travailloient  à  ce  procez 
n'estoient  libres  ni  asseurez  ;  qu'il  s'agissoit  de  la  cause  d'un 
Roy  absent  n'ayant  personne  qui  parlast  pour  lui  et  n'avoit 
[pas]  esté  appelé  pour  déduire  ses  intérêts;  que  cette  fille 
estoit  destituée  de  tout  conseil,  que  personne  ne  lui  en  osoit 
donner.  Lesquelles  raisons  cet  auditeur  de  Rote  fit  pareille- 
ment entendre  à  plusieurs  des  assesseurs  de  l'Evesque  de 
Beauvais.  Et  pour  cette  occasion  fallut  qu'il  sortit  des  terres 
et  de  l'obéissance  du  Roy  d'Angleterre,  car  autrement  on  se 
feust  assuré  de  sa  personne. 

Or,  arrivée  que  fut  la  Pucelle  devant  l'Evesque,  charitable 

1.  Inexaclilude  :  il  ne  le  fut  que  plus  lard. 


-50  E.    RICHER.    LA    l'UCELLE    d'oRLÉANS 

qu'il  estoit,  il  l'exhorte  à  dire  la  vérité  sur  les  matières  de  la 
foy  dont  elle  sera  interrogée,  afin  d'expédier  son  procez,  et 
lui  enjoint  de  jurer  et  faire  serment  qu'elle  dira  la  vérité, 
sans  user  d'aucun  subterfuge.  Ce  que  entendu,  elle  se  mit  à 
genoux,  portant  ses  deux  mains  sur  le  missel  qui  lui  fut 
présenté  par  messire  Jean  Massieu,  et  promit  dire  la  vérité 
de  tout  ce  qu'elle  sçauroit  touchant  les  matières  de  la  foy, 
excepté  les  révélations  qu'elle  avoit  eues  de  son  Roy,  les- 
quelles n'avoit  jamais  révélées  et  ne  révéleroit  à  personne, 
quand  mesme  il  iroit  de  sa  vie,  et  que  son  conseil  lui  avoit 
ainsi  enjoint. 

[premier  interrogatoire  purlic  '] 

Enquise  comment  elle  avoit  nom,  i-espond  qu'en  son  pais  on 
l'appeloit  Jeannette  et  en  France  Jeanne,  et  qu'elle  ne  sravoit  pas 
son  surnom;  qu'elle  estoit  native  de  Dompremy,  paroisse  de 
Greux  ;  que  son  père  s'appeloit  Jacques  Darc,  sa  mère  Isabeau  ; 
qu'elle  avoit  esté  baptisée  en  l'église  de  Dompremy  ;  que  lune  de 
ses  marraines  s'appeloit  Agnès,  l'autre  Jeanne,  l'autre  Sibylle  ; 
et  de  ses  parrains,  un  se  nommoit  Jean  Lingue,  l'autre  Jean 
Barray,  et  avoit  plusieurs  autres  marraines,  ainsi  qu'elle  avoit 
appris  de  sa  mère  ;  que  messire  Jean  Minet  l'avoit  baptisée  et 
pensoit  qu'il  t'ust  encore  plein  de  vie. 

Interrogée  de  son  âge,  respond  qu'elle  peut  avoir  dix-neuf  ans, 
comme  elle  pense  ;  que  sa  mère  lui  avoit  appris  son  Pater  noster, 
Ave  Maria,  Credo,  et  ne  l'avoit  jamais  appris  d'autre  personne. 

Requise  de  divc  Pater  noster,  respond  :  très  volontiers,  pourveu 
qu'on  la  veuille  entendre  de  confession  ;  et  pressée  maintes  fois  de 
le  dire,  a  tousjours  persisté  d'estre  ouye  de  confession,  et  qu'elle  le 
diroit. 

Après,  l'Evesque  lui  deffend  de  sortir  de  la  prison  sous  peine 
d'estre  tenue  pour  convaincue  du  crime  d'hérésie. 

Elle  repart  qu'elle  n'admeltroit  pas  une  telle  deffense;  que  si  elle 
évadolt  ,  aucun  ne  la  pourroit  blasmer  ni  reprendre  d'avoir 
violé  sa  foy.  ne  l'ayant  jamais  donnée  à  personne.  —  Et  derechef 
se  plaignisl  qu'on  la  lenoit  enchaînée,  les  fers  aux  pieds.  L'Evesque 
répliqua  qu'elle  s'estoit  voulu  sauver  des  prisons  par  plusieurs  fois, 
que  pour  cette  cause  on  lui   avoit  mis  les    fers  aux  pieds.  Elle 

1.  Lus  intcriogaloires  du  procès  (roriîcc  sont  au  nombre  de  ([uinze. 
Los  siv  premiers  l'uront  publics;  les  neuf  autres  eurent  lieu  dans  la 
]H'is()n  de  raccuséc  et  le  public  n'y  fut  pas  admis. 


DE  COMPIEGNE  A  ROUEN.  LE  PROCES  241 

confessa    véritable   qu'elle  s'estoit  voulu  sauver   autrefois,  et  le 
voudroit  bien  encore,  et  que  c'estoit  chose  licite  aux  prisonniers. 


L'Evesque  commet  pour  sa  garde  un  escuier  du  Roy  d'An- 
gleterre nommé  John  Gris,  avec  Jean  de  Werwoit  et  Guil- 
laume Talebot,  et  leur  commande  de  ne  laisser  personne 
parler  à  elle  sans  son  exprès  commandement. 

Et  cela  faict,  assigne  la  Pucelle  au  lendemain  pour  conti- 
nuer son  procez.  Au  reste,  le  comte  de  VVarwic  avoit  la 
garde  du  chasteau  de  Rouen  où  la  Pucelle  estoit  tenue  prison- 
nière, et  ce  John  Gris,  avec  ses  satellites,  estoit  sous  la 
charge  de  ce  comte  de  Warwic. 


ADVERTISSEMENT 

Ce  procez  d'ofOce  que  nous  avons  en  main  contient  quinze 
séances  sur  chacune  desquelles  nous  ferons  des  observations 
pour  esclaircir  les  choses  obscures  et  contredire  les  calom- 
nies de  messire  Pierre  Cauchon,  Evesque  de  Beauvais,  lequel 
n'a  permis  qu'on  fist  registre  des  dépositions  de  la  Pucelle 
qu'autant  que  bon  lui  a  semblé.  Et  mesme  à  chacune  séance 
il  y  avoit  des  secrétaires  du  Roy  d'Angleterre,  cachés  der- 
rière une  tapisserie,  qui,  escrivant,  omettoient  tout  ce  qu'ils 
pensoient  servir  à  la  descharge  de  cette  fille,  ainsi  que  nous 
vérifierons  ailleurs. 

Faut  remarquer  que  la  Pucelle  ne  recognoissoit  [pas]  cet 
Evesque  pour  son  juge;  autant  qu'elle  peut,  elle  décline  et 
évite  plusieurs  interrogatoires  qu'on  lui  faict  :  chose  que 
ses  ennemis  imputent  faulsement  à  parjure,  car  c'est  une 
des  inductions  du  Promoteur  contre  cette  fille. 

Le  lecteur  prendra  garde  aux  interrogatoires  captieux 
qu'on  lui  fait,  et  comme  insensiblement  on  la  tire  d'une 
question  à  une  autre  pour  la  tromper,  et  mesme  qu'on  l'in- 
terroge sur  la  plus  subtile  théologie,  afin  de  la  faire  tomber 
en  quelque  contradiction.  Néantmoins,  illuminée  qu'elle 
estoit  de  l'esprit  de  Dieu,  elle  sort  de  tous  ces  labyrinthes  et 
respond  fort  à  propos  :  chose  grandement  admirable,  vu  sa 


242  E.    niCHER.    —    LA    PUCELLE    d'oRLÉANS 

condition,  sa  rudesse,  son  bas  âge,  continuellement  exposée 
aux  opprobres  et  injures  de  ses  gardes. 

Or,  le  grand  désir  qu'elle  avoit  d'estre  confessée  a  fait 
qu'elle  leur  a  tousjours  refusé  dédire  sa  créance,  sinon  qu'on 
l'entendist  en  confession.  Et  n'ayant  appris  sa  créance  que 
de  sa  mère  qui  ne  pouvoit  prononcer  le  latin,  il  est  croyable 
qu'elle  semblablement.  ne  le  pouvant  prononcer,  avoit  quel- 
que honte  de  dire  son  Pater  devant  une  si  grande 
assemblée  de  doctes  personnages  qu'elle  tenoit  pour  ses 
ennemis. 

SECONDE   SÉANCE 


l'Evesque  exige  derechef  le  serment  de  cette  fille  et  lui  com- 
mande dire  simplement  et  nuement  la  vérité  sur  les  crimes 
et  matières  dont  elle  estoit  diffamée  ;  remonstre  que  les 
princes  mesmes  en  telles  matières  ne  pourroient  pas  refuser 
de  jurer. 

Elle  respond  avoir  juré  le  jour  précédent  et  que  cela  deb- 
voit  suffire,  que  c'estoit  par  trop  la  charger.  Et  finalement 
jura  qu'elle  diroit  la  vérité. 

Maistre  Jean  Beaupère,  docteur  de  Paris,  l'exhorte  de  dire 
la  vérité  de  tout  ce  qu'on  lui  demandera.  Réplique  qu'on 
pourroit  bien  lui  demander  telle  chose  qu'elle  en  diroit  la 
vérité,  et  d'autre  non  :  que  s'ils  estoient  duement  informez 
qui  elle  estoit,  debvroient  désirer  qu'elle  fust  hors  de  leurs 
mains,  qu'elle  n'avoit  rien  faict  que  par  révélation. 

[deuxième  interrogatoire  public^] 

Interrogée  quel  âge  elle  avoit  quand  elle  s'en  alla  de  la  maison 
de  son  père,  et  si  en  sa  jeunesse  elle  avoit  appris  quelque  art, 
respond  : 

Pour  làge  auquel  elle  sortit  premièrement  de  la  maison  de  son 

1.  Cet  interrogatoire  et  les  suivants,  jusqu'aux  interrogatoires  de  la 
prison,  «  furent  laits  par  maître  Jean  Beaupère,  professeur  de  théologie, 
conformément  à  ce  qu'avait  ordonné  et  réglé  l'évesque  de  Beauvais.  » 
(J.  QuiCHERAT,  Procès,  t.  I,  p.  50). 


DE    COMPIÈGNE    A    ROUEN.    —    LE    PROCES  243 

pçre  ne  s'en  point  souvenir  et  n'en  pouvoir  que  dire  ;  mais  que 
pour  filer  et  coudre  des  draps,  elle  l'avoit  appris  dès  sa  jeunesse 
et  n'en  craignoit  femme  de  Rouen.  Advoua  que  pour  crainte  des 
Bourguignons,  elle  partit  de  la  maison  de  son  père  et  se  retira  à 
Neui'chastel  en  Lorraine  où  elle  demeura  environ  quinze  jours 
chez  une  femme  nommée  La  Rousse.  Et  quand  elle  estoit  en  la 
maison  de  son  père,  elle  s'emploioit  à  faire  le  mesnage  de  la 
maison  et  n'alloit  point  aux  champs  garder  les  brebis  ou  autres 
animaux. 

Enquise  si  elle  se  confessoit  tous  les  ans  :  dit  que  oui,  à  son 
propre  curé,  et  quand  il  estoit  empesché,  à  quelque  autre  prestre, 
de  la  licence  et  permission  de  son  curé  :  davantage,  qu'elle  pense 
s'estre  confessé  deux  ou  trois  fois  aux  religieux  mendiants  lors- 
quelle  estoit  à  Neufchastel  ;  et  qu'elle  recepvoit  le  sacrement  d'Eu- 
charistie à  la  feste  de  Pâques. 

Interrogée  si  aux  autres  festes  de  l'année,  outre  celle  de  Pasques, 
elle  recepvoit  le  sacrement  de  lEucharistie,  elle  dit  à  celui  qui 
l'interrogeoit  qu'il  passast  outre.  Et  confesse  qu'à  l'âge  de  treize 
ans,  elle  avoit  eu  une  voix  de  Dieu  pour  l'ayder  à  se  conduire  et 
gouverner  :  et  que,  de  premier  abord,  elle  fut  espouvantée  ;  qu'elle 
ouyt  cette  voix  environ  le  midy,  au  temps  de  l'esté,  estant  au  jardin 
de  son  père,  et  qu'elle  n'avoit  [pas]  jeusné  le  jour  précédente  Et 
entendit  cette  voix  du  costé  droict  de  l'église:  et  l'entendoit  le  plus 
souvent  avec  une  clarté  qui  venoit  du  mesme  costé  qu'elle  entendoit 
cette  voix  ;  et  que  de  ce  costé-là  [d'où  vient  la  voix],  il  y  a  toujours 
une  grande  clarté.  Et  que,  venant  en  France,  elle  entendoit  souvent 
cette  voix. 

Interrogée,  veu  que  cette  clarté  venoit  de  costé,  comment  elle  la 
pouvoit  veoir  :  elle  ne  respondrienàcela,  mais  dit  que  si  elle  estoit 
en  une  forest,  elle  entendroit  bien  les  voix  qui  viennent  à  elle  :  que 
ces  voix  lui  sembloient  dignes,  et  croyoit  estre  envoiéez  de  la  part 
de  Dieu  ;  et  qu'ayant  ouy  par  trois  fois  cette  voiX;  elle  cognut  que 
c'estoit  la  voix  d'un  ange.  Comme  cette  voix  l'a  tousjours  bien 
gardée,  aussi  l'a-t-elle  tousjours  bien  entendue  2. 

Enquise  quels  enseignements  cette  voix  lui  donnoit  pour  le  salut 
de  son  âme  :  dit  lui  avoir  appris  à  se  bien  gouverner,  à  fréquenter 


1.  J.  QuicHERAT.  Procès,  t.  I,  p.  52,  jejunaverat,  c'est-à-dire  le  con- 
traire. Voir  YAdverlissement  suivant. 

2.  A  noter,  dans  ce  paragraphe,  quelques  légères  différences  entre  le 
texte  d'.K.  Richer  et  celui  de  J.  Quicherat.  Dans  J.  Quicherat,  après 
«  nihil  ad  hoc  respondit  »,  il  y  a  un  «  transivit  ad  alla  »  et  un  «  Prœterea» 
que  Richer  passe  sous  silence.  Dans  la  dernière  phrase  de  J.  Quicherat, 
on  lit  ces  deux  affirmations  indépendantes  :  «  Elle  ajoute  que  cette  voix 
l'a  bien  gardée  et  qu'elle  a  bien  compris  la  voix  elle-même.  »  (Procès^ 
t.  l.  p.  52). 


244  E.    RICHER.    LA    PUCELLE    d'oRLÉANS 

l'église,  et  qu'il  falloil  quelle  vînt  en  France  ;  mais  que,  pour  le 
présent,  celui  qui  l'interrogeoit  ne  sçauroit  pas  en  quelle  forme  cette 
voix  lui  estoit  apparue. 

Confessa  que,  deux  ou  trois  fois  la  sepmaine,  cette  voix  lui 
disoit  qu'il  falloit  qu'elle  partist  pour  venir  en  France  ;  et  que  son 
père  n'a  rien  sceu  de  son  départ  :  que,  cette  voix  lui  disant  qu'elle 
allast  en  France,  elle  ne  pouvoit  plus  durer  ni  demourer  en  place  ; 
et  l'asseuroit  qu'elle  feroit  lever  le  siège  d'Orléans.  Et  [la  même  voix] 
disoit  qu'elle  allast  à  Robert  de  Baudricour,  capitaine  de  Vaucou- 
leur.  qui  lui  donneroit  des  gens  pour  l'accompagner.  Qu'alors  elle 
respondit  à  cette  voix  qu'elle  estoit  une  pauvre  fille  qui  ne  sçavoit 
ni  aller  à  cheval,  ni  faire  la  guerre.  Et  alla  treuver  un  sien  oncle, lui 
faisant  entendre  quelle  vouloit  demourer  quelque  peu  de  temps  avec 
lui.  Et  y  demoura  environ  huict  jours.  Et  le  pria  de  la  mènera  Vau- 
couleur.  comme  il  l'y  mena  :  où  estant  arrivée,  elle  cognut  Robert 
de  Baudricour  ,  ne  l'ayant  jamais  veu  auparavant,  sa  voix  lui 
ayant  révélé  qui  il  estoit.  Et  dit  à  Baudricourt  qu'il  falloit  qu'elle 
allast  en  Fi'ance.  Mais  Baudincour  l'ayant  rebutée  par  deux  diverses 
fois,  finalement  il  la  reçut  la  troisiesme  et  lui  donna  des  hommes, 
ainsi  que  sa  voix  lui  avoit  prédit  qu'il  arriveroit. 

Confessa  davantage  que  le  duc  de  Lorraine  avoit  mandé  qu'on 
[la]  lui  envoiast,  et  l'avoit  veu  ;  et  qu'il  lui  demanda  par  quel 
moien  il  pourroit  recouvrer  sa  santé.  Qu'elle  lui  avoit  respondu  n'en 
pouvoir  que  dire,  et  lui  avoit  faict  ouverture  du  voiage  qu'elle 
désiroit  faire  en  France,  et  outre  supplié  de  lui  donner  son  fils 
et  des  gens  pour  la  conduire,  et  qu'elle  prieroit  Dieu  pour  sa 
santé.  Et  que  le  duc  de  Lorraine  lui  avoit  envoie  un  passeport 
pour  l'aller  trouver,  et  que  partant  d'avec  lui  elle  alla  après  à 
Vaucouleur. 

Recognut  qu'au  partir  de  Vaucouleur,  estant  habillée  en  homme, 
elle  portoil  une  espée  que  Robert  de  Baudricour  lui  avoit  donnée, 
sans  autres  armes,  accompagnée  d'un  homme  de  guerre,  un  escuier 
et  quatre  serviteurs  ;  et  que  de  Vaucouleur,  elle  s'en  alla  à  Saint- 
Urbain  et  coucha  en  l'abbaye.  Et  après  passa  par  Auxerre  où  elle 
ouyt  la  messe  en  la  grande  église  ;  et  qu'alors  elle  entendoit 
souvent  ses  voix  desquelles  est  faicte  mention  ci-dessus'. 

Enquise  par  quel  conseil  elle  avoit  quitté  l'habillement  de  femme 
pour  prendre  celui  d'un  homme,  refusa  plusieurs  fois  derespondre, 
et  finalement  dit  qu'elle  n'en  chargeoit  aucun  homme,  et  plusieurs 
fois  varia. 

Item,  dit  que  Baudricour  avoit  fait  jurer  ceux  qui  la  condui- 
sirent en  France  de  la  mener  en  toute  seureté,  et  au  partir,  lui 
avoit  dit  :  «  Va,  et  advienne  tout  ce  qui  pourra.  » 

1.  Variante  :  «  ...  avec  celle  de  laquelle  est  faite  mention  ci-dessus.  » 
(J.  QUICHERAT,  t.  I.  p.  54). 


DE  COMPIÈGNE  A  ROUEN.  —  LE  PROCES  245 

Davantage ,  confessa  sçavoir  bien  que  Dieu  ajmoit  le  duc 
d'Orléans,  et  que,  le  Roy  de  France  excepté,  elle  avoit  eu  plus  de 
révélations  à  son  esgard  que  [à  l'esgard]  d'aucun  autre  homme 
vivant. 

Au  reste,  qu'il  avoit  fallu  qu  elle  changeast  son  habit  de  femme 
en  celui  d'un  homme  :  et  croyoit  que  son  conseil  l'avoit  bien 
instruite. 

Uem,  avoit  envoie  des  lettres  aux  Anglois  qui  assiégeaient 
Orléans,  à  ce  qu'ils  se  retirassent,  ainsi  qu'il  est  contenu  en  la  copie 
des  dictes  lettres  qui  lui  ont  esté  lues  en  cette  ville  de  Rouen.  Mais 
asseura  qu'on  avoit  changé  deux  ou  trois  mots,  comme  où  il  est 
dit.  Rendez  à  la  Pucelle,  il  faut  dire  Rendez  au  Roy,  et  où  il  j  a 
corps  pour  corps  et  chef  de  guerre,  parce  que  ces  termes  n'estoient 
pas  dans  l'original. 

Asseura  estre  venue  de  Vaucouleur  à  son  Roy  sans  aucun  empes- 
chement  ni  destourbier,  et  qu'estant  arrivée  à  sainte-Catherine-de 
Fierbois,  elle  envoia  vers  son  Roy  et  par  après  alla  au  chasteau  de 
Chinon  où  son  Roy  estoit,  et  y  arriva  sur  le  midy,  logea  en  une 
hostellerie,  et  après  le  disner  fut  au  chasteau  trouver  son  Roy, 
lequel  elle  cognut  par  le  conseil  ^  de  ses  voix  aussitost  qu'elle  fut 
entrée  en  sa  chambre,  et  le  discerna  et  recognut  entre  tous  les 
autres,  lui  disant  quelle  vouloit  aller  faire  la  guerre  contre  les 
Anglois. 

On  lui  demanda  si  la  voix  qui  lui  avoit  montré  son  Roy  estoit 
accompagnée  de  quelque  lumière.  Répliqua  qu'on  passast  outre. 

Interrogée  si  elle  avoit  veu  quelque  ange  sur  son  Roy,  respondit: 
Pardonnez-moi  et  passez  outre. 

Asseura  toutesfois,  auparavant  qu'ils  l'emploiast,  son  Roy  avoir 
eu  plusieurs  belles  apparitions  et  révélations. 

Enquise  quelles  révélations  et  appai'itions  avoit  eues  son  Roy, 
répliqua  qu'elle  n'en  diroit  rien  et  qu'ils  n'auroient  sur  cela 
aucune  response  :  qu'ils  envolassent  à  son  Roy  et  qu'il  leur 
diroit. 

Elle  dit  que  sa  voix  lui  avoit  promis  qu'incontinent  qu'elle  seroit 
venue  vers  son  Roy  qu'il  la  recepvroit.  Et  que  ceux  de  son  parti 
ont  bien  cognu  que  sa  voix  venoit  de  la  part  de  Dieu  ;  et  qu'ils 
ont  bien  veu  et  recognu  cette  voix,  et  qu'elle  le  sçait  bien  :  et  que 
son  Roy  et  plusieurs  autres  ont  ouy  et  veu  les  voix  qui  venoienl  à 
elle,  et  que  pour  lors  estoient  présents  Charles  de  Rourbon  et  deux 
ou  trois  autres. 

Item  a  recognu  qu'il  ne  se  passe  pas  jour  qu'elle  n'entende  cette 
voix  et  qu'elle  en  a  bien  besoin,  [et  a  recognuj  ne  lui  avoir  jamais 
demandé  autre  chose  sinon  la  récompense  finale,  à  sçavoirle  salut 
de  son  âme. 

1.  «  ...  et  révélation...  »  (J.  Quicheuat,  loc.  cil.,  p.  06). 


246  E.    KICHER.    —    LA    PUCELLE    d'oRLÉANS 

A  pareillement  confessé  que  sa  voix  lui  avoit  dit  qu'elle  demou- 
rast  en  la  ville  de  Saint-Denjs  en  France,  comme  elle  y  vouloit 
demeurer  ;  mais  que  les  seigneurs  malgré  elle  l'emmenèrent  de 
là  :  que  si  elle  n'eut  point  esté  blessée,  elle  n"en  fust  point  partie  ; 
qu'elle  avoit  esté  blessée  aux  fossez  de  Paris  et  guérie  en  cinq  jours, 
et  [avait]  fait  faire  une  escarmouche  devant  Paris  ^ 

Interrogée  s'il  estoit  feste  le  jour  qu'elle  avoit  faict  cette  escar- 
mouche, respondit  qu'elle  croyoit  bien  qu'il  fust  feste.  Enquise  si 
c'estoit  bien  faict  aux  jours  de  feste,  repartit  qu'on  passast  outre. 

Et  l'Evesque  de  Beauvais  fit  mettre  fin  à  cette  séance,  continuant 
[renvoyant]  la  prochaine  au  samedi  suivant. 


ADVERTISSEMENT  SUR  LA  SECONDE  SEANCE  '- 

Nous  avons  principalement  cinq  choses  de  remarque  en 
cette  séance. 

En  premier  lieu,  le  Promoteur,  article  huictiesme  de  sa 
production,  bastitune  insigne  calomnie  sur  ce  que  la  Pucelle 
a  confessé  s'estre  retirée  à  Neufchastel,  crainte  des  Bourgui- 
gnons, chez  une  femme  nommée  La  Rousse,  disant  qu'à  l'âge 
de  vingt  ans,  sans  congé  de  ses  parents,  elle  alla  à  Neuf- 
chastel,  se  mit  en  service  chez  la  Rousse  où  logeoient  ordi- 
nairement déjeunes  hommes,  mesme  des  gens  de  guerre  et 
des  femmes  mal  nommées  (renommées),  etc.  ;  qu'elle  y 
apprit  à  monter  à  cheval,  menant  les  chevaux  abreuver  et 
aux  champs,  etc.  Lequel  article  contient  autant  de  menteries 
qu'il  a  de  mots.  Car,  premièrement  pour  l'âge,  cette  fille 
est  morte  n'ayant  [pas]  vingt  ans  complets:  et  s'achemina  en 


1.  «  ...  où  elle  était  allée  de  saint  Ueuys...  »  {Qi-ichek\t,  op.  cit., 
p.  37). 

2.  Remarque  à  propos  des  Advertissements  : 

Dans  ses  Advertissements  sur  les  interrogatoires  des  quinze  séances 
du  procès  d'office,  E.  Richer  se  propose  trois  choses  :  1"  Dénoncer  les 
abus  de  pouvoir  que  décèlent  les  questions  posées  à  la  Pucelle  : 

2°  Expliquer  les  réponses  de  l'accusée,  et  au  besoin  les  justifier  ; 

3o  Réfuter  les  accusations  que  le  Promoteur,  dans  les  divers  articles 
du  Réquisitoire  qui  suivit  les  interrogatoires  et  ouvrit  le  procès  ordi- 
naire, fonde  sur  les  réponses  de  la  Pucelle  ou  imagine  à  l'occasion  de 
ces  réponses. 

C'est  il  ces  articles  de  Réquisitoire  et  aux  accusations  qu'ils  formulent, 
que  l'auteur  fait  allusion  toutes  les  fois  que  dans  ses  Advertissements 
il  parle  du  Promoteur  et  de  ses  allégations. 


DE  COMPIÈGNE  A  ROUEN.  LE  PROCÈS  247 

France,  âgée  de  dix-sept  ans  :  se  retira  à  Neufchastel  avec 
ses  père  et  mère  seulement  pour  quinze  jours,  et  logèrent 
ensemble  chez  la  Rousse,  etc.  Lors  ne  pouvoit  avoir  que  qua- 
torze ou  quinze  ans,  ainsi  que  plusieurs  personnes  du  vil- 
lage de  Dompremy  ont  attesté,  qui  s'estoient  semblable- 
ment  retirées  à  Neufchastel,  crainte  des  gens  d'armes,  et 
logeoient  avec  les  parents  de  la  Pucelle  chez  la  Rousse,  et 
mesme  asseurent  n'y  avoir  pas  demouré  quinze  jours  entiers. 
Durant  lequel  temps  cette  fille  dit  avoir  esté  deux  ou  trois 
fois  à  confesse  aux  Mendiants  de  Neufchastel.  Ce  qui  donne 
à  cognoistre  qu'elle  estoit  grandement  dévote  et  aymoit  à  se 
confesser  souvent,  ainsi  qu'elle  recognoit  avoir  esté  conseillée 
par  les  voix  qui  la  visitoient. 

Au  reste,  je  suis  fort  esbahy  que  la  Pucelle  parlant  du  bon 
gouvernement  que  ses  voix  lui  ordonnoient,  qu'elle  aye 
déposé  n'avoir  jeusné  le  jour  précédent  qu'elles  lui  apparu- 
rent la  première  fois  au  jardin  de  son  père.Gar,je  vous  prie, 
à  quel  propos  diroit-elle  cela?  Et  attendu  la  malice  de  l'Eves- 
que  qui  a  faict  registrer  tout  ce  qui  lui  a  plu  en  ce  procez, 
je  tiens  pour  vraisemblable  qu'il  aye  faict  mettre  la  négative 
pour  l'affirmative,  afin  qu'on  ne  pensast  point  que  Dieu  visi- 
toit  cette  fille  pour  les  œuvres  de  piété  qu'elle  exerçoit  ordi- 
nairement. Certes,  maistre  Jean  Bréhal,  inquisiteur  au 
royaume  de  France,  qui  a  veu  l'original  du  procez  escrit 
en  français,  asseu^e  que  le  jour  précédent  que  ses  voix  appa- 
rurent premièrement  à  la  Pucelle,  elle  avoit  jeusné  :  c'est  au 
traicté  qu'il  a  faict  pour  la  revision  du  procez.  Or,  cette  faul- 
seté,  si  elle  a  esté  commise  ainsi  qu'il  est  probable,  est  de 
peu  de  conséquence  à  comparaison  des  autres  sur  lesquelles 
on  a  pris  subject  de  condamner  cette  innocente  vierge. 

Mais  ils  imputent  à  grand  crime  de  ce  qu'elle  asseure 
sçavoir  que  Dieu  aymoit  le  Roy  et  le  duc  d'Orléans,  ne  plus 
ne  moins  que  si  elle  parloit  qu'ils  fussent  en  la  grâce  de 
Dieu  pour  le  regard  de  leur  ame,  chose  qui  n'est  cogneue 
qu'à  Dieu  seul.  Voyez  l'article  vingt-septiesme  du  Promoteur 
sur  lequel  la  Pucelle  respond  sçavoir  bien   que  Dieu  ayme 


248  E.    RICHER.    —    LA    PUCELLE    d'oRLÉANS 

plus  son  Roy  et  le  duc  d  Oiiéans  qu'elle-mesme,  quant  à  ce 
qui  est  de  l'ayde  et  garde  de  leur  corps,  et  qu'elle  sçait  cela 
par  révélation.  Donc  c'est  du  soin  qu'il  plaist  à  Dieu  avoir  de 
leurs  personnes  et  de  leurs  Estats  qu'elle  entend  parler.  Véri- 
tablement Dieu  est  le  protecteur  des  Estats  et  personnes 
affligées  et  humiliées  :  estant  croyable  que  le  Roy  et  le  duc 
d'Orléans  avoient  appris  parmi  tant  d'afflictions  à  s'humilier 
et  résigner  absolument  à  la  volonté  de  Dieu,  et  que  pour 
cette  cause  il  avoit  commisération  d'eux. 

Ils  la  calomnientgrandement  pour  avoir  confessé  que  ceux 
du  parti  de  son  Roy  avoient  bien  recogneu  que  ses  voix 
venoient  de  la  part  de  Dieu,  et  qu'ils  ont  bien  veu  et  recogneu 
cette  voix,  etc.,  interprétant  cela  rigoureusement  et  au  pied 
de  la  lettre.  Mais  cette  fille  ne  veut  dire  autre  chose  sinon 
qu'après  avoir  esté  examinée  paries  prélats  et  docteurs  fran- 
çais tant  à  Chinon  qu'à  Poictiers,  l'espace  de  plus  de  trois 
sepmaines,  finalement  ils  avoient  trouvé  n'y  avoir  aucun 
maléfice  ni  sorcellerie  en  son  fait,  et  que  les  visions  qu'elle 
asseuroit  avoir  de  la  part  du  Roy  du  ciel  n'estoient  men- 
songes ni  impostures,  veu  d'ailleurs  la  sainte  vie  qu'elle 
menoit,  et  les  efTects  miraculeux  qui  avoient  réussi  conformé- 
ment à  ses  prédictions  :  au  reste  ayant  esté  si  soigneusement 
examinée  par  les  prélats  de  France  et  mesme  par  le  métro- 
politain de  l'Evesque  de  BeauvaisS  et  tous  ces  prélats  ne 
cédant  en  suffisance  ni  autorité  à  ceux  du  parti  des  Anglois. 
De  vérité,  outre  que  de  la  part  de  Dieu  elle  avoit  une  certi- 
tude évidente  et  notoire  de  sa  mission  et  de  ses  révélations, 
encore  estoit-elle  asseurée  de  ses  faicts,  devant  les  hommes  : 
joinct  le  rigoureux  examen  qu'elle  avoit  subi  à  Poictiers  et  à 
Chinon.  Ce  qui  lui  donnoit  asseurance  de  parler  et  respon- 
dre  hardiment  à  l'Evesque  de  Beauvais,  disant  qu'il  debvoit 
aussi  bien  appeler  des  ecclésiastiques  du  parti  de  son  Roy  que 
du  parti  Anglois,  et  qu'il  ne  pouvoit  estre  son  juge,  estant 
son  ennemi  capital,  et  le  renvoyant  quelquefois  à  Poictiers 
et  à  Chinon  où  elle  avoit  esté  suffisamment  examinée. 

i.  L"archevêque  de  Reims,  président  de  la  commission  de  Poitiers. 


DE  COMPIÈGNE  A  ROUEN.  —  LE  PROCES  249 

Le  quatrième  point  auquel  ils  trouvent  à  redire  est  la  fré- 
quente Visitation  et  consolation  qu'elle  reçoit  de  ses  voix, 
toutes  les  fois  qu'elle  en  a  besoin  et  qu'elle  les  requiert  de  lui 
donner  secours.  Chose  que  le  Promoteur,  article  cinquan- 
tiesme  de  ses  conclusions,  attribue  à  imposture  sans  produire 
aucune  preuve  de  sa  négative,  jugeant  selon  sa  passion  et 
sensualité,  ne  pouvant  recognoistre  les  effects  de  l'esprit  de 
Dieu,  ainsi  que  parle  saint  Paul.  Quant  à  l'affirmative,  elle 
s'induit  premièrement  du  premier  chapitre  des  Proverbes  : 
Que  Dieu  tient  à  grandes  délices  d'estre  parmi  les  enfants 
des  hommes  qiCil  ayme;  secondement,  de  la  fin  et  des  cir- 
constances de  la  mission  de  cette  fille  :  laquelle,  attendu  sa 
faiblesse,  bas  âge,  rudesse  et  ignorance,  et  la  grandeur  des 
affaires  pour  lesquelles  elle  estoit  eslue  de  Dieu,  les  grands 
périls,  travaux  et  fatigues  incroyables  qu'elle  debvoit  sup- 
porter, soit  durant  sa  prison  et  à  l'exécution  du  jugement  de 
mort  qu'ils  donnèrent  contre  elle,  estant  destituée  de  tout 
conseil  humain,  elle  avoit  certainement  besoin  d'estre 
extraordinairement  et  singulièrement  assistée  de  la  grâce  de 
Dieu.  N'est-ce  pas  chose  bien  ardue  et  difficile  de  remettre  un 
Roy  expulsé  de  son  trosne  royal,  principalement  à  une  sim- 
ple bergère  de  l'âge  de  dix-sept  ans?  Le  sénat  romain  fut  bien 
empesché  pour  remettre  le  Roy  d'Egypte  en  son  royaume, 
quoy  qu'il  feust  assisté  des  forces  de  la  République  romaine. 

Cinquiesmement,  ils  la  blasment  d'estre  partie  de  Saint 
Denys  en  France  contre  le  conseil  que  ses  voix  lui  avoient 
donné  d'y  résider.  Mais,  sur  le  vingt-neufviesme  article  du 
Promoteur,  elle  dépose  que  ses  voix  lui  donnèrent,  après, 
permission  d'en  sortir,  attendu  que  les  seigneurs  voulurent 
qu'elle  suivist  le  Roy,  principalement  à  cause  de  sa  blessure. 

TROISIESME   SÉANCE 
[troisième    interrogatoire    public] 

[Des  voix  de  la  Pucelle.] 

Le  samedi  vingt-quati'iesme  febvrier  1430,rEvesque  de  Beauvais 
exige  serment  de  la  Pucelle  qu'elle  dira  simplement  et  absolument 


250  E.    RIGHER.    —    LA    PUCELLE    d'oRLÉANS 

vérité  des  choses  dont  elle  sera  interrogée  sans  condition  ni  excep- 
tion quelconque.  De  quoy  ayant  esté  par  trois  fois  admonestée, 
elle  demanda  qu'on  lui  donnast  permission  de  parler  et  leur  dit  : 

«  Par  ma  foy  vous  pourriez  me  demander  telle  chose  que  je  ne 
vous  en  dirois  pas  la  vérité,  comme  de  mes  révélations  que  j'ai 
juré  ne  révéler  à  personne.  Et  si  vous  me  contraingniez  à  jurer  de 
les  vous  dire,  je  serois  parjure,  ce  que  vous  ne  debvez  vouloir.  Je 
vous  dis  que  vous  preniez  bien  garde  à  ce  que  vous  dites  estre  mon 
juge,  car  c'est  une  grande  charge  que  vous  vous  imposez  ;  et  me 
chargez  trop,  me  contraignant  dei'echef  à  jurer.  N'est-ce  pas  assez 
davoir  juré  deux  fois  en  jugement?  » 

Interrogée  si  elle  vouloit  jurer  simplement  et  absolument,  dit 
qu'on  peut  bien  surseoir  et  qu'elle  a  assez  juré  d'avoir  juré  deux 
fois,  disant  que  tout  le  clergé  de  France  et  de  Paris  ne  pourroient 
la  condamner  s'ils  ne  l'avoient  ou  tenoient  en  légitime  et  juste 
jugement. 

Outre,  asseure  qu'elle  dira  volontiers  la  vérité  de  sa  venue  en 
France,  mais  ne  leur  déclarera  [pas]  le  tout,  et  que,  pour  raconter 
le  tout,  huict  jours  entiers  ne  suffîi'oient  pas. 

L'Evesque  lui  i*emonstra  qu'elle  pouvoit  prendre  conseil  des, 
assistants  si  elle  debvoit  jurer  ou  non.  Elle  répartit  que  volontiers 
elle  diroit  la  vérité  de  son  arrivée  en  France,  et  non  autrement, 
et  qu'il  ne  lui  falloit  plus  parler  de  jurer. 

L'Evesque  réplique  qu'elle  se  rendoit  suspecte,  sinon  qu'elle 
jurast  et  promist  la  vérité.  Elle  respondit  comme  auparavant. 
L'Evesque  continua  à  la  presser  qu'elle  aye  à  jurer  précisément  et 
absolument.  A  quoy  repartit  qu'elle  diroit  volontiers  ce  qu'elle  sça- 
voit,  mais  non  pas  tout.  Davantage,  remonstra  qu'elle  venoit  de 
la  part  de  Dieu  et  qu'elle  n'a  ici  que  négocier  ni  traicter,  deman- 
dant d'être  renvoiée  à  Dieu  d'où  elle  estoit  venue.  Derechef, 
requise  de  jurer  sous  peine  d'estre  chargée  de  ce  qu'on  lui  impo- 
soit,  respondit  qu'on  passast  outre.  Et  sur  ce  que  l'Evesque  lui 
remonstra  qu'elle  s'exposoit  à  un  grand  péril,  refusant  de  jurer  et 
dire  la  vérité  des  choses  qui  touchoient  son  procez,  alors  répliqua 
qu'elle  estoit  preste  de  jurer  et  dire  la  vérité  de  tout  ce  qu'elle  sça- 
voit  concernant  son  procez.  Et  jura  en  cette  sorte.  Et  après  cela 
l'Evesque  ordonna  qu'elle  seroit  interrogée  par  maistre  Jean  Beau- 
père,  qui  lui  demanda  premièrement  depuis  quel  temps  elle  n'avoit 
mangé  ni  bu.  Respondit  n'avoir  mangé  ni  bu  depuis  hier  après 
midy.  C'estoit  en  caresme. 

[Interrogée]  depuis  quelle  heure  elle  avoit  entendu  la  voix  qui 
venoit  à  elle  :  respondit  l'avoir  entendue  hier  et  aujourd'huy  : 
hier,  une  fois  au  matin,  et  une  fois  sur  le  vespre  ;  et  la  troisième 
comme  on  sonnoit  VAve  Maria,  sur  le  soir;  et  qu'elle  l'entend 
maintes  fois  plus  qu'elle  ne  dit. 

On  l'interroge  [sur]  ce  qu'elle  faisoit  hier  au  matin,  quand  cette 


DE  COMPIÈGN'E  A  ROUEX,  —  LE  PROCÈS  2ol 

voix  vint  à  elle.  Dit  qu'elle  dormait  et  que  cette  voix  l'éveilla. 

Enquise  si  elle  l'avoit  éveillée,  lui  touchant  les  bras  :  repart 
l'avoir  esté  sans  aucun  attouchement. 

Interrogée  si  cette  voix  estoit  en  sa  chambre;  dit  non,  qu'elle 
sçache,  mais  qu'elle  estoit  dans  le  chasteau  de  Rouen. 

Enquise  si  elle  a  rendu  grâces  à  cette,  voix  et  fléchi  les  genoux  : 
confesse  quelle  la  remercia  estant  en  son  lit  sur  son  séant,  et 
qu'elle  joingnit  les  mains;  et  ce.  après  l'avoir  requise  de  lui  donner 
secours  ;  et  que  cette  voix  lui  enjoignit  de  respondre  hardiment. 

Interrogée  ce  que  cette  voix  lui  dit,  quant  elle  fut  éveillée  :  répli- 
que qu'elle  lui  avoit  demandé  conseil  de  ce  qu'elle  debvoit  respon- 
dre, disant  à  celte  voix  qu'elle  en  demandast  conseil  à  Dieu  ;  et 
que  cette  voix  lui  avoit  enjoint  de  respondre  hardiment,  que  Dieu 
lui  ayderoit. 

Enquise  si  cette  voix  lui  avoit  tenu  quelques  propos  auparavant 
qu'elle  l'eust  requise  de  lui  donner  conseil:  respondit  que  cette 
voix  lui  avoit  dit  quelque  chose,  néantmoins  qu'elle  navoit  pu 
tout  entendre  \  et  qu'estant  resveillée,  elle  lui  commanda  de  res- 
pondre hardiment. 

Et  adressant  la  parole  à  l'Evesque.  usa  de  ces  termes  :  —  Vous 
dites  que  vous  estes  mon  juge:  prenez  bien  garde  à  ce  que  vous 
faictes,  car  en  vérité  je  suis  envolée  de  la  part  de  Dieu  et  vous  vous 
mettez  en  grand  danger. 

On  s'enquiert  si  cette  voix  change  quelquefois  d'advis:  respond 
qu'elle  ne  l'a  jamais  trouvée  en  deux  paroles  contraires,  et  que,  la 
nuit  passée,  elle  l'a  entendue  lui  recommandant  de  respondre  har- 
diment. 

Enquise  si  sa  voix  lui  a  deffendu  de  dire  tout  ce  de  quoy  elle 
seroit  interrogée  :  repart  qu'elle  ne  leur  diroil  point  cela  et  qu'elle 
avoit  des  révélations  concernant  le  Roy  qu'elle  ne  leur  déclareroit 
jamais. 

On  lui  demanda  si  cette  voix  lui  a  prohibé  de  divulguer  ces  révé- 
lations :  répliqua  qu'elle  ne  s'estoit  point  encore  conseillée  sur 
cela  ;  qu'on  lui  donnast  quinze  jours  de  temps  et  qu'après  elle  leur 
respondroit.  Et  ayant  derechef  demandé  délay,  elle  dit:  si  cette 
voix  me  le  deffend,  que  voulez-vous  que  je  vous  dise  ? 

Enquise  derechef  si  cela  lui  étoit  deffendu,  respondit  :  croyez  que 
celte  deffense  ne. m'a  point  esté  faicte  par  les  hommes.  Et  dit  que 
ce  jourdhuy  elle  ne  respondra  point,  car  elle  ne  sçait  si  elle  doibt 
respondre  ou  non  jusqu'à  ce  qu'il  lui  ail  esté  révélé. 

Item  dit  croire  asseurement  et  aussi  fermement  qu'elle  croit  la 
foy  chrétienne  et  que  Dieu  nous  a  rachetez  des  peines  d'enfer,  que 
cette  voix  provient  de  Dieu  et  par  son  ordonnance. 

1.  «  Entendre  »,  c'est-à-dh-e  comprendre  :  «  non  omnia  iyitellexit.  » 
Procès,  t.  I,  p.  62). 


252  E.    RICHER.    —    L.\    PUCELLE    d'oRLÉANS 

Interrogée  à  sçavoir  si  cette  voix  quelle  dit  lui  apparoir  est  un 
ange,  et  si  elle  est  immédiatement  envolée  de  Dieu,  ou  si  c'est  la 
voix  de  quelque  saint  ou  sainte  :  respond  que  cette  voix  vient  de 
la  part  de  Dieu  et  qu'elle  le  croit,  mais  qu'elle  ne  leur  dira  pas  tout 
ce  qu'elle  sçait  ;  et  qu'elle  a  plus  de  crainte  de  faillir  en  disant 
quelque  chose  qui  déplaise  à  ses  voix,  qu'elle  n'a  de  leur  respondre 
et  pour  le  regard  de  cette  demande,  prie  qu'on  lui  donne  un  délay. 

Interrogée  si  elle  croit  que  ce  soit  chose  desplaisante  à  Dieu  de 
dire  la  vérité:  maintient  que  ses  voix  lui  ont  enjoinct  de  dire  au 
Roj  plusieurs  choses,  et  non  à  eux.  Et  que,  la  nuit  passée,  elles  lui 
ont  rapporté  maintes  choses  pour  le  bien  du  service  du  Roy  quelle 
voudroit  bien  qu'il  sceust  à  présent,  et  qu'elle  ne  deust  boire  vin 
jusques  à  Pasques.  Cai%  ainsi  qu'elle  disoit,  il  en  eust  été  plus 
joyeux  à  son  disner. 

Enquise  si  elle  ne  pourroit  pas  tant  faire  A  l'endroit  de  ses  voix 
qu'elles  lui  obéissent  et  portassent  cette  nouvelle  à  son  Roy  :  res- 
pond ne  sçavoir  pas  si  cette  voix  voudi'oit  obéir,  sinon  que  ce  fust 
la  volonté  de  Dieu  ;  et  que  s'il  lui  plaisoit,  il  pourroit  bien  faire 
l'évéler  cela  à  son  Roy.  et  qu'elle  en  seroit  bien  contente. 

On  lui  demanda  pourquoy  cette  voix  ne  parle  pas  maintenant 
avec  son  Roy,  comme  elle  faisoit  quand  elleestoit  en  sa  présence  : 
réplique  qu'elle  ne  sçait  pas  si  c'est  la  volonté  de  Dieu,  et  qu'elle 
mesme  sans  la  grâce  de  Dieu  ne  pourroit  faire  aucune  chose. 

On  s'enquit  si  son  conseil  lui  avoit  révélé  qu'elle  évaderoit  de 
prison,  respondit  :  Ai-je  à  vous  dire  cela?  —  Outre,  [intei*rogée]  si 
cette  nuit  la  voix  lui  donna  conseil  et  advis  de  ce  qu'elle  avoit  à 
respondre:  dit  que  si  cette  voix  [le]  lui  avoit  révélé,  ne  l'avoit  bien 
entendu  [compris]  '. 

Interrogée  si  aux  deux  jours  derniers  qu'elle  a  ouy  ces  voix,  il 
survint  quelque  lumière  :  repartit  qu'il  venoit  quand  et  [avec]  le 
son  de  la  voix,  une  clarté. 

Enquise  si  elle  voit  quelque  autre  chose  avec  les  voix,  répliqua: 
Je  ne  vous  dirai  pas  tout  ;  je  n'en  ay  pas  permission  et  le  serment 
que  je  vous  ai  faict  ne  touche  point  cela.  Cette  voix  est  bonne  et 
digne,  et  ne  suis  pas  tenue  de  respondre  à  ce  que  vous  demandez. 
Requiert  qu'on  lui  donne  par  escrit  les  points  sur  lesquels  elle  ne 
respondoit  présentement. 

On  lui  demanda  si  cette  voix  à  laquelle  elle  demandoit  conseil 
avoit  une  vue  et  des  yeux,  respondit:  Vous  n'aurez  pas  cela  pour 
cette  heure.  C'est  un  dire  de  petits  enfants,  que  les  hommes  sont 
quelquefois  pendus  pour  dire  la  vérité. 

Ils  lui  demandent  si  elle  sçavoit  estre  en  la  grâce  de  Dieu.  Res- 
pondit :  si  je  n'y  suis,  Dieu  my  veuille  mettre,  et  si  j'y  suis,  Dieu 
me  tienne  et  me  conserve  en   icelle.  Je  serois  la  plus  dolente  de 

t.  ((  Intellexit  »,  dans  J.  Quichorat,  t.  I,  p.  64. 


DE  COMPIEGNE  A  ROUEN.  —  LE  PROCES  233 

tout  le  monde  si  je  sçavois  n'estre  [pas]  en  la  grâce  de  Dieu.  — 
Dit  pareillement  croire  que  si  elle  estoit  en  péché,  la  voix  ne  vien- 
droit  plus  à  elle  :  et  voudroit  que  chacun  l'entendist  ^  [la  comprist] 
aussi  bien  qu'elle  mesme.  Adjouta  qu'elle  estoit  en  l'âge  de  treize 
ans  environ  quand  elle  fut  premièrement  visitée  de  cette  voix. 

Enquise  si,  en  sa  jeunesse,  elle  alloit  se  pourmener  et  esbattre 
aux  champs  avec  les  autres  jeunes  filles:  répliqua  y  avoir  bien  esté 
mais  ne  sçavoir  à  quel  âge. 

Interrogée  si  ceux  de  Dompremy  tenoient  le  parti  du  Bourguignon 
ou  l'autre  parti  contraire  :  dit  ne  sçavoir  qu'il  y  eust  là  qu'un  seul 
Bourguignon;  et  eust  voulu  qu'il  eust  eu  la  tête  coupée,  pourveu 
toutes  fois  qu'il  pleusl  à  Dieu. 

Us  lui  demandent  si  au  village  de  Maxey  il  y  avoit  des  Bourgui- 
gnons ou  de  leurs  adversaires.  Repartit  qu'ils  estoient  Bourgui- 
gnons. Recognut,  depuis  qu'elle  entendit  que  ses  voix  estoient 
pour  le  Roy  de  France,  n'avoir  jamais  aymé  les  Bourguignons. 
Item  dit  que  les  Bourguignons  auront  la  guerre,  sinon  qu'ils  fas- 
sent ce  qu'ils  doibvent;  et  qu'elle  sçait  cela  par  cette  voix. 

Interrogée  à  sçavoir  si  elle  a  eu  révélation  en  sa  jeunesse  que  les 
Anglois  doibvent  venir  en  France  :  repartit  que  les  Anglois  estoient 
desjà  en  France  quand  les  voix  commencèrent  à  venir  à  elle. 

Enquise  si  jamais  elle  a  esté  avec  les  petits  enfants  qui  combat- 
battoient  pour  le  parti  qu'elle  tient  :  respondit  que  non,  au  moins 
qu'elle  s'en  souvienne.  Mais  qu'elle  a  veu  aucuns  de  Dompremy 
qui  combattoient  contre  ceux  de  Maxey,  et  qu'ils  en  revenoientbien 
blessez  et  tout  couverts  de  sang.  On  lui  demanda  si,  en  sa  jeunesse, 
elle  avoit  grande  envie  de  poursuivre  les  Bourguignons.  Répliqua 
avoir  toujours  eu  grande  volonté  ou  affection  que  son  Roy  fust  [en 
possession]  paisible  de  son  royaume. 

Interrogée  si  elle  eust  bien  voulu  estre  homme,  quand  elle  deb- 
voit  venir  en  France  :  répliqua  qu'elle  leur  répondrait  une  autre 
fois  sur  cela. 

Enquise  si  elle  menoit  les  bestes  aux  champs  paistre  :  dit  qu'elle 
leur  avoit  desjà  autrefois  respondu  sur  cela;  et  que  depuis  qu'elle 
fust  devenue  grande  et  qu'elle  eust  la  [l'âge  de]  discrétion,  elle  ne 
gardoit  plus  ordinairement  les  bestes,  mais  bien  aydoità  les  mener 
aux  prés  et  à  un  chasteau  qu'on  appelle  l'isle,  crainte  des  gens 
d'armes  ;  et  qu'elle  ne  se  souvient  point  si  elle  les  a  gardez  en  sa 
jeunesse  ou  non. 

On  lui  demanda  quel  arbre  il  y  avoit  auprès  de  son  village. 

Dit  qu'assez  proche  de  Dompremy  il  y  avoit  un  certain  arbre 
qu'on  appeloit  VArhre  des  Dames,  qu'aucuns  appeloient  VArbre  des 
Fées;  et  toutauprès  qu'il  y  avoit  une  fontaine.  Et  qu'elle  avoit  ouy 
dire  que  ceux  qui  avoient  la  fiebvre  buvoient  de  cette  fontaine  et  y 

1.  Même  observation  que  ci-dossus. 


254  E.    RICHER.    —    LA    PUCELLE   D  ORLEANS 

alloient  quérir  de  l'eau  pour  estre  guéris  :  et  qu'elle  mesme  en  a 
A'eu  y  aller,  mais  ne  sçait  s'il  y  a  eu  guérison  ou  non.  Outre,  dit 
avoir  ouy  dire  que  quand  les  malades  se  peuvent  lever,  ils  vont  à 
cet  arbre  pour  se  pourmener.  C'est  un  grand  arbre  qu'on  appelle 
fau  ',  d'où  vient  le  Beau  May,  lequel  appartenoit  jadis  au  seigneur 
Pierre  de  Bourlemont.  Confessoit  avoir  esté  quelquefois  à  cet 
arbre  pourmener  avec  les  autres  filles  et  qu'elle  y  faisoit  des  bou- 
quets pour  l'image  de  la  Bienheureuse  Vierge  Marie  qui  est  à 
Dompremy.  Et  avoir  plusieurs  fois  entendu  des  anciens,  non  pas 
d'aucuns  de  ses  parents,  que  mesdames  les  fées  conversoient  en 
cet  endroit.  Et  qu'une  certaine  femme  nommée  Jeanne,  mariée  au 
maire  Aubry,  du  village  de  Dompremy,  qui  estoit  sa  marraine,  lui 
avoit  dit  avoir  veu  mesdames  les  fées  en  ce  lieu-là  :  mais  que  cela 
soit  véritable  ou  non,  elle  qui  parle  n'en  peut  asseurer.  Ilem  dit 
n'avoir  jamais  veu  les  fées  vers  ledit  arbre,  et  qu'elle  ne  sçait 
point  si  elle  les  a  veues  ailleurs  ou  non.  [11  y  a]  plus  :  qu'elle  a 
veu  mettre  des  bouquets  aux  branches  de  cet  arbre  par  de  jeunes 
filles  et  qu'avec  elles  y  en  a  mis  pareillement,  et  qu'ensemble  elles 
y  en  portoient-  et  laissoient  aucunes  fois. 

[De]  plus,  a  déposé  depuis  qu'elle  fut  con  seillée  de  venir  en  France, 
s'estre  peu  adonnée  aux  jeux  et  à  s'aller  pourmener,  et  ne  sçavoir 
si  depuis  Tage  de  discrétion,  elle  a  dansé  auprès  de  cet  arbre  ; 
mais  qu'il  se  peut  bien  faire  qu'elle  y  ait  dansé  autrefois  avec  plu- 
sieurs autres,  et  y  a  plus  chanté  que  dansé. 

A  dit  encore  qu'il  y  a  là  un  bois  appelé  le  Bois  Chesnu,  qu'on 
veoit  de  la  porte  de  la  maison  de  son  père,  et  en  est  esloigné 
environ  demi-lieue  :  et  ne  sçait  et  n'a  jamais  ouy  dire  que  mes- 
dames les  fées  dont  a  esté  parlé  y  fréquentent  ou  conversent.  Bien 
a-t-elle  ouy  dire  à  son  frère  que  le  bruit  courait  au  pais  qu'elle  qui 
parle  avoit  pris  son  faict  —  c'est-à-dire  ses  révélations  —  vers  cet 
arbre  de  mesdames  les  fées  ;  —  mais  qu'elle  lui  maintint  le  con- 
traire et  cela  estre  faux. 

Davantage  :  a  déposé  qu'estant  venue  vers  son  Roy,  aucuns  lui 
ayant  demandé  si,  en  son  pais,  il  n'y  avoit  pas  un  bois  appelé  le 
bois  chesnu:  —  parce  qu'il  y  avoit  certaines  prophéties  qui  pro- 
mettoient  que  d'auprès  et  des  environs  de  ce  bois  devroit  venir 
une  certaine  fille  qui  feroit  des  merveilles  ;  —  qu'elle  avoit  res- 
pondu  n'avoir  jamais  adjousté  foy  ni  aucune  créance  à  tous  ces 
discours. 

Enquise  si  elle  vouloit  avoir  une  robe  de  femme,  respondit  : 
Donnez  m'en  une.  et  je  la  prendroy  et  m'en  iroy  ;  autrement  je  ne 

1 .  Fau  du  mot  Fagiis,  nom  latin  du  hêtre. 

2.  Dans  J.  Quicherat,  loc.  cit.,  p.  67  :  Aliquando  secum  deferebant, 
alîquando  dimittebant .  Faut-il  traduire  ;  «  elles  les  y  portaient  »  ou 
«  elles  les  emportaient  »  ? 


DE  GOMPIÈGXE  A  ROUEX.  —  LE  PROCÈS  23d 

la  prendroy  point.   Et  me  contente  de  celle  que  j'aj,  puisqu'il  a 
plu  à  Dieu  que  je  la  porte. 

Ce  que  fait  ainsi,  l'Evesque  commande  de  cesser  l'interrogatoire 
et  d'en  remettre  la  continuation  à  mardi  prochain,  à  la  mesme 
heure  et  au  mesme  lieu. 


ADVERTISSEMENT  SUR  LA  TROISIESME  SEANCE 

Il  y  a  plusieurs  choses  à  remarquer  sur  cette  séance. 

En  premier  lieu,  la  Pucelle  continue  à  ne  vouloir  reco- 
gnoistre  pour  juge  l'Evesque  de  Beauvais  ni  tous  ceux  du 
parti  Anglois,  ayant  respondu  que  tout  le  clergé  de  Rouen  et 
de  Paris  ne  la  pourroient  condamner  sinon  qu'ils  la  tinssent 
en  [juste]  jugement  :  qui  est  à  dire,  selon  son  sens,  qu'elle 
ne  leur  estoit  [pas]  justiciable,  et  dit  notamment  à  l'Evesque 
de  Beauvais  qu'il  a  pris  une  grande  charge  et  se  met  en 
grand  danger  de  lui  vouloir  faire  son  procès,  estant 
envolée  de  Dieu.  Certes,  plusieurs  tesmoins  ont  déposé  à  la 
revision  du  procez  que  ce  prélat  et  tous  ceux,  qui  avoient 
apporté  de  l'animosité  contre  cette  fille,  faisant  son  procez, 
estoient  morts  misérablement  :  de  quoy  il  sera  parlé 
ailleurs. 

En  second  lieu,  le  Promoteur,  au  quarantiesme  article  de 
sa  production,  impute  à  grande  erreur  de  ce  que  la  Pucelle 
a  confessé  croire  aussi  fermement  que  ses  voix  venoient  de 
Dieu,  qu'elle  croyoit  la  foy  chrestienne  et  que  Dieu  nous 
avoit  rachetez  des  peines  d'enfer,  etc.  Et  ceiix  qui  ont  déli- 
béré sur  les  douze  articles  envolez  à  l'Université  de  Paris, 
induisent  de  la  déposition  de  cette  fille  qu'elle  a  voulu  dire 
estre  obligée  de  croire  aussi  fermement  que  ses  voix 
venoient  de  Dieu,  que  de  croire  aux  articles  de  la  foy, 
[choses]  qui  ne  sont  que  pures  chicaneries.  Car  outre 
qu'elle  parle  par  comparaison  et  similitude,  qui  doibt  estre 
entendue  par  analogie  et  cloche  toujours  d'un  pied,  on  peut 
attaquer  davantage  —  supposant,  comme  on  le  doibt,  que 
les  voix  de  cette  fille  lui  ayent  apparu  tout  ainsi  que  jadis 
les  anges  apparurent  face  à  face  aux  patriarches  et  prophètes, 
parlant  et  luttant  avec  eux,   ainsi  qu'ils  firent  avec  Jacob, 


256  E.    RICHER.    —    LA    PUCELLE    d'ORLÉANS 

Genèse  32,  Gédéon,  Juges  ô.  mesme  avec  l'asnesse  de  Balaam 
qui  vit  un  ange  tenant  une  épée  flamboyante.  Nombres  22 
—  que  ceux  qui  ont  telles  visions  ayant  l'évidence  et  certi- 
tude notoire  d'une  chose  qui  leur  est  présente  et  dont  ils  ne 
peuvent  doubter  en  façon  du  monde,  non  plus  que  de  ce  que 
l'on  veoit  de  ses  propres  yeux,  sont  très  asseurez  ;  mais,  au 
contraire,  que  personne  n'a  l'évidence  et  notoriété  des 
articles  de  la  foy,  ains  seulement  une  certitude  énig- 
matique  et  obscure,  ainsi  que  saint  Paul  l'enseigne, 
V  aux  Corinthiens,  chap.  13,  disant  «  que  nous  voyons  en 
cette  vie  tout  ainsi  qu'en  un  miroir  énigmatique  les  choses 
de  la  foy  ;  »  et  chap.  o  de  la  seconde  aux  Corinthiens,  «  que 
nous  marchons  par  la  foy  et  non  par  l'évidence  et  noto- 
riété. » 

Davantange  :  ne  dit-on  pas  que  la  foy  des  jeunes  gens,  des 
femmes,  des  ignorans,  est  beaucoup  plus  forte  que  celle  des 
hommes  doctes  et  de  ceux  qui  ont  beaucoup  d'expérience? 
Donc  la  Pucelle  qui  estoit  jeune,  ignorante  et  sans  expérience, 
ne  doubtoit  point  de  ce  qu'elle  avoit  veu  et  entendu,  c'est-à- 
dire  de  ses  révélations. 

Troisiesmement,  je  vous  prie,  considérons  cet  interroga- 
toire. Us  demandent  à  cetts  fille  si  la  voix  qui  la  visite  est 
immédiatement  envolée  de  Dieu  ou  si  c'est  un  ange  ;  ou, 
comme  ils  parlent  en  la  séance  quatriesme,  si  c'est  la  voix 
de  Dieu  sans  moyen  ^  qui  parle  à  elle.  Pour  ce  qui  est  d'un 
ange,  cela  est  du  procez,  joinct  que  la  Pucelle  a  recogneu 
estre  visitée  et  conseillée  par  l'ange  saint  Michel. 

Mais  quant  à  une  voix  émanée  de  Dieu  sans  moyen,  c'est 
une  question  qui  surpasse  la  capacité  et  condition  de  cette 
fille,  et  ne  debvoit  lui  estre  proposée. 

Quatriesmement,  pour  la  surprendre,  ils  l'interrogent 
pourquoy  cette  voix  ne  parle  [pas]  présentement  à  son  Roy, 
ainsi  qu'elle  faisoit  estant  en  sa  présence  ;  ne  plus  ne  moins 
que  si  cette  fille  eust  advoué  que  ses  voix  se  manifestoient 

1.  «  Sans  moyen  »,  c'est-à-dire  «  sans  intermédiaire  d'aucune 
sorte  ». 


DE  COMPIEGXE  A  ROUEX.  —  LE  PROCES  2o7 

également  à  son  Roy  comme  à  elle  :  chose  très  faulse,  veii 
qu'elle  faisoit  entendre  au  Roy  le  conseil  que  ses  voix  lui 
départoient  pour  le  bien  de  son  service  ;  de  sorte  qu'elle 
exerçoit  à  son  égard  comme  office  d'ange,  c'est-à-dire  de 
messager  de  la  part  du  Roy  du  ciel.  Outre  que  les  aspects 
admirables  de  sa  mission,  notoires  au  Roy,  à  tous  les  princes 
et  seigneurs  de  la  cour  et  à  toute  la  France,  rendoient 
asseuré  tesmoignage  de  quelle  part  elle  estoit  enviée.  Raison 
pour  laquelle  elle  a  souvent  asseuré  que  le  Roy  et  plusieurs 
princes  sçavoient  bien  que  ses  voix  venoient  de  la  part  de 
Dieu,  et  avoient  veu  le  signe  qu'elle  avoit  apporté  au  Roy, 
sçavoir  la  levée  du  siège  d'Orléans,  la  défaite  des  Anglois;  le 
couronnement  de  sa  majesté,  etc.  ;  ce]  qui  est  alléguer 
l'effet  pour  la  cause,  ainsi  que  les  prophètes  en  usent  sou- 
ventes  fois. 

Quant  au  cinquiesme  point,  si  elle  sçavoit  qu'elle  fiist  en 
la  grâce,  c'est  une  grande  controverse  de  théologie.  3Iaistre 
Jean  Fabri,  docteur  de  Paris,  de  l'ordre  des  Augustins,  qui 
assista  au  procez,  entendant  proposer  cette  ardue  et  dificile 
question,  remonstra  en  pleine  assemblée  quon  ne  debvoit 
[pas]  faire  de  tels  interrogatoires  à  cette  fille.  Etl'Évesque  de 
Reauvais  lui  dit  en  colère  qu'il  eust  mieux  fait  de  se  taire. 

Mais  considérons  la  response  de  cette  bergère  et  combien 
elle  est  contraire  aux  desseins  de  l'Evesque-qui  l'a  con- 
damnée en  tout  que  sorcière  et  hérétique.  «  Si  je  ne  suis  en 
la  grâce  de  Dieu,  Dieu  m'y  veuille  mettre  ;  et  si  j'y  suis. 
Dieu  me  tienne  et  conserve  en  icelle.  Je  serois  la  plus 
dolente  de  tout  le  monde  si  je  sçavois  n'estre  [pas]  en  la 
grâce  de  Dieu.  Et  dit  croire  que  si  elle  estoit  en  péché 
ses  voix  ne  viendroient  plus  à  elle  ;  et  désire  que  chacun 
entende  aussi  bien  ses  voix  qu'elle  mesme.  »  Qui  est 
un  souhait  plein  de  charité,  désirant  que  son  prochain 
soit  sans  péché,  ainsi  qu'elle  pense  estre,  et  les  sorcières  et 
les  personnes  mal  vivantes  ne  pensent  pas  de  la  sorte.  Ils 
l'ont  encore  remisesur  cette  question  en  la  séance  douziesme 
où  elle  respond  admirablement. 

En  sixiesme  lieu,  ils  la  blasment  d'avoir  dit  qu'en  toute  la 

17 


2S8  E.    RICHER.    —    LA    PUCELLE    D  ORLÉANS 

paroisse  de  Dompremy  et  de  Greux  il  n'y  avoit  qu'un  seul 
Bourguignon,  et  que,  s'il  eust  plu  à  Dieu,  elle  eust  bien 
voulu  qu'il  eust  eu  la  teste  coupée.  Lequel  souhait  peut  estre 
comparé  à  ce  passage  de  saint  Paul,  cinquiesme  chapitre  aux 
Galates  :  «  Pleust  à  Dieu  que  ceux  qvii  vous  troublent  fussent 
réséqués  '  ;  »  ou  bien  à  cet  autre  des  Actes,  23,  parlant  au 
grand-prestre  Ananias  qui  l'avoit  fait  outrager  :  «  Dieu  te 
punira,  paroi  blanchie.  »  Lesquels  passages  les  Pères  inter- 
prètent d'un  zèle  et  désir  de  justice,  non  de  vengeance  qui 
ne  doibt  jamais  tomber  en  l'esprit  d'un  chrétien.  Mais  saint 
Hiérosme  recognoist  en  cela  de  l'infirmité  humaine  en  saint 
Paul,  ainsi  que  nous  avons  remarqué  au  premier  livre. 
Ailleurs  la  Pucelle  a  confessé  n'avoir  point  aymé  les  Bour- 
guignons, depuis  que  ses  voix  lui  avoient  conseillé  d'aller  au 
secours  du  Roy  de  France,  termes  qui  doivent  estre  inter- 
prétez d'une  amitié  de  bienveillance  singulière  que  l'on 
rend  et  desploie  à  l'endroit  de  ses  meilleurs  amis.  Car  un 
chrestien  ne  doibt  haïr  personne  :  mais  il  n'est  pas  obligé 
d'aymer  tout  le  monde  d'une  amitié  de  bienveillance  parti- 
culière, pour  ce  que  cela  est  réservé  aux  amis  de  cœur  tel 
qu'estoit  le  Roy  de  France  à  la  Pucelle. 

Quant  au  septiesme  article,  la  Pucelle  ayant  confessé  avoir 
esté  en  sa  première  jeunesse,  âgée  de  douze  ans  ou  environ, 
jouer  avec  les  autres  filles  de  son  âge  et  de  son  village  sous 
le  Beau  May  et  y  avoir  fait  des  bouquets,  dansé  aussi  et 
chanté  ensemblement  ;  de  plus,  qu'une  de  ses  marraines  lui 
avoit  dit  autrefois  avoir  veu  les  fées  auprès  de  cet  arbre  ; 
item,  ayant  recogneu,  séance  cinquiesme,  que  ses  voix 
l'avoient  une  seule  fois  abordée  et  parlé  à  elle  auprès  de  la 
fontaine  proche  du  Beau  May  ;  le  Promoteur,'*  assemblant 
toutes  ces  dépositions,  en  a  compté  trois  articles,  sçavoir 
le  cinquiesme,  sixiesme  et  quarante-huitiesme  [de  son 
Réquisitoire],  par  lesquels  il  conclud  que  la  Pucelle  estoit 
sorcière,  qu'elle  invoquoit  et  communiquoit  avec  les  démons 

1.  «  Réséqués  »,  du  mot  latin  resecari  .•retranchés  soit  de  TEglise, 
soit  de  la  grâce  de  Dieu.  L'expression  de  l'apôtre  est  «  abscindantur.  w 
Loc.  cit.,  V.  12. 


DE  COMPIÈGNE  A  ROUEX.  —  LE  PROCÈS  259 

auprès  de  cet  arbre  et  fontaine,  qu'elle  y  alloit  toute  seule  la 
nuit,  et  durant  qu'on  célébroit  le  divin  service  à  l'Église, 
pour  danser  et  faire  son  sabbat.  Chose  que  cette  fille  a  niée 
absolument  et  [qui]  ne  se  peut  induire  ni  colliger  en  façon 
du  monde  des  confessions  qu'elle  a  faictes  touchant  ce 
qu'elle'' recognoissoit  avoir  hanté  auprès  du  dit  arbre  et  fon- 
taine. En  la  revision  du  procez,  pour  sçavoir  ce  qui  estoit  de 
la  vérité  et  convaincre  l'iniquité  des  juges  qui  ont  con- 
damné cette  fille,  a  esté  faicte  une  solennelle  et  bien  exacte 
information  au  païs  de  la  Pucelle  sur  les  douze  articles 
suivants  : 

Premièrement,  du  lieu  et  paroisse  oii  cette  fille  naquit. 

II.  Qui  estoient  ses  parents,  de  quel  estât,  et  s'ils  estoient 
bien  renommez  et  bons  catholiques. 

III.  Qui  estoient  ses  parrains  et  marraines. 

IV.  Si  en  sa  jeunesse  elle  avoit  esté  bien  instruite  et  nourrie 
en  la  crainte  de  Dieu,  conformément  à  son  âge  et  à  la  con- 
dition de  sa  personne. 

V.  Quelles  personnes  elle  fréquentoit  jusques  à  ce  qu'elle 
partit  de  la  maison  de  son  père. 

VI.  Si  elle  fréquentoit  souvent  et  volontiers  l'église  et  les 
lieux  de  dévotion. 

VIL  En  quel  art  et  exercice  elle  s'occupoit  durant  sa 
jeunesse. 

VIII.  Si  elle  alloit  souvent  et  librement  à  confesse. 

IX.  Quel  bruit  court  au  païs  d'un  arbre  appelé  V Arbre 
des  Dames  ;  si  les  jeunes  filles  ont  accoutumé  d'y  aller 
jouer  et  danser  ;  ce  que  c'est  d'une  fontaine  qui  est 
proche  dudit  arbre  ;  et  si  la  Pucelle  en  sa  jeunesse  hantoit 
vers  ledit  arbre  avec  les  autres  filles,  et  pourquoy  elles  y 
alloient. 

X.  Gomment  elle  partit  de  la  maison  de  son  père  et  de  son 
village,  et  quel  a  esté  tout  son  gouvernement  pendant  qu'elle 
fut  sur  le  chemin. 

XI.  Si  en  son  païs  on  avoit  fa^^  quelques  informa- 
tions par  autorité  de  quelques  juges,  depuis  qu'elle  fut 
prise  devant  Gompiègne  et  mise  entre  les  mains  des  Anglois. 

XII.  Si,  quand  elle  se  retira  à  Dompremy  de  Neufchastel 


260  E.    RICHER.    —    LA    PUCELLE    D  ORLEANS 

à  cause  des  gens  d'armes,  elle  fut  toujours  en  la  compagnie 
de  ses  père  et  mère. 

Sur  lesquels  douze  articles  vingt  et  deux  tesmoins  ont 
déposé  suivant  ce  que  nous  avons  escript  et  narré  de  la  vie  de 
la  Pucelle  au  premier  livre.  Et  quant  au  neufviesme  article 
concernant  l'arbre  appelé  le  Beau  May  et  la  fontaine  susdite, 
ont  rapporté  que  jadis  le  seigneur  du  village  de  Dompremy 
s'appeloit  Pierre  de  Bourlemont,  et  qu'il  y  avoit  un  chasteau 
ou  forteresse  audit  village  de  Dompremy  auquel  il  foisoit  sa 
demeure  ;  et  qu'alors  sa  femme  et  ses  damoiselles  s'alloient 
ordinairement  pourmener  et  esbattre  vers  ledit  arbre  et 
fontaine  qui  sont  sur  le  grand  chemin  de  Neufchastel  ;  que 
ledit  arbre  est  admirablement  beau  et  par  cette  raison  appelé 
au  païs  le  Beau  May,  et  l'Arbre  des  Dames  parce  que  ladite 
Dame  et  ses  damoiselles  s'y  alloient  souvent  pourmener  : 
qu'il  couroit  un  vau-de-ville  que  jadis  les  fées  avoient  fré- 
quenté vers  cet  arbre  et  fontaine,  auparavant  qu'on  y  allast 
en  procession  le  jour  de  rinvention  Sainte-Croix  au  mois 
de  may,  et  aux  Rogations  durant  la  sepmaine  de  l'Ascension 
et  qu'on  y  chantoit  l'Evangile  de  de  saint  Jean  ;  que  depuis 
ce  temps-là  on  disoit  que  les  fées  n'y  hantoient  plus. 

Que  c'est  la  coustume  du  païs  que  tous  les  jeunes  gens 
s'aillent  pourmener  festes  et  dimanches  vers  cet  arbre  et  fon- 
taine, tout  durant  le  printemps  et  l'esté,  et  commencent  pré- 
cisément au  Dimanche  de  la  mi-caresme  qu'on  chante  à  la 
grand'messe  Letare  Hierusalem  ;  que  pour  cette  occasion  on 
appelle  au  païs  ce  dimanche-là  le  dimanche  des  fontaines, 
d'autant  que  les  jeunes  gens  se  vont  pourmener  ce  jour  vers 
ledit  arbre  et  fontaine,  et  continuent  tout  du  long  de  l'esté, 
y  faisans  des  bouquets  et  y  portans  du  pain  et  quelques 
f  ouasses  pour  gouster  sous  cet  arbre  et  boire  de  l'eau  de  cette 
fontaine  qu'ils  nomment  des  Reynes  [des  R.ains]  ;  dansent 
aussi  quelquefois  et  chantent  par  ensemble.  Que  la  Pucelle 
estant  jeune  alloit  s'y  esbattre  avec  les  autres  filles  de  son 
âge,  et  y  dansoient,  chantoient  et  faisoientensemblementdes 
bouquets,  ainsi  que  font  les  jeunes  gens  selon  la  coustume 
du  païs. 


DE  COMPIÈGXE  A  ROUEN.  LE  PROCÈS  261 

Donc  tout  ce  que  la  Pucelle  confesse  avoir  faict.  auprès  de 
cet  arbre  et  fontaine,  avec  les  autres  filles  de  son  âge,  ne 
sont  que  jeux  et  esbattements  ordinaires  aux  enfants,  et 
n'y  a  village  au  monde  auquel  il  ne  se  trouve  quelque  place 
publique  où  la  jeunesse  va  s'esbattre.  Mais  ils  objectent  que 
Jeanne  a  confessé  avoir  attaché  des  bouquets  à  ce  Beau  May  ! 
C'est  une  singerie  denfants,  lesquels  font  ordinairement  ce 
qu'ils  voient  faire  aux  autres.  Cet  arbre  leur  rendoit  une  belle 
ombre  pour  eux  esbattre  et  mettre  à  l'abri  du  soleil  et  de  la 
pluie,  et  en  contre-eschange  ils  le  caressoient  tout  ainsi 
que  des  enfants  caressent  leurs  fouets,  et  aujourd'huy  conti- 
nuent encore  les  mesmes  esbattements,  ainsi  que  j'ai  appris 
de  ceux  du  païs.  Ne  voit-on  pas  des  filles  gardans  les  bestes 
aux  champs,  les  ramener  toutes  couvertes  de  fleurs,  de  bou- 
quets et  de  festons,  comme  estoient  jadis  les  victimes  des 
Romains,  prestes  à  sacrifices  ?  dira-t-on  pour  cela  qu'elles 
soient  idolâtres  ? 

Une  chose  est  grandement  à  remarquer,  que  la  Pucelle  a 
déposée  :  sçavoir,  depuis  qu'elle  eut  l'âge  de  discrétion  — 
c'est  environ  treize  ans  —  que  ses  voix  lui  apparurent 
auprès  de  cette  fontaine,  depuis  ce  temps-là  s'estre  retirée 
de  toute  sorte  d'esbattements  :  estant  croyable  que  ce  qu'elles 
lui  apparurent  lors  estoit  pour  la  distraire  desdits  esbatte- 
ments ;  car  depuis  elle  vaquoit  toujours  à  choses  sérieuses, 
et  hantoit  plus  souvent  l'église  que  de  coustume.  De  sorte 
que  ceux  de  son  âge  la  voyant  si  adonnée  à  la  piété  s'en 
moquoient,  ainsi  qu'ils  ont  déposé.  Et  tous  les  tesmoins 
dénommez  en  l'information  faicte  sur  les  douze  articles  men- 
tionnez, asseurent  que  tous  les  parents  de  la  Pucelle  estoient 
fort  gens  de  bien,  bons  catholiques,  bien  renommez,  et 
qu'aucun  n'avoit  esté  onques  soupçonné  de  sorcellerie. 

Quant  à  la  marraine  de  la  Pucelle  qui  dit  avoir  veu 
les  fées  vers  cet  arbre,  ce  sont  co'htes  de  bonnes  femmes 
qui  pensent  bien  souvent  avoir  veu  ce  qui  n'est,  ne  sera  et 
ne  fut  jamais.  Auprès  des  Chartreux  de  Dijon,  on  veoit  une 
grande  ouverture  en  un  rocher,  laquelle  on  appelle  le 
«  four  aux  fées,  »  dont  on  fait  mille  contes,  et  les  jeu- 
nes gens  s'y  vont  pourmener  vers  la  mi-caresme.    Et  me 


262  E.    RICHER.    —    LA    PUCELLE    D  ORLÉANS 

souvient  en  ma  jeunesse,  n'aj'ant  que  sept  ou  huit 
ans,  avoir  ouy  des  femmes  faire  des  contes  a  plaisir  de 
l'ogre  et  des  fées  qui  mangeoient  les  petits  enfants  ;  rap- 
portans  que  certaines  femmes  ou  autres  personnes  de  légère 
créance,  mal  timbrées  et  de  tout  ignares,  avoient  veu  des 
esprits,  nommément  vers  l'advent,  etc.  :  desquelles  choses  je 
confesse  avoir  eu  grand  peur  en  ma  jeunesse,  et  depuis  que 
Dieu  m'eust  donné  l'usage  de  raison,  m'en  estre  moqué  tout 
ainsi  que  la  Pucelle  dit  n'avoir  adjousté  aucune  foy  à  tout 
ce  qu'elle  a  ouy  dire. 

A  la  vérité,  ces  contes  de  fées  proviennent  des  fables  des 
poètes  qui  ont  faict  des  nymphes  habitans  aux  fontaines,  et 
des  faunes,  et  Dryades  errantes  parmi  les  forests.  Au 
demeurant,  la  sorcellerie  est  un  maléfice  de  personnes  mal- 
vivantes, avancées  sur  l'age,  et  non  d'une  vierge  âgée  de 
treize  ans,  vivant  saintement,  comme  foisoit  la  Pucelle.  Ce 
maléfice  horrible  ne  peut  estre  le  premier  péché,  non  plus 
que  l'hérésie  :  c'est  cloaque  et  sentine  de  toutes  sortes  de 
péchés  et  méchancetez,  ainsi  que  l'on  recognoist  par  le 
procez  de  ceux  qui  ont  esté  prévenus  et  convaincus  de  sor- 
cellerie, lesquels  mesme  on  recognoist  à  l'air  affreux  de 
leurs  visages,  et  les  pendroit-on  à  leur  mine. 

En  cas  de  sorcellerie,  quand  on  veut  rendre  la  présomption 
valable  en  droict,  il  la  faut  confirmer  ou  par  tesmoins  irré- 
prochables, ou  par  maléfices  notoires  et  bien  avérez,  commis 
et  perpétrez  par  ceux  que  l'on  accuse.  Et  de  tout  cela  aucune 
chose  n'apparoist  en  tout  ce  prétendu  procez  :  d'où  résulte  la 
justification  de  la  Pucelle. 

SÉANCE  QUATRIESME 

[qUATUIÈME    INTERROGATOIRE    PUBLIC.] 

Le  mardi  xxvn  febvrier  1430.  lEvesque  de  Beauvais  exige  de  la 
Pucelle  serment  quelle  dira  la  vérité  des  choses  qui  concernent  le 
procez.  A  quoi  respond  que  volontiers  elle  jureroit  de  dire  la  vérité 
de  ce  qui  touchoit  le  procez,  mais  non  pas  de  tout  ce  quelle  sçait; 
et  comme  auparavant,  dit  qu'on  debvroit  estre  content  et  qu'elle 
avoit  assez  juré.  Et  lEvesque  ordonna  qu'elle  seroit  interrogée  par 
maître  Jean  Beaupère,  ci-devant  nommé. 


DE  COMPIÈGNE  A  ROUEN.  LE  PROCÈS  263 

Lequel  tout  en  premier  lieu  demanda  à  cette  fille  comment  elle 
s'estoit  portée  depuis  samedi.  Repartit  qu'ils  voyoient  bien  com- 
ment elle  se  portoit  et  qu'elle  s'estoit  portée  le  mieux  qu'elle 
avoit  pu. 

Interrogée  si  elle  avoit  jeusné  chacun  jour  de  caresme  :  demanda 
si  cela  estoit  de  leur  procez.  Et  lui  ayant  esté  respondu  que  cela 
appartenoit  au  procez,  confessa  véritablement  avoir  tousjours 
jeusné  en  caresme. 

Enquise  si  depuis  samedi  elle  avoit  entendu  la  voix  qui  vient 
à  elle,    répliqua  :  Oui  vraiment,  je  l'ay  ouye  plusieurs  fois. 

On  lui  demanda  si  elle  l'avoit  ouye  le  samedi  en  la  salle  où  elle 
fut  interrogée  :  respondit  que  cela  n'estoit  [pas]  de  leur  procez  ;  et 
puis  leur  dit  qu'elle  l'avoit  entendue  (ouye). 

On  s'enquiert  de  ce  quelle  lui  avoit  dit.  Repart  qu'elle  n'avoit 
pas  bien  entendu'  quelque  chose  pour  leur  dire,  jusqu'à  ce  qu'elle 
fust  retournée  en  sa  chambre  ;  et  qu'elle  lui  avoit  dit  qu'elle  leur 
parlast  hardiment;  et  quelle  avoil  demandé  conseil  à  cette  voix 
des  choses  sur  quoy  on  l'interrogeoit.  Et  davantage,  asseura  qu'elle 
diroii  volontiers  tout  ce  qu'elle  avoit  permission  de  déclarer.  .Mais 
quant  aux  révélations  qui  louchent  le  Roy  de  France,  elle  ne  les 
dira  [pas]  sans  la  permission  de  sa  voix. 

Enquise  si  cette  voix  lui  a  deffendu  de  dire  tout  :  respondit 
n'avoir  pas  bien  entendu  [compris]  cela. 

IntexTogée  de  ce  que  sa  voix  lui  avoit  dit  la  dernière  fois  : 
confessa  lui  avoir  demandé  conseil  d'aucunes  choses  sur  quoy  elle 
avoit  esté  interrogée. 

Enquise  si  cette  voix  lui  avoit  donné  conseil  d'aucunes  choses  : 
assure  que  ouï,  mais  qu'on  lui  pourroit  demander  qu'elle  eust  à 
respondre  de  certaines  choses,  qu'elle  n'y  feroit  aucune  response 
sans  la  permission  de  sa  voix  :  que  si  elle  respondoit  sans  avoir 
eu  permission,  possible  n'auroit-elle  ses  voix  à  garant  ;  mais  quand 
elle  avoit  permission  de  Dieu,  elle  ne  craignoit  pas  de  dire,  pour 
ce  qu'elle  avoit  bonne  garantie. 

[Des  apparitions  de  saint  Michel  et  des  saintes.] 

On  lui  demande  si  c'estoit  la  voix  d'un  ange  qui  lui  parloit,  ou 
de  quelque  saint  ou  sainte,  ou  bien  de  Dieu  mesme  sans  moyen. 
Répliqua  que  cette  voix  estoit  de  sainte  Catherine  et  sainte  Mar- 
guerite ;  et  que  leurs  figures  sont  couronnées  de  belles  couronnes, 
grandement  riches  et  précieuses.  Et  dit  avoir  licence  de  Notre-Sei- 
gneur  de  déclarer  cela.  Que  si  vous  le  révoquez  en  double,  envolez 
à  Poictiers  où  j'ay  esté  une  autre  fois  interrogée. 

1.  «  Entendu  »,  c'est-à-dire  «  compris  ».  Non  inlelUgebam  au  lieu  de 
non  audiebam. 


264  E.    RICHER.    LA    PUCELLE    D  ORLEANS 

On  senquiert  comment  elle  sçavoit'  que  ce  sont  ces  deux  saintes 
qui  la  visitent,  et  si  elle  les  cognoist  et  discerne  bien  l'une  de 
l'autre.  Répondit  que  oui.  Interrogée  comment  cela  se  faict  :  dit 
qu'elle  les  recognoist  par  la  salutation  qu'elles  lui  font ,  qu'il  j  a 
bien  sept  ans  passez  qu'elles  l'ont  prise  en  gouvernement,  et 
qu'elle  les  recognoit  aussi  pour  ce  qu'elles  lui  disent  leur  nom. 

Interrogée  si  ces  saintes  sont  vestues  d'un  mesme  drap  :  repart 
qu'elle  ne  leur  dira  présentement  autre  chose  et  n'avoir  licence  de 
le  révéler.  Si  vous  ne  me  croyez  pas,  allez  à  Poictiers.  Et  dit  qu'il  y 
des  révélations  qui  regardent  le  Roy  de  France,  et  non  pas  eux  qui 
l'interrogent. 

Enquise  si  ces  saintes  lui-  parlent  ensemble  ou  séparément 
l'une  après  l'autre  :  respond  n'avoir  permission  de  leur  dire; 
toutes  fois  que  toutes  deux  ensemblement  lui  donnent  conseil. 

On  lai  demanda  laquelle  des  deux  lui  est  premièrement  apparue. 
Répliqua  ne  les  avoir  pas  cogneîies  incontinent;  et  qu'autrefois 
elle  sçavoit  bien  cela,  mais  qu'elle  l'avoit  maintenant  oublié,  et 
que  si  elle  a  permission,  le  dira  librement,  et  qu'il  est  escrit  en 
un  registre  à  Poictiers. 

Dit  en  outre  avoir  eu  confort  et  consolation  de  saint  Michel. 

Interrogée  laquelle  de  ces  apparitions  est  la  première  venue  à 
elle  :  asseùre  que  saint  Michel  est  venu  le  premier. 

Enquise  s'il  y  a  longtemps  quelle  a  ouy  premièrement  la  voix 
de  saint  Michel  :  respond  qu'elle  ne  parle  pas  de  la  voix  de 
saint  Michel,  mais  d'une  grande  consolation  qu'elle  a  reçue  de  lui. 

Enquise  quelle  a  esté  la  première  des  voix  qui  sont  venues  à 
elle,  quand  elle  avoit  treize  ans  ou  environ  :  respond  que  ce  fut 
saint  Michel  qu'elle  vit  devant  ses  yeux;  et  qu'il  n'estoit  pas  seul, 
mais  bien  accompagné  des  anges  du  ciel;  et  qu'elle  n'estoit  venue 
en  France,  sinon  par  le  commandement  de  Dieu. 

S'enquièrent  si  elle  a  vu  saint  Michel  et  ces  anges  corporelle- 
ment  et  réellement.  Dit  :  je  les  ay  veus  de  mes  yeux  corporels 
aussi  bien  que  je  vous  vois;  et  quand  ils  s'en  alloient,  je  pleurois, 
et  j'aurois  bien  voulu  qu'ils  m'eussent  emportée  avec  eux. 

Interrogée  en  quelle  figure  estoit  saint  Michel  :  répliqua  ne 
l'avoir  pas  encore  dit  et  n'avoir  [pas]  permission  de  le  dire. 

Enquise  de  ce  que  saint  Michel  lui  avoit  dit  la  première  fois  : 
repartit  que  pour  aujourd'huy,  elle  ne  leur  donnera  [pas]  response 
sur  cela  ;  et  que  ses  voix  lui  avoient  dit  qu'elle  parlast  hardiment. 

Dit  aussi  avoir  une  fois  raconté  à  son  Roy  tout  ce  qui  lui  avoit 
esté  révélé  qui  le  concernoit  ;  mais  quelle  n'avoit  encore  permis- 
sion de  déclarer  ce  que  saint  Michel  lui  avoit  dit.  Adjousta  de  plus 
qu'elle  voudroit  bien  que  celui  qui  l'interroge  eust  la  copie  du  livre 
qui  est  à  Poictiers  :  pourveu  que  ce  fust  la  volonté  de  Dieu. 

Interrogée  si  les  voix  lui  ont  deffendu  de  déclarer  ses  révéla- 
tions sans  leur  permission  :  respondit  qu'elle  ne  leur  diroit  rien 


DE  COMPIÈGXE  A  ROUEN.  —  LE  PROCÈS  265 

sur  cela;  et  que  [de]  ce  dont  elle  avoit  permission,  leur  en  respon- 
droit  volontiers,  et  quelle  navoit  pas  bien  entendu  [compris]  si 
ses  voix  [le]  lui  avoient  deffendu. 

On  lui  demanda  quel  signe  elle  donne  pour  faire  cognoistre 
qu'elle  a  des  révélations  de  la  part  de  Dieu,  et  que  c'est  sainte  Ca- 
therine et  sainte  Marguerite  qui  parlent  avec  elle.  Repartit  :  je 
vous  ay  assez  dit  que  ce  sont  saintes  Catherine  et  Marguerite  ; 
croyez  moi  si  vous  voulez.  Interrogée  si  on  lui  a  deffendu  de  le  dire  : 
respond  qu'elle  n'a  pas  encore  bien  entendu  [compris]  si  cela  lui 
est  deffendu  ou  non. 

Enquise  comment  elle  peut  faire  distinction  en  respondant 
d'aucuns  points  et  des  autres  non  :  dit  qu'elle  avoit  licence  pour 
respondre  d'aucuns  et  non  pas  des  autres.  Davantage,  qu'elle 
aymeroit  mieux  estre  démembrée  avec  des  chevaux  que  d'estre 
venue  en  France  sans  permission  et  licence  de  Dieu. 

[De  Ihabit  d'homme] 

On  s'enquiert  si  Dieu  lui  avoit  commandé  de  prendre  un  habil- 
lement d'homme.  Répliqua  que  l'habit  esloit  peu  de  chose  et  des 
moindres  ;  et  qu'elle  n'a  pris  cet  habillement  par  conseil  d'aucun 
homme  du  monde  ;  et  n'a  porté  cet  habit  ni  faict  aucune  autre 
chose,  sinon  par  le  commandement  de  Dieu  et  des  anges. 

Enquise  si  le  commandement  qui  lui  a  esté  faict  de  prendre 
l'habit  d'un  homme  lui  semble  estre  chose  licite  :  maintient  tout 
ce  qu'elle  a  faict  estre  par  le  commandement  de  Dieu,  et  s'il  lui 
eust  commandé  de  prendre  un  autre  habit,  qu'elle  l'eust  pris, 
joinct  que  cela  seroit  commandement  de  Dieu. 

Interrogée  si  cela  estoit  par  le  commandement  du  capitaine  Bau- 
dricour,  dit  que  non. 

Senquièrent  si  elle  pense  avoir  bien  faict,  prenant  un  habille- 
ment d'homme  :  respond  croire  que  tout  ce  qu'elle  a  faict  par  le 
commandement  de  Dieu  l'avoir  bien  et  deuement  faict,  et  en 
attendre  bonne  garantie  et  bon  secours. 

Enquise  si  en  ce  cas  particulier  d'avoir  pris  un  habit  d'homme 
elle  croit  avoir  bien  faict  :  respond  quelle  n'a  faict  aucune  chose 
du  monde  en  tout  ce  qu'elle  a  faict,  sinon  du  commandement 
de  Dieu. 

Interrogée,  quand  elle  vit  cette  voix  venir  à  elle,  s'il  y  avoit  de 
la  lumière  :  confessa  qu'il  y  en  avoil  beaucoup  de  toutes  parts, 
et  que  cela  est  bien  séant  ;  et  dit  à  celui  qui  l'interrogeoit  que  le 
tout  ne  venoit  [toute  la  lumière]  pas  à  lui. 

Enquise  s'il  y  avoit  quelque  ange  sur  la  teste  de  son  Roy,  la 
première  fois  qu'elle  le  vit  ;  respond  :  Par  la  Bienheureuse  Vierge 
Marie,  je  ne  ne  sçay  s'il  y  en  avoit  un  et  ne  l'ay  point  veu. 

On  demanda  s'il  y  avoit  de  la  lumière  :  respond  qu'il  y  avoit 


266  E.    RICHER.    —    LA    PUCELLE    D  ORLEANS 

plus  de  trois  cens  gens  d'armes  et  cinquante  torches,  sans  compter 
la  lumière  spirituelle.  Et  dit  qu'elle  a  rarement  des  rév.élations 
sans  avoir  aussi  quelque  lumière. 

Interrogée  comment  son  Roy  avait  adjouté  îoy  à  ce  qu'elle 
disoit  :  réplique  qu'il  avoit  de  bonnes  enseignes,  et  mesme  par  son 
clei'gé. 

Enquise  quelles  révélations  son  Roj  a  eues  :  respondit  que  pour 
cette  année  ils  n'en  sauroient  rien  d'elle.  De  plus,  asseura  avoir 
esté  interrogée  durant  l'espace  de  trois  semaines,  tant  à  Chinon 
qu'à  Poictiers,  et  que  le  Roj  avoit  eu  un  signe  de  ses  propres  faicts, 
auparavant  que  de  vouloir  lui  adjouter  foy;  et  que  le  clergé  de  son 
parti  avoit  esté  de  cette  opinion,  qu'il  n'y  avoit  rien  en  son  faict 
qui  ne  fust  bon. 

Be  lépée  de  Fierbois.] 

On  lui  demanda  si  elle  avoit  esté  à  Sainte-Catherine  de  Fierbois. 
Dit  que  oui,  et  dit  qu'elle  y  avait  ouy  trois  messes  en  un  jour,  et 
après  estoit  allée  à  Chinon.  Recognut  pareillement  avoir  envoie 
des  lettres  à  son  Roy  pour  sçavoir  si  elle  iroit  dans  la  ville  où  il 
€stoit  :  disant  qu'elle  avoit  faict  bien  cent  cinquante  lieues  pour 
venir  à  son  secours,  et  qu'elle  sçavoit  beaucoup  de  bonnes  choses 
pour  lui  ;  et  lui  semble  que  es  dites  lettres  estoit  porté  qu'elle 
cognojstroit  bien  son  Roy  entre  tous  les  autres. 

Plus,  confessa  avoir  une  espée  qu'elle  avait  prise  à  Vaucouleur, 
et  qu'estant  à  Tours  ou  à  Chinon,  elle  en  envoia  quérir  une  qui 
estoit  en  léglise  Sainte-Catherine  de  Fierbois  derrière  l'autel,  qui 
fut  incontinent  trouvée  toute  rouillée. 

Enquise  comment  elle  scavoit  que  cette  espée  estoit  là  :  respon- 
dit qu'elle  estoit  en  terre  toute  rouillée  et  avoit  cinq  croix,  et 
sceust  qu'elle  estoit  là  par  ses  voix  ;  n'avoir  jamois  vu  l'homme 
qui  l'alla  quérir,  et  qu'elle  escrivit  aux  ecclésiastiques  de  ce  lieu 
qu'il  leur  plust  lui  envoler,  comme  ils  l'envoièrent  :  et  n'estoit 
guères  avant  en  terre  derrière  l'autel,  ainsi  qu'elle  pense  ;  ne  scait 
bonnement  si  cétoit  devant  ou  derrière  l'autel  :  toutes  fois,  estime 
avoir  lors  escrit  que  cette  espée  estoit  derrière  l'autel.  Et  aussitost 
que  les  ecclésiastiques  eurent  trouvé  cette  espée,  ils  la  frottèrent 
et  incontinent  la  rouille  tomba  sans  aucune  violence.  Et  fut  un 
marchand  armurier  de  Tours  qui  l'alla  quérir.  Et  les  ecclésias- 
tiques de  ce  lieu  firent  faire  une  gaisne,  et  ceux  de  Tours  y  en 
firent  pareillement  une,  l'une  de  velours  rouge  et  l'autre  de  drap 
d'or.  Et  elle  qui  parle  y  en  fit  faire  une  de  cuir  bien  fort.  Dit, 
quand  elle  fut  prise,  qu'elle  n'avoit  pas  cette  espée,  et  qu'elle 
l'avoit  portée  continuellement  depuis  qu'elle  l'avoit  eue.,  jusques  à 
ce  qu'elle  partit  de  Saint-Denis  après  l'assaut  de  Paris. 

Interrogée  quelle  bénédiction  elle  avoit  faict  ou  faict  faire  sur 
cette  espée    :  repartit  n'y  en    avoir   onques  faict   ni  faict  faire 


DE    COMPIEGNE    A    ROUEN.    LE    PROCES  267 

aucune,  et  qu'elle  n'y  en  eust  pu  faire  ;  au  reste,  qu'elle  aymoit 
grandement  cette  espée,  pour  ce  qu'elle  avoit  esté  trouvée  en 
l'église  Sainte-Catherine,  laquelle  elle  aymoit  beaucoup. 

Demandent  si  elle  avoit  esté  à  Coulanges-les- Vineuses,  qui  est  un 
village.  Dit  quelle  ne  sçait. 

Enquise  si  elle  a  quelques  fois  mis  son  espée  sur  l'autel  :  dit 
que  non,  qu'elle  srache  ;  au  moins  pour  estre  mieux  fortunée. 

Interrogée  si  quelques  fois  elle  a  faict  des  prières  pour  rendre 
son  espée  mieux  fortunée  :  respond  qu'elle  eust  bien  voulu  que 
tout  son  harnais  et  armures  eussent  esté  bien  fortunés. 

S'enquièrent  si  elle  avoit  son  espée  quand  elle  fut  prise.  Repai'tit 
que  non,  mais  qu'elle  avoit  une  espée,  laquelle  avait  esté  prise 
sur  un  Bourguignon. 

Interrogée  en  quelle  ville  cette  espée  estoit  demevu'ée  :  répliqua 
avoir  offert  une  espée  à  Saint-Denis  et  des  armes,  mais  que  ce 
n'estoit  pas  cette  espée- là,  laquelle  elle  avoit  à  Lagny  ;  et  de 
Lagny  porta  lespée  de  ce  Bourguignon  à  Compiègne,  pour  ce  que 
c'estoit  une  bonne  espée  de  guerre  pour  donner  de  bonnes  bulifes 
et  de  bons  torchons;  mais  de  dire  où  elle  a  laissé  cette  espée,  que 
cela  n'appartient  en  rien  au  procez  et  qu'elle  n'en  dira  rien  pour 
le  présent  :  estime  que  ses  frères  ayant  maintenant  tout  ce  qu'elle 
possédoit  de  bien,  ses  chevaux,  son  espée  ^  et  toutes  autres  choses 
qui  valent  plus  de  douze  mil  escus. 

[De  l'étendard.  —  Au  siège  dOrléans.] 

Interrogée,  quand  elle  est  allée  à  Orléans,  si  elle  avoit  un  estan- 
dart  ou  bannière,  et  de  quelle  couleur  il  estoit  :  respondit  qu'elle 
avoist  un  estandart  duquel  le  champ  étoitsemé  de  fleurs  de  lys,  et 
qu'il  y  avoit  un  monde  en  peinture  et  deux  anges  aux  deux  costés  ; 
quil  estoit  de  toile  blanche  ou  de  boucassin,  et  que  ces  noms  y 
estoient  escrits  Jésus  Maria,  comme  elle  pense,  et  les  franges 
estoient  de  soie. 

Enquise  si  ces  mots  Jésus  Maria  estoient  escrits  au-dessus  ou 
au-dessoubs  de  cet  estandart  [ou  par  costé]  :  l'epartit  que  c'estoit  à 
costé,  comme  elle  pensait. 

On  luy  demanda  si  elle  aymait  davantage  son  estandart  que 
son  espée  :  confessa  aymer  quatre  cens  fois^  plus  son  estandart 
que  son  espée. 

Enquise  qui  lui  avoit  faict  faire  cette  peinture  en  son  enseigne  : 
respondit  qu'elle  avoit  desjà  assez  dit  n'avoir  onques  rien  faict 
sinon  du  commandement  de  Dieu;  et  quelle  portoit  cet  estandart 

1.  J.  QuiCHERAT,  Procès,  t.  1,  p.  78  :  «  ensem,  prou/  crédit,  et  alla...  » 
Le  te.Kte  de  Richer  ne  fait  pas  de  restriction. 

2.  J.  QuicHER.\T,  Procès,  t.  I,  p.  78  :  «quarante  fois  plus  ». 


268  E.    RICHER.    —    LA    PUCELLE    D  ORLEANS 

quand  elle  assailloil  les  ennemis,  afin  de  s'empêcher  qu'elle  ne 
tuast  quelqu'un  :  et  asseura  n'avoir  jamais  tué  personne. 

Interrogée  quelle  compagnie  lui  donna  son  Roy  lorsqu'il  l'em- 
ploia  :  avoue  qu'il  lui  donna  dix  ou  douze  mil  hommes,  et  qu'elle 
alla  tout  premièrement  à  Orléans  à  la  bastille  Saint-Loup,  et 
depuis  à  la  bastille  du  Pont. 

Enquise  en  quelle  bastille  ce  fut  qu'elle  fit  retirer  ses  gens  :  dit 
qu'elle  ne  s'en  souvient  [pas],  mais  qu'elle  estoit  bien  certaine 
qu'elle  ferait  lever  le  siège  d'Orléans,  et  en  avoit  eu  révélation,  et 
asseuré  son  Roy  auparavant  qu'elle  allast  à  Orléans. 

Lui  demandent,  quand  on  donna  l'assaut,  si  elle  advertit  ses 
gens  qu'elle  recepvroit  les  viretons  et  les  pierres  que  les  machines 
et  artilleries  jetoient.  Respondit  que  non,  au  contraire  ;  que  plus 
de  cent  furent  blessez  ;  mais  qu'elle  advertit  ses  gens  qu'ils  tinssent 
pour  tout  certain  qu'ils  feroient  lever  le  siège,  et  qu'elle-mesme 
fut  blessée  sur  le  col  à  l'assaut  de  la  bastille  du  Pont  d'un  trait 
qu'on  appelle  vireton,  et  lors  visitée,  consolée,  confortée  par 
sainte  Catherine  et  guérie  en  quinze  jours  :  et  ne  laissa  point 
d'aller  toujours  à  cheval  et  de  vaquer  aux  alïaires. 

Enquise  si  elle  sçavoit  bien  qu'elle  seroit  blessée  :  recognut  que 
oui,  et  l'avoir  prédit  à  son  Roy  et  que,  nonobstant  sa  blessure, 
elle  ne  laisseroit  pas  de  travailler  et  vaquer  à  la  guerre,  ainsi  qu'il 
lui  avoit  esté  révélé  par  saintes  Catherine  et  Marguerite.  Confessa 
avoir  esté  la  première  à  l'assaut  pour  dresser  une  eschelle  contre 
la  bastille  du  Pont,  et  que  levant  cette  eschelle,  elle  fut  blessée  au 
col  comme  il  a  esté  dit. 

S'enquièrent  pourquoy  elle  ne  receut  le  traicté  avec  le  capitaine 
qui  commandoit  à  Jargeau.  Repartit  que  les  seigneurs  de  son  parti 
respondirent  aux  Anglais  qu'ils  n'auroient  pas  le  terme  de  quinze 
jours  qu'ils  demandoient;  mais  qu'ils  s'en  allassent  avec  leurs 
chevaux  tout  présentement,  et  qu'elle  leur  dit  qu'ils  sortissent  de 
Jargeau  vie  et  bagues  sauves ,  s'ils  vouloient  :  autrement  ils 
seroient  pris  d'assaut. 

Enquise  si  elle  avoit  eu  conseil  de  ses  voix  si  elle  debvoit  donner 
terme  de  quinze  jours,  etc.  :  respondit  ne  s'en  souvenir  point. 

Ce  que  faict  ainsi,  l'Evesque  mit  fin  à  cet  interrogatoire  pour  ce 
jour-là  et  le  continua  à  jeudi  prochain. 

ADVERTISSEMENT  SUR  LA  SKANCE  IV 

Nous  avons  six  faicts  notables  en  cette  session.  Première- 
ment une  irrision  de  l'Evesque  de  Beauvais  ;  car  charitable 
et  soigneux  qu'il  estoit  du  bon  portement^  de  cette  fille,  il 

1.  0  Du  bon  portement  »,  c'est-à-dire  de  la  manière  dont  elle  se  portait, 
du  bon  état  de  sa  santé. 


DE  COMPIÈGXE  A  ROUEN.  —  LE  PROCES  269 

lui  fait  demander  comme  elle  se  porte  depuis  samedi  der- 
nier qu'elle  avoit  esté  si  bien  tenaillée  par  leurs  cavillations 
et  malitieux  interrogatoires.  Et  tout  cela  aux  fins  de  l'irriter 
et  lui  faire  perdre  le  jugement  en  ses  responses.  Une  per- 
sonne qu'on  prend  plaisir  d'affliger,  lui  demander  comment 
elle  se  porte,  n'est-ce  pas  la  mettre  au  désespoir,  si  elle  n'es- 
toit  fortifiée  de  la  grâce  de  Dieu? 

En  second  lieu,  il  n'y  a  aucune  absurdité  en  ce  qu'elle 
asseure  avoir  veu  les  figures  de  saintes  Catherine  et  Mar- 
guerite couronnées  de  belles  et  riches  couronnes  :  joinct 
que  Dieu  s'accommode  à  la  capacité  des  personnes,  ainsi 
mesme  qu'il  fit  à  l'endroit  de  l'asnesse  de  Balaam  qui  de  ses 
yeux  vit  un  ange  (chap.  22  des  Nombres).  Ces  couronnes 
représentoient  la  victoire  que  ces  saintes  avoient  rempor- 
tées du  monde.  Nous  lisons  en  la  vie  de  sainte  Agnès  que 
ses  parents,  veillant  à  son  sépulcre,  la  virent  accompagnée 
de  plusieurs  autres  vierges  couronnées,  et  quelles  les  asseura 
d'es^re  et  vivre  au  ciel  bienheureuse  avec  ces  autres  vierges. 
Severus  Sulpitius  —  dialogue  second  de  la  vie  de  saint 
Martin  —  raconte  que  ce  saint  personnage  estoit  souvent 
visité  par  la  vierge  Marie,  saintes  Thècle,  Agnès,  et  par  les 
apostres  saint  Pierre  et  saint  Paul,  Dieu  se  rendant  admi- 
rable k  l'endroit  de  ses  saints. 

Au  parsus  [surplus],  ils  ont  blasmé  la  Pucelle  d'avoir  dé- 
posé qu'elle  recognoissoit  ses  voix  par  la  salutation  qu'elles 
lui  faisoient  :  qui  est  à  dire,  lorsqu'elles  l'abordoient, 
qu'elles  lui  donnoient  quelque  signe  ou  remarque  au  moyen 
duquel  elle  les  recognoissoit  incontinent.  Mais  les  ennemis 
de  cette  fille  jugent  de  cela  selon  leur  sensualité,  estimans 
quelle  voulust  dire  que  ces  saintes  faisaient  la  révérence. 
N'est-ce  pas  une  grande  impertinence  et  malice  de  demander 
à  cette  fille  si  ces  saintes  sont  vestues  d'un  mesme  drap  ? 
Cet  interrogatoire  est-il  une  matière  de  foy  et  peut-il  appar- 
tenir au  procez  ?  Davantage  :  la  Pucelle  n'ayant  parlé  que  de 
la  figure  de  ces  esprits  qui  lui  apparoissoient,  ils  la  trans- 
portent malitieusement  à  des  questions  de  leurs  testes  et 
membres,  afin  de  l'embarrasser  en  quelques  absurditez. 


270  E.    RICHER.    —    LA    PUCELLE    D  ORLEANS 

Tiercement,  asseure  avoir  veu  de  ses  yeux  corporels  saint 
Michel,  auparavant  que  saintes  Catherine  et  Marguerite  la 
visitassent,  et  qu'il  la  consola  grandement,  estant  accompa- 
gné d'autres  anges.  Nous  lisons  au  chapitre  x  de  Daniel  que 
les  anges  ont  la  conduite  et  protection  des  royaumes  et  pro- 
vinces, et  que  saint  Michel  l'avoit  du  peuple  de  Dieu  captif 
en  Babylone,  et  qu'il  s'emploioit  pour  les  faire  retourner  en 
Judée  afin  de  rebastir  le  temple  de  Hiérusalem.  Qui  est  une 
image  de  ce  qu'il  a  plu  à  Dieu  opérer  en  France  par  l'entre- 
mise de  la  Pucelle,  instruicte  par  saint  Michel  pour  la  li- 
berté et  délivrance  de  ce  pauvre  Estât.  Or,  ce  n'est  pas  chose 
nouvelle  que  les  anges  se  manifestent  aux  femmes  et  per- 
sonnes de  basse  condition.  Ne  sont-ils  pas  apparus  à  Agar, 
servante  d'Abraham  (en  la  Genèse,  16  et  21);  et  aux  pasteurs 
gardans  leurs  troupeaux  (en  saint  Luc,  chap.  ii)  ?  Ce  Promo- 
teur qui  tient  pour  chose  absurde  que  la  Pucelle  aye  veu  de 
ses  yeux  corporels  l'ange  saint  Michel,  se  devroit  souvenir 
qu'un  ange  s'estoit  manifesté  à  l'asnesse  de  Balaam  ;  et 
qu'Abraham  et  Loth  avoient  reçu  en  leur  maison  et  à  leurs 
tables  des  anges  (Genèse,  8  et  19)  :  pareillement,  que  l'ange 
Raphaël  avoit  par  un  long  temps  conversé  visiblement  avec 
le  jeune  Tobie  et  qu'il  sembloit  boire  et  manger  avec  lui. 

Pour  l'habillement  d'homme  que  cette  lille  portoit, 
duquel  ses  ennemis  font  un  si  grand  crime,  voulans  per- 
suader qu'elle  s'estoit  travestie  par  l'induction  de  Baudri- 
cour,  elle  leur  a  dit  véritablement  que  c'estoit  la  moindre 
chose  de  tous  ses  faicts  :  parce  que  Dieu  très  bon  et  très 
sage  ordonnant  une  personne  à  quelque  effect  extraordi- 
naire, il  lui  départ  les  moyens  et  facultez  d'y  parvenir  aysé- 
ment  et  décemment  ;  tout  ainsi  que  faict  un  Roy  qui  envoie 
quelque  part  des  ambassadeurs,  les  munissant  de  pouvoir  et 
toutes  autres  choses  nécessaires  pour  accomplir  leur  ambas- 
sade. Donc  cette  bergère  eslue  de  Dieu  par  privilège  spécial 
pour  délivrer  la  France  des  Anglois  par  la  voie  des  armes,  il 
lui  a  donné  permission  non  seulement  de  porter  un  habit 
civil  pour  les  raisons  ci  après  déduictes,  mais  pareillement 
des  armes  et  de  faire  la  guerre  ;  et  conséquemment,  par  ce 


DE  COMPIEGXE  A  ROrEX.  LE  PKOCES  271 

privilège  qui  est  une  loy  singulière  et  privée,  la  Pueelle  est 
exemptée  de  la  loy  générale,  ainsi  que  saint  Augustin  — 
premier  livre  de  la  Cité  de  Dieu,  chap.  xvii  et  xviii  —  expli- 
quant ce  précepte  :  Tu  ne  tueras  point,  monstre  qu'il  receoit 
maintes  exceptions  en  plusieurs  cas.  Comme  premièrement 
en  ce  que  Dieu  a  nanti  les  princes  et  magistrats  politiques 
du  glaive,  auxquels  est  loisible  de  tuer  ;  secondement,  quand 
il  commande  nommément  à  quelqu'un  de  tuer  ou  de  faire  la 
guerre,  et  allègue  à  ce  propos  l'exemple  d'Abraham,  lequel 
eut  expresse  ordonnance  d'occire  son  fils  unique  Isaac  pour 
l'immoler  à  Dieu.  Samson  pareillement  eut  particulière  révé- 
lation de  se  tuer  quant  et  les  Philistins  ^  (Juges,  6).  A  quoy 
on  peut  adjouter  Aod  qui  tua  Eglon  (Juges,  3),  et  Judith  qui 
eut  révélation  divine  d'occire  liolopherne  ;  et  conséquem- 
ment  furent  tous  exemptez  de  la  loy  commune  qui  delTend 
l'homicide.  Voyez  Gralian.  xxxiii,  quœst.  o,  au  canon  Si  non 
licet,  au  verset  Non  occides,  et  le  chapitre  Gaudemus,  de 
divortiis,  verset  illos  quoque,  aux  Décrétales.  Et  de  ces 
puissantes  raisons,  les  docteurs  et  prélats  qui  ont  escrit  en  la 
revision  du  procez,  soumettant  le  tout  au  jugement  du  saint- 
siège  apostolique,  produisent  que  cette  fille,  en  tant  que  pri- 
vilégiée, est  exempte  de  tous  les  blasmes  et  crimes  que  ses 
ennemis  lui  ont  voulu  imputer,  soit  à  raison  de  ce  qu'elle 
n'auroit  communiqué,  hors  la  confession,  ses  révélations  à 
quelque  ecclésiastique,  et  seroit  partie  de  la  maison  de  son 
père  pour  venir  en  France  sans  l'en  avertir;  pareillement, 
de  ce  qu'elle  auroit  dit  estre  aussi  certaine  d'aller  en  paradis 
que  si  elle  y  estoit  desjà,  pour  ce  que  ses  voix  l'en  avoient 
asseurée  :  car  Dieu  s'est  autant  manifesté  à  elle  qu'il  lui  a 
plu,  ainsi  que  les  théologiens  enseignent  des  personnes  qu'ils 
àppeUenlinsignement prédestinées,  qui  ne  sont  [pas]  sub- 
jectes  à  la  loy  commune. 

Par  ainsi,  on  cognoist  l'iniquité  des  juges  qui  l'ont  con- 
damnée pour  avoir  porté  les  armes  et  un  habillement 
d'homme,  et  encore  rdéclaré]  relapse  pour  avoir  repris  cet 


J.  «  ...  Quant  et...  »,  c'est-à-dire,  en  même  temps  qu'il   tuerait  les- 
PliilisLins. 


272  E.    RICHER.    —    LA    PUCELLE    D  ORLEANS 

habillement  afin  de  conserver  sa  virginité  et  empescher  que 
les  Anglois  ne  la  violassent,  demeurant  tousjours  leur  pri- 
sonnière, contre  la  promesse  que  l'Evesque  de  Beauvais  lui 
avoit  faicte,  l'ayant  asseurée  qu'elle  seroit  mise  aux  prisons 
de  l'Eglise. 

Vincent  de  Bauvais  en  son  Miroir  historial,  livre  sixiesme, 
chapitre  cxvi,  raconte  que  sainte  Eugénie  prit  un  habille- 
ment et  tonsure  d'homme,  afin  de  vivre  en  une  religion 
d'hommes,  où  elle  mourut  portant  cet  habit.  Et  mesme  pour 
sa  sainte  vie  ayant  esté  eslue  Abbé,  refusa  cette  charge  à 
cause  de  son  sexe,  aymant  mieux  faire  le  plus  vil  ministère 
et  service  de  tout  le  couvent,  prévoiant  qu'on  pourroit 
reprocher  aux  religieux  quune  femme  leur  auroit  commandé 
en  qualité  d'Abbé.  Et  au  livre  seiziesme,  chapitre  septante 
quatre,  il  tient  inventaire  de  l'histoire  de  sainte  Marine, 
laquelle  entra  et  fit  profession  en  un  monastère  d'hommes, 
habillée  et  tondue  en  homme.  Mesme  ayant  esté  calomnieu- 
sement  accusée  par  une  fille  de  l'avoir  engrossée,  ayma 
mieux  tout  le  reste  de  sa  vie  faire  austère  et  exemplaire 
pénitence  de  cette  fausse  accusation,  que  de  descouvrir  son 
sexe,  lequel  ne  fut  recognu  qu'après  sa  mort.  Conclusion  que 
la  loy  qui  deffend  aux  /emmes  de  prendre  l'habillement 
d'homme  reçoit  plusieurs  exceptions,  ainsi  que  saint  Tho- 
mas remarque,  2'  2*,  question  cent  soixante-neuf,  article 
second,  response  au  troisiesme  argument. 

Quant  à  Gerson,  au  traicté  qu'il  a  escrit  pour  la  Pucelle,  il 
dit  que  la  loi  du  Deutéronome  qui  defîend  aux  femmes  de  se 
travestir,  peut  être  considérée  comme  judiciaire  ou  simple- 
ment comme  morale  ;  en  tant  que  judiciaire,  qu'elle  obli- 
geoit  seulement  les  Juifs  ;  mais  comme  morale,  qu'elle  as- 
treint les  femmes  hors  le  cas  de  nécessité,  qui  est  une  loy  du 
temps  laquelle  quant  et  soy  apporte  sa  dispense.  Donc  con- 
formément à  cela,  le  précepte  susdit  receoit  dès  exceptions 
en  plusieurs  cas  selon  les  règles  de  la  prudence  :  comme  si 
une  femme,  pour  sauver  sa  vie  et  son  honneur,  prenoit  un 
habillement  d'homme,  etc. 

Pour  les  mesmes  raisons  alléguées   touchant  l'exemption 


DE  COMPIEGXE  A  ROUEN.  —  LE  PROCÈS  273 

de  la  Pucelle  de  la  loy  commune  et  son  privilège,  ceux  qui 
ont  escrit  en  la  revision  de  son  procez,  l'ont  voulu  excuser 
d'estre  renvoiée  à  l'Eglise  triomphante  et  de  ne  s'estre  voulu 
de  premier  abord  soumettre  à  TEglise  militante,  attendu 
qu'elle  esloit  régie  par  révélations  et  par  une  loy  particu- 
lière, ayant  comme  les  prophètes  prédit  les  choses  futures  et 
opéré  plusieurs  merveilles  desquelles  nous  avons  tenu  inven- 
taire sur  la  fin  du  premier  livre.  Mais  ne  leur  déplaise,  cette 
assertion  est  périlleuse  :  aussi  l'ont-ils  soumise  au  jugement 
de  l'Eglise.  Or,  est-il  certain  que  la  Fucelle  fit  cette  response, 
parce  qu'elle  n'entendoit  pas  ce  que  vouloient  dire  ces 
termes  d'Eglise  triomphante  et  d'Eglise  militante,  ainsi  que 
nous  avons  remarqué  ailleurs  :  ce  qui  vient  à  l'appui  du 
septante-septiesme  article  des  escritures  produictes  en  la 
revision  du  procez,  livre  troisiesme  de  cette  histoire. 

Au  reste,  touchant  le  signe  qu'elle  donna  au  Roy  de  ses 
propres  faicts,  dont  a  esté  parlé  au  premier  livre,  n"a-t-elle 
pas  raison  de  dire  qu'elle  ne  le  révéla  jamais  à  personne, 
veu  que,  comme  disoit  l'ange  à  Tobie,  chap.  xii,  «  c'est  une 
bonne  chose  et  fort  louable  de  tenir  le  secret  du  roy  caché, 
mais  [c'en  est]  une  grandement  honorable  de  confesser  et 
hautement  publier  les  merveilles  de  Dieu  »  :  lesquelles  res- 
semblent au  soleil,  la  beauté,  bonté  et  vertu  duquel  ne 
paroissent  que  par  les  effects  admirables  de  sa  lumière  qu'il 
espand  par  tout  le  monde.  Au  contraire,  le  secret  est  l'ame 
des  affaires  d'Estat. 

Le  Promoteur  impute  à  crime  de  ce  que  cette  fille  a  déposé 
que  l'espée  d'un  Bourguignon  estoit  bonne  à  donner  de 
bonnes  buffes  et  de  bons  torchons  :  disant  que  c'est  une 
raillerie  peu  décente  aux  personnes  qui  se  vantent  estre  ré- 
gies par  révélations,  etc.  3Iais  à  cela  on  repart  qu'en  toutes 
les  actions  des  plus  saints  personnages,  mesme  du  siècle 
apostolique,  il  y  a  de  la  lie  d'homme,  et  qu'elles  ne  procè- 
dent pas  tousjours  de  l'Esprit  de  Dieu,  ains  de  leur  propre 
fragilité  qui  esclate  nonobstant  les  grâces  de  Dieu,  lesquelles 
se  manifestent  en  autres  choses,  ainsi  que  nous  avons 
observé  au  premier  livre. 


274  E.    RICHER.    —    LA    PUCELLE    D  ORLEANS 

SÉANCE  Y 

[cinquième    INTERROGATOIliE    PUBLIC.^ 

Le  jeudi  1'^"'  de  mars  1430.  lEvesque  continuant  l'instruction  de 
ce  procez  exige  dei'eclief  serment  de  la  Pucelle  pour  jurer  simple- 
ment et  absolument  qu'elle  dira  la  vérité.  A  quoy  respondit  selon 
son  ordinaire,  s(,'avoir  qu'elle  diroit  la  véi'ité  de  tout  ce  qu'elle 
sçavoit  appartenir  au  procez.  et  non  d'autre  chose.  Derechef  som- 
mée et  interpellée  de  jurer  et  dire  vérité,  etc.,  mettant  les  mains 
sur  les  saints  Evangiles,  promet  dire  la  vérité  de  ce  qui  regarde 
le  procez,  tout  ainsi  que  si  elle  esloit  devant  le  Pape  de  Home. 

[Des  lettres  du  comte  d'Armagnac  et  de  la  Pucelle.] 

Enquise  premièrement  [sur]  ce  qu'elle  dit  du  saint  l'ère  et 
lequel  elle  croit  estre  vi-ay  et  légitime  Pape  :  demanda  s'il  y  en 
avoit  plusieurs  '. 

On  lai  demanda  si  elle  avoit  receu  des  lettres  du  comte  d'Ar 
magnac  pour  l'esclaircir  auquel  des  trois  papes  il  debvuit  obéir-. 
A  quoy  elle  respondit  que  ce  comte  lui  avoit  escrit  des  lettres  sur 
ce  subject.  Pour  son  regard,  confesse  entre  antres  choses  lui  avoir 
mandé  qu'elle  feroit  plus  ample  response  quand  elle  seroit  de 
repos  à  Paris  ou  ailleurs  =*. 

Or,  les  lettres  de  ce  comte  et  sa  response  aux  diteè  lettres  lui 
ayant  été  lues  en  cette  séance,  interrogée  si  elle  avoit  faict  ladite 
response,  recognut  que  oui  en  partie  et  non  du  tout. 

On  lui  demanda  si  elle  avoit  dit  sçavoir  par  le  conseil  du  Pioy 
des  Koys  ce  que  le  comte  d'Armagnac  debvoit  tenir  touchant  le 
vray  et  légitime  Pape.  Repartit  ne  sravoir  rien  de  cela. 

Enquise  si  elle  faisoit  quelque  doubte  du  pape  auquel  ce  sei- 
gneur debvoit  obéir  :  l'épliqua  qu'elle  ne  sçavoit  que  mander  audit 
comte,  parce  qu'il  désiroit  sçavoir  auquel  des  trois  papes  Dieu 
vouloit  qu'on  obéist.  Que  pour  elle  qui  parle,  tient  et  croit  que 
nous  debvons  obéir  à  nostre  saint  Père  séant  à  Rome.  Et  qu'elle 
dit  au  messager  que  le  comte  lui  avoit  envolée  quelque  autre  chose 
que  ce  qui  est  contenu  es  dites  lettres  :  que  si  ce  messager  ne  se 
fust  retiré  incontinent,    il   eust  esté  jeté  en   la   rivière,   non   pas 

1.  Dans  J.  Quicherat,  t.  I,  p.  8:2  :  «  s'il  y  en  avait  deux  —  nlrum 
essent  duo  ». 

2.  Alphonse,  roi  d'Aragon,  et  le  comte  d'Armagnac  élaient  favorables 
au  successeur  de  Pierre  de  Luna.  (Note  d'E.  Richer.) 

3.  Phrase  qui  suit  dans  J.  Quicherat  et  omise  ici  :  El  volebat  lune 
ascenilere  equitm,  quandq  ded'il  illi  responsum. 


I 


DE    COMPIÈGNE    A    ROUEN.    —    LE    PROCÈS  275 

toutes  fois  par  elle  ni  de  son  consentement.  Déposa  aussi  avoir 
mandé  audit  comte  ne  pouvoir  lui  rien  dire  de  ce  qu'il  demandoit, 
sçavoir  auquel  des  trois  papes  Dieu  vouloit  qu'on  obéist  ;  et  lui 
avoir  encore  faict  sçavoir  de  bouche  plusieurs  autres  choses  qui 
n'estoient  [pas]  escrites  aux  dites  missives  ;  et  quant  à  elle, 
croyoit  au  seul  pape  qui  estoit  à  Rome. 

On  luy  demanda,  puisqu'elle  croyoit  au  seul  pape  séant  à  Rome, 
pourquoy  elle  avoit  escrit  qu'elle  feroit  une  autre  fois  response. 
Avoua  que  la  response  qu'elle  promettoit  donner  estoit  d'une 
autre  affaire  que  celle  des  trois  papes. 

Interrogée  si  elle  avoit  escrit  quelle  demanderoit  conseil  à  Dieu 
sur  le  différend  des  trois  papes  :  confessa  n'avoir  onques  escrit  ni 
fait  escrire  qu'elle  feroit  response  sur  le  différend  des  trois  papes  : 
ce  qu'elle  a  juré  et  confirmé  par  son  serment;  et  qu'elle  n'a  jamais 
rien  escrit  ni  fait  escrire  touchant  cela. 

On  s'enquiertsi  elle  avoit  accoustumé  de  mettre  en  ses  lettres  ces 
noms  Jesus-Maria  avec  une  croix.  Respondit  en  quelques  lettres 
avoir  mis  ces  noms,  et  en  d'autres  non;  et  qu'elle  faisoit  aucune 
fois  une  croix  comme  pour  signe  et  donner  à  entendre  à  celui  de 
son  parti  auquel  elle  rescrivoit,  qu'il  ne  list  pas  ce  quelle  lui  man- 
doit. 

On  lui  fit  après  lecture  des  lettres  qu'elle  avoit  escrites  au  Roy 
d'Angleterre,  au  duc  de  Rethford  et  autres.  Et  iulerrogée  si  elle 
recognoissoit  lesdites  lettres,  répliqua  que  oui,  excepté  trois  mots, 
ainsi  qu'elle  respondit  dés  la  seconde  séance.  Confessa  pareille- 
ment que  jamais  seigneur  ne  lui  a  dicté  ou  monstre  lesdites  lettres, 
mais  qu'elle-mesme  les  avoit  dictées  et  montrées  à  aucuns  de  ceux 
de  son  parti.  El  dit  qu'auparavant  sept  ans  les  Anglais  quitteront 
un  bien  plus  grand  gage  que  celui  qu'ils  quittèrent  devant  Orléans 
et  qu'ils  perdroient  tout  cevqu'ils  ont  en  France,  et  recepvraient  la 
plus  grande  perte  qu'ils  aient  jamais  eue  en  Fi-ance  :  que  cela  se 
fera  par  une  grande  victoire  que  Dieu  enverra  aux  Français. 

Interrogée  comment  elle  sçait  cela  :  respond  ({u'elle  le  tient  par 
la  révélation  qui  lui  en  a  esté  faicte  ;  et  que  cela  adviendra  aupara- 
vant sept  ans,  et  qu'elle  estoit  bien  marrie  que  cela  différast  si 
longtemps;  qu'elle  sçait  cela  par  révélation  aussi  asseurément 
qu'elle  sçait  que  ses  juges  estoient  devant  elle. 

Enquise  quand  cela  adviendra  :  respondit  qu'elle  n'en  sçait  le 
jour  ni  l'heure.  On  lui  demanda  l'année.  Réplique  :  vous  n'en 
sçaurez  encore  rien.  Toutes  fois  je  voudrois  bien  que  ce  fust  devant 
la  teste  de  saint  Jean. 

Interrogée  si  elle  a  dit  que  dans  la  saint  Martin  d'hyver  cela 
adviendra  :  repart  avoir  déclaré  que  devant  la  saint  Martin  d'hy- 
ver on  verroit  beaucoup  de  choses  arriver  ;  et  pourroit  bien  estre 
que  les  Anglois  seroient  jetés  contre  terre. 

Enquise  de  ce  qu'elle  avoit  dit  à  Jean  Gris,  lequel  avoit  cbarg 


276  E.    RICHER.    —    LA    PUCELLE    d'oRLÉANS 

de  la  gardei-,  touchant  la  feste    saint  Martin  :  respond  [le]  leur 
avoir  desjà  déclaré. 

[Des  saintes  Catherine  et  Marguerite.] 

Interrogée  par  quel  moyen  elle  sçait  cela  debvoir  advenir  :  dit 
par  saintes  Catherine  et  i^Iarguerile. 

On  s'enquiert  si  saint  Gabriel  estoit  avec  saint  Michel  quand  il 
vint  à  elle.  Dit  n'en  avoir  pas  mémoire. 

Enquise  si  depuis  mardi  dernier  elle  a  parlé  avec  saintes  Cathe- 
rine et  Marguerite  :  asseure  que  oui.  et  ne  sçavoit  pas  à  quelle 
heure. 

Interrogée  à  quel  jour,  respond  :  Hier  et  aujourd'huj,  et  ne  se 
passe  aucun  jour  qu'elle  ne  les  entende.  On  lui  demande  si  elle 
les  veoit  tousjours  en  un  mesme  habita  Repart  qu'elle  les  veoit 
tousjours  en  mesme  forme  et  leurs  figures  sont  couronnées  bien 
richement  :  quant  aux  habits  elle  n'en  parle  point  et  ne  sçait 
quelles  robes  ou  tuniques  elles  portent. 

On  lui  demanda  comment  elle  sçavoit  que  les  choses  qui  lui  ap- 
paroissent  fussent  uu  homme  ou  une  femme.  Respond  qu'elle  les 
cognoit  bien  à  leur  voix  et  qu'elles  [le]  lui  révèlent  ;  et  ne  sçoit 
rien  qui  n'aje  esté  faict  par  révélation  ou  commandement  de 
Dieu. 

Interrogée  quelle  figure  elle  veoil  :  confesse  veoir  une  face. 

Emiiiise  si  ces  saintes  qui  lui  apparoissent  ont  des  cheveux, 
réplique  :  Cela  est  bon  à  sçavoir.  Item,  si  entre  leurs  couronnes  et 
leurs  cheveux  il  y  avdit  quelque  chose  :  repart  que  non. 

On  lui  demande  si  leurs  cheveux  estoient  bien  longs  et  pendants. 
Je  n'en  sçay  rien,  dit-elle  :  ni  pareillement  si  elles  avoient  des 
bras  ou  autres  membres  figurez.  Au  reste,  qu'elles  parloient  très 
bien  et  qu'elle  les  entendoit  [comprenoit]  fort  bien. 

Enquise  comment  elles  pourroient  parler,  veu  qu'elles  n'avoient 
aucims  membres  :  respond  qu'elle  s'en  rapporte  à  Dieu.  Asseura 
que  leur  voix  estoit  belle,  douce  et  humble,  et  qu'elles  parlent  fran- 
çois. 

Enquise  si  sainte  Marguerite  parloit  langage  anglois  :  Comment 
parleroit-elle  anglois,  veu  qu'elle  n'est  pas  du  parti  anglois,  dit- 
elle. 

S'enquiôrent  si  aux  chefs  de  ces  saintes,  avec  leurs  couronnes  il 
y  avoit  des  anneaux  en  leurs  oreilles  ou  ailleurs.  Je  ne  sçay  rien 
de  cela,  dit-elle. 

Enquise  si  elle-mesme  avoil  des  anneaux,  alors  parlant  à 
l'Evesque  de  Reauvais,  lui  dit  :  Vous  en  avez  un  des  miens,  rendez- 


1.  J.  Quicherat  :  in  eodem  habitu.  Procès,  t.  I,  p.  85. 


DE  COMPIÈGXE  A  ROUEN.  —  LE  PROCES  277 

le-moi.  El  dit  encore  que  les  Bom-guignons  avoient  un  autre  sien 
anneau;  que  nous  lui  montrassions,  si  nous  l'avions. 

On  s'enquit  qui  lui  avoit  donné  l'anneau  que  les  Bourguignons 
lui  avoient  pris.  Respondit  que  cestoit  son  père  ou  sa  mère.  Et  lui 
semble  que  ces  mots  j  estoient  escrits  :  Jesus-Maria  et  ne  sçait 
qui  les  y  a  faict  escrire  ;  et  qu'il  n'y  a  en  cet  anneau  aucune 
pierre,  comme  il  lui  semble;  et  que  cet  anneau  lui  fut  donné  à 
Dompremy  son  village.  Adjousta  qu'un  de  ses  frères  lui  avoit 
donné  un  autre  anneau  que  nous  avions,  et  qu'elle  nous  chargeoit 
de  le  donner  à  l'Eglise  ;  et  qu'elle  ne  s'cstoit  jamais  servi  de  ses 
anneaux  pour  guérir  quelqu'im. 

Interrogée  si  saintes  Catherine  et  Marguerite  avoient  parlé  avec 
elle  sous  l'arbre  duquel  il  est  faict  mention  ci-devant  :  réplique 
n'en  sçavoir  rien. 

Enquise  si  elles  avoient  parlé  à  elle  auprès  de  la  fontaine  qui  est 
proche  de  cet  arbre  appelé  le  Beau  May  :  confesse  que  oui,  et 
qu'elle  les  avoit  ouyes  en  cet  endroit,  mais  ne  [pas]  se  souvenir  de 
ce  qu'elles  lui  dirent. 

On  lui  demanda  ce  qu'elles  lui  promirent  là  ou  ailleurs.  Keco- 
gnoist  qu'elles  ne  lui  ont  jamais  faict  aucune  promesse,  sinon  par 
licence  et  permission  de  Bieu. 

Enquise  quelle  promesse  elles  lui  ontfaicle  :  repart  cela  n'appar- 
tenir du  tout  à  leur  procez  ;  et  qu'entre  autres  choses  l'ont  asseuré 
que  le  Roy  sera  restitué  et  remis  en  son  royaume,  ses  ennemis 
veuillent  ou  non  ;  et  en  outre  qu'elles  la  méneroient  en  paradis,  ce 
qu'elle  leur  a  requis  et  demandé  instamment  ^ 

Interrogée  si  elle  a  eu  quelque  autre  promesse  :  dit  que  oui, 
mais  ne  la  dira  pas.  pour  ce  qu'elle  ne  touche  en  rien  au  procez  ; 
que  dans  trois  mois  elle  leur  fera  sçavoir  une  autre  promesse. 

Enquise  si  ses  voix  lui-  ont  dit  qu'elle  seroit  délivrée  dans  trois 
mois  :  répliqua  cela  n'estre  pas  du  procez  ;  toutes  fois  ne  sravoit 
quand  elle  seroit  délivrée.  Et  dit  que  ceux  qui  la  vouloient  osier 
de  ce  monde  s'en  pourroient  bien  aller  devant  elle. 

On  lui  demanda  si  son. conseil  lui  avoit  dit  qu'elle  seroit  déli- 
vrée de  la  prison  où  elle  est  cà  présent.  Respondit  :  Parlez  à  moi 
d'ici  à  trois  mois  et  je  vous  résoudray  de  cela.  Demandez  aux 
assistants  qu'ils  disent  sur  leur  serment  si  cela  appartient  au  pro- 
cez. Et  après  que  tous  les  assistants  eurent  délibéré  que  cela  tou- 
choit  le  procez  :  Je  vous  ay  tousjours  bien  dit  que  vous  ne  scauriez 
pas  tout;  et  faudra  une  fois  que  je  scis  délivrée  :  mais  je  veux 
avoir  licence  si  je  le  doibs  dire  ou  non  ;  c'est  pourquoy  je  demande 
délay. 

On  s'enquiert  si  ses  voix  lui  avoient  deffendu  de  dire  la  vérité. 
Voulez-vous,   dit-elle,  que  je  vous  die    ce  qui  touche  le  Roy  de 

1.  «  Instamment  »  n'est  pas  dans  J.  Quielierat.  Op.  cil.,  p.  87. 


2/8  E.    RIGHER.    —    LA    PUGELLE    D  ORLEANS 

France?  Il  y  a  plusieurs  choses  qui  n'appartiennent  pas  au  procez. 
Je  sçay  bien  que  mon  Roy  gagnera  le  royaume  de  France;  et  le 
sçay  aussi  véritablement  que  vous  estes  devant  moy  en  ce  juge- 
ment. Et  asseura  que  n'estoit  la  révélation  qui  la  conforte  tous  les 
jours,  elle  seroit  morte. 

[De  la  mandragore.  —  De  saint  Michel.] 

On  lui  demanda  ce  qu'elle  avoit  faict  de  sa  mandragore.  Main- 
tint n'en  avoir  jamais  eu  aucune,  mais  bien  avoir  appris  qu'au- 
près de  son  village  il  y  en  avoit  une,  et  confessa  n'en  avoir 
jamais  veu,  mais  [avoir]  entendu  dire  que  c'estoit  chose  bien  pé- 
rilleuse et  mauvaise  à  garder,  et  ne  sçait  toutes  fois  à  quoy  elle 
sert.  Enquise  quelle  part  [en  quel  endroit]  est  cette  mandragoi'e 
dont  elle  parle  :  recognoist  avoir  ouy  dire  qu'elle  estoit  en  terre 
auprès  de  cet  arbre  dont  a  esté  ci-devant  parlé,  mais  ne  sçavoir 
pas  en  quel  lieu  :  et  asseura  qu'on  disoit  y  avoir  un  noisetier  sur 
cette  mandragore. 

Interrogée  à  quoy  elle  a  entendu  dire  que  servoit  cette  mandra- 
gore :  respond  avoir  ouy  dire  qu'elle  faisoit  avoir  de  l'argent,  mais 
n'avoir  onques  adjousté  foy  à  cela,  et  que  ses  voix  ne  lui  en  ont 
jamais  tenu  aucun  propos. 

On  l'interroge  en  quelle  figure  estoit  saint  Michel,  quand  il  lui 
apparut  :  respond  qu'elle  ne  lui  avoir  point  veu  de  couronne  et  ne 
sçait  rien  de  ses  vestements. 

Enquise  s'il  estoit  nud  :  Pensez-vous,  dit-elle,  que  Dieu  n'aye 
point  de  quoy  le  vestir? 

Interrogée  s'il  avoit  des  cheveux,  respond  :  Pourquoy  les  y  auroit- 
on  coupez  ? 

Elle  avoua  n'avoir  point  veu  saint  Michel  depuis  qu'elle  partit 
du  chasteau  du  Grotoy,  et  qu'elle  ne  l'a  pas  veu  bien  souvent  :  et 
finalement  a  dit  qu'il  n'y  avoit  rien  plus  certain  qu'il  avoit  des 
cheveux^. 

Enquise  s'il  avoit  des  balances  :  dit  qu'elle  n'en  sroit  rien,  et 
avoir  un  grand  plaisir  quand  elle  le  voyoit,  et  qu'il  lui  scmbloit 
n'estre  pas  en  péché  mortel  quand  il  vient  à  elle. 

Plus,  asseure  que  saintes  Catherine  et  Marguei-ite  la  font  volon- 
tiers confesser  quelquefois  tour  à  tour,  et  qu'elle  ne  sçait  pas  si 
elle  est  en  péché  mortel. 

Interrogée,  quand  elle  se  confesse,  si  elle  croit  estre  en  péché 
mortel  :  repari  qu'elle  ne  sçait  si  elle  a  esté  en  péché  mortel,  et  ne 
pense  pas  en  avoir  faict  les  œuvres.  Plaise  à  Dieu,  dit-elle,  que 
jamais  je  n'en  fasse  les  œuvres  ou  que  je  les  aye  faictes  pour  les- 
quelles mon  âme  soit  grevée  ! 

1.  Dans  J.  Quicherat  :  Nescil  iitrum  liabeat  capillos.  Op.  cit.,  p.  89. 


DE    COMPIEGXE    A    ROUEX.    LE    PROCES  279 


[Du  signe  donné  au  Roy.] 

On  lui  demande  quel  signe  elle  avoit  donné  à  son  Roj  quelle 
venoit  de  la  part  de  Dieu.  Je  vous  ay  tousjours  respondu,  dit-elle, 
que  vous  ne  tirerez  point  cela  de  ma  bouche;  allez  [le]  lui  de- 
mander . 

S'enquièrent  si  elle  a  juré  ne  point  révéler  ce  qu'on  lui  deman- 
dera qui  appartient  au  procez.  Repart  leur  avoir  autres  fois  dit 
qu'elle  ne  leur  déclareroit  jamais  ce  qui  touche  son  Hoy,  et  de  cela 
quelle  n'en  parlera  point. 

Un  senquiert  si  elle  si.ait  le  signe  qu'elle  a  donné  à  son  Rov. 
Réplique  :  vous  ne  sçaurez  point  cela  de  moy.  Et  lui  ayant  esté 
dit  que  cela  appartenoit  au  procez,  respondit  que  de  ce  qu'elle 
avoit  promis  tenir  bien  secret,  elle  ne  leur  en  diroit  rien.  Et  da- 
vantage, confessa  lavoir  promis  en  tel  lieu  quelle  ne  le  pourroit 
déclarer  sans  parjure. 

Interrogée  à  qui  elle  lavoit  promis,  respond  :  A  saintes  Cathe- 
rine et  Marguerite,  et  que  ce  signe  avoit  esté  montré  au  Roy.  Et 
recognut  avoir  promis  cela  à  saintes  Catherine  et  Marguerite  sans 
qu'elles  l'eussent  requise,  ayant  faict  cela  de  son  plein  gré,  pré- 
voyant bien  que  maintes  personnes  eussent  voulu  tirer  cela  d  elle, 
sinon  quelle  eust  promis  à  ces  saintes  dessus  nommées  de  n'en 
rien  déclarer. 

Interrogée,  quand  elle  monstra  ce  signe  à  son  lîoy,  s'il  y  avoit 
quelqu'un  en  sa  compagnie  :  respondit  qu'elle  pense  n'y  avoir  eu 
personne,  combien  qu'il  y  eust  bien  du  monde  assez  proche. 

Enquise  si  elle  avoit  veu  une  couronne  sur  la  teste  de  son  Roy, 
quand  elle  lui  monstra  ce  signe  :  dit  qu'elle  ne  leur  peut  dire  sans 
parjure. 

On  lui  demande  si  son  Roy  avoit  une  couronne,  quand  il  estoit 
à  Rheims.  Respond  que,  comme  elle  pense,  son  Roy  avoit  receu 
de  bon  cœur  celle  qu'il  trouva  à  Rheims  ;  mais  qu'une  bien  riche 
avait  esté  apportée  après  lui,  et  que  s'il  eust  attendu,  il  en  eust 
eu  une  mille  fois  plus  riche.  Néanlmoins,  que  pour  haster  son 
affaire,  à  la  requeste  des  habitants  de  Rheims  et  pour  les  deschar- 
ger des  gens  de  guerre,  il  ne  voulut  attendre. 

Enquise  si  elle  a  veu  cette  couronne  qui  est  plus  riche  ;  réplique 
ne  leur  pouvoir  dire  sans  encourir  parjure;  et  si  elle  ne  l'a  veue, 
avoir  ouy  dire  quelle  estoit  grandement  riche  et  opulente. 

Lesquelles  choses  ainsi  parfaites  et  accomplies.  l'Evesque  faict 
mettre  fin  pour  ce  jour  à  l'inteiTogatoire,  et  le  remet  et  continue 
à  samedi  prochain,  huict  heures  du  matin. 


280  E.    niCHER.    L.\    PUCELLE    D  ORLEANS 


ADVERÏISSEMENT  SUR   LA  GINQUIESME  SEANCE 

La  Pucelle  ayant  déposé  qu'elle  diroit  la  vérité  tout  ainsi 
que  si  elle  estoit  devant  le  Pape  de  Rome,  l'Evesque  de  Beau- 
vais,  séance  quinziesme,  a  pris  de  là  subjectde  lui  demander 
si  elle  pensoit  estre  obligée  dire  autre  chose  au  Pape  qu'à 
lui  :  tant  cet  homme  estoit  jaloux  de  son  autorité.  Mais 
outre  que  les  grandes  et  importantes  causes  sont  déférées  au 
saint-siège  par  les  canons,  au  nombre  desquelles  la  contro- 
verse de  la  discrétion  des  Esprits  doibt  estre  enrôlée,  cet 
Evesque  estant  ce  qu'il  estoit  aux  Anglois,  ne  pouvoit  estre 
juge  de  cette  fille,  laquelle  a  toujours  finalement  continué  à 
demander  d'estre  renvoiée  au  Pape. 

Or,  pour  raison  des  lettres  que  le  comte  d'Armagnac  lui 
avoit  escrites,  et  de  la  response  qu'elle  lui  avuit  faictes 
sur  le  différend  des  trois  papes,  ses  juges  lui  ont  faus- 
sement imputé  qu'elle  préposoit  son  jugement  particulier 
à  celui  de  toute  l'Église  universelle,  laquelle  recognoissoit 
le  pape  Martin  V  :  [cej  qui  est  une  manifeste  calomnie  :  veu 
qu'elle  a  nommément  déposé  ne  cognoistre  que  le  Pape  séant 
à  Rome,  etc. 

Encore  l'accusent-ils  de  sorcellerie  pour  avoir  mis  ces 
deux  mots  Jésus  Maria  en  teste  de  ses  lettres  avec  une  croix 
au  milieu  ;  et,  semblablement,  de  ce  quelle  faisoit  une  croix 
en  ses  missives,  pour  faire  entendre  à  ceux  auxquels  elle 
escrivoit  qu'ils  ne  fissent  pas  quelque  chose  qu'elle  leur 
mandoit.  Ce  que  le  Promoteur,  article  vingt  et  uniesme  de 
sa  production,  attribue  à  grand  crime  :  comme  si  le  signe  et 
la  mirque  ordinaire  de  ceux  qui  ne  sçavent  lire  ni  escrire 
n'estoit  pas  une  croix  ;  de  laquelle  cette  fille  se  servoit  tout 
ainsi  que  de  quelque  chiffre. 

Le  troisiesme  point  regarde  ce  qu'elle  a  prédit  en  esprit 
de  prophétie  de  l'expulsion  des  Anglois  de  tout  le  royaume 
de  France  ;  que  dans  sept  ans  ils  perdroient  Paris,  qui  est 
une  bien  plus  grande  perte  que  celle  qu'ils  firent  à 
Orléans,  etc.  Et  asseure  sçavoir  cela  certainement  tout  ainsi 
que  ce  qu'elle  veoit  de  ses  yeux.  Car  Dieu  ayant  nanti  quel- 


DE    COMPIÈGXE    A    r.OL'EN.    LE    PROCÈS  28 1 

qu'un  de  l'esprit  de  prophétie,  il  lui  rend  comme  pré- 
sentes les  choses  futures  desquelles  il  doibt  parler,  et  en  est 
très  asseuré. 

Au  quatriesme  des  douze  articles  que  l'Evesque  de  Beau- 
vais  a  envolez  à  l'Université  de  Paris  pour  avoir  sa  censure 
contre  la  Pucelle,  est  faict  mention  particulière  de  cette  pro- 
phétie louchant  l'expulsion  des  Anglois,  et  d'abondant  est 
parti  qu'elle  s'est  vantée  que  les  Français  feroient  en  sa 
compagnie  le  plus  beau  faict  d'armes  qui  ait  jamais  esté 
exploité  en  t^rance  :  de  quoy  toutes  fois  il  n'est  point 
parlé  en  cette  séance.  Et  quand  cela  seroit  eschappé 
ailleurs  à  cette  fille,  ce  ne  seroit  pas  une  grande  faute.  Nous 
avons  monstre  au  premier  livre  que  les  prophètes  ne  sont 
[pasj  exempts  des  infirmitez  humaines,  et  qu'il  parlent  sou- 
ventes  fois  de  leur  propre  jugement,  pensans  prophétiser  : 
ainsi  que  saint  Grégoire  remarque  sur  ]<lzéchiel. 

C'est  chose  fort  notable  que  faisant  mention  de  saint  Michel, 
des  anges  et  des  saintes  Catherine  et  Marguerite  qui  lui  ont 
apparu,  elle  n'a  dit  jusqu'ici  avoir  jamais  veu  autre  chose 
que  leurs  faces  et  figures. 

Et,  toutes  fois,  l'Evesque  par  ses  captieux  interrogatoires, 
pour  la  surprendre,  lui  faict  des  questions  du  corps  et  des- 
membres des  anges  et  des  saintes  qui  se  manifestent  à  elle, 
comme  quand  ils  lui  demande  si  saint  Michel  estoit  tout 
nud,  etc.  ;  s'il  avoit  des  balances,  ainsi  qu'on  le  représente 
au  village  pesant  les  âmes  des  chrétiens.  Et  à  tout  cela 
[elle   respond  suffisamment. 

Elle  asseure  que  la  voix  de  ses  saintes  est  belle,  douce  et 
humble,  indice  certain  que  ce  sont  des  esprits  venant  delà 
part  de  Dieu,  ainsi  que  tesmoignent  tous  ceux  qui  ont  escrit 
du  faict  des  sorciers  et  leur  ont  faict  leur  procez;  car  la  voix 
des  malins  esprits  est  horrible  et  effroyable.  Pareillement, 
c'est  encore  un  autre  bon  signe  qu'elle  dépose,  séance  troi- 
siesme,  ne  les  avoir  onques  trouvées  doubles  en  paroles, 
pour  ce  que  les  malins  esprits  sont  menteurs,  trompeurs, 
équivoqueurs.  Ilem,  confesse  en  toutes  ses  responses  ne  les 
avoir  jamais  veus  sans  une  grande  lumière.  Et  ceux  qui  sont 
versez  en  l'examen  et  discrétion  des  Esprits  tiennent  que  la 


282  E.    RIGHER.    LA    PUCELLE    d'oRLÉANS 

constante  et  ferme  lumière  provenant  de  quelque  vision  non 
éblouissante  et  maligne,  comme  celle  des  esclairs,  est  un  des 
meilleurs  et  plus  asseurés  signes  des  bons  anges,  lesquels 
pour  cette  raison  sont  qualifiez  anges  de  lumière,  parce  qu'ils 
illuminent,  consolent  et  mettent  les  esprits  des  hommes  à 
repos.  Au  contraire,  les  mauvais  anges  ne  laissent  après  eux 
que  frayeur,  ténèbres,  inquiétude,  confusion  et  malheur,  tout 
ainsi  que  font  ordinairement  des  brigands  et  voleurs.  Les 
bons  anges  de  premier  abord  apportent  de  la  terreur  par 
l'esclat  de  leur  grande  et  subite  lumière  ;  mais  leur  départ 
est  plein  de  consolation.  Toutes  lesquelles  circonstances 
joinctes  aux  vertus  théologales  que  Jésus-Christ  a  consignées 
à  son  Eglise,  se  trouvent  constamment  en  les  actions  de  la 
Pucelle,  desquelles  ses  ennemis  ont  tenu  registre  excepté 
seulement  de  sa  virginité,  de  laquelle  ils  n'ont  positivement 
et  asseurément  parlé,  ores  toutes  fois  qu'ils  l'eussent  fait 
visiter  par  des  sages-femmes  de  leur  faction. 

Pour  avoir  recognu  que  ses  voi.K  l'avoient  une  seule  fois 
abordée  auprès  de  la  fontaine  voisine  du  Beau  May,  le  Pro- 
moteur, quarante  huictiesme  article  de  sa  reproduction,  con- 
clud  que  ce  sont  malins  esprits  et  les  appelle  le  Conseil  de  la 
fontaine,  sans  alléguer  aucune  preuve  de  sa  calomnie. 
Comme  si  cette  circonstance  de  la  fontaine  ou  de  l'arbre  des 
Dames  qui  en  est  proche,  estoit  suffisante  présomption  de 
sortilèges  fondée  sur  des  contes  de  vieilles,  que  jadis  durant 
le  paganisme  les  fées  auroient  hanté  ces  lieux-là;  et  [comme] 
si  cela  ne  debvoit  pas  estre  mis  en  balance  avec  toutes  les 
autres  circonstances  de  la  vie  de  cette  vierge  en  tout  et  par- 
tout irrépréhensible  devant  juges  équitables. 

D'ailleurs  elle  a  confessé,  depuis  que  ses  voix  l'eurent 
abordée  une  fois  auprès  de  la  fontaine,  avoir  renoncé  à 
toutes  sortes  d'esbattements  auxquels  elle  s'adonnoit  en 
sa  jeunesse  auprès  du  Beau  May  avec  les  autres  filles 
de  son  âge. 

"Voici  un  autre  captieux  interrogatoire.  Ses  juges  ayant 
Guy  dire  qu'il  y  avoit  une  mandragore  auprès  de  ce  beau 
May,  ils  demandent  à  la  Pucelle  ce  qu'elle  avoit  fait  de  sa 
mandragore  et  a  quoy  elle  s'en  servoit.  Mais  elle  repart  n'en 


DE  COMPIÈGNE  A  ROUEN.  LE  PROCÈS  283 

avoir  jamais  eu  ni  veu  :  bien  avoir  ouy  dire  que  c'estoit 
chose  pernicieuse  dont  on  se  servoit  pour  amasser  des 
richesses.  Et  sur  cela  le  Promoteur,  selon  son  ordinaii-e, 
prend  laffirmative  pour  la  négative  et  conclud. qu'elle  a  eu 
une  mandragore  que  le  vulgaire  appelle  main  de  gloire.  Il 
me  souvient,  estant  jeune,  avoir  ouy  des  vaux-de-ville,  que 
certaines  personnes  qui  foisoient  bien  leur  trafic  et  y  pros- 
péroient  grandement,  possédoient  une  main  de  gloire,  et 
que,  la  veille  de  la  Saint-Jean,  ils  alloient  à  la  graine  de  fou- 
gère :  qui  sont  toutes  fables  et  contes  faits  à  plaisir. 

Voyez  l'iniquité  et  si  cet  interrogatoire  est  une  matière  de 
foy.  La  Pucelle  ayant  déclaré  que  saintes  Catherines  et  Mar- 
guerite lui  donnoient  conseil  de  se  confesser  souvent,  ils  lui 
demandent  si  elle  croit  estre  en  péché  mortel  quand  elle  se 
confesse.  Or,  elle  respond  n'en  sijavoir  rien,  et  qu'elle  ne 
pense  pas  en  avoir  fait  les  œuvres  :  et  ne  plaise  à  Dieu 
qu'elle  les  fasse  ou  qu'elle  les  aye  jamois  faictes,  pour  les- 
quelles son  âme  soit  damnée.  Response  admirable  en  une 
bergère  du  tout  ignorante.  Et  néantmoins  ces  pharisiens  l'ont 
derechef  interrogée  sur  cette  haute  question,  séance  dou- 
ziesme,  où  elle  respond  toujours  pertinement. 

Quelqu'un  penseroit  que  ce  fut  un  coq-à-l'asne  quand  elle 
dit  qu'il  n'y  avoit  eu  personne,  lorqu'elle  monstra  à  son 
Roy  le  signe  de  sa  mission,  combien  qu'il  y  eust  beaucoup 
de  monde  assez  proche.  Toutes  fois  cela  est  véritable  selon  le 
sens  de  cette  fille  :  voulant  dire  qu'ayant  à  déclarer  au  Roy 
ses  faits  et  oraisons  [les]  plus  secrètes,  elle  le  retira  à  part 
pour  luy  donner  à  entendre  que  Dieu  lui  avoit  révélé  son 
secret,  duquel  nous  avons  fait  mention  au  premier  livre. 
Or,  les  énonciations  prophétiques  ne  se  doibvent  prendre 
ni  interpréter  selon  la  rigueur  de  la  lettre,  ni  conséquem- 
ment  aussi  plusieurs  choses  que  la  Pucelle  dépose  devant 
ses  juges. 

SÉANCE  VI 
[Sixième  interrogatoire  public] 

Le  samedi,  troisiesme  de  mars  1430,  au  mesme  lieu,  l'Evesque 


•ibdl-  E.    RICHER.    LA    PUCELLE    D  ORLEANS 

continuant  l'instruction  de  ce  procez,  exige  derechef  le  serment  de 
cette  fille,  à  ce  qu'elle  ave  à  jurer  et  promettre  dire  simplement 
la  vérité  des  choses  qu"on  lui  demandera.  A  quoj  elle  respond 
comme  aux  sessions  précédentes,  et  touchant  les  saints  Evangiles 
jura. 


[De  saint  Michel,  des  saintes  et  de  leurs  apparitions] 

Et  pour  ce  qu'elle  avoit  dit  que  saint  Michel  avoit  des  aisles, 
ainsi  que  l'Evesque  l'a  l'ait  registrer,  sans  parler  des  corps  et 
membres  de  saintes  Catherine  et  Marguerite,  on  l'interrogea  ce 
qu'elle  vouloit  dire.  Répliqua  leur  avoir  e.\posé  tout  ce  qu'elle 
sçavoit  et  qu'elle  ne  respondroit  autre  chose  :  adjoustant  qu'elle 
avoit  veu  saint  Michel  et  ces  saintes-là,  et  sçavoit  asseurément 
qu'ils  étoient  saints  et  saintes  en  paradis. 

Interrogée  si  elle  avoit  veu  quelque  autre  chose  que  leur  face  : 
respond  leur  avoir  dit  tout  ce  qu'elle  sçavoit  de  cela,  et  qu'elle 
aymeroit  mieux  qu'on  lui  fist  couper  la  teste  que  de  dire  tout  ce 
qu'elle  sçait;  mais  qu'elle  disoit  librement  tout  ce  qui  appartenoit 
au  procez. 

On  lui  demanda  si  elle  croit  que  saint  Michel  et  saint  Gabriel 
eussent  des  chefs  naturels.  Heparl  les  avoir  veus  de  ses  jeux  et 
croire  que  ce  sont  eux  aussi  fermement  que  Dieu  est. 

Enquise  si  elle  croit  que  Dieu  les  ave  créez  en  la  forme  et  manière 
qu'elle  les  a  veiis  :  dit  que  oui. 

Enquise  si  elle  croit  que  Dieu  les  ave  (U'éez  dès  le  commence- 
ment en  cette  forme  et  manière  :  réplique  qu'ils  n'auront  autre 
chose  pour  le  présent  que  ce  qu'elle  a  déposé. 

Interrogée  si  elle  sçavoit  par  l'évélation  qu'elle  deubst  échapper 
de  la  prison  :  repart  que  cela  ne  touchoit  pas  leur  procez.  Voulez- 
vous  que  je  parle  contre  moj,  dit-elle? 

On  s'enquiert  si  ses  voix  lui  ont  dit  quelque  chose  de  cela.  Main- 
tient encore  cela  n'estre  [pas]  de  leur  procez  et  qu'elle  s'en  rappor- 
toit  à  Dieu^  Davantage,  jura  par  sa  l'oj  qu'elle 'ne  sçavoit  l'heure 
ni  le  jour  qu'elle  évaderoit. 

Enquise  si  ses  voix  lui  ont  révélé  quelque  chose  de  cela  en  géné- 
ral :  respond  à  la  vérité  lui  avoir  dit  qu'elle  seroit  délivrée,  mais 
qu'elle  ne  sçavoit  le  jour  ni  l'heure,  et  que  hardiment  elle  fera  bon 
visage. 


1.  J  Quicherat  :  «  Qu'elle  s'en  rapporloit  au  procès.  »  Op.  cit.,  t.  I, 
p.  94.  • 

Phrase  que  donne  J.  Quicherat.  ibid.,  et  passée  sous  silence  par 
E.  Richer  :  «  Et  si  lotiim  periineret  ad  vos,  ego  dicerem  vobis  lolum.  — 
Et  si  tout  cela  regardait  le  procès,  je  vous  dirais  tout  ». 


DE    COMPIÈGXE    A    ROUEN.    —    LE    PROCÈS  285 


[De  1  habit  d'homme.] 

On  l'interroge,  quand  elle  se  présenta  premièrement  devant  son 
Roy,  si  lui  demanda  point  si  elle  avoit  eu  révélation  pour  changer 
son  habillement.  Repartit  avoir  desjà  respondu  sur  ce  point-là  et 
qu'elle  ne  s'en  souvenoit;  que  si  elle  avoit  esté  interrogée  sur  cela, 
c'estoit  escrit  à  Poictiers. 

Enquise  si  elle  se  souvient  que  les  docteurs  qui  obéissent  à  son 
Roy,  par  lesquels  elle  asseure  avoir  esté  examinée  [par]  daucuns 
un  mois  durant,  et  par  les  autres  trois  sepmaines,  layent  interro- 
gée particulièrement  sur  ce  quelle  a  changé  d"habit  :  répliqua  ne 
s'en  souvenir  point,  mais  bien  sçavoir  qu'ils  lui  demandèrent  où 
elle  avoit  pris  cet  habit  d"hommc,  et  avoir  recognu  et  confessé 
lavoir  pris  en  la  ville  de  Vaucouleur. 

Enquise  si  ces  mesmes  docteurs  lui  avoient  demandé  si  elle 
avoit  pris  cet  habit  par  le  conseil  de  ses  voix  :  repart  qu'elle  nen 
a  pas  de  mémoire. 

Interrogée  si  sa  Royne,  quand  elle  la  visita,  lui  demanda  pour- 
quoy  elle  avoit  changé  d'habit  :  réplique  ne  s'en  pouvoir  souvenir. 

On  lui  demanda  si  son  Roy,  sa  Uoyne  et  les  autres  de  son  parti 
l'ont  point  quelquefois  requise  de  quitter  l'habit  d'homme.  Dit  que 
cela  n'est  pas  de  leur  procez. 

Interrogée  si  elle  n'en  a  point  esté  requise  au  chasLeau  de  Beau- 
revoir,  respond  :  Oui  vraiment,  et  qu'elle  avait  dit  qu'elle  ne  le 
quitteroit  jamais  sans  la  licence  et  permission  de  Dieu.  Adjousta 
que  Mademoiselle  de  Luxembourg  et  .Madame  de  Reaurevoir  lui 
voulurent  donner  une  robe  de  femme  ou  du  drap  pour  en  faire 
une';  et  qu'elle  leur  respondit  n'en  avoir  pas  la  licence  de  Dieu,  el 
qu'il  n'estoit  pas  encore  temps. 

Enquise  si  le  sieur  Jean  de  Pressy  et  quelques  autres  à  Arras  ne 
lui  ont  pas  présenté  une  robe  de  femme  :  recognoist  que  oui,  et 
plusieurs  autres  pareillement  lui  ont  dit  maintes  fois  qu'elle  prist 
une  robe  de  femme. 

On  lui  demande  si  elle  croit  avoir  péché  mortellement  d'avoir 
pris  un  habillement  d'homme.  Respond  qu'il  est  meilleur  d'obéir 
et  servir  à  son  souverain  seigneur,  à  sçavoir  à  Dieu  ;  et  que  si  elle 
eust  dû  prendre  un  habit  de  femme,  elle  l'eust  plus  tost  porté  à  la 
requeste  des  deux  dames  susdites  que  de  toutes  autres,  excepté 
la  Royne  de  France. 

On  lui  demande,  quand  Dieu  lui  révéla  qu'elle  changeast  son 
habit  cà  un  habillement  d'homme,  si  c'est  par  l'entremise  de  la 
voix  de  saint  Michel  ou  de  saintes  Catherine  ou  Marguerite. 
Respond  :  Vous  n'aurez  pour  le  présent  autre  chose. 

1.  «...  et  la  requirent  qu'elle  la  portast.  «  {Procès,  t.  I.  p.  9o). 


E.    RICHER.    LA    PUCELLE    D  ORLEANS 


[Des  panonceaux  de  Jeanne  et  de  sa  compagnie.] 

Interrogée  quand  son  Roy  la  mit  en  oeuvre  et  qu'elle  dressa  son 
estandart,  si  les  autres  gens  de  guerre  firent  faire  des  panonceaux 
à  la  façon  du  sien  :  dit  qu'il  est  bon  de  sçavoir  que  tous  les  sei- 
gneurs maintenoient  et  gardoient  leurs  armes  ;  et  qu'aucuns  gens 
d'armes  firent  faire  des  panonceaux  comme  bon  leur  sembloit,  et 
les  autres  non. 

Enquise  de  quelle  manière  ils  les  firent  faire,  si  c'estoit  de  toile 
ou  de  drap  de  laine  :  repart  que  c'estoit  de  satin  blanc  et  qu'il  y 
avoit  des  lys  blancs  en  quelques  uns  ;  et  qu'elle  n'avoit  que  deux 
ou  trois  lances  en  sa  compagnie  ;  et  que  ses  compagnons  de  guerre 
faisoient  quelquefois  faire  des  panonceaux  semblables  aux  siens, 
et  cela  seulement  pour  recognoistre  et  discerner  leurs  gens  les  uns 
des  autres. 

On  lui  demanda  si  on  renouveloit  souvent  ces  panonceaux.  Res- 
pondit  qu'elle  ne  sçavoit,  et  que  les  lances  estant  rompues,  on  fai- 
sait de  nouveaux  panonceaux. 

Interrogée  si  elle  avoit  dit  quelquefois  (^ue  les  panonceaux  faicts 
à  la  ressemblance  des  siens  estoient  bien  fortunez,  recognoist  avoir 
dit  quelquefois  :  Entrez  hardiment  par  le  milieu  des  Anglais,  et 
qu'elle-mesme  y  entroit. 

Enquise  si  elle  leur  dit  qu'ils  portassent  hardiment  ses  panon- 
ceaux et  qu'ils  seroient  bien  fortunez  :  avoue  leur  avoir  dit  ce 
qu'estoit  arrivé  et  arrivera  encore. 

Interrogée  si  elle  mettoit  ou  faisoit  mettre  de  l'eau  bénite  sur 
ses  panonceaux,  quand  elle  les  prenoit  de  nouveau  :  respond 
qu'elle  ne  sçait  rien  de  cela,  et  que  s'il  a  esté  faict,  ce  n'a  pas  esté 
par  son  commandement. 

Enquise  si  elle  les  avait  veus  asperger  d'eau  bénite  :  repaie  que 
ce  nest  pas  de  leur  procez.  Et  si  je  l'ay  veu  faire  ou  estre  faict,  je 
ne  suis  à  présent  conseillé  de  vous  respondre. 

On  lui  demanda  si  ses  compagnons  de  guerre  faisaient  mettre 
en  leurs  panonceaux  ces  noms  Jésus  Mahia.  Dit  par  sa  foy  qu'elle 
n'en  sçait  rien. 

Enquise  si  elle  avoit  porté  ou  faict  porter  de  la  toile  en  procès- 
cession  à  l'entour  de  l'autel  ou  de  l'Eglise  pour  en  faire  des  panon- 
ceaux :  respond  que  non  et  qu'elle  n'a  jamais  veu  faire  cela. 

Interrogée,  quand  elle  fut  devant  Jargeau,  ce  qu'elle  portoit 
derrière  son  casque,  s'il  n'y  avait  pas  quelque  chose  de  rond  :  dit 
par  sa  foy  qu'elle  n'en  sçait  rien. 

De  frère  Richard. 

Enquise  si  elle  avoit  autrefois  connu  frère  Richard  :  confesse, 


DE  COMPIEGXE  A  RÛUEX.  —  LE  PROCÈS  287 

auparayant  qu'elle  fust  venue  devant  la  ville  de  ïroyes,  ne  l'avoir 
jamais  veu. 

Interrogée  quel  visage  il  lui  fit  :  respond  qu'elle  estime  que  ceux 
de  Trojes  l'envovérent  vers  elle,  doubtans  si  elle  estoit  envoiée  de 
la  part  de  Dieu  ;  et  que  frère  Richard  approchant  d'elle  faisoit  le 
signe  de  la  croix  et  jetoit  de  l'eau  bénite,  et  qu'alors  elle  qui  parle 
lui  dit  :  Approchez  hardiment,  je  ne  m'envolerai  pas. 

[Des  portraits  de  la  Pucelle.  de  la  vénération  dont  elle 
était  1  objet.  —  Encore  de  frère  Richard. 

On  lui  demande  si  elle  a  veu  faire  ou  faict  faire  quelques  images 
ou  peintures  à  sa  semblance.  Kecognoist  que,  estant  à  Arras,  elle  a 
veu  un  portrait  que  tenoit  un  certain  Escossois  faict  à  sa  semblance 
et  qui  la  présentoit  tout  armée,  présentant  des  lettres  à  son  Roy, 
un  genou  en  terre  :  et  asseura  n'avoir  jamais  veu  ni  faict  faire 
autre  image  à  sa  semblance. 

Enquise  si  en  la  maison  de  son  hoste  d'Orléans,  il  y  avoit  un 
tableau  auiiuel  estoient  peintes  trois  femmes  avec  cette  inscrip- 
tion :  justice,  paix,  union  :  respond  ne  sçavoir  rien  de  cela. 

Interrogée  si  elle  srait  bien  que  ceux  de  son  parti  ont  faict  faire 
services,  dire  messes  et  prières  à  son  honneur  :  repart  qu'elle  n'en 
sçoit  rien;  que  si  cela  s'est  faict,  ce  n'est  pas  selon  son  comman- 
dement :  toutes  fois,  s'ils  ont  prié  Dieu  pour  elle,  il  lui  semble 
qu'ils  n'ont  point  mal  faict. 

On  s'enquiert  si  ceux  de  son  parti  croient  fermement  qu'elle  soit 
envoiée  de  Dieu.  Réplique  n'en  sçavoir  rien  et  qu'elle  s'en  rapporte 
à  leur  conscience  :  que  si  ne  le  croient,  elle  ne  laisse  pourtant  [pas] 
d'estre  enviée  de  Dieu. 

Interrogée  si  ceux  qui  croient  qu'elle,  est  envoiée  de  Dieu  ont 
une  bonne  créance  ;  dit,  s'ils  croient  qu'elle  soit  envoiée  de  Dieu, 
qu'ils  ne  sont  pas  abusez  en  cela. 

Demandent  si  elle  cognoissoit  l'intention  de  ceux  de  son  parti, 
quand  ils  lui  baisoient  les  pieds,  les  mains  et  ses  vestcments. 
Repart  que  plusieurs  la  voioient  volontiers  et  qu'ils  lui  baisoient 
des  mains  le  moins  qu'elle  pouvoit  :  que  les  pauvres  venoient  libre- 
ment à  elle  parce  quelle  ne  leur  faisoit  jamais  desplaisir,  mais  au 
contraire  les  aydoit  et  supportoit. 

S'enquièrent  quelle  révérence  ceux  de  Troyes  lui  avoient  faicte 
à  l'entrée  de  leur  ville.  Respond  qu'ils  ne  lui  en  ont  faict  aucune. 
Dit  en  outre  qu'elle  estime  que  frère  Richard  entra  avec  elle  et 
avec  ses  gens  dans  la  ville  de  Troyes,  mais  ne  sçait  pas  si  la  vist  à 
cette  entrée. 

On  lui  demande  si  frère  Richard  fit  un  sermon  quand  elle  entra 
à  ïroyes.  Maintient  n'y  avoir  pas  demouré  longtemps,  et  mesme 
qu'elle  n'y  coucha  point,  et  qu'elle  ne  sçait  rien  de  ce  sermon. 


288  E.    RICHER.    —    LA    PUCELLE    D  ORLEANS 

Interrogée  si  elle  a  esté  plusieurs  fois  en  la  ville  de  Rheims  : 
respond  qu'elle  et  les  siens,  comme  elle  pense,  y  ont  séjourné  cinq 
ou  six  jours. 

Enquise  si  elle  y  a  tenu  quelque  enfant  sur  les  saints  fonts  : 
recognoist  qu'en  la  ville  de  Troyes  elle  en  a  tenu  un,  mais  ne  se 
souvient  pas  den  avoir  tenu  â  Rheims  ou  à  Chasteau-Thierry  : 
bien  avoue-t-elle,  en  avoir  tenu  à  Saint-Denis  en  France  ;  et 
qu'aux  masles  elle  leur  donnait  volontiers  le  nom  de  Charles  en 
rhonneur  de  son  Roy,  et  aux  filles  le  nom  de  Jeanne;  que  quel- 
quefois elle  leur  imposoit  tel  nom  qui  plaisoit  aux  mères. 

On  lui  demande  si  les  femmes  de  la  ville  de  Rheims  faisoient 
toucher  leurs  anneaux  à  l'anneau  qu'elle  portoit  en  son  doigt. 
Recognoist  que  plusieurs  femmes  avoient  touché  ses  mains  et 
anneaux,  mais  qu'elle  ne  sçait  à  quelle  intention,  ne  cognoissant 
[pas]  leur  ame. 

Interrogée  quels  sont  ceux  de  son  parli  qui  ont  pris  des  papillons 
sur  son  estandart  devant  Chasleau-Thierry  :  maintient  que  cela 
n'a  jamais  esté  faict  par  ceux  de  son  parli,  mais  inventé  par  les 
Bourguignons  et  Anglais. 

On  lui  demande  ce  quelle  a  faict  des  gants  es  quels  son  Roy  fut 
consacré.  Repart  quïl  fut  lors  distribué  une  livrée  de  gants  aux 
seigneurs  et  gens  d'armes  qui  esloient  présents  au  sacre  du  Roy  ; 
et  qu'un  certain  y  perdit  ses  gants  ;  et  n'a  jamois  dit  qu'elle  les 
feroit  retrouver.  Adjousta  que  son  estandart  fut  porté  à  l'église  de 
Rheims;  et  lui  semble  qu'il  esloit  fort  proche  de  l'autel,  quand 
son  Roy  fut  consacré,  et  qu'elle-mesme  le  tint  quelque  temps,  et  ne 
sçait  point  si  frère  Richard  l'auroit  aussi  tenu. 

Enquise  si  allant  par  pais  et  estant  aux  bonnes  villes,  elle  recep- 
vait  souvent  le  saint  sacrement  de  pénitence  et  d'Eucharistie  en 
habit  d'homme  :  confesse  que  oui,  mais  qu'elle  ne  se  souvient  [pas] 
l'avoir  receu  ayant  ses  armes. 

Requise  quand  ce  fut  qu'elle  prit  la  haquenée  de  l'Evesque  de 
Senlis  :  respond  qu'elle  fust  achetée  deux  cens  salus  et  ne  sçait  pas 
s'il  les  a  receus  ou  non  :  toutes  fois  qu'il  en  a  esté  assigné  ou  payé. 
Elle  qui  parle  rcscrivit  audit  Evesque  qu'il  auroit  son  cheval  s'il 
vouloit,  et  que  pour  son  regard  elle  ne  s'en  pouvoit  servir,  attendu 
qu'il  ne  valoil  rien  pour  porter  la  fatigue. 

[De  l'enfant  de  Lagny] 

Interrogée  quel  âge  avoit  l'enfant  qu'elle  avoit  ressuscité  à 
Lagny  :  dépose  que  cet  enfant  avoit  trois  jours,  et  fut  apporté 
à  l'église  de  Lagny  devant  l'image  de  la  Vierge;  et  qu'ayant  eu 
advis  que  les  jeunes  filles  de  Lagny  esloient  en  prières  devant 
ladite  image,  et  requise  d'aller  prier  Dieu  et  la  Vierge  qu'il  leur 
pleust  donner  la  vie  à  cet  enfant,  qu'elle  y  alla  et  pria  avec  les 


DE    COMPIÈGN'E    A    ROUEN.    —    LE    PROCÈS  289 

autres  filles  :  et  finalement  on  apperceut  que  cet  enfant  avoit 
recouvré  la  vie,  avant  baillé  par  trois  fois;  et  fut  baptisé,  et  un 
peu  après  mourut,  et  fut  inhumé  en  terre  sainte.  Et  y  avoit  trois 
jours  entiers,  ainsi  qu'on  disoit,  durant  lesquels  il  n'avoit  apparu 
en  icelui  aucun  signe  de  vie,  esloit  aussi  noir  que  l'habit  qu'elle 
porte.  Et  quand  il  bailla,  la  couleur  lui  commença  à  revenir  :  et 
qu'alors  estant  à  genoux,  elle  prioit  Dieu  avec  toutes  les  autres 
filles  devant  l'image  de  la  Vierge. 

On  lui  demande  si  lors  on  publia  à  Lagny  qu'elle  avoit  fait  ce 
miracle  et  que  cela  avoit  esté  fait  à  sa  prière.  Réplique  ne  s'eslre 
point  encherchée  [occupée]  de  cela. 


[De  Catherine  de   La  Rochellej. 

Enquise  si  elle  avoit  veu  Catherine  de  La  Rochelle  :  dit  qu'à 
Jargeau  et  à,  Monlfaucon  en  Berry,  elle  lui  avoit  dit  qu'une  cer- 
taine Dame  blanche,  couverte  d'une  robe  d'or,  venoit  toutes  les 
nuils  à  elle,  lui  disant  quelle  allast  par  toutes  les  bonnes  villes  du 
royaume,  que  son  Roy  lui  donneroit  des  hérauts  et  lrom[)etles 
pour  faire  publier  que  tous  ceux  qui  avoient  do  l'or  ou  de  l'argent 
ou  quelque  trésor  caché,  l'appoi-Lassent  incontinent;  et  que  s'ils  y 
manquoient,  cette  Catherine  cognoistroit  bien  et  sçauroit  bien 
trouver  leurs  trésors,  et  que  ce  seroit  pour  payer  les  gens  d'armes 
d'elle  qui  parle  [de  la  Pucelle]. 

Ce  qu'ayant  entendu,  elle  [Jeanne]  conseilla  à  celle  Catherine  de 
retourner  à  son  mari,  de  s'emploier  à  son  mcsnage  et  nourrir  ses 
enfants.  Que  pour  cognoistre  au  vray  si  ce  que  celte  femme  disoit 
esloit  véritable,  elle  qui  parle  voulut  sravoir  de  saintes  Catherine 
et  Marguerite  ce  qui  en  esloit;  et  l'asseurèrent  que  tout  cela  esloit 
une  sottise  el  badinerie  :  de  quoy  elle  donna  advis  à  son  Roy. 
Toutes  fois,  que  frère  Richard  fut  d'advis  qu'on  emploiast  celle 
Catherine  :  à  raison  de  quoy  frère  Richard  et  Catherine  furent  mal 
contents  d'elle  qui  parle. 

Interrogée  si  elle  avoit  conféré  avec  cette  femme  nommée  Cathe- 
rine du  siège  de  La  Charilé-sur-Loire  :  respond  que  ladite  Cathe- 
rine ne  lui  conseilloit  pas  d'y  aller  parce  qu'il  faisoit  un  trop  grand 
froid.  Adjousta  que,  cette  femme  voulant  aller  au  duc  de  Bour- 
gogne pour  faire  la  paix,  elle  qui  parle  lui  auroit  remonstré  qu'il 
lui  sembloit  que  l'on  ne  trouveroit  point  de  paix  qu'au  bout  de  la 
lance. 

Item,  que  pour  sçavoir  si  cette  Catherine  disoit  vérité  touchant 
cette  Dame  blanche  qui  la  visitoil  toutes  les  nuils,  elle  voulut  cou- 
cher avec  elle.  Et  veilla  jusques  à  minuit,  et  ne  vit  aucune  chose, 
et  s'endormit  jusques  au  matin.  Et  ayant  demandé  à  celle  Cathe- 
rine si  cette  Dame  l'estoit  venuî  visiter,  responditque  oui  ;  cepen- 


290  E,    RICHER.    —    LA    PUCELLE    d'oRLÉANS 

dant  qu'elle  qui  parle  dormoit,  disant  qu'elle  ne  l'avoit  pas  esveil- 
lée.  A  raison  de  quoy,  elle  qui  parle  voulut  dormir  dejour,  afin  de 
pouvoir  veiller  toute  la  nuit  suivante  ;  qu'elle  alla  coucher  avec 
cette  Catherine,  et  ayant  veillé  toute  la  nuit  ne  vit  rien,  encore 
que  souventes  fois  elle  demandast  à  cette  Catherine  si  la  Dame 
blanche  venoit  ou  non  :  laquelle  respondoit  que  oui. 


[Du  siège  de  La  Charité  et  du  «  saut  »  de  Beaurevoir]. 

Interrogée  ce  qu'elle  a  fait  aux  fossez  de  la  ville  de  La  Cha- 
rité :  recognoist  y  avoir  fait  donner  un  assaut,  mais  qu'elle  n'y  a 
point  jeté  ni  fait  jeter  d'eau  bénite  pour  estre  aspergée. 

S'enquièrent  pourquoy  elle  n'a  pas  entré  dans  La  Charité,  veu 
qu'elle  avoit  un  commandement  de  Dieu,  respond  :  Qui  vous  a  dit 
que  j'avois  un  commandement  de  Dieu  ? 

On  lui  demanda  si  elle  avoit  eu  conseil  de  ses  voix  d'y  aller  : 
repart  qu'elle  vouloit  venir  en  France,  mais  que  les  gens  de  guerre 
lui  dirent  qu'il  estoit  meilleur  d'aller  premièrement  au  siège  de  La 
Charité. 

Enquise  si  elle  avoit  esté  longtemps  en  la  tour  de  Beaurevoir  : 
confessa  y  avoir  esté  environ  quatre  mois  :  et  sçachant  que  les 
Anglois  venoient  la  quérir,  elle  fut  bien  faschée.  Que  ses  voix  lui 
avoient  souvent  deffendu  de  sauter  de  cette  tour,  et  finalement, 
pour  la  crainte  quelle  avoit  d'eux,  elle  sauta,  se  recommandant  à 
Dieu  et  à  la  Bienheureuse  Vierge  Marie,  et  fut  blessée  de  ce  saut. 
Et  ayant  ainsi  sauté,  la  voix  de  sainte  Catherine  lui  dit  qu'elle  fist 
bon  visage,  que  ceux  de  Compiègne  auroient  du  secours;  et 
qu'avec  son  conseil  elle  prioit  incessamment  Dieu  pour  ceux  de 
Compiègne. 

On  lui  demanda  ce  qu'elle  avoit  dit  après  qu'elle  eut  sauté. 
Respond  qu'aucuns  disoient  qu'elle  estoit  morte;  et  après  que  les 
Bourguignons  eurent  recognu  qu'elle  estoit  vivante,  ils  lui  dirent 
qu'elle  avoit  sauté. 

Enquise  si  elle  avoit  lors  dit  qu'elle  aymeroit  mieux  mourir  que 
de  tomber  entre  les  mains  des  Anglois  :  recognoist  avoir  dit 
qu'elle  aymeroit  mieux  rendre  son  ame  à  Dieu  que  d'estre  entre 
les  mains  des  Anglois. 

On  lui  demande  si  lors  elle  ne  fut  pas  bien  courroucée,  et  si  elle 
avoit  blasphémé  le  nom  de  Dieu.  Respond  n'avoir  onques  maudit 
ni  saint,  ni  sainte,  et  qu'elle  n'a  jamais  accoustumé  de  jurer. 

Interrogée  sur  le  fait  de  la  ville  de  Soissons  et  du  gouverneur 
d'icelle  qui  l'avoit  rendue,  à  sçavoir  si  elle  avoit  renié  Dieu,  disant 
que  si  elle  le  tenoit,  elle  le  feroit  mettre  en  quatre  quartiers  :  dé- 
clare n'avoir  jamais  renié  Dieu  ou  saint  ou  saintes,  et  que  ceux 
qui  avoient  rapporté  cela  avoient  mal  entendu. 


DE  COMPIÈGNE  A  ROUEN.  LE  PROCÈS  291 

Lesquels  interrogatoires  faits,  l'Evesque  finit  cette  séance 
et  ordonna  que  tous  les  conseillers  qui  assistoient  à  ce 
procez  eussent  à  revoir  diligemment  tous  les  susdits  inter- 
rogatoires, afin  que  chacun  d'eux  avisast  à  ce  qu'il  seroitbon 
de  faire,  et  quelles  inductions  l'on  en  pourroit  coUiger  pour 
l'interroger  plus  amplement  sur  les  matières  et  circonstances 
esquelles  elle  n'avoit  esté  pleinement  interrogée.  Et  ce  par 
aucuns  qu'ils  députeroit  à  cet  effect,  afin  de  ne  [point  faire] 
travailler  toute  la  compagnie  à  ces  interrogatoires,  etc. 

.'Vu  reste,  fait  deffense  expresse  à  tous  lesdits  conseillers 
de  sortir  de  la  ville  de  Rouen  sans  son  congé,  auparavant 
que  ledit  procez  soit  fait  et  parfait. 

Et  à  faire  lesdites  inductions,  on  emploia  une.  sepmaine 
entière.  Ce  qui  fait  cognoistre  que  la  Pucelle  n'a  pas  esté 
espargnée  et  (lu'elle  avoit  bien  besoin  du  secours  du  ciel. 

ADVERTISSEMENT  SUR  LA  SIXIESME  SÉANCE 

En  tout  ce  procez,  l'iniquité  de  l'Evesque  de  Beauvais 
paraist  ;  et  au  commencement  de  cette  séance,  il  fait  dire 
faussement  à  la  Pucelle  qu'elle  avoit  déposé  que  saint  Mi- 
chel avoit  des  ailes  et  n'avoit  encore  parlé  des  corps  et 
membres  des  saintes  Catherine  et  Marguerite,  qui  est  une 
invention  pour,  la  séduire.  Car,  premièrement,  il  est  faux 
qu'elle  aye  dit  aux  précédentes  séances,  que  saint  Michel 
avoit  des  ailes,  et  n'a  jamais  parlé  que  de  leurs  faces  et 
figures,  ainsi  que  nous  avons  desjà  observé.  Cet  avant-pro- 
pos de  l'Evesque  de  Beauvais  n'a  d'autre  fin  que  d'embar- 
rasser la  Pucelle  en  la  question  des  corps  et  membres  des 
anges.  Car  il  lui  demande  incontinent  si  elle  veoit  que 
saint  Michel  et  saint  Gabriel  ayent  des  chefs  naturels.  Elle 
respond  les  avoir  veus  de  ses  yeux,  et  entend  saint  Michel 
et  saint  Gabriel,  et  ne  parle  point  du  corps  ni  des  membres. 
Ils  lui  demandent  si  elle  croit  que  Dieu  les  aye  créez  en  la 
forme  et  manière  qu'elle  les  a  veus.  Respond  que  oui.  En- 
quise  si  elle  croit  que  Dieu  les  aye  ainsi  créez  dès  le  com- 
mencement, leur  dit  que  pour  le  présent  ils  n'auront  d'autre 
response  d'elle. 


292  E.    RICHER.    LA    riXELLE    D  ORLEANS 

Voici  un  autre  malicieux  interrogatoire  qui  tend  à  l'accu- 
ser de  s'estre  voulu  faire  adorer,  imposant  qu'elle  a  souffert 
qu'on  lui  baisast  les  pieds,  les  mains  et  ses  vestements,  et 
que  maintenant  on  célèbre  des  messes  en  son  honneur,  etc. 
Mais  à  tout  cela  respond  si  à  propos,  que  ses  juges  en 
demeurent  confus.  Examinez  les  interrogatoires  et  les  res- 
ponses,  et  vous  aurez  subject  de  vous  esbahir  de  l'impu- 
dence du  Promoteur  et  de  ceux  qui  ont  dressé  les  douze 
articles  contre  la  Pucelle,  ayant  pris  l'interrogatoire  pour  la 
response  et  l'affirmative  pour  la  négative. 

Davantage  :  ils  la  blasment  comme  ennemie  de  la  paix, 
pour  avoir  dit  qu'on  ne  l'auroit  avec  le  Bourguignon  que 
par  le  bout  de  la  lance,  c'est-à-dire  qu'il  ne  quitteroit  jamais 
le  parti  anglais  que  par  la  grande  prospérité  des  armes  du 
Roy,  ainsi  que  nous  avons  remarqué  au  premier  livre.  Cha- 
cun ne  peut-il  pas  parler  de  ce  qu'il  cognoist,  comme  faisoit 
la  Pucelle?  et  l'événement  a  montré  qu'elle  prophétisoit. 

Au  parsus  [surplus],  le  prétexte  que  prend  l'Evesque  de 
Beauvais  de  faire  reveoir  les  interrogatoires  et  responses  de 
la  Pucelle  pour  en  tirer  des  inductions,  et  la  faire  interroger 
tout  de  nouveau  par  certaines  personnes  affidées  qu'il  dépu- 
tera, afin  de  ne  [pas  faire]  travailler  toute  la  compagnie,  etc., 
est  inique  et  frauduleuse,  et  n'a  d'autre  fin  que  pour  dresser 
les  douze  prétendus  articles  faux  et  calomnieux  sur  lesquels 
est  intervenue  la  censure  de  l'Université  de  Paris,  dont  il 
sera  parlé  en  la  quatriesme  partie  de  ce  procez. 

SÉANCE  YII^ 
[Premier  interrogatoire  dans  la  prison] 
Le  samedi,  dixiesme  mars   1430,  l'Evesque  en  continuant 

1.  De  la  séance  septième  jusqu'à  la  quinzième,  les  interrogatoires  de 
la  Pucelle  ne  furent  plus  publics.  Ils  eurent  lieu  dans  sa  prison,  en 
présence  de  l'Kvesqu^  de  Beauvais,  président,  de  deux  docteurs  de 
Paris,  à  titre  d'assesseurs,  et  de  deux  ou  trois  autres  témoins.  A  partir 
du  13  mars,  frère  Isambard  de  la  Pierre,  dominicain,  fut  un  de  ces 
témoins.  Ce  même  jour  13  mars,  le  vice  inquisiteur  Jean  Lemaître 
s'adjoignit  à  l'Evesque.  Il  y  eut  parfois  deux  séances  par  jour,  souvent 
très  longues  et  très  fatigantes. 


DE  COMPIÈGNE  A  ROUEN.  LE  PUOGÈS  203 

exige  le  serment  de  la  Piicelle  qu'elle  dira  la  vérité  des 
choses  dont  elle  sera  interrogée.  Elle  respond  et  promet  de 
[la]  dire  de  ce  qui  appartiendra  au  procez.  Et  d'autant  plus 
qu'on  la  contraingnoit  de  jurer,  d'autant  plus  relardoit-elle 
à  faire  leur  volonté. 


[De  la  sortie   de  Compiègne]. 

Donc,  IM"  .Jean  de  la  Fontaine  '  lui  demanda  qnand  la  dernière 
fois  elle  alla  à  Gompiegne,  d'où  elle  esloit  partie.  Uépliqua  :  de 
Crépj-en-Valois. 

Demandent  si  elle  fut  longtemps  à  Compiègne,  devant  que  de 
faire  sa  sortie.  Uepart  qu'elle  estoit  venue  la  matinée  bien  secrète- 
ment, et  qu'elle  y  entra  sans  que  l'ennemi  en  sceust  rien,  ainsi 
qu'elle  pense  ;  et  que,  ce  mesme  jour,  sur  le  soir  fit  une  sortie  en 
laquelle  elle  fut  prise. 

Enquise  si,  faisant  sa  sortie,  on  sonna  les  cloches  :  dit  que  si 
elles  avoient  esté  sonnées,  c'estoit  à  son  desçeu,  et  n'avoir  point 
pensé  a  cela,  et  ne  se  souvenir  avoir  dit  qu'on  sonnast. 

Interrogée  si  elle  avoit  fait  cette  sortie  du  commandement  de 
ses  voix  :  respond  que  la  sepmaine  de  Pasques  dernières,  estant 
sur  le  fossé  de  la  ville  de  Melun,  ses  voix  lui  révélèrent  qu'elle 
sei-oit  prisonnière  auparavant  la  feste  de  saint  .lean-Bapliste  ; 
qu'il  falloit  que  celaarrivast  ainsi  et  qu'elle  ne  s'en  debvoit  eston- 
ner,  mais  prendre  le  tout  en  gré,  et  que  Dieu  lui  ayderoit. 

En(jtùse  si,  depuis  Melun,  cela  lui  avoit  encore  esté  révélé  par 
ses  voix  :  asseure  que  oui,  souventes  fois  et  presque  chacun  jour  : 
et  qu'elle  avoit  demandé  à  ses  voix  qu'incontinent  qu'elle  seroit 
prisonnière,  elle  mourust  sans  estre  longtemps  tourmentée  en  pri- 
son. Et  lui  avoient  respondu  qu'elle  supportast  cela  de  bon  cœur, 
qu'il  falloit  que  cela  arrivast  ainsi  ;  mais  qu'elles  ne  lui  ont 
jamais  dit  l'heure  :  que  si  elle  l'eust  sceu,  elle  n'eust  pas  fait 
cette  sortie.  Dit  qu'elle  les  avoit  maintes  fois  requises  de  lui 
déclarer  l'heure  de  sa  prise,  mais  qu'elles  ne  lui  en  ont  rien  fait 
sçavoir. 

Interrogée  si  ses  voix  lui  eussent  commandé  de  sortir  de  Com- 
piègne et  déclaré  qu'elle  debvoit  estre  prise,  si  elle  eust  fait  cette 
sortie  :  confessa  que  si  elle  eust  sceu  l'heure  qu'elle  debvoit  estre 
prise,  qu'elle  n'y  fust  allée  librement  [volontiers]  ;  et  toutes  fois 
qu'elle  eust  obéi  à  ses  voix,  quoy  qui  lui  en  deust  arriver. 

Enquise  si  faisant  cette  sortie  de  Compiègne.  elle  avoit  révélation 

1.  Ce  n'est  plus  le  docteur  Jean  Bcaupère  que  l'Evcsque  chargea  d'in- 
terroger Jeanne  en  ces  neuf  séances  de  la  prison,  mais  Jean  de  la 
Fontaine,  l'onicier  du  tribunal  préposé  à  l'examen  des  témoins. 


294  E.    RICHER.    —    LA    PUCELLE    d'oRLÉAXS 

de  pouvoir 'faire  sa  retraite  ^  :  respond  que  ce  jour-là  elle  n'a  rien 
seau  de  sa  prise  et  n'a  eu  aussi  commandement  de  faire  cette 
sortie  ;  mais  bien  lui  avoit-il  esté  dit  qu-'il  falloit  qu'elle  fut  pri- 
sonnière. 

On  lui  demande  si,  faisant  cette  sortie,  elle  passa  par  le  pont 
de  Compiègne. 

Dit  avoir  passé  par  le  pont  et  par  le  boulevard,  et  qu'avec 
sa  compagnie  alla  charger  les  gens  de  Monsieur  de  Luxem- 
bourg, lesquels  elle  repoussa  par  deux  fois  jusques  en  leur  camp  et 
au  logis  des  Bourguignons,  et  la  troisiesme  jusques  au  milieu  du 
chemin  ;  et  qu'alors  les  Anglois  qui  estoient  à  ce  siège  lui  coupè- 
l'ent  chemin  et  à  ses  gens  :  et  qu'en  se  retii'ant,  elle  fut  prise  aux 
champs  du  côté  de  Picardie  vis-à-vis  du  dit  boulevard  ;  et  entre  le 
lieu  où  elle  fut  prise  et  Compiègne,  il  y  avoit  la  rivière  entre  deux, 
et  le  boulevard  avec  le  fossé  -  ! 

[De  l'étendard  et  des  biens  de  la  PucelleJ. 

Demandent  si  en  son  estandart  il  y  avoit  un  monde  despeint  et 
deux  anges.  Respond  que  oui  et  qu'elle  n'en  a  jamais  eu  qu'un 
seul. 

Enquise  ce  que  vouloit  dire  ce  qu'elle  avoit  fait  peindre,  Dieu 
tenant  un  monde,  et  deux  anges  :  recognoist  que  saintes  Cathe- 
rine et  Marguerite  lui  ont  dit  qu'elle  pris  un  estendart  et  le  portast 
hardiment,  et  qu'elle  y  fist  peindre  le  Roy  du  ciel  ;  ce  qu'elle  avoit 
dit  à  son  Roi  malgré  elle  :  et  d'autre  signification  n'en  sçait 
point. 

Interrogée  si  elle  avoit  un  escu  et  des  armes  :  repart  n'en  avoir 
jamais  eu  :  mais  que  son  Roy  avoit  donné  à  ses  frères  des  armes 
à  sçavoir  un  escu  d'azur  auquel  il  y  avoit  deux  lis  d'or  et  une 
espée  au  milieu  ;  et  qu'en  cette  ville  de  Rouen,  un  certain  peintre 
avoit  peint  ses  armes,  lui  ayant  demandé  quelles  armes  elle  por- 
toit.  Adjouste  que  son  Roy  avoit  donné  à  ses  frères  cet  escu  sans 
qu'elle  l'eust  requis  et  sans  aucune  révélation. 

S'enquièrent,  quand  elle  fut  prise,  si  elle  avoit  un  coursier  ou 
une  haquenée.  Avoue  qu'elle  estoit  lors  montée  sur  un  demi- 
coursier.  Enquise  qui  lui  avoit  donné  ce  cheval  :  dit  que  c'estoit 
son  Roy  ou  ses  gens  qui  [le]  lui  ont  acheté  des  deniers  du  Roy  : 
outre  qu'elle  avoit  encore  plus  de  sept  trottiers. 

Interrogée  si  elle  a  eu  d'autres  richesses  de  son  Roy,  outre  les 
susdits  chevaux:  asseure  n'avoir  jamais  rien  demandé  à  son  Roy, 

1.  J.  Quiclierat  :  «.. .  si  elle  avait  eu  révélation  de  la  l'aire  et  d'exé- 
cuter sa  retraite  ».  Procès,  t.  I,  p.  IIG. 

2.  J.  Quicherat  :   «  et  il  n'y  avait  pas  autre  chose  ».  Op.  cit.,  p,  117. 


DE    COMPIEGXE    A    ROUEN.    LE    PROCÈS  295 

sinon  de  bonnes  armes,  de  bons  chevaux  et  de  l'argent  pour  payer 
ses  gens  et  ses  hostes. 

Enquise  si  elle  avoit  un  trésor  :  réplique  avoir  dix  ou  douze  mille 
francs  en  valeur,  mais  que  cela  n'estoit  pas  grand  trésor  pour 
mener  la  guerre  ;  au  contraire,  que  c'est  bien  peu  :  et  que  ses 
frères,  comme  elle  pense,  possèdent  aujourd'huj  cela,  et  que  tout 
cela  est  du  propre  argent  de  son  Roy. 

[Du  signe  donné  au  Roi  par  la  Puf.elle] . 

Interrogée  quel  signe  elle  donna  à  son  Roy,  arrivant  vers  lui  : 
respond  que  cela  est  bon  et  honorable  et  bien  croyable,  et  le  plus 
riche  qui  soit  au  monde. 

On  lui  demande  poui'quoy  elle  ne  le  veut  dire  et  monstrer,  veu 
qu'elle  a  bien  voulu  veoir  celui  de  Catherine  de  la  Rochelle.  Dit 
que  si  Catherine  de  La  Rochelle  eust  aussi  bien  montré  le  sien  en 
présence  de  gens  notables,  tant  d'Eglise  que  d'autres,  et  mesme 
d'Archevesques  et  Evesques.à  sçavoir  en  présence  de  l'Archevesque 
de  Rheims  et  autres  desquels  elle  ne  sçait  pas  les  noms,  comme  a 
esté  son  signe  d'elle  qui  parle,  qui  fut  veu  par  Charles  de  Bourbon 
le  seigneur  de  la  Trémouille,  le  duc  d'Alençon  et  autres  gens  de 
guerre  S  lesquels  ont  veu  le  signe  d'elle  qui  parle,  aussi  bien 
qu'elle-mesme  veoit  les  hommes  qui  lui  parlent  et  sont  assis 
devant  elle,  véritablement  elle  n'eust  [pas]  demandé  à  veoir  et  à 
cognoistre  le  signe  de  Catherine  de  La  Rochelle  :  d'ailleurs  que 
saintes  Catherine  et  Marguerite  lui  avoient  révélé  aujiaravant 
tout  ce  que  cette  Catherine  de  La  Rochelle  disoit,  n'estre  rien  du 
tout. 

On  lui  demande  si  le  signe  qu'elle  a  donné  au  Roy  est  en  estre 
et  dure  encore.  Asseure  qu'il  est  bon  de  le  sçavoir  et  durera 
jusques  à  mille  ans  et  au  delà.  Dit  que  ce  signe  est  au  trésor 
du  Roy. 

Enquise  si  c'est  de  l'or,  argent,  pierre  précieuse  ou  quelque  cou- 
ronne :  respond  qu'elle  ne  dira  rien  autre  chose  ;  et  qu'un  homme 
ne  pourroit  pas  décrire  un  joyau  si  précieux  et  riche  comme  est  ce 
signe-là.  Et  toutes  fois  le  signe  qu'il  vous  faudroit  est  que  Dieu  me 
délivrast  de  vos  mains  ;  c'est  là  le  signe  le  plus  certain  qu'il  vous 
pourroit  envoler.  Davantage,  dit  quand  elle  partit  pour  aller  trou- 
ver son  Roy,  que  ses  voix  lui  dirent  qu'elle  allast  hardiment, 
et  qu'estant  devant  lui  elle  auroit  un  bon  signe  pour  estre  bien 
receue  et  veue. 

On  lui  demande,  quand  ce  signe  arriva  à  son  Roy.  quelle  révé- 
rence elle  fit,  et  si  cestoit  de  la  part  de  Dieu  qu'il  vint.  Confesse 
avoir  remercié  Dieu  de  ce  qu'il  l'avoit  délivrée  de  la  peine  que  les 

1.  J.  Quicherat  :  «  chevahers  —  milites.  »  Op.  cit.,  p.  H9. 


296  E.     r.IClIER.    LA    PUCELLE    d'oRLÉAXS 

ecclésiastiques  qui  tenoient  ce  parti  prenoient  en  lui  contredisant, 
et  iléchit  plusieurs  fois  les  genoux.  Adjoute  qu'un  ange  de  la  part 
de  Dieu,  et  non  d'autre,  avoit  donné  le  signe  à  son  Roy,  et  qu'elle 
en  avoit  plusieurs  fois  rendu  grâces  à,  Nostre-Seigneur  :  et  que  les 
ecclésiastiques  cessèrent  de  la  reprendre  et  de  lui  contredire,  ayans 
cognu  ce  signe. 

Enquise  si  les  ecclésiastiques  de  ce  parti-là  ont  veu  ce  signe  :  dit 
que  son  Uoy  et  ceux  qui  estoient  avec  lui  ayans  veu  ce  signe  et 
l'ange  qui  [le]  lui  donna,  elle  demanda  à  son  Roy  s'il  estoit  content  : 
lequel  respondit  que  oui.  Et  qu'alors  elle  se  retira  et  alla  en  une 
chapelle  assez  proche  :  et  entendit  dire  qu'estant  partie,  plus  de 
trois  cens  personnes  virent  ce  signe  ;  outre  plus,  que  Dieu  permist, 
afin  qu'on  cessast  de  l'interroger,  que  ceux  de  son  parti  qui  avoient 
veu  ce  signe,  vissent  pareillement  l'ange. 

On  lui  demande  si  son  Roy  et  elle-mesme  firent  quelque  révé- 
rence à  l'ange  quand  il  apporta  ce  signe.  Uespond  qu'elle  fit  la 
révérence  et  Iléchit  les  genoux  et  découvrit  sa  teste. 

ADVERTISSEMENÏ 

Ils  interrogent  la  Pacelle  si  elle  avoit  un  escu  et  des  armes, 
et  quels  biens  elle  possédoit,  pour  tirer  cela  en  crime.  Car 
ayant  respondu  que  le  Roy  avoit  donné  à  ses  frères  un 
escu,  etc.,  et  qu'elle  possédoit  environ  douze  mil  francs 
vaillants  —  ailleurs  elle  a  dit  douze  mil  escus,  et  pour  lors 
l'escu  d'or  ne  valoit  que  vingt-cinq  sols  tout  au  plus  —  et 
avoir  plusieurs  chevaux,  etc.  ;  que  l'argent  que  le  Roy  lui 
donnoit  estoit  pour  payer  ses  hostes,  etc.;  le  Promoteur 
prend  subject  de  la  comparer  aux  faux  prophètes  qui  fei- 
gnent estre  envolez  de  Dieu  et  prédire  les  choses  futures 
pour  attraper  de  l'argent  (article  quarante-huit)  ;  et  mesme 
lui  a  reproché  qu'elle  s'habilloit  dissolument,  et  avoir  esté 
prise  avec  une  huque  ^  de  toile  d'or  sur  ses  armes  toute 
ouverte,  c'est-à-dire  tailladée  de  tous  costés,  comme  sont 
aujourd'huy  les  pourpoints  d'esté  que  l'on  porte. 

Mais  la  response  à  tout  cela  est  que  le  Roy  avoit  donné  à  la 
Pucelle  tout  ce  qu'elle  portoit,  et,  lui  faisant  service,  vouloit 
qu'elle  fust  entretenue  honorablement  selon  la  qualité  du 
maistre  qu'elle  servoit  :  attendu  mesme  que  les  habillements 

\.  Cotte  huque  est  une  courte  cosaque  que  l'on  met  sur  les  armes. 
Uemarque  de  liicher]. 


DE  COMPIEGNE  A  ROUEN.  LE  PUOCÈS  297 

et  l'esclat  des  armes  donnent  terreur  aux  ennemis.  Et  veoit- 
on  des  peintures  du  Roy  Gtiarles  VII  armé,  avec  une  huque 
semblable  à  celle  de  la  Pucelle  que  le  Promoteur  décrit,  et 
possible  que  celle  que  portoit  lors  la  Pucelle  estoit  une  de 
celles  du  lloy. 

Au  reste,  cette  Catherine  de  La  Rochelle  dont  ils  font 
parade,  estoit  une  femme  hypocondriaque,  laquelle  ayant 
ouy  parler  de  la  Pucelle,  se  mit  à  courir  les  champs,  publiant 
qu'elle  feroit  trouver  des  trésors  pour  faire  la  guerre  aux 
Anglois.  Et  la  Pucelle  ayant  découvert  ses  impostures  parle 
moyen  de  ses  voix,  et  ne  la  voulant  pas  scandaliser  publique- 
ment, lui  conseilla  de  se  retirer  vers  son  mari  et  d'avoir  soin 
de  ses  enfants  et  de  son  mesnage.  A  raison  de  quoy  cette 
femme  rendit  tous  les  mauvais  offices  qu'elle  put  à  la  Pucelle, 
et  depuis  sa  prison,  s'achemina  à  Paris,  déclarant  à  l'official 
de  l'Evesque  de  Paris  que  si  on  ne  prenoit  bien  garde  à  la 
Pucelle,  elle  sortiroit  des  prisons  par  le  moyen  des  diables, 
ainsi  que  le  Promoteur  le]  lui  reprocha.  Quant  au  signe  que 
cette  fille  apporta  au  Roy,  duquel  il  est  parlé,  nous  en  traite- 
rons ci-après,  car  ils  l'ont  souvent  interrogée  sur  ce  signe. 

Mais  n'a-t-elle  pas  bonne  grâce  disant  que  le  plus  asseuré 
signe  que  Dieu  leur  pourroit  donner,  seroit  de  la  délivrer  de 
leurs  mains.  Et  toutes  fois  il  est  certain  qu'ils  eussent  attri- 
bué cela  à  sorcellerie  ;  car  les  miracles  n'opèrent  qu'à  l'en- 
droit de  ceux  que  Dieu  a  touchez.  Ses  ennemis  tousjours  les 
détorquent  et  attribuent  aux  malins  esprits,  ainsi  que  nous 
voyons  de  Moïse  et  de  Notre-Seigneur  mesme. 


SÉANCE   VIÏI 

[Deuxième  interrog.\.toire  d.vns  l\  prison] 

Le  lundi,  douziesme  mars  1430,  au  matin,  frère  Jean 
Magistri  de  l'ordre  des  Jacobins,  docteur  en  théologie, 
vicaire  de  frère  Jean  (jraverent  aussi  du  mesme  ordre.  Inqui- 
siteur général  par  toute  la  France,  ayant  plusieurs  fois  refusé 
d'assister  au  procez  de  la  Pucelle  comme  inquisiteur  —  atten- 


298  E.    RICIIER.    —    LA    PUCELLE    d'oRLÉANS 

du  que  sa  commission  ne  s'estendoit  qu'au  diocèse  de  Rouen, 
et  que  l'Evesque  de  Beauvais  procédoit  en  tant  qu'il  préten- 
doit  que  la  Pucelle  avoit  esté  prise  en  son  diocèse  de  Beau- 
vais —  tînalement  prend  cognoissance  dudit  procez,  après 
avoir  reçu  commission  et  pouvoir  de  frère  Jean  Gravèrent, 
lequel  avoit  esté  sommé  par  l'Evesque  de  Beauvais  de  se 
trouvera  la  confection  dudit  procez. 

Donc  conjoinctement  avec  ledit  Evesque,  [Jean  Magistri], 
commence  aujourd'liuy  à  procéder  contre  la  Pucelle,  laquelle 
ce  mesme  jour  est  derechef  requise  de  prester  le  serment 
qu'elle  dira  [la]  vérité.  Et  promet  selon  sa  coustume  dire 
vérité  de  tout  ce  qui  touche  leur  procez. 

Et  M"  Jean  de  La  Fontaine  continue  à  l'interroger  sur  ce  signe 
quelle  fit  veoir  au  Roy,  et  sur  l'ange  qui  lavoit  apporté,  lequel  dit 
au  Roy  qu'il  mist  la  Pucelle  en  besongne,  et  que  tout  le  pais  seroit 
incontinent  soulagé. 

[Des  visions  de  la  Pucelle.  —  De  l'affaire  de  Toul]. 

On  lui  demande  si  c'est  le  mesme  ange  qui  avoit  premièrement 
parlé ^  à  elle.  Respond  que  c'est  le  mesme  et  qu'il  ne  lui  a  onques 
manqué. 

Interrogée  si  en  ce  qu'elle  a  esté  prise,  cet  ange  lui  a  manqué  aux 
biens  de  fortune  :  dit  qu'elle  croit,  puisqu'il  a  ainsi  plu  à  Dieu, 
que  c'est  pour  le  mieux  qu'elle  aye  esté  prise. 

Demandent  si  cet  ange  lui  a  défailli  aux  biens  de  la  grâce. 
Réplique  :  Comment  se  poui"roit-il  faire  puisqu'il  me  conforte 
chacun  jour  ?  Et  dit  que  cette  consolation  estoit  par  l'entremise  de 
saintes  Catherine  et  Marguerite. 

On  s'enquiert  si  c'est  elle  qui  appelle  saintes  Catherine  et  Mar- 
guerite, ou  bien  si  elles  viennent  sans  estre  appelées.  Asseure 
qu'elles  viennent  souvent  sans  qu'elle  les  appelle  ;  et  que,  d'autres 
fois,  si  elles  ne  venoient  pas  inrontinent.  elle  prieroit  Dieu  de  les 
envoier  :  et  dit  n'avoir  jamais  eu  besoin  d'elles,  qu'elle  ne  les  aye 
eues  à  son  ayde. 

Enquise  si  jamais  saint  Denis  lui  est  apparu  :  respond,  non, 
quelle  sçache. 

On  lui  demande  si  elle  parloil  à  Dieu,  quand  elle  lui  promit  de 
garder  sa  virginité.  Repart  que  c'estoit  assez  de  promettre  cela  à 
ceux  qui  venoient  de  sa  part,  à  sçavoir  à  sainte  Catherine  et 
sainte  Marguerite. 

1.  J.  Quicherat  :  «  qui  lui  était  apparu.  »  Op.  cif.,  p.  lil&. 


DE  COMPIÈGXE  S    ROUEN.  —  LE  PROCÈS  299 

Interrogée  pourquoj  elle  fit  citer  un  certain  homme  à  Toul  pour 
cause  de  mariage  :  dit  ne  Favoir  point  fait  citer,  mais  que  c'est 
lui  qui  la  fit  citer,  et  qu'elle  avoit  juré  devant  le  juge  de  dire  la 
vérité.  Et  avoit  asseuré  n'avoir  onques  fait  aucune  promesse  à  cet 
homme. 

Confesse  la  première  fois  qu'elle  entendit  ses  voix,  avoir  voué  de 
garder  sa  virginité  autant  quil  plairoit  à  Dieu,  et  elle  navoit  que 
treize  ans  ^  :  que  ses  voix  Tasseurèrent  quelle  gagneroit  son  procez 
à  Toul. 

Enquise  si  elle  avoit  parlé  de  ses  visions  qu'elle  dit  avoir,  à  son 
curé  ou  à  quelque  autre  ecclésiastique  :  recognoist  que  non,  mais 
seulement  à  Robert  de  Baudricour  et  à  son  Roy.  Dit  que  ses  voix 
ne  l'ont  pas  empeschée  de  déclarer  cela,  mais  qu'elle  s'en  est 
abstenue,  craignant  que  les  Bourguignons  n'empeschassent  son 
voyage  ;  et  craignant  spécialement  que  son  père  ne  Tempeschast 
aussi. 

[Du  silence  de  Jeanne  à  l'égard  de  ses  parents]. 

Demandent  si  elle  pensoit  bien  faire  d'eslre  partie  sans  la  per- 
mission de  son  père  et  de  sa  mère  auxquels  on  doibt  rendre 
honneur.  Respond  leur  avoir  tousj ours  obéi  en  toutes  autres  choses, 
excepté  en  ce  cas  ici  ;  mais  qu'après  son  départ,  elle  leur  rescrivit  et 
lui  pardonnèrent. 

Enquise  si  se  retirant  d'avec  son  père  et  sa  mère,  elle  croit  avoir 
péché  :  maintient  que  Dieu  commandant  quelque  chose,  il  falloit 
faire  son  commandement,  et  que  lui  ayant  commandé  de  partir, 
si  elle  eust  eu  cent  pères  et  mères,  et  même  si  elle  eust  esté  fille  de 
Roy,  néantmoins  quelle  fust  partie. 

On  lui  demande  si  elle  avoit  demandé  à  ses  voix  si  elle  adver- 
tiroit  ses  parents  de  son  départ.  Confesse,  quand  est  de  son  père 
et  mère,  [que]  ses  voix  esloient  bien  contentes  qu'elle  [le]  leur 
déclarast,  et  qu'elles  se  rapportoient  à  elle  de  [le]  leur  dire  ou 
non  ;  mais  craignant  que  ses  parents  ne  lui  fissent  de  la  peine,  elle 
ne  leur  avoit  [pas|  fait  entendre  la  résolution  qu'elle  avoit  prise 
d'aller  trouver  le  Roy  de  France-. 

Enquise  si  elle  faisoit  la  révérence  à  saint  Michel  et  aux  ang'es, 
quand  elle  les  voyoit  :  dit  que  oui,  et  baisoit  la  terre  par  où  ils 
avoient  passé,  s'estant  retirez. 

Interrogée  si  ces  anges  estoient  longtemps  avec  elle  :  repart 
qu'ils  viennent  souvent  avec  les  chrestiens  et  qu'on  ne  les  veoit 
pas  ;  et  qu'elle  les  a  veus  souvent  entre  les  chrestiens. 

On  s'enquit  si  elle  avoit  eu  des  lettres  de  saint  Michel  ou  de  ses 

1.  .1.  Qulcherat  :  «  ou  environ.  »  Op,  cil.,  p.   128. 

2.  Voit-,  sur  ce  passage,  .1.  Quiclierat,  p.  129. 


300  E.    RICHER.    —    LA    PUCELLE    d'oRLÉANS 

voix.  Respond  n'avoir  licence  de  dii*e  cela  ;  que  d'ici  à  huit  jours, 
elle  leur  respondra  ce  qu'elle  sçaura . 

Demandent  si  ses  voix  l'ont  appelée  fdle  de  Dieu,  fille  de  l'Eglise, 
fdle  au  grand  cunw.  Réplique  qu'auparavant  la  levée  du  siège 
d'Orléans  et  depuis',  quand  elles  ont  parlé  à  elle,  souventes  fois 
l'ont  appelée  Jeanne  [la]  Pucelle,  fille  de  Dieu. 

Enquise  pourquoy  elle  ne  dit  librement  sa  patenostre,  puisqu'elle 
se  dit  Fille  de  Dieu  :  Confesse  qu'elle  la  diroit  volontiers,  et  qu'ayant 
refusé  ci-devant,  n'a  esté  pour  autre  cause  sinon  afin  que  Nous, 
évesque  de  Beauvais,  voulussions  l'entendre  en  confession. 


ADVERTISSEMENT 

L'Evesque  de  Beauvais  interroge  la  Pucelle  pourquoy  elle 
a  fait  citer  un  homme  en  cause  de  mariage.  Elle  respond  que 
c'est  lui  qui  la  fit  citer,  et  que  ses  voix  l'assurèrent  qu'elle 
gagneroit  son  procez,  etc.  Or,  de  cet  article  et  d'un  autre 
couché  en  la  seconde  séance,  oi^i  la  Pucelle  recognoist  s'estre 
retirée  à  Neufchastel  l'espace  de  quinze  jours  chez  une 
femme  nommée  la  Rousse,  le  Promoteur  a  tissu  une  puis- 
sante chicanerie,  disant  que  la  Rousse  logeoit  des  femmes  et 
toutes  autres  personnes  mal  renommées,  et  que  la  Pucelle  y 
estant  conversoit  avec  elles,  et  avoit  appris  à  se  gendarmer 
et  monter  à  cheval,  et  qu'un  jeune  homme  qui  lui  avoit  pro- 
mis mariage,  ayant  recognu  ses  desportements  et  sa  conver- 
sation avec  ces  femmes  mal  renommées,  n'auroit  plus  voulu 
d'elle.  A  raison  de  quoy  la  Pucelle  l'auroit  fait  citer  devant 
roiïicial  de  Toul,  etc.  [Propos]  qui  sont  autant  d'impostures 
presque  qu'il  y  a  de  paroles.  Car  premièrement  le  père  et  la 
mère  de  la  Pucelle  l'emmenèrent  à  Neufchastel  avec  eux  par 
crainte  des  gens  d'armes,  et  y  demeurèrent  environ  quinze 
jours,  et  logèrent  chez  la  Rousse  tous  ensemble  :  auquel  lieu 
un  jeune  homme  prit  en  affection  cette  fille,  espérant  l'es- 
pouser,  et  la  fit  citer  à  ces  fins,  ainsi  que  nous  avons  remar- 
qué au  premier  livre. 

Touchant  ce  qu'elle  n'a  [pas]  déclaré  ses  visions  à  son  curé, 
le  Promoteur  tire  cela  à  un  grand  crime  et  périlleuse  consé- 
quence, en  l'article  cinquante-cinq  des  conclusions  qu'il  a 

\.  J.  Quicherat  :  «  tous  les  jours...  ».  Op.  cIL,  p.  130. 


DE    COMPIEGXE    A    ROUEN.    —    LE    PROCÈS  30f 

prises  contre  cette  fille  :  disant  que  par  ce  moyen  toutes 
sortes  de  personnes  se  pourroient  eslever  et  faire  accroire  au 
peuple  qu'ils  auroient  des  révélations  pour  le  séduire  :  et  que 
c'est  chose  à  quoy  les  prélats  doibvent  bien  veiller,  et  punir 
la  Pucelle  ayant  par  ce  moyen  abusé  et  séduit  une  infinité  de 
personnes,  etc.  Mais  elle  satisfait  à  cette  objection  disant  que 
ses  voix  ne  lui  ont  pas  deiïendu  de  communiquer  ses  visions 
à  son  curé,  ni  de  demander  congé  à  ses  parents  :  toutes  fois, 
craignant  que  ses  père  et  mère  ou  les  Bourguignons  traver- 
sassent son  voyage,  qu'elle  n'avoit  [pas]  communiqué  aux 
ecclésiastiques  le  conseil  que  lui  donnoient  ses  voix  et  estoit 
parti  sans  le  congé  de  ses  parents.  Et  sur  ce,  faut  veoir  l'ad- 
vertissement  de  la  quatrième  séance  touchant  les  personnes 
exemptées  de  la  loy  commune  et  générale,  par  une  loy  parti- 
culière telle  que  sont  les  révélations. 

Et  en  outre  remarquez  que  cette  fille  ayant  des  révélations 
qui  concernoient  particulièrement  le  Uoy  de  France  et  son 
Estât,  elle  n'estoit  [pas'  obligée  de  les  divulguer  ni  commu- 
niquer aux  ennemis  de  sa  Majesté,  ains  seulement  au  Roy 
mesme  et  à  ses  plus  fidèles  subjects.  A  quoy  elle  a  pleinement 
satisfait  et  a  esté  suffisamment  examinée  par  les  prélats  et 
docteurs  françois,  lesquels  ne  cédoient  en  autorité  ni  suffi- 
sance à  ceux  du  parti  anglois.  Mais,  au  contraire,  l'Evesque 
de  Beauvais  estoit  obligé  de  déférer  à  xMessire  Renaut  de 
Chartres,  Archevesque  dcRheims,  son  métropolitain.  Certes, 
Judith  ayant  eu  révélation  de  tuer  Holopherne,  ne  debvoit 
pas  communiquer  son  dessein  à  ceux  de  l'armée  d'Holo- 
pherne.  Bricf,  pour  les  révélations  que  quelqu'un  dit  avoir, 
il  est  certain  que  c'est  aux  prélats  de  l'Eglise  d'en  faire  la 
preuve  et  l'examen.  Mais  au  cas  qu'elles  importent  à  aucun 
prince  et  que  son  Estât  soit  partialisé,  nous  maintenons  qu'il 
suffit  de  s'en  ouvrir  à  ceux  auxquelles  elles  importent  ;  et  au 
contraire  qu'elles  doibvent  estre  celées  aux  autres,  ainsi 
que  la  Pucelle  a  toujours  protesté  de  ne  point  révéler  les 
secrets  de  son  Roy. 

Quant  à  ce  que  cette  fille  faisoit  la  révérence  à  saint 
Michel  et  aux  saintes  qui  la  conseilloient,  baisoit  la  terre 
par  ou  ils  avoient  passé  après  s'estre  retirez,  etc.,  le  Promo- 


302  E.    RICHER.    —    LA    PUCELLE    D  ORLÉANS 

teiir  bastit  là-dessus  un  crime  capital,  disant  qu'elle  adoroit 
les  malins  esprits  et  les  consultoit,  articles  quarante  et  un  et 
quarante  deux  de  sa  production  :  [oej  qui  est  une  calom- 
nieuse imposture,  laquelle  suppose  pour  tout  avéré  ce  qu'il 
faut  prouver  et  qui  est  très  faux,  sçavoir,  que  les  révélations 
de  cette  fille  provenoient  du  malin  esprit  :  de  quoy  iln'appa- 
roist  aucune  présomption  valable  en  tout  le  procez. 

Au  demeurant,  les  théologiens  expliquant  ce  passage  de  la 
seconde  [EpitreJ  aux  Corinthiens,  chap.  onziesme  :«  Satan  se 
transforme  en  ange  de  lumière,  »  enseignent  que  si  quel- 
qu'un adoroit  un  démon,  pensant  adorer  un  bon  ange,  il  ne 
pécheroit  point  contre  ce  qui  est  de  la  foy  et  du  culte  de  la 
religion  ;  attendu  que  son  sens  corporel  seroit  trompé  et  des- 
ceu,  et  que  son  esprit  demeureroit  ferme  et  constant  en  ce 
qui  est  de  la  foy  :  mais  que  s'il  arrivoit  que  le  diable  lui  fit 
faire  quelque  acte  contraire  aux  vertus  théologales  et  à  l'es- 
sence [aux  préceptes]  de  la  religion  catholique,  alors  il  ne 
seroit  [pas]  exempt  de  péché.  Voyez  la  Glose  et  saint  Thomas 
en  la  seconde  delà  seconde,  question  dixiesme,  article  second, 
en  la  response  autroisiesme  argument.  Par  ainsi,  posé  que 
la  Pucelle  eust  fait  la  révérence  à  quelque  malin  esprit,  et 
baisé  la  terre  par  où  il  auroit  passé,  estimant  que  ce  fust  un 
bon  ange,  elle  ne  seroit  [pas]  pour  cela  coupable,  moyennant 
qu'elle  n'eust  adhéré  ou  trempé  en  aucun  mauvais  œuvre, 
péché  ou  induction  diabolique,  comme  elle  n'y  a  jamais 
adhéré  :  et  le  Promoteur  n'en  allègue  aucune  présomption 
valable. 

SÉANCE  IX 
[Troisième  interrogatoire  dans  la  prison] 

Le  mesme  jour  de  lundi,  douziesme  mars  1430,  après  midi,  par 
ordonnance  de  l'Evesque,  la  Pucelle  est  eucore  interrogée  par 
j\P  Jean  de  La  Fontaine. 

[Encore  de  Jeanne  et  de  ses  parents.  —  De  Ihabit  dhomme.] 

Et  premièrement  des  songes  qu'on  disoit  son  père  avoir  eus 
auparavant  qu'elle  partist  de  sa  maison.  A  quoy  elle  repart  sa 


DE    COMPIEGNE    A    ROUEN.    —    LE    PROCES  303 

mère  lui  avoir  plusieurs  fois  raconté  que  son  père  avoit  songé  que 
sa  fille  Jeanne  s'en  estoit  allée  avec  les  gens  darmes,  et  que,  pour 
celte  raison,  son  père  et  sa  mère  la  tenoient  bien  de  court  ;  et 
qu'elle  leur  obéissoit  en  toutes  choses,  excepté  au  procez  quelle 
avoit  eu  à  Toul  pour  cause  de  mariage,  l^t  asseura  avoir  ouj  dire 
à  sa  mère  que  son  père  disoit  à  ses  frères  :  Vrayment,  si  jepensois 
que  la  chose  que  je  crains  deust  arriver  à  ma  fllle,  je  voudrois  que 
vous  la  noyassiez,  et.  si  vous  ne  le  faisiez,  moy-mesme  lanoyerois  : 
et  que  son  père  et  sa  mère  perdirent  presque  le  sens  quand  elle  alla 
à  Vaucouleur. 

On  lui  demande  si  ces  cogitations  ou  songes  arrivèrent  à  son 
père,  depuis  qu'elle  eut  ses  visions.  Respond  que  oui,  plus  de  deux 
ans  après. 

Enquise  si  ce  fut  à  la  requeste  de  Robert  de  Baudricour,  ou  du 
propre  motif  d'elle,  ou  de  ses  voix,  qu'elle  prit  l'habit  d'homme  : 
avoue  quelle  prit  de  soy-mesme  cet  habit,  et  non  à  la  requeste 
daueun  homme,  et  que  tout  ce  qu'elle  a  fait  de  bien,  elle  en  a  eu 
commandement  exprés  de  ses  voix.  x\u  reste,  qu'elle  prendra 
conseil  pour  respondre  demain  touchant  cet  habit  dhomme. 

Interrogée  si  en  prenant  cet  habit  d'homme,  elle  croyoit  ne  pas 
faire  mal  :  dit  que  non,  et  que  si  elle  estoit  aujourd'huy  parmi 
ceux  de  son  parti  ',  il  lui  semble  que  ce  seroit  un  des  grands  biens 
de  la  France  de  continuer  à  faire  tout  ainsi  quelle  faisoit  auparavant 
sa  prise. 

[De  la  délivrance  du  duc  d'Orléans.] 

Enquise  comment  elle  eust  pu  délivrer  le  duc  d'Orléans  :  reco- 
gnoist  qu'elle  eust  pris  en  deçà  do  la  mer  plusieurs  Anglois  pour  le 
retirer  :  et  que  si  elle  n'en  eust  pris  assez,  elle  eust  passé  avec  une 
armée  en  Angleterre  pour  l'aller  quérir-. 

Interrogée  si  ses  voix  lui  avoient  dit  absolument  et  sans  condition 
qu'elle  prendroit  suffisamment  des  hommes  pour  retirer  le  duc 
d'Orléans  d'Angleterre,  ou  qu'elle  passeroit  la  mer  pour  l'aller 
quérir  :  respond  que  oui  et  qu'elle  en  advertit  son  Roy,  et  qu'il  lui 
laissast  la  disposition  des  seigneurs  d'Angleterre  prisonniers.  Que 
si  elle  eust  duré  trois  ans  sans  avoir  empeschement,  elle  eust 
délivré  le  duc  d'Orléans  ;  et  qu'il  y  avoit  bien  encore  un  terme 
plus  court  que  trois  ans,  mais  qu'elle  ne  s'en  souvient  [pas]  main- 
tenant. 

On  l'interroge  derechef  quel  signe  elle  avoit  donné  à  son  Roy. 
Respond  qu'elle  leur  dira  après  s'estre  conseillée  à  sainte 
Catherine. 

Et  l'interrogatoire  est  remis  au  lendemain. 

1.  «  ...  en  habit  d'homme.  »  Procès,  t.  I,  p.  133. 

2.  «  ...  en  puissance.  »  Ibid. 


304  E.    RICHER.    LA    PUCELLE    D  ORLEANS 


ADVERTISSEMENT 

Au  procez  original  qui  estoit  escrit  en  françois,  M'  Guil- 
laume Manchon,  premier  notaire,  qui  a  escrit  ce  procez,  a 
déposé  en  la  revision  que  sur  les  diiïicultez  qui  naissoient  à 
cause  des  dépositions  de  la  Pucellc,  —  lesquelles  l'Evesque 
de  Beauvais  faisoit  aucunes  fois  varier,  ou  bien  [que]  cer- 
tains notaires  du  Roy  d'Angleterre  changeoient  à  leur  poste 
—  quand  il  estoit  question  de  les  relire  et  recognoistre,  arri- 
vant quelque  variété,  il  faisoit  certaines  marques  en  marge 
et  notoit  que  ceci  ou  cela  debvoit  estre  reformé,  ainsi  que 
l'on  recognoist  par  plusieurs  articles  escrits  de  la  main 
dudit  Manchon,  qui  ont  esté  produits  et  recognus  et  avouez 
par  icelui,  lequel  sur  l'article  de  cette  séance  où  il  est  porté 
que  le  père  et  la  mère  de  la  Pucelle  perdirent  presque  le 
sens,  quand  ils  sceurent  que  leur  fille  estoit  partie  de  Vau- 
couleur  pour  aller  en  France,  a  escrit  qu'il  debvoit  estre 
réformé  et  corrigé,  et  qu'au  lieu  de  «  perdirent  presque  le 
sens,  »  falloit  escrire  «  furent  grandement  marris  et  trou- 
blez, »  et  que  c'estoit  la  véritable  déposition  de  la  Pucelle. 
De  sorte  que  l'on  recognoist  que  lEvesque  de  Beauvais,  pour 
rendre  cette  fille  plus  criminelle,  avoit  fait  registrer  cette 
clause  laquelle  a  esté  insérée  aux  douze  articles  envolez  à 
l'Université  de  Paris.  J'avois  oublié  de  remarquer  que  cette 
fille  ayant  déposé  en  cette  séance  avoir  tousjours  obéi  en 
toutes  choses  à  ses  parens,  excepté  au  procez  qu'elle  avoit 
eu  devant  l'official  de  Toul,  etc.,  qu'il  semble  qu'on  puisse 
inférer  de  là  que  son  père  et  sa  mère  eussent  désiré  qu'elle 
se  fust  mariée  avec  le  jeune  homme  qui  l'avoit  fait  citer; 
estimans  possible  que  moyennant  ce  mariage,  le  désir 
quelle  avoit  d'aller  en  France  pour  secourir  le  Roy  se  pas- 
seroit  et  qu'elle  ne  parleroit  plus  de  ses  révélations,  attendu 
que  cela  donnoit  bien  de  la  peine  à  ses  parens,  troublez  de 
veoir  leur  fille  en  telle  perplexité. 


DE  COMPIEGNE  A  ROUEN.  —  LE  PROCES  303 

SÉANCE  X 

[Quatrième  interrogatoire  dans  la  prison.] 

Le  mardi,  treiziesme  mars  1430.  maistre  Jean  Magistri, 
suffragant  de  l'Inquisiteur  de  la  foy,  prend  cognoissance  du 
procez  conjoinctement  avec  l'Evesque  de  Beauvais,  approuve 
et  admet  les  notaires,  promoteurs  et  autres  officiers  et 
ministres  par  lui  instituez',  etc. 

[Du  signe  donné  au  roi.] 

Premièrement,  on  l'interroge  derechef  quel  signe  elle  avoil  donné 
à  son  Roy.  Leur  respond  :  Seriez-vous  contens  que  je  fisse  un  par- 
jure? 

On  lui  demande  si  elle  avoil  juré  et  promis  à  sainte  Catherine 
de  ne  [pas]  révéler  ce  signe.  Confesse  que  de  soy-mesme  elle  avoit 
fait  serment  de  ne  le  point  dire,  parce  que  les  hommes  la  pres- 
soient  par  trop  de  le  déceler,  et  voyant  cela,  avoit  promis  de  n'en 
parler  à  personne.  Adjousla  que  ce  signe  fut  qu'un  ange  certifia  à 
son  Roy.  lui  apportant  une  couronne,  qu'il  auroit  tout  le  royaume 
de  France,  moyennant  la  grâce  de  Dieu  et  le  travail  qu'elle  qui 
parle  prendroit  ;  et  qu'il  la  mist  en  besongne,  et  lui  donnast  des 
gens  de  guerre,  qu'autrement  il  ne  pourroit  pas  cstre  si  lost  cou- 
ronné. 

Demandent  si  depuis  hier  elle  avoit  parlé  avec  sainte  Catherine. 
Asseure  que  oui,  et  [la  sainte]  lui  avoir  dit  qu'elle  parlasl  hardi- 
ment aux  juges  des  choses  qu'ils  lui  demanderoient  concernant  le 
procez. 

Enquise  comment  cet  ange  a  apporté  celte  couronne,  et  s'il  l'a 
mise  sur  la  teste  de  son  Roy  :  réplique  qu'elle  fut  donnée  à  l'Ar- 
chevesque  de  Rheims,  et,  comme  elle  pense,  il  la  receut  en  pré- 
sence de  son  110}%  elle  qui  parle  estant  présente  ;  et  fut  mise  au 
trésor  du  Roy  :  que  ce  fust  en  la  chambre  du  Roy  ^  qu'elle  fut 
apportée,  ne  sçait  quel  jour,  mais  qu'il  estoit  haute  heure  [heure 
avancée]  ;  que  ce  fut  au  mois  de  mars  ou  d'avril,  et  qu'au  pro- 
chain mois  d'avril  ou  de  mars  présent  il  y  aura  deux  ans  passez  ; 

1.  D'après  le  manuscrit  de  D'Urfé,  Jean  Lemaître  aurait  lui-même 
commencé,  sinon  poursuivi  jusqu'au  bout,  l'interrogatoire,  (l^rocès  t.  I, 
p.  139). 

2.  J.  Quicherat  ajoute  :  «  au  château  de  Chinon.  »  [Procès^  t.  I, 
p.  140). 

20 


306  E.    RICHER.    —    LA    PUCELLE    D  ORLÉANS 

que  ce  fust  après  Pasques.  Dit  que  le  mesme  jour  qu'elle  vit  ce 
signe-lù,  son  Roy  pareillement  le  vit  et  le  receut. 

S'enquièrent  de  quelle  matière  estoit  cette  couronne.  Réplique, 
d'or  pur  et  la  plus  riche  et  opulente  couronne  ;  qu'il  lui  seroit 
impossible  d'en  représenter  les  richesses.  Et  signilîoit  que  son  Roy 
demeureroit  paisible  [possesseur]  du  royaume  de  Fi'ance. 

Interrogée  si  cette  couronne  estoit  ornée  de  pierres  précieuses  : 
Je  vous  ai  dit  ce  que  je  sçavois,  répliqua-t-elle.  Enquise  si  elle 
l'avoit  tenue  et  baisée,  dit  que  non. 

On  lui  fait  infinies  questions  sur  cet  ange  qui  apporta  la  cou- 
ronse,  s'il  venoit  d'en  haut  ou  marchait  sur  terre.  Respond  qu'es- 
tant en  présence  du  Roy,  il  lui  avoit  fait  la  révéï'enee,  lui  rédui- 
sant en  mémoire  sa  grande  patience  aux  adversitez  et  tribulations 
qu'il  avoit  souffertes  ',  etc. 

Interrogée  quel  espace  il  y  avoit  depuis  la  porte  jusques  au  lieu 
où  estoit  son  Roy,  respond  :  Environ  la  longueur  d'une  lance  ;  et  que 
l'ange  s'en  estoit  allé  par  le  mesme  lieu  qu'il  estoit  venu  :  qu'elle 
l'avoit  toujours  accompagné  tant  en  la  chambre  du  Roy  que  sur  la 
jontée,  et  avoit  dit  au  Roy  :  Sire,  voici  votre  signe,  recevez-le  ; 
qu'elle  prioit  toujours  Dieu  qu'il  envoyast  le  signe  du  Roy  ;  qu'elle 
estoit  en  son  hostellerie,  logée  avec  une  bonne  femme,  lorsque 
l'ange  arriva  et  qu'ensemblement  ils  allèrent  au  Roy;  que  cet  ange 
estoit  accompagné  d'autres  anges,  lesquels  n'estoient  pas  veus  d'un 
chacun,  et  que  Dieu  avoit  permis  qu'ils  fussent  veus  de  plusieurs 
qui  lui  faisoient  des  questions,  afin  qu'ils  cessassent  de  l'interroger  : 
qu'elle  croit  que  l'Archevesque  de  Reims,  monseigneur  d'Alençon, 
de  la  Trémouille  et  Charles  de  Rourbon  ont  veu  cet  ange,  mais  que 
pour  le  regard  de  la  couronne,  plusieurs  ecclésiastiques  et  autres 
l'ont  veue. 

On  lui  demande  de  quelle  figure  et  de  quelle  grandeur  estoit  cet 
ange.  Repart  qu'elle  n'a  [pas]  permission  de  leur  dire,  que  ce  sera 
pour  demain. 

Enquise  si  tous  les  autres  anges  qui  accompagnoient  cet  ange 
dont  elle  fait  mention,  avoient  une  mesme  figure  :  réplique  que, 
selon  qu'il  lui  sembloit,  aucuns  avoient  une  mesme  figure,  et  les 
autres  non  ;  que  quelques-uns  avoient  des  aisles  et  des  couronnes, 
et  qu'en  leur  compagnie  estoient  aussi  saintes  Catherine  et  Mar- 
guerite -,  jusques  hors  de  la  chambre  du  Roy, 

Enquise  comment  cet  ange  se  retira  d'avec  elle  :  respond  que  ce 
fut  en  une  petite  chapelle  ;  de  quoy  elle  fut  bien  faschée,  et  pleu- 
roit,  et  eust  bien  voulu  s'en  aller  avec  lui,  c'est-à-dire  son  ame. 

Interrogée  si  au  départ  de  cet  ange  elle  demeura  joyeuse  :  res- 

1.  Riclier  supprime  ici  quelques  détails. 

2.  On  lit  de  plus  dans  J.  Quicherat  :  «  et  alii  angeli.  »  Op.  cil., 
p.  144. 


DE    COMPIÈGNE    A    ROUEN.    —    LE    PROCES  307 

pond  qu'il  ne  lui  laissa  aucune  crainte  ni  tremeur  [effi'oi],  mais 
qu'elle  fut  fort  faschée  de  son  départ. 

On  lui  demande  si  c'est  par  son  propre  mérite  que  Dieu  lui  a 
envoie  son  ange.  Avoue  que  cet  ange  venoil  pour  une  grande  chose  ; 
et  estoit  en  espérance  que  son  Koy  adjousteroit  fov  à  ce  signe,  et 
que  les  hommes  cesseroient  après  cela  de  l'interroger  ;  et  [de  plus 
qu'il  venoit]  pour  donner  secours  aux  bonnes  gens  delà  ville  d'Oi'- 
léans,  tant  pour  l'amour  de  son  R03'  que  du  bon  duc  d'Orléans. 

Enquise  pourquoy  elle  a  plus  tost  eu  cette  charge  de  secourir  la 
ville  d'Orléans  que  quelque  autre  :  réplique  qu'il  a  plu  à  Dieu  de 
faire  ainsi  par  une  simple  fille  pour  repousser  les  ennemis  du 
Roy. 

Interrogée  si  on  lui  a  dit  où  cet  ange  avoit  pris  cette  couronne  : 
respond  quelle  fut  apportée  de  la  part  de  Dieu;  et  qu'il  n'y  a  point 
d'orfèvre  au  monde  qui  en  puisse  faire  une  si  belle  et  si  riche. 
Mais  où  l'ange  a  pris  celte  couronne,  elle  qui  parle  s'en  rapporte  à 
Dieu,  et  autrement  ne  sçait  où  elle  a  esté  prise. 

Enquise  si  cette  couronne  rendoit  une  bonne  odeur  et  si  elle 
estoit  reluisante  :  repart  qu'elle  ne  -s'en  souvi-ent  [pas]  et  qu'elle  y 
advisera.  Après,  elle  a  dit  qu'elle  rendoit  et  qu'elle  rendroit  tous- 
jours  une  bonn»  odeur,  pourveu  qu'elle  fust  conlregardée,  ainsi 
qu'il  appartenoit  à  une  telle  couronne  '■. 

On  s'enquiert  si  l'ange  lui  avoit  escrit  des  lettres.  Dit  que  non. 

Enquise  quel  signe  elle  a  donné  à  son  Roy  et  à  ceux  de  sa  cour 
pour  leur  faire  croire  que  c'estoit  un  ange  qui  avoit  apporté  cette 
couronne  :  réplique  que  son  Roy  l'avoil  cru  par  ladvis  et  enseigne- 
ment des  ecclésiastiques  de  sa  cour,  et  par  le  signe  de  la  cou- 
ronne. 

Interrogée  comment  les  ecclésiastiques  ont  cognu  que  cestoit  un 
ange  :  repart  qu'ils  ont  sceu  cela  par  leur  science  et  suffisance  et 
pour  ce  qu'ils  estoient  clercs. 

On  lui  demande  si  elle  avoit  découvert  un  prestre  concubinaire, 
et  un  hanap  qui  estoit  perdu.  Dit  ne  sçavoir  ce  que  c'est  et  n'en 
avoir  jamais  ouy  parler. 

[De  l'assaut  de  Paris,  de  La  Charité,  de  Pont-1'Evêque.] 

Enquise  si  allant  à  l'assaut  de  Paris  elle  avoit  eu  révélation  d'y 
aller  :  dépose  que  non,  mais  que  ce  fut  à  la  requeste  des  gentils- 
hommes qui  vouloient  faire  une  escarmouche  et  quelque  vaillantise 
d'armes;  quelle  avoit  bien  intention  de  passer  outre  les  fossez  de  la 
ville  de  Paris. 

On  luy  demande  si  elle  avoit  eu  révélation  d'aller  assiéger  la 


1.  Dans  J.  Quicherat  :  «  ...  et  estoit  en  manière  de  couronne.  »  Op. 
cit.,  p.  146. 


308  E-    RICHER.    LA    PUCELLE    D  ORLEANS 

ville  de  La  Charité.  Dit  que  non,  mais  qu'elle  y  avoit  esté  à  la 
requeste  des  gens  de  guerre,  ainsi  qu'elle  avoit  autrefois  res- 
pondu. 

Interrogée  si  elle  avoit  eu  révélation  d"aller  h  Pont-l'Evesquc  : 
repart  que  depuis  qu'elle  avoit  esté  advertie  par  ses  voix,  estant 
sur  les  fossez  de  Melun,  qu'elle  seroit  prise,  elle  s'estoit  toujours 
rapportée  pour  la  plupart  aux  capitaines  de  ce  qui  concernoit  les 
affaires  de  la  guerre  ;  et  toutes  fois  ne  leur  disoit  point  avoir  eu 
révélation  qu'elle  seroit  prise. 

Ou  lui  demande  si  elle  a  bien  fait,  allant  donner  un  assaut  à 
Paris,  le  jour  de  la  Nativité  Notre-Dame  qu'il  estoit  feste.  Confesse 
que  c'est  bien  fait  de  garder  la  feste  de  la  Vierge  depuis  le  com- 
mencement jusques  à  la  fin. 

Enquise  si  estant  devant  Paris  elle  avoit  dit  :  Rendez  la  ville  à 
Jésus  ;  réplique  avoir  dit  :  Rendez  la  ville  au  Roy  de  France. 

ADVERTISSEMENT 

Tous  les  théologiens,  canonistes  et  jurisconsultes  demeu- 
rent d'accord,  au  cas  qu'une  personne  soit  interrogée  par 
quelqu'un  qui  ne  soit  [pas]  son  juge,  ou  bien  de  chose 
laquelle  on  n'est  pas  tenu  de  révéler  ou  déceler,  qu'alors  on 
peut  justement  décliner  l'interrogatoire  fait  par  celui  duquel 
on  n'est  pas  justiciable.  L'Evesque  de  Beauvais  requiert 
infinies  fois  la  Pucelle  de  jurer  qu'elle  dira  vérité,  et  lui 
demande  cent  fois  par  manière  de  dire  quel  signe  elle  a 
donné  à  son  Roy  et  aux  ecclésiastiques  françois,  pour  les 
induire  à  croire  qu'elle  estoit  envolée  de  Dieu.  Elle  ne  le 
recognoissoit  [pas]  pourjuge,  mais  pour  son  ennemi  mortel, 
et  dès  le  commencement  lui  ayant  demandé  qu'il  appelast 
aussi  bien  des  ecclésiastiques  du  parti  de  son  Roy  que  du 
parti  desAnglois,  après  avoir  veu  qu'on  ne  lui  faisoit  aucun 
droit  sur  cette  sienne  juste  demande,  et  néantmoins  qu'on  la 
pressoit  tousjours,  voire  contraingnoit,  de  dire  quels  signes 
elle  avoit  donnez  à  son  Roy,  ainsi  qu'elle  a  déposé,  respon- 
dant  à  la  production  du  Promoteur,  proteste  de  ne  jamais 
leur  dire  la  vérité  de  tout  ce  qui  concernoit  le  Roy  de  France 
et  des  révélations  qu'elle  avoit  eues  en  sa  faveur,  comme  de 
vérité  elle  n'y  estoit  [pas]  obligée.  N'eust-ce  pas  esté  un 
sacrilège  et  une  grande  trahison  de  leur  donner  subject  de 
faire    registre    des    plus    secrètes    cogitations    et    prières 


DE  COMPIEGNE  A  ROUEX.  LE  PROCES  309 

mentales  de  Sa  Majesté',  desquelles  elle  avoit  eu  révélation, 
ainsi  que  nous  avons  remarqué  au  premier  livre?  Certes,  ses 
ennemis  eussent  tourné  tout  cela  en  risée  et  moquerie,  tout 
ainsi  que  les  Egyptiens  calomnioient  les  miracles  que  Moyse 
faisait  à  leur  vue.  Et  finalement  toujours  pressée  sur  ce 
mesme  interrogatoire  de  dire  quel  signe  elle  avoit  donné  à 
son  Roy,  Dieu  lui  inspira  un  sens  allégorique,  ainsi  que 
nous  [le]  voyons  avoir  fait  souventes  fois  à  ceux  qu'il  a 
prévenus  de  l'esprit  de  prophétie  aux  saintes  Ecristures  : 
moyennant  lequel  sens  allégorique  cette  fille  représentoit  le 
sacre  et  le  couronnement  du  Roy  qu'elle  avoit  promis. 

Ce  que  pour  esclaircir,  faut  tenir  pour  règle  premièrement 
que  quiconque  fait  quelque  chose  par  autrui  est  réputé  le 
faire  soy-même;  secondement,  qu'aux  saintes  Ecritures  les 
Evesques  sont  appelez  anges.  Donc  la  Pucelle  prenant  sa 
direction  principale  de  l'ange  saint  Michel  pour  conduire 
Sa  Majesté  à  Rheims  où  elle  sera  couronnée,  elle  respond  à 
ses  juges  que  l'ange  saint  Michel,  accompagné  de  plusieurs 
autres  anges  ayans  des  couronnes  et  des  aisles,  ont  apporté 
au  Roy  une  précieuse  couronne  qui  fut  consignée  entre  les 
mains  de  rArchevcsquc  de  Rheims  et  finalement  mise  au 
trésor  du  Roy  ;  qu'elle  estoit  la  plus  précieuse  qui  ait  onques 
esté,  dont  il  sera  mémoire  à  jamais  et  durera  plus  que  mil 
ans;  qu'elle  signifie  et  représente  la  victoire  que  Sa  Majesté 
doibt  remporter  sur  ses  ennemis  et  qu'il  demeurera  paisible 
possesseur  de  son  royaume. 

Et  en  tout  cela  n'y  a  aucun  mensonge  ni  absurdité  : 
d'autant  que  par  les  anges  couronnez,  ayans  des  aisles,  qui 
accompagnoient  l'ange  saint  Michel,  lequel  apportoit  cette 
couronne  à  Sa  Majesté,  elle  a  voulu  désigner  les  Evesques  et 
prélats  assistans  au  sacre  du  Roy  lesquels  portoient  de 
grandes  couronnes  et,  revestus  de  leurs  habits  pontificaux, 
sembloient  avoir  de  grandes  aisles.  Quant  à  l'ange  saint 
Michel  qui  avoit  apporté  au  Roy  cette  précieuse  couronne, 
[Jeanne]  a  voulu  elle-mesme  se  désigner,  parce  qu'elle  avoit 
mené  Sa  Majesté  à  Rheims  pour  y  estre  couronné. 

Ce  que  posé  et  sainement  entendu,  tous  les  interrogatoires 
captieux  que  l'Evesque  de  Beauvais  comme  pièges  a  dresser 


310  E.    RICHER.    —    LA    PUCELLE    D  ORLÉANS 

à  la  Pucelle  à  raison  de  cette  couronne  et  des  anges  qui  ont 
assisté  saint  Michel  qui  l'apportoit,  demeurent  entièrement 
esclaircis  et  développez.  Et  pareillement  aussi  le  second 
article  de  la  censure  de  la  Faculté  de  théologie  de  Paris 
contre  la  Pucelle,  dont  il  sera  traicté  ci-après.  Et  suffit  que 
cette  allégorie  en  gros  et  en  général  convienne  et  s'accorde 
avec  le  sacre  et  couronnement  de  Sa  Majesté,  sans  s'arrester 
à  plusieurs  particularitez,  ainsi  mesme  que  nous  voyons  par 
les  allégories  de  l'Escriture  sainte  qu'il  faut  prendre  en  [un 
sens]  général.  Véritablement,  c'est  toute  autre  chose  de 
mentir  et  celer  la  vérité,  dire  chose  fausse  et  taire  ce  qui 
est  véritable,  ainsi  qu'il  est  porté  au  canon  Ne  quis  22, 
quest.  2,  et  au  canon  Quœritur,  en  la  mesme  cause  et 
question,  car  plusieurs  saints  personnages  ont  tu  et  celé  la 
vérité,  comme  Abraham  devant  Pharaon,  roy  d'Egypte, 
Genèse  12,  et  autres  que  Gratien  allègue.  Et  tout  ce  que  nous 
feignons  n'est  pas  mensonge,  moyennant  qu'il  signifie 
quelque  chose  de  certain,  ainsi  que  les  métaphores  et 
allégories  dont  l'Escriture  sainte  est  pleine.  Et  souvent  les 
prophètes  parlent  ironiquement,  comme  lorsque  Michée  dit 
au  roy  Achab  :  «  Va  heureusement,  et  Dieu  livrera  tes  ennemis 
entes  mains.  »  (Troisiesme  livre  des  Roys,  chapitre  dernier, 
verset  15.)  Qui  est  tout  le  contraire  de  ce  qui  arriva,  parce 
que  Achab  fut  tué.  Conclusion  :  tout  ce  que  la  Pucelle  a 
déposé  est  une  description  allégorique  du  sacre  et  couronne- 
ment du  Roy  que  cette  fille  avoit  ordre  de  promouvoir,  ainsi 
qu'elle  a  fait. 

SÉANCE  XI 
[Cinquième  interrogatoire  dans  la  prison] 

Le  mercredi,  quatorziesme  mars  1430  du  matin,  frère  Jean 
Magistri,  inquisiteur  de  la  foy,  esleut  pour  notaire  en  cette 
cause  Nicolas  Taquel,  prestre  du  diocèse  de  Rouen,  notaire 
apostolique  au  même  diocèse,  afin  de  travailler  conjointement 
avec  les  deux  autres  dénommez  par  l'Evesquede  Beauvais. 

Et  conséquemment  interrogèrent  la  Pucelle  : 


DE    COMPIÈGNE   A    ROUEN.    —    LE    PROCES  311 


[Du  «•  prétendu  »  saut  de  Beaurevoir^]^ 

Pi-emièrement  ce  qui  lavoit  mener  de  sauter  du  haut  de  la  tour 
de  Beaurevoir.  Dépose  qu'elle  avoit  ouj  dire  que  tous  les  habitans 
de  Compiègne,  jusques  mesme  aux  enfans  de  sept  ans,  seroient 
mis  à  feu  et  à  sang,  et  qu'après  une  telle  désolation  et  ruine  de  ces 
pauvres  gens  elle  désiroit  plus  tost  mourir  que  vivre  :  que  cela  est 
l'une  des  causes  pour  quoy  elle  sauta  ;  l'autre,  qu'elle  sçavoit  estre 
vendue  aux  Anglois,  et  qu'elle  eust  aymé  plus  tost  mourir  que 
d'estre  entre  leurs  mains,  pour  ce  qu'ils  estoient  ses  ennemis. 

On  s'enquiert  si  ses  voix  lui  avoient  conseillé  de  sauter.  Respond 
que  non  ;  au  contraire,  que  sainte  Catherine  lui  disoit  presque 
tous  les  jours  qu'elle  ne  sautast  pas,  que  Uieu  lui  aideroit,  et  sem- 
blablement  aussi  à  ceux  de  Compiègne.  Qu'elle  respondit  à  sainte 
Catherine  :  puisque  Dieu  avderoit  ceux  de  Compiègne  qu'elle  vou- 
loit  bien  demeurer  en  prison.  Que  sainte  Catherine  répliqua  qu'il 
falloit  qu'elle  supportoit  cela  de  bon  cœur,  et  qu'elle  ne  seroit  point 
expédiée  qu'elle  n'eust  veu  le  Roj  d'Angleterre.  A  quoy  repartit 
que  véritablement  elle  voudroit  bien  ne  le  point  veoir,  et  aymeroit 
mieux  mourir  que  d'estre  mise  entre  les  mains  des  Anglois. 

On  lui  demande  si  elle  avoit  dit  à  saintes  Catherine  et  Margue- 
rite :  Dieu  laissera-t-il  ainsi  misérablement  mourir  ces  bonnes  gens 
de  Compiègne?  Repart  n'avoir  [pas]  dit  :  «  laissera-t-il  ainsi  misé- 
rablement »,  mais  bien  en  cette  sorte  :  «  Comment  laissera-t-il 
mourir  ces  bonnes  gens  de  Compiègne  qui  ont  esté  et  sont  tant 
fidèles  à  leur  seigneur?  «  Adjouste  qu'estant  tombée  de  cette  tour, 
elle  lut  deux  ou  trois  jours  sans  pouvoir  manger  ni  boire,  tant  elle 
fut  grevée  d'avoir  ainsi  sauté.  Et  toutes  fois  que  sainte  Catherine 
la  conforta,  lui  disant  qu'elle  se  confessast  et  demandast  pardon  à 
Dieu  de  ce  qu'elle  avoit  sauté,  et  que  sans  faute  ceux  de  Compiè- 
gne auroient  du  secours  dans  la  saint  Martin  d'hyver.  Et  qu'alors 
elle  revint  à  convalescence  et  commença  à  manger  et  fut  inconti- 
ment  guérie. 

Intei-rogée  si  elle  croyoit  se  tuer  en  sautant  :  dit  que  non,  et 
qu'en  sautant  elle  s'estoit  recommandée  à  Dieu  et  pcnsoit  évader, 
afin  de  n'estre  [point]  livrée  entre  les  mains  des  Anglois. 

Enquise  si,  après  qu'elle  eust  recouvré  la  parole,  elle  avoit  renié 
Dieu  et  ses  saints  —  car  on  lui  fit  entendre  que  cela  estoit  porté 
par  l'information  faite  de  sa  chute  —  :  réplique  ne  se  souvenir 

1.  Aous  disons  :  «  du  prétendu  saut  »,  parce  que  ce  que  l'évoque  de 
Beauvais  qualifie  de  «  saut  »,  pour  faire  croire  à  une  tentative  de  sui- 
cide, ne  fut  qu'une  tentative  classique  d'évasion  au  moyen  de  linges  liés 
ensemble  et  attachés  à  une  fenêtre  du  donjon.  Les  linges  se  rompirent  et 
la  captive  tomba.  Voir  noive  Histoire  complète,  ch.  xxvu. 


312  E.    RICHER.    —    LA    PUCELLE    D  ORLEANS 

d'avoir  onqucs  renié  Dieu  ni  ses  saints,  ni  usé  d"aucune   malédic- 
tion, soit  là,  soit  ailleurs. 

On  lui  demande  si  elle  veut  se  rapporter  de  cela  à  l'information 
qui  a  esté  faite  ou  sera  faite.  Repart  qu'elle  s'en  rapporte  à  Dieu 
et  non  à  autre,  et  à  une  bonne  confession. 

'De  la  Pucell^  et  de  ses  saintes.] 

Enquise  si  ses  voix  lui  demandent  délay  pour  lui  respondre  : 
dit  que  sainte  Catherine  lui  respond  aucunes  fois,  et  que  d'autres 
fois  elles  qui  parle  ne  peut  pas  bien  entendre  [comprendre]  sa  res- 
ponse  ,  à  cause  du  trouble  que  lui  apporte  la  prison  et  du  bruit  que 
font  les  geôliers  qui  la  gardent.  Et  quand  elle  prie  sainte  Cathe- 
rine, qu'alors  elle  et  sainte  .Alarguerite  font  prière  à  Dieu  et  par 
après  lui  font  response  du  commandement  de  Dieu. 

Item,  lui  demandent  si  à  l'arrivée  de  ces  saintes  elle  veoit  de  la 
lumière  avec  elles,  et  si,  quand  elle  a  entendu  leurs  voix  au  chas- 
teau,  ne  sçachant  si  c'est  en  sa  chambre,  il  y  avoit  lors  de  la 
lumière.  Repart  qu'il  ne  se  passe  aucun  jour  quelles  ne  viennent  à 
elle  au  chasteau.  et  qu'elles  ne  l'abordent  jamais  sans  lumière. 
Quant  à  celle  fois  dont  elle  est  interrogée,  ne  se  souvient  pas  si 
elle  vit  de  la  lumière,  ni  mesme  si  elle  apperceut  sainte  Cathe- 
rine. 

Asseure  avoir  demandé  trois  choses  à  ses  voix  :  la  première, 
qu'elle  soit  expédiée;  l'autre  que  Dieu  aydast  les  François  et  gar- 
dast  bien  les  villes  qui  leur  obéissoient;  la  troisiesme,  le  salut  de 
son  âme. 

Semblablement,  que  si  elle  cstoit  menée  à  Paris,  elle  puisse 
avoir  une  copie  de  tous  les  interrogatoires  des  juges  et  des  respon- 
ses  qu'elle  a  faites  pour  les  donner  à  ceux  de  Paris,  et  qu'elle  leur 
puisse  tout  dire  :  ^'oilà  comme  j'ai  esté  interrogée  à  Rouen  et  les 
responses  que  j'ai  faites  aux  interrogatoires  ;  afin  qu'on  ne  la  Ira- 
vaillast  plus  de  tant  de  demandes  qu'on  lui  faisoit. 

Et  d'autant  que  parlant  à  l'Evesque  de  Beauvais,  lui  avoit  dit 
qu'il  se  mettoit  en  grand  danger  de  la  tirer  en  cause,  on  l'interro- 
gea ce  qu'elle  vouloit  entendre  par  là  et  quel  estoit  ce  danger,  tant 
pour  le  regard  dudit  Evesque  que  des  autres  qui  l'assistoient.  Con- 
fesse avoir  dit,  parlant  à  l'Evesque  :  Vous  dites  que  vous  estes  mon 
juge:  mais  advisez  bien  que  vous  ne  jugiez  mal,  parce  que  vous 
vous  mettriez  en  grand  danger  :  et  je  vous  advertis  que  si  finale- 
ment Dieu  vous  en  cliastie,  je  fais  mon  debvoir  de  vous  en  adver- 
tir. 

S'enquièrcnt  quel  est  ce  danger.  Respond  que  sainte  Catherine 
lui  a  dit  qu'elle  aura  du  secours  :  et  ne  sçait  si  ce  sera  qu'elle 
doibve  estre  délivrée  de  prison,  ou  qu'estant  en  jugement  il  arri- 
vera quelque  trouble  au  moyen  duquel  elle  puisse  esti*e  délivrée. 


DE    COMPIÈoXE    A    ROUEX.    —    LE    PROCÈS  313 

Et  estime  que  c'est  lune  ou  l'autre  de  ces  deux.  Et  que  ses  voix 
lui  ont  dit  le  plus  souvent  quelle  sera  délivrée  par  une  grande  vic- 
toire, et  qu'elles  lui  disent  après:  Prenez  cela  en  gré;  ne  vous  sou- 
ciez point  du  martyre  qu'il  faut  que  vous  soull'riez  :  finalement 
vous  viendrez  en  paradis.  Et  que  ses  voix  lui  ont  dit  cela  simple- 
ment et  absolument,  sans  deffaut.  Qu'elle  appelle  martyre  la  peine 
et  vexation  qu'elle  souffre  en  la  prison  :  et  ne  sçait  pas  si  elle  doibt 
endurer  plus  grande  peine  ;  mais  de  cela  qu'elle  s'en  rapporte  à 
Dieu. 

Enquise,  puisque  ses  voix  lui  ont  dit  que  finalement  elle  sera 
sauvée  et  ii"a  en  paradis,  si  elle  se  tient  asseurée  de  son  salut,  et 
qu'elle  ne  sera  pas  damnée  en  enfer.  Asseure  ci'oire  fermement  ce 
que  ses  voix  lui  ont  dit,  sçavoir  qu'elle  sera  sauvée  ;  et  tient  cela 
pour  tout  aussi  certain  que  si  elle  estoit  desjà  en  paradis. 

Interrogée  si,  après  celte  révélation,  elle  croit  ne  pouvoir  pécher 
mortellement  :  respond  qu'elle  n'en  sçait  rien  et  de  tout  cela  s'en 
rapporte  à  Uieu.  Et  comme  on  lui  dit  que  cette  response  esloil  de 
grand  poids,  repartit  aussi  qu'elle  la  tenoit  pour  un  grand  trésor. 


ADVERTISSEMENT 

L'Evesque  de  Beauvais  représente  souvent  à  la  Pucelle  que 
par  désespoir  elle  a  sauté  de  la  tour  duchasteaudcBeaurevoir, 
et  qu'elle  a  commis  un  grand  péché  mortel.  A  quoy  elle 
respond  si  à  propos,  qu'on  ne  peut  rien  désirer  à  sa  déposi- 
tion, laquelle  fait  cognoistre  que  cette  fdle  estoit  régie  de 
l'Esprit  de  Dieu.  Nous  avons  dit  au  premier  livre  que  Jeanne, 
en  ce  saut  pouvoit  eslre  comparée  au  prophète  qui  fut  occis 
d'un  lion  pour  n'avoir  Ipointj  obéi  au  commandement  de 
Dieu,  ayant  esté  ^pourtant  advei'ti]  par  un  autre  prophète 
(livre  3  desRoys,  chapitre  13;.  Et  qu'au  cas  pareil,  elle  pour 
n'avoir  obéi  à  ses  voix,  emportée  par  l'infirmité  humaine, 
avoit  sauté  et  s'estoit  grandement  blessée.  Cette  blessure 
faisoit  une  partie  de  sa  pénitence,  joincte  à  la  confession 
qu'elle  avoit  faite,  demandant  pardon  à  Dieu,  ainsi  que  ses 
voix  lui  avoient  conseillé  de  faire. 

Et  faut  ici  eniploier  ce  que  nous  avons  noté  ailleurs  :  que 
Dieu  n'a  point  exempté  les  prophètes  et  apostres  des  infir- 
mitéz  auxquelles  la  nature  humaine  est  subjecte  par  sa  cor- 
ruption propre,  et  qu'il  suffit  de  montrer  que  la  Pucelle 
n'est  ni  hérétique,  ni  sorcière,  ni  prévenue  d'aucuns  crimes 


314  E.    RIGHER.    —    LA    PUCELLE   D  ORLEANS 

desquels  ses  ennemis  l'ont  -voulu  flestrir  :  seulement  que  par 
infirmité  humaine,  par  la  fragilité  de  son  sexe,  de  son  âge, 
la  dureté  et  tourmens  de  sa  prison,  les  opprobres  et  conviées 
de  ses  ennemis,  la  perplexité  des  malins  interrogatoires 
qu'on  lui  faisoit  pour  la  surprendre,  qu'elle  craignoit  autant 
et  plus  que  l'inhumanité  de  sa  prison,  l'inexpérience  de  sa 
langue,  veu  mesme  qu'elle  n'avoit  aucun  sens  acquis  et  qu'elle 
estoit  en  minorité,  destituée  de  conseil,  elle  a  pu  humaine- 
ment pécher  non  par  malice,  comme  quand  elle  fit  ce  péril- 
leux saut,  mais  que  Dieu  l'a  préservée  et  retirée  incontinent 
à  soy,  ainsi  qu'il  est  arrivé  à  plusieurs  saints  personnages. 

Ses  ennemis  lui  ont  voulu  imputer  qu'après  avoir  sauté  et 
s'être  blessée,  elle  avoit  blasphémé,  voire  renié  le  nom  de 
Dieu,  et  lui  ont  allégué  des  informations  faites  sur  cela. 
Mais  elle  nie  telle  chose  lui  estre  jamais  arrivée,  et  confesse 
en  la  douziesme  séance,  interrogée  derechef  sur  ces  blasphè- 
mes, avoir  quelquefois  accoustumé  de  dire  Bon  gré  Dieu. 
Bon  gré  la  Vierge  Marie,  et  que  ceux  qui  ont  entendu  ces 
paroles  les  ont  interprétées  et  détorquées  à  blasphème,  [ce] 
qui  toutes  fois  ne  l'est  pas;  et  ores  que  cela  east  esté,  il  se 
faut  souvenir  que  saint  Pierre,  n'estant  en  pareil  travail  ni 
péril  que  la  Pucelle,  renia  notre  sauveur  Jésus-Chrirt. 

Au  demeurant,  considérons  ce  qu'elle  demande  à  Dieu,  et 
comme  sa  requeste  est  bien  ordonnée  selon  les  règles  de 
théologie. 

Premièrement,  qu'il  plaise  à  Nostre-Seigneur  de  lui  aider 
et  qu'elle  soit  expédiée.  La  seconde  regarde  les  exploits  de  sa 
mission  et  le  salut  du  prochain,  sçavoir  que  Dieu  assiste  les 
François  de  son  secours  spécial  et  conserve  les  villes  de  leur 
obéissance  ;  ce  qui  appartient  à  la  charité  qu'elle  porte  au 
public.  La  troisiesme  est  pour  le  salut  de  son  ame.  Oraison 
d'ailleurs  bien  tissue  et  [qui]  ne  peut  provenir  d'ailleurs  que 
d'un  esprit  illuminé  de  Dieu.  Quant  au  quatriesme  point,  si 
elle  est  menée  à  Paris  pour  estre  encore  interrogée,  qu'elle 
puisse  avoir  une  copie  des  interrogatoires  qu'on  lui  a  faits 
à  Rouen,  etc.  C'est  un  témoignage  combien  elle  se  sentoit 
grevée  par  tant  d'iniques  et  malicieux  interrogatoires,  veu 


DE  COMPIEGNE  A  ROUEN.  —  LE  PROCES  315 

sa  rudesse,  ignorance  et  simplicité  naturelle.  3Iais  au  lieu 
desdits  interrogatoires  et  réponses  de  la  Pucelle,  l'Evesque 
de  Beauvais  a  envoie  à  Paris  de  faux  faits  rédigez  en  douze 
articles,  sur  lesquels  l'Université  de  Paris  a  donné  sa  censure 
contre  cette  fille,  chose  que  l'on  doibt  souvent  représenter  au 
lecteur. 

Quant  à  ce  qu'elle  remonstre  à  l'Evesque  de  Beauvais,  au 
cas  qu'il  juge  mal,  que  finalement  Dieu  le  punira,  on  a  remar- 
qué que  dix  ans  environ  après  que  ce  prélat  eust  fait  mou- 
rir cette  fille,  il  tomba  mort  subitement  ainsi  qu'on  lui  faisait 
la  barbe.  Et  pour  lors  estoit  évesque  de  Lisieux  que  le  Roy 
d'Angleterre  lui  avoit  fait  avoir  :  d'autant  qu'il  ne  pouvoit 
plus  jouir  de  l'esvesché  de  Beauvais,  parce  que  cette  ville 
estoit  en  la  puissance  du  Roy  deFrance. 

C'est  chose  bien  à  considérer  que  la  Pucelle,  sur  la  fin  de 
cette  séance,  expose  que  ses  voix  lui  ayant  souventes  fois  dit 
qu'elle  seroit  délivrée  de  prison  par  une  grande  victoire, 
qu'elle  prenne  tout  en  gré  sans  se  soucier  du  martyre  qu'elle 
doibt  endurer,  que  finalement  elle  ira  en  paradis,  asseure 
cela  lui  avoir  esté  dit  simplement  et  absolument,  sans 
dcfïaut.  Et  appelle  martyre  la  peine  et  vexation  de  sa  prison. 
Et  dit  ne  sçavoir  pas  si  elle  doibt  endurer  une  plus  grande 
peine,  mais  qu'elles'en  rapporte  à  Dieu.  En  la  quatorziesme 
séance,  dépose  que  s'il  faut  qu'elle  soit  menée  jusques  au 
jugement,  c'est-à-dire  jusques  au  supplice,  prie  messieurs 
d'Eglise  lui  faire  cette  grâce  d'avoir  une  chemise  de  femme 
et  un  couvrechef  sur  sa  teste  ;  et  qu'elle  ayme  mieux  mourir 
que  de  révoquer  ce  que  Dieu  lui  a  fait  faire.  Et  leneufviesme 
may  1431,  ayant  demandé  à  ses  voix  si  elle  seroit  bruslée, 
lui  respondent  qu'elle  se  doibt  résigner  totalement  à  la 
volonté  de  Dieu,  et  qu'il  lui  aydera.  Desquelles  dépositions  il 
est  aisé  de  coUiger  que  Dieu  lui  avoit  voulu  celer  le  cruel 
supplice  qu'elle  debvoit  endurer.  Car  autrement  elle  eut 
tousjours  esté  en  perpétuelle  transe  et  inquiétude. 

Semblablement,  le  prophète  Hiérémie  eut  révélation, 
chapitre  premier  de  sa  prophétie,  que  tous  les  Roys  de  Juda, 
tous  les  princes,  tous  les  prestres  et  tout  le  peuple  universel- 


316  E.    RICHER.    LA    PUCELLE    d'oRLÉANS 

lement  ne  pourroit  prévaloir  contre  lui.  Et  Dieu  lui  cela  les 
tourmens  et  la  mort  cruelle  qu'il  avoit  à  souffrir  de  la  part 
des  Roys,  princes,  prestres  et  du  peuple.  Comment  donc  et 
en  quel  sens  cette  prophétie  de  Hiérémie  peut-elle  subsister 
pour  en  rendre  l'effect  certain  et  véritable  ?  N'est-ce  pas  spi- 
rituellement, à  sçavoir  que  tous  les  efforts  des  hommes  du 
monde  s'évanouiroient  en  fumée  contre  ce  que  Hiérémie 
avoit  prophétiquement  énoncé,  que  Dieu  lui  donneroit  la 
force  et  le  courage  de  maintenir  glorieusement  envers  tous 
et  contre  tous,  jusques  à  la  mort  qui  le  rendroit  victorieux  et 
triomphant  de  tous  ses  ennemis  spirituellement  quant  à  son 
ame  i  Vraye  image  de  ce  qui  est  arrivé  à  notre  Pucelle, 
asseurant  qu'elle  seroit  délivrée  par  une  grande  victoire. 
C'est-à-dire  que  tout  ce  que  faisoientet  feroient  les  Anglois 
ne  pourroient  empescher  l'effect  de  ses  énonciations  prophé- 
tiques, ainsi  que  l'événement  l'a  monstre. 

Bien  est  vray  que  cette  fille,  par  infirmité  humaine,  s'est 
trompée  au  commencement  de  cette  victoire  et  de  sa  déli- 
vrance, se  persuadant  qu'elle  seroit  mise  en  pleine  liberté  et 
et  sortiroit  des  prisons.  De  quoy  il  ne  se  faut  esbahir,  veu 
que  naturellement  chacun  fuit  la  mort  et  désire  vivre,  ainsi 
mesme  que  Jésus-Christ  l'a  monstre. 

Ce  n'est  pas  toutes  fois  que  la  Pucelle  n'aye  eu  des  pressen- 
timents qu'elle  ne  seroit  pas  délivrée  des  mains  des  Anglois, 
comme  il  est  aisé  de  [le]  recueillir  des  choses  sus  alléguées, 
quand  elle  dit  ne  sçavoir  point  si  elle  doibt  endurer  une  plus 
grande  peine,  qu'elle  s'en  rapporte  a  Dieu  et  prie  les  gens 
d'Eglise  de  lui  faire  donner  une  chemise  de  femme  et  un  cou- 
vrechef,  au  cas  qu'elle  soit  menée  en  jugement,  etc.  A  la 
vérité,  tous  les  témoins  qui  ont  déposé  l'avoir  veue  et  assistée 
jusques  au  dernier  soupir  de  sa  vie,  asseurent  qu'elle  mou- 
rut avec  constance,  invoquant  Dieu  et  tous  les  saints,  et 
particulièrement  saint  Michel,  sainte  Catherine  et  sainte 
Marguerite,  et  avoir  maintenu  qu'elles  ne  l'avoient  trompée 
ni  déceue,  au  contraire  de  ce  que  lEvesque  deBeauvais  avoit 
voulu  faussement  lui  persuader. 


DE  COMPIEGXE  A  ROUEN.  —  LE  PROCES  317 

SÉANCE  XII 

^Sixième  interrogatoire  dans  la  prison" 

Le  mercredi,  quatorziesme  mars  1430,  après  midi,  la  Pucelle  est 
derechef  interrogée.  Et  dit  premièrement  que  pour  le  dernier 
article  concernant  lasseurance  qu'elle  a  de  son  salut,  duquel  on 
l'avoit  interrogée  au  matin,  qu'elle  entendoit  cela  moyennant 
qu'elle  gardast  bien  son  serment  et  la  promesse  quelle  avoit  faite 
à  Dieu  de  conserver  sa  virginité  tant  du  corps  que  de  l'ame. 

On  lui  demande  s'il  est  nécessaire  quelle  se  confesse,  ayant 
révélation  de  ses  voix  qu'elle  sera  sauvée.  Respond  ne  sravoir  si 
elle  a  péché  mortellement,  et  estime,  si  elle  estoit  en  péché  mor- 
tel, que  saintes  Catherine  et  Marguerite  l'abandonneroient  incon- 
tinent. Et  davantage,  pour  satisfaire  à  cet  interrogatoire  de  la 
confession,  dit  qu'on  ne  sçauroit  trop  nettoyer  sa  conscience.  S'en- 
quièrent,  depuis  quelle  est  en  celte  prison,  si  elle  a  renié  ou  mau- 
gréé Dieu.  Respond  que  non  et  que  quelquefois,  quand  elle  dit  en 
françois  Bon  gré  Dieu,  ou  Saint  Jean,  ou  Sostre  Dame,  que  ceux 
qui  ont  rapporté  ces  paroles  ont  mal  entendu. 

[Circonstances  dans  lesquelles,  d'après  ses  juges,  la  Pucelle  aurait 
péché  mortellement.  Ses  réponses. , 

Enquise  si  c'est  péché  mortel  prendre  un  homme  à  rançon  et  le 
faire  mourir  prisonnier  :  respond  n'avoir  point  commis  cela.  Et 
pour  ce  qu'on  lui  faisoit  mention  de  Franquet  d'Arras  qu'on préten- 
doit  qu'elle  eust  fait  mourir  à  Lagny.  remonstre  n'avoir  jamais 
consenti  qu'on  le  fist  mourir  sinon  qu'il  eust  mérité  la  mort.  Au 
reste  qu'il  avoit  confessé  avoir  commis  des  meurtres,  vols.  larcins 
et  trahisons  ;  que  son  procez  avoit  duré  quinze  jours  et  que  le  bailly 
de  Senlis  et  les  gens  de  justice  de  Lagny  qui  lui  avoient  fait  son 
procez,  avoient  dit  à  elle  (jui  parle  qu'elle  feroit  une  grande  injure 
à  la  justice  si  elle  délivroit  ce  Franquet  d'Arras,  lequel  elle  désiroit 
avoir  pour  retirer  un  de  ses  gens  qui  estoit  le  mai.stre  de  Ihoslelk- 
rie  de  l'Ours  de  Paris,  détenu  prisonnier.  Mais  ayant  sceu  que  son 
homme  estoit  mort,  et  attendu  ce  que  le  hailly  de  Senlis  avoit  dit, 
que  finalement  elle  respondit  qu'ils  fissent  dudit  Franquet  ce  qu'ils 
debvoient  faire  selon  la  justice,  puisque  mesme  son  homme  estoit 
mort. 

On  lui  demande  si  elle  avoit  donné  ou  fait  donner  de  l'argent  à 
celui  qui  avoit  pris  Franquet  d'Arras.  Repart  qu'elle  n'estoitargen- 
tière  ni  trésorière  de  France  pour  donner  ainsi  de  l'argent. 

On  lui  remit  en  mémoire  qu'elle  avoit  fait  donner  un  assaut  à 
Paris  un  jour  de  feste  :  outre  qu'elle  avoit  eu  le  cheval  deFEvesque 


318  E.    RICHER.    LA    PUCELLE    D  ORLÉANS 

de  Senlis,  qu'elle  s'esloit  précipitée  de  la  tour  du  cliasteau  de  Beau- 
revoir,  quelle  portoit  un  habillement  dhomme,  qu'elle  avoit  con- 
senti à  la  mort  de  Franquet  d'Arras,  et  demande-t-on  si  en  ces 
choses  elle  crojoit  n'avoir  péché  mortellement. 

Quant  au  premier  article  de  l'assaut  de  Paris,  respond  qu'elle 
ne  pense  [pas]  avoir  pour  cela  péché  mortellement  ;  que  si  elle  a 
péché  mortellement,  c'est  à  Dieu,  à  son  confesseur  qu'elle  en  doibt 
rendre  compte. 

Pour  le  cheval  de  l'Evesque  de  Senlis,  tient  fermement  qu'il  n'y 
a  aucun  péché  devant  Dieu,  joinct  que  ce  cheval  fut  estimé  la 
somme  de  deux  cens  saluts  d'or,  et  que  l'Evesque  eut  assignation 
pour  recevoir  cette  somme  ;  et  qu'elle  qui  parle  renvoia  ce  cheval 
au  sieur  de  la  Trémouille  pour  le  rendre  à  l'Evesque  de  Senlis  ;  que 
ce  cheval  ne  lui  pouvoit  aucunement  servir,  et  que  ce  n'est  point 
elle  qui  a  pris  le  cheval  au  dit  Evesque!  D'ailleurs,  sçachant  que 
l'Evesque  de  Senlis  estoit  mal  content  de  ce  qu'on  lui  avoit  pris 
son  cheval,  ne  le  voulut  retenir,  veu  mesme  qu'il  n'estoit  [pas] 
propre  pour  la  fatigue  de  la  guerre.  Pour  conclusion,  dit  qu'elle  ne 
sçaitpassi  l'Evesque  de  Senlis  a  esté  prié  de  l'assignation  qu'on 
lui  avoit  donnée  et  si  on  lui  a  rendu  son  cheval  ;  pense  bien  que 
non. 

Quant  au  troisiesme  [point],  de  ce  qu'elle  avoit  sauté  de  la  tour 
de  Beaurevoir,  maintient  que  ça  n'a  [point]  esté  par  désespoir, 
mais  qu'elle  espéroit  de  se  sauver  pour  aller  au  secours  de  plusieurs 
gens  de  bien  qui  estoient  en  nécessité  ;  qu'elle  se  confessa  d'avoir 
sauté  et  en  demanda  pardon  à  Dieu  qui  [le]  lui  octroya.  Et  estime 
que  ce  n'estoit  pas  bas  bien  fait,  mais  mal  fait  d'avoir  sauté, 
qu'elle  scait  en  avoir  obtenu  pardon,  et  que  sainte  Catherine  [le] 
lui  a  révélé  depuis  sa  confession,  s'estant  confessée  par  son  con- 
seil. 

Interrogée  si  elle  avoit  fait  grande  pénitence  d'avoir  ainsi  sauté  : 
repart  qu'elle  a  porté  une  grande  partie  de  la  pénitence  du  mal 
qu'elle  s'estoit  fait  en  tombant.  Enquise  si  ce  mal  qu'elle  pense 
avoir  fait  en  sautant  estoit  péché  mortel  :  réplique  qu'elle  n'en 
sçait  rien  et  s'en  rapporte  à  Dieu. 

Pour  le  quatriesme  point  touchant  l'habit  viril,  maintient  que 
l'ayant  pris  par  commandement  de  Dieu  et  pour  son  service,  elle 
ne  pense  point  mal  faire,  et  quand  il  plaira  à  Dieu  le  lui  comman- 
der, qu'elle  le  quittera. 

ADVERTISSEMENT 

En  la  précédente  session  la  Pucelle  a  déposé  que  ses  voix 
lui  avoient  révélé  qu'elle  iroit  finalement  en  paradis,  etqu'elle 
croyoit   fermement  cela,   comme  si   elle   y  estoit   déjà.   On 


DE  COMPIEGXE  A  ROUEX.  —  LE  PROCÈS  319 

l'interroge  continuement  si,  après  une  telle  révélation,  elle 
croit  ne  pouvoir  pécher  mortellement.  Respond  qu'elle  non 
sçait  rien  et  qu'elle  s'en  rapporte  à  Dieu.  Et  comme  on  lui 
remontra  que  cela  estoit  de  grande  conséquence,  repartit 
qu'elle  le  tenoit  aussi  pour  un  grand  trésor  (séance  onziesme, 
sur  la  fin).  Et  puis  en  la  douziesme,  tout  au  commencement, 
elle  explique  avoir  dit  cela  pourvu  qu'elle  observast  bien  son 
serment  et  la  promesse  qu'elle  avoit  faite  à  Dieu  de  bien 
garder  sa  virginité  tant  corporelle  que  spirituelle,  c'est-à- 
dire  moyennant  qu'elle  ne  péchas't  [pas]  mortellement.  Car 
«  celui  qui  demeure  en  charité  demeure  en  Dieu  »,  dit 
saint  Jean. 

En  suite  de  tout  cela,  ils  lui  demandent  s'il  est  nécessaire 
qu'elle  se  confesse,  ayant  eu  révélation  qu'elle  sera  sauvée. 
Réplique  ne  sçavoir  si  elle  a  péché  mortellement,  et  qu'elle 
estime  si  elle  estoit  en  péché  mortel,  que  ses  voix  ne  la  visi- 
teroient  plus  ;  et  davantage,  qu'on  ne  sçauroit  trop  nettoyer 
sa  conscience.  Sur  quoy  ils  font  induction  de  tous  les  péchés 
mortels  qu'ils  pensent  qu'elle  aye  commis  :  sçavoir,  qu'elle  a 
renié  Dieu  en  la  prison;  qu'elle  a  pris  Franquet  d'Arras  à  ran- 
çon et  peu  après  l'a  fait  mourir  ;  qu'elle  a  sauté  du  haut  de 
la  tour  de  Beaurevoir;  qu'edle  a  pris  le  cheval  de  l'Evesque 
de  Sentis.  A  toutes  les  quelles  objections  elle  respond  si  à 
propos,  que  ses  interrogateurs  n'ont  autre  chose  que  [à]  re- 
prendre, sinon  lui  imputer,  qu'elle  a  maintenu  n'avoir  jamais 
péché  mortellement  ;  article  trente-six  du  Promoteur  et  aux 
articles  envoies  à  l'Université  de  Paris  :  qu'elle  a  déposé  sça- 
voir que  la  faute  qu'elle  avoit  faite  lui  avoit  esté  pardonnée 
de  Dieu  et  qu'elle  iroit  en  paradis. 

Quant  au  premier  point,  elle  n'a  onques  dit  n'avoir  jamais 
péché  mortellement,  mais  seulement  ne  sçavoir  si  elle  avoit 
péché  mortellement.  Voyez  les  troisiesme  et  douziesme 
séance  oîi  elle  asseure  qu'elle  seroit  extrêmement  dolente 
d'estre  en  péché  mortel.  Et  voyant  qu'ils  faisaient  induction 
des  péchés  mortels  qu'ils  pensaient  qu'elle  eust  commis,  res- 
pond que  c'est  à  Dieu  et  à  son  confesseur  qu'elle  en  rendra 
compte.  Pour  les  autres  points,  tout  cela  se  résout  par  ce  que 
nous  avons  observé  en  la  quatriesme    séance  des  personnes 


320  E.    RICHER.    —    LA    PUCELLE    d'oRLÉANS 

exemptées  par  privilège  de  la  loy  commune.  Touchant  ces 
termes  Bo7î  gré  Dieu,  saint  Jean  ou  Notre-Dame,  ils  ne 
signifient  autre  chose,  selon  le  parler  de  cette  bergère,  que 
Plaise  à  Dieu,  à  saint-Jean,  à  Notre-Dame,  Et  ne  se  faut 
esbahir  que  ses  ennemis  ayent  détorqué  cela  à  blasphème, 
veu  qu'ils  désiroient  passionnément  sa  mort. 

SÉANCE  XIII 
[Septième  interrogatoire  dans  la  prison] 

[De  la  soumission  de  la  Pucelle  à  la  détermination  de  1  Eglise]. 

Le  jeudi,  quinziesme  mars  1430  au  malin,  la  Pucelle  est  admo- 
nestée charitablement  et  requise  que  s'il  arrive  qu'elle  aje  fait 
ou  commis  quelque  chose  contre  la  foy,  elle  s'en  veuille  rapporter 
à  la  détermination  et  ordonnance  de  nostre  mère  sainte  Eglise  à 
laquelle  elle  est  tenue  se  soumettre.  A  quoi  elle  repart  que  toutes 
ses  responses  soient  veues  et  examinées  par  les  ecclésiastiques,  et 
au  cas  qu'on  lui  monstre  qu'elles  contiennent  quelque  chose  contre 
la  foy  chrétienne,  elle  sçaura  bien  dire  ce  qui  en  sera,  et  par 
après  déclarera  ce  que  son  conseil  lui  aura  révélé.  Toutes  fois,  s'il 
y  a  quelque  chose  de  mal  contre  la  foy  chrestienne  que  Dieu  com- 
mande, qu'elle  ne  levoudroit  sousteniret  seroit  bien  marrie  d'aller 
au  contraire. 

On  lui  expose  la  distinction  de  l'Eglise  triomphante  et  militante 
et  [ce]  que  c'estoit  de  l'une  et  de  l'autre  :  et  fut  requise  de  se  sou- 
mettre présentement  à  la  détermination  de  l'Eglise  de  tout  ce 
qu'elle  a  fait  et  dit,  soit  bon  ou  mauvais.  Répliqua  qu'elle  ne  leur 
répondra  pour  le  présent  autre  chose. 

[De  la  tentative  d'évasion  de  Beaulieu]. 

Plus,  requièrent  qu'elle  jurast  dire  vérité  comment  elle  pensoit 
évader  du  chasteau  de  Beaulieu  entre  deux  pièces  de  bois.  Respon- 
dit  n'avoir  jamais  esté  prisonnière  en  aucun  lieu  qu'elle  n'en  eust 
volontiers  sorti  :  et  que  si  le  portier  du  chasteau  ne  l'eust  apper- 
ceue  et  empeschée  de  se  sauver,  elle  eust  renfermé  ceux  qui  la  gar- 
doient  dans  la  tour  où  elle  estoit  prisonnière;  mais  qu'il  ne  plai- 
soit  pas  à  Dieu  qu'elle  evadast  alors  et  qu'il  falloit  qu'elle  vist  le 
Roy  d'Angleterre,  ainsi  que  ses  voix  lui  avoient  révélé  et  a  esté 
escrit  ci-dessus. 

Enquise  si  elle  avoit  permission  de  Dieu  ou  de  ses  voix  de  s'en 
aller  toutes  et  quantes  fois  qu'elle  vouloit  :  réplique  l'avoir  plu- 
sieurs fois  demandé,  mais  ne  l'avoir  encore  pu  obtenir. 


DE    COMPIEGNE    A    ROUEN.    —    LE    PROCÈS  321 

Interrogée  si  elle  voyoit  sa  commodité  pour  s'en  aller,  si  elle  s"en 
iroit  :  respond  que  si  la  porte  estoit  ouverte,  elle  s'en  iroitsi  Dieu 
lui  commandoit.  Et  croit  fermement  que  si  elle  vovoit  la  porte 
ouverte  et  que  les  Anglois  et  autres  ne  pussent  résister,  elle  esti- 
meroit  que  Dieu  lui  donneroit  permission  de  sortir  et  qu"il  lui  en- 
voieroit  du  secours  ;  mais  que  sans  la  permission  de  Dieu,  elle  ne 
s'en  iroit  pas,  sinon  quelle  fist  une  entreprise  pour  cognoistre  s'il 
plairoit  à  Dieu  qu'elle  se  sauvast,  alléguant  un  proverbe  François  : 
Ayde-toi,  Dieu  t'aydera.  Et  dit  cela,  afin  que  s'il  arrivoit  qu'elle 
s'en  allast,  on  ne  die  pas  qu'elle  s'en  soit  allée  sans  la  permission 
de  Dieu. 

[De  laudition  de  la  messe]. 

On  lui  demande,  puisqu'elle  a  désiré  d'ouyr  la  messe,  s'il  lui 
sembloit  plus  honneste  de  porter  un  habillement  de  femme,  que 
de  ne  la  pas  ouyr,  retenant  l'habillement  d'homme.  Hespond  qu'on 
lui  donne  asseurance  quelle  entendra  la  messe  en  prenant  l'habit 
de  femme,  et  qu'aloi's  elle  respondra  à  cet  interrogatoire. 

Et  celui  qui  l'interrogeoit  l'ayant  asseurée  qu'elle  enten droit  la 
messe,  prenant  un  habillement  de  femme,  répliqua:  Que  direz-vous 
si  j'ai  juré  à  nostre  Uoy  de  ne  pas  quitter  cet  habit  que  je  porte? 
Toutes  fois,  je  demande  que  vous  me  fassiez  faire  une  longue  robe 
qui  aillejusques  à  terre  sans  queue  et  me  la  donner  pour  aller  à  la 
messe,  et  en  estant  retournée  je  reprendrois  l'habit  que  je  porte. 

Derechef,  on  lui  demande  si  elle  prendroit  un  habit  de  femme 
poiu"  aller  à  la  messe.  Dépose  qu'elle  prendra  conseil  sur  cela  et 
qu'elle  leur  fera  response.  Et  les  requiert  en  l'honneur  de  Dieu  et 
de  la  bienheureuse  Vierge  Marie  qu'elle  puisse  ouyr  la  messe  en 
cette  bonne  ville. 

Ceux  qui  linterrogeoient  lui  répliquent  qu'elle  prenne  donc  sim- 
plement et  absolument  l'habit  de  femme,  sans  condition  ni  excep- 
tion quelconque.  Réplique  qu'on  lui  donne  un  habit  tel  que  [celui 
d  ]  une  fille  d'un  bourgeois,  sçavoir  une  houppelande  longue,  et 
qu'elle  le  prendra  pour  aller  ouyr  la  messe.  Davantage,  les  pria 
instamment  de  lui  permettre  d'ouyr  la  messe  en  l'habit  quelle 
avoit  sans  le  changer. 

On  s'enquiert  si  de  tout  ce  qu'elle  dit  et  fait  elle  se  veut  sous- 
meltre  et  rapporterai  la  détermination  et  ordonnance  de  l'Eglise. 
Respond  que  tousses  faits  et  dits  sont  en  la  main  de  Dieu  et  qu'elle 
s'en  rapporte  à  lui.  Et  les  asseure  qu'elle  ne  voudroit  rien  dire  ni 
faire  contre  la  foy  chrétienne,  et  que  si  elle  avoit  dit  ou  fait  quel- 
que chose  qui  y  fust  contraire,  ou  qui  fust  sur  son  corps,  et  que  les 
ecclésiastiques  lui  pussent  dire  estre  contre  la  foy  chrestienne  que 
nostre  seigneur  a  establie,  qu'elle  ne  le  voudroit  soustenir,  mais  le 
rejeteroit. 

Enquise  si  elle  se  vouloit  sousmettre  à  l'ordonnance  de  l'Eglise 


322  E.    RICHER.    LA    PUCELLE    D  ORLEANS 

touchant  ces  choses  :  respond  qu'elle  ne  leur  dira  pour  le  présent 
autre  chose;  et  qu"on  lui  envoie  samedi  un  ecclésiastique  au  cas 
qu'ils  ne  s'assemblent,  qu'elle  leur  respondra  moyennant  la  grâce 
de  Dieu,  et  qu'on  fera  registre  de  ce  qu'elle  aura  déposé, 

[Des  rapports  de  Jeanne  avec  ses  voix]. 

Interrogée  si  elle  l'ait  absolument  la  révérence  à  ses  voix,  quand 
elles  viennent  à  elle,  tout  ainsi  qu'à  un  saint  ou  à  une  sainte.  Dit 
que  oui,  et  que  quand  elle  ne  l'a  pas  faite,  elle  leur  en  demande 
pardon  ;  et  ne  leur  sçauroit  faire  assez  d'honneur,  ni  tel  qui  leurest 
du,  croyant  fermemement  que  ce  sont  saintes  Catherine  et  Mar- 
guerite '. 

Et  parce  qu'on  fait  ordinairement  des  oblations  de  chandelles 
ardentes  aux  saints  du  paradis,  on  lui  demande  si  elle  leur  en  a 
offert,  ou  quelques  autres  choses,  estant  t\  l'Eglise  ou  ailleurs,  et  si 
elle  a  fait  dire  des  messes.  Respond  que  non,  si  ce  n'a  esté 
à  l'offrande  de  la  messe  en  la  main  du  prestre,  en  l'honneur  de 
sainte  Catherine.  Et  croit  que  c'est  vme  de  celles  qui  lui  apparois- 
sent.  Et  ne  leur  allume  pas  tant  de  chandelles  comme  elle  feroit 
volontiers  k  saintes  Catherine  et  Marguerite  qui  sont  en  paradis  : 
lesquelles  toutes  fois  elle  tient  estre  celles  mesmes  qui  viennent  à 
elle. 

Demandent  si,  quand  elle  présente  des  chandelles  devant  l'image 
de  sainte  Catherine,  elle  les  met  en  l'honneur  de  celle  qui  lui 
apparoisl.  Réplique  qu'elle  fait  cela  en  l'honneur  de  Dieu,  de  la 
vierge  Marie,  et  de  sainte  Catherine  qui  est  au  ciel  et  de  celle  qui 
lui  apparoist. 

Interrogée  si  elle  présente  ces  chandelles  en  l'honneur  de  sainte 
Catherine  qui  se  présente  à  elle,  ou  de  celle  qui  est  au  ciel  ;  repart 
quelle  ne  met  aucune  différence  entre  celle  qui  lui  apparoist  et 
celle  qui  est  au  ciel. 

S'enquièrcnt  si  elle  fait  toujours  et  accomplit  ce  que  ses  voix 
lui  commandent.  Respond  que  de  tout  son  pouvoir  elle  accomplit 
le  commandement  de  Dieu  fait  par  ses  voix,  autant  qu'elle  le 
peut  comprendre,  et  que  ses  voix  ne  lui  commandent  rien  que 
sans  le  bon  plaisir  de  Dieu. 

Enquise  si,  faisant  la  guerre,  elle  a  fait  quelque  chose  sans  le 
conseil  de  ses  voix  :  réplique  qu'elle  leur  a  fait  response  là  dessus, 
et  s'ils  lisent  bien  leur  livre,  qu'ils  le  trouveront.  Dit  néanlmoins 
qu'à  la  requeste  des  gens  de  guerre  il  fut  fait  une  vaillantise 
d'armes  devant  Paris,  et  devant  la  ville  de  La  Charité  à  la  requeste 
de  son  Roy,  et  que  cela  ne  fut  fait  ni  par  ni  contre  le  commande- 
ment de  ses  voix. 

1.  Dans  J.  Quicherat  :  «  ...  ot  similiter  di.xif,  quoad  hoc,  de  sancto 
Michaele.  »  Op.  cit.,  p.  167. 


DE  COMPIÈGXE  A  ROUEN.  —  hk    PROCÈS  323 

On  lui  demande  si  elle  navoit  onqiies  rien  fait  contre  la 
volonté  et  commandement  de  ses  voix.  Respond  que  tout  ce  qu'elle 
a  pu  et  seu  faire,  elle  la  accompli  de  tout  son  pouvoir.  Quant  à  ce 
quelle  avoit  sauté  de  la  tour  de  Beaurevoir,  c'estoit  contre  leur 
commandement;  mais  qu'elle  n'avoit  jamais  pu  s'en  abstenir,  et 
que  ses  voix,  veu  qu'elle  ne  pouvoit  se  commander  en  cela, 
l'avoient  secourue  et  préservée  qu'elle  ne  se  tuast.  Adjousta  que 
tout  ce  qu'elle  avoit  fait  en  ses  grandes  entreprises,  ses  voix 
l'avoient  tousjours  assistée,  et  que  cela  est  un  signe  que  ce  sont 
des  esprits  envoies  de  Dieu. 

Enquise  si  elle  a  quelque  autre  signe  que  ces  voix  sont  de  bons 
esprits  :  respond  que  saint  Michel  lui  avoit  certifié  cela  aupara- 
vant que  ses  voix  viennent  à  elle. 

[Des  apparitions  de  saint  Michel  en  particulier  . 

Interrogée  comme  elle  avoit  cognu  que  c'estoit  saint  Michel  : 
repart  que  c'estoit  par  sa  parole  et  par  l'idiome  des  anges,  et 
qu'elle  croit  fermement  que  c'estoit  des  anges. 

Enquise  comment  elle  a  pu  cognoistre  que  c'estoient  des  anges  : 
repart  qu'elle  a  cru  cela  bien  tost  et  eut  la  volonté  de  le  croire. 
Adjouste  que  saint  Michel,  estant  venu  à  elle,  lui  dit  que  saintes 
Catherine  et  iMarguerite  viendroient  à  elle  et  qu'elle  se  gouvernast 
par  leur  conseil,  qu'elles  estoient  ordonnées  pour  la  diriger,  con- 
duire et  lui  donner  advis  en  tout  ce  qu'elle  auroit  à  faire,  et  qu'elle 
les  crust  de  ce  qu'elles  lui  diroient,  que  tout  cela  se  faisoit  par  le 
commandement  de  Dieu. 

On  lui  demanda  si  le  diable  se  transformoit  en  ange  de  lumière, 
comment  elle  pourroit  cognoistre  que  ce  seroit  un  bon  ou  mauvais 
ange.  Répliqua  qu'elle  cognoistroit  bien  si  ce  seroit  saint  Michel 
ou  quelque  chose  feinte  sur  sa  ressemblance.  Et  que  la  première 
fois  qu'elle  vit  saint  Michel,  elle  eut  un  grand  doubte  si  c'estoit 
saint  Michel  ou  non  qui  venoit  à  elle  ;  et  que  cette  première  fois 
elle  eut  une  grande  crainte,  et  qu'elle  le  vit  plusieurs  fois  aupara- 
vant que  de  croii'e  que  c'estoit  saint  Michel. 

Enquise  pourquoj  elle  a  plus  tost  cru  que  c'estoit  saint  Michel 
une  fois  que  l'autre  :  respond  que  la  pi'emière  fois  elle  estoit  jeune 
et  eut  une  grande  crainte,  et  que,  par  après  saint  Michel  l'a  telle- 
ment enseignée  et  instruite,  qu'elle  a  cru  fermement  que  c'estoit  lui. 

Interrogée  quelle  doctrine  il  lui  avoit  montrée  :  reprit  que  sur- 
tout lui  recommandoit  qu'elle  fust  bonne  fille,  et  que  Dieu  luy 
aideroit  :  et  entre  autres  choses  lui  dit  qu'elle  allast  au  secours  du 
Roy  de  France  ;  et  que  la  plus  grande  pai'tie  de  ce  que  saint 
Michel  lui  a  dit  est  escrit  au  livre  auquel  on  a  registi-é  ce  procez^  : 

1.  C'est-à-dire  au  procès-verbal  de  l'e.'îainen  de  Poitiers. 


324  E.    RICHER.    —    LA    PUCELLE    D  ORLÉANS 

et  lui  racontoit  les  misères  et  calamitez  du  royaume  de  France. 

On  s'enquiert  de  quelle  grandeur  et  de  quelle  stature  estoit  cet 
ange.  Dit  que  samedi  prochain  elle  leur  respondra  sur  cela, et  d'une 
autre  chose  de  laquelle  elle  a  promis  de  respondre  de  ce  qu'il 
plaira  à  Dieu. 

Enquise  si  elle  croit  que  ce  soit  un  grand  péché  d'offenser  sainte 
Catherine  et  sainte  Marguerite  qui  lui  apparoissent,  et  faire 
quelque  chose  contre  leur  commandement  :  asseure  que  oui,  et  que 
ce  en  quoy  elle  les  a  jamais  plus  offensées  est  quand  elle  sauta  de 
la  tour  du  chasteau  de  Beaurevoir  :  de  quoy  elle  leur  demanda 
pardon,  et  pareillement  de  tout  ce  [en  quoy]  elle  les  pouvoit  avoir 
offensées. 

Interrogée  si  saintes  Catherine  et  Marguerite  prendroient  une 
vengeance  corporelle  pour  cette  offense-là  :  réplique  n'en  sçavoir 
rien  et  qu'elle  ne  [le]  leur  a  pas  demandé. 

L'interrogent  pour  quelle  occasion  elle  a  ci-devant  déposé  qu'on 
pendoit  quelques  fois  [les]  hommes  pour  dire  la  vérité,  et  si  elle 
sçait  quelque  chose  pour  quoy  elle  pourroit  ou  debvroit  mourir  au 
cas  qu'elle  le  confessast.  Uespond  que  non. 


ADYERTISSEMEiNT 

Tout  ce  qui  est  de  plus  notable  en  cette  séance  et  en  la 
prochaine  sont  plusieurs  interrogatoires  faits  à  la  Pucelle 
[sur  ce  point]  :  si  elle  ne  veut  pas  soumettre  à  l'Eglise  tous 
ses  faits  et  dits.  Et  pour  ce  qu'elle  maintenoit  estre  envolée 
de  Dieu,  on  lui  donne  à  entendre  qu'il  y  a  une  Eglise  mili- 
tante composée  de  Nostre  saint  père  le  Pape,  de  MM.  les 
Cardinaux,  archevesques,  évesques  régis  du  Saint-Esprit  et 
[qui]  ne  peut  errer,  etc.  ;  et  une  Eglise  triomphante  composée 
seulement  des  bienheureux.  Dieu,  ses  saints,  etc.  Or,  la 
Pucelle  ne  pouvant  pénétrer  en  des  controverses  si  ardues  et 
équivoques,  et  voyant  bien  que  tout  cela  tendoit  à  la  sur- 
prendre, n'ayant  personne  pour  lui  donner  conseil  ni  qui 
l'osast  entreprendre  —  tesmoin  ce  que  nous  avons  dit  de 
M'=  Isambert  de  la  Roche  —  elle  respond  qu'il  lui  semble  que 
c'est  toute  mesme  chose  de  l'Eglise  militante  et  triomphante, 
qu'elle  seroit  bien  marrie  de  dire  ou  faire  aucune  chose 
contre  la  foy  chrestienne  que  nostre  Seigneur  a  establie  et 
d'aller  au  contraire,  qu'elle  est  bonne  chrestienne,  etc.  Car 
c'est  sur  quoy  elle  debvoit  estre  principalement  interrogée, 


DE  COMPIÈGXE  A  UOUEX.  —  LE  PROCES         325 

à  sçavoir  de  sa  créance,  des  articles  de  la  foy,  commande- 
mens  de  Dieu,  sacrement  de  pénitence  et  communion  de  la 
sainte  Eucharistie,  selon  sa  portée  et  capacité,  examinant 
ses  révélations  par  la  bonne  ou  mauvaise  vie  qu'elle  tenoit, 
sans  user  d'aucunes  corrélations  ni  interrogatoires  captieux: 
joinct,  comme  nous  avons  dit  au  premier  livre,  que  les  révé- 
lations consistent  en  une  question  de  fait  cognu  à  Dieu  seul 
et  à  celui  à  qui  il  lui  plaist  de  la  manifester,  ainsi  mesme  que 
l'histoire  de  l'asnesse  de  Balaam  nous  le  certifie. 

Et  ne  faut  passer  sous  silence  une  insigne  meschanceté  et 
trahison  de  l'Evesque  de  Beauvais  qui  se  dit  juge  de  la 
Pucelle  et  ailleurs  lui  fait  entendre  qu'il  est  prest  de  lui 
donner  charitablement  conseil.  C'est  que  toutes  et  quantes 
fois  qu'il  lui  a  parlé  de  se  soumettre  à  l'Eglise  militante,  il 
envoioit  tousjours  clandestinement  en  la  prison  M*"  Nicolas 
Loiseleurun  de  ses  conseillers  et  assesseurs,  qui  faisoit  sem- 
blant d'estre  pi-isonnier  et  du  parti  françois  et  se  disoit  pres- 
tre,  comme  il  l'estoit  de  vray,  et  donnoit  à  entendre  à  cette 
pauvre  innocente  qu'elle  se  gardast  bien  de  se  soumettre  à 
l'Eglise,  que  si  elle  s'y  sousmettoit,  elle  seroit  condamnée  à 
mort.  Mesme  il  entendoit  la  Pucelle  de  confession.  Et  quand 
elle  fut  menée  au  supplice,  se  présenfa  pour  lui  demander 
pardon  de  ce  qu'il  l'avoit  trahie,  ainsi  que  plusieurs  tesmoins 
ont  déposé.  De  vérité,  qui  voudra  et  pourra  prendre  la  peine 
délire  ce  procez  embarrassé,  cognoistra  facilement  quel'Eves- 
que  de  Beauvais  a  proposé  malicieusement  cet  interrogatoire 
pour  restreindre  le  titre  d'Eglise  militante  aux  seuls  prélats 
et  clergé  du  parti  anglois  :  ce  qui  se  vérifie  par  les  actes.  Car 
la  Pucelle,  dès  la  première  citation  qui  lui  fut  faite,  ayant 
demandé  qu'on  appelast  aussi  bien  des  ecclésiastiques  du 
parti  de  son  Roy  comme  du  parti  anglois,  on  ne  lui  fit  aucune 
raison  sur  cette  juste  demande.  Etmaistre  Jean  Lohier,  audi- 
teur de  Rote,  ayant  parlé  pour  la  Pucelle  et  pour  le  Roy  de 
France,  fut  contraint  de  vuider  le  païs.  Davantage  :  la  Pucelle 
ayant  plusieurs  fois  requis  qu'on  la  menast  au  Pape,  l'Eves- 
que respondit  que  c'estoit  chose  impossible  :  ce  qui  fait 
notablement  veoir  que,  sous  les  termes  d'Eglise  militante,  il 
vouloit  comprendre  les  seuls  prélats  du  parti  anglois,  car 


326  E.    RIGHER.    LA    PUCELLE    D  ORLÉANS 

autrement  la  Pucelle  lui  e'chappoit  et  [il]  ne  la  pouvoit  con- 
damner. De  vérité,  leprocez  qu'il  a  fait  à  cette  fille,  tel  mesme 
qu'il  nous  l'a  laissé,  est  sa  propre  condamnation  devant  Dieu 
et  les  hommes.  Par  toute  disposition  de  droit  divin  et 
humain,  les  ennemis  capitaux  sont  récusez  pour  juges.  Une 
pauvre  bergère,  destituée  de  conseil,  ignorant  les  termes 
dont  on  use  en  justice  pour  se  deffèndre  et  appeler  au  saint 
Siège  Apostolique  de  l'inique  sentence  de  ses  ennemis,  est 
livrée  entre  les  mains  du  bourreau  par  l'Evesque  de  Beau- 
vais  pour  ne  s'estre  voulu  soumettre  à  l'Eglise  d'Angleterre, 
laquelle  on  a  proposée  à  cette  innocente  sous  le  terme  cap- 
tieux et  équivoque  d'Eglise  militante ^ 

SÉANCE  XIV 

[Huitième  interrogatoire  dans  la  prison] 

Le  samedi,  dix-septiesme  mars  1430,  la  Pucelle  est  requise 
de  faire  serment  qu'elle  dira  la  vérité  :  ce  qu'elle  promit.  Et 
M*  Jean  de  la  Fontaine  continue  tousjours  à  l'interroger  : 
outre  les  autres  qui  se  jetoient  quelquefois  à  la  traverse  et 
deux  ou  trois  à  la  fois*lui  faisoient  des  questions,  ainsi  que 
nous  avons  observé  ailleurs. 

Donc  on  s'enquit  premièrement  en  quelle  forme,  grandeur, 
espèce  et  habit  saint  Michel  vient  à  elle.  Confesse  que  c'est  en  la 
forme  d'un  vray  prud'homme,  et  pour  le  regard  de  l'habit  et  des 
autres  choses,  n'en  parlera  point.  Quant  aux  anges,  dit  les  avoir 
veu  de  ses  yeux  et  qu'elle  ne  dira  rien  davantage  de  cela.  Adjouste 
croire  aussi  fermement  les  dits  et  faits  de  saint  .Alichel  qui  lui 
apparoist,  comme  elle  croit  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  a 
souffert  mort  et  passion  pour  nous;  et  que  ce  qui  l'induit  à  croire 


1.  Observation  d'E.  Riclier  :  «  J'oubliois  d'advertir  le  lecteur  que  la 
Pucelle  interrogée  comment  elle  avoit  cognu  saint  Michel  respondit  . 
Par  la  parole  et  idiome  des  anges;  qui  est  sa  propre  déposition,  alîn 
qu'on  ne  pense  pas  que  ce  terme  idiome  des  anges  vienne  (i'aiheurs.  » 

Si  Richer  avoit  eu  connaissance  du  manuscrit  de  d'Orfé  qui  reproduit 
une  partie  des  réponses  textuelles  de  Jeanne,  il  n'eût  pas  écrit  cette 
observation,  car  la  jeune  lille  parle  non  de  Yidiome,  mais  du  langage 
des  anges.  Au  t.  I  de  J.  Quicherat,  p,  170.  on  verra  qu'elle  répondit  : 
«  Parle  parler  et  le  langage  des  anges.  » 


DE 

COMPIÈGXE 

cel; 

1,  est  le  bon 

conseil, 

lai 

quil  lui  donne. 

A    ROUEN.    LE    PROCÈS  327 

bonne  consolation  et  bonne  inslniclion 


[De  la  soumission  à  la  détermination  de  lÊglise]. 

Enquise  si  elle  se  veut  rapporter  à  la  détermination  de  l'Eglise 
de  tous  ses  faits,  soit  bons  ou  mauvais  :  respond  quant  à  l'Eglise, 
qu  elle  l'ayme  grandement  et  la  voudroit  soutenir  de  tout  son  pou- 
voir pour  la  fo}^  chrestienne.  Et  n'est  pas  telle  qu'on  la  doibve 
«mpescher  d'aller  à  l'Eglise  et  d'oujr  la  messe.  Mais  quant  aux 
bonnes  œuvres  qu'elle  a  faites  et  pour  ce  qui  est  de  sa  venue,  il 
faut  qu'elle  s'en  rapporte  au  Roy  du  ciel  qui  l'a  envolée  à  Charles 
fils  de  Charles  Rov  de  France.  Et  vous  verrez  bientost  les  François 
gagner  un  grand  affaire  lequel  Dieu  leur  envoiei'a,  et  que  tout  le 
royaume  de  France  branlera.  Et  qu'elle  [le]  leur  dit,  afin  qu'ils 
en  ayent  souvenance,  quand  cela  arrivera.  Requise  de  dire  le 
temps  auquel  cela  adviendra,  réplique  qu'elle  s'en  rapporte  à 
Dieu. 

Lui  demandent  derechef  si  elle  s'en  remet  à  la  détermination  de 
l'Eglise  touchant  ses  faits  et  dits.  Réplique  qu'elle  s'en  rapporte  à 
Dieu  qui  l'a  envolée  et  à  la  bienheureuse  Vierge  Marie,  et  à  tous 
les  saints  et  saintes  du  paradis.  Uu'il  lui  semble  que  c'est  toute 
une  mesme  chose  de  Dieu  et  de  l'Eglise,  et  qu'on  ne  dolbt  faire 
difficulté  de  cela;  et  leur  demande  pour  quoy  ils  en  font  difficulté. 

Alors  on  lui  remonstra  qu'il  y  avoit  une  Eglise  triomphante  où 
est  Dieu,  les  anges  et  les  âmes  des  bienheureux,  et  une  Eglise  mili- 
tante en  laquelle  est  le  Pape,  vicaire  de  Dieu  en  terre,  les  cardi- 
naux, prélats  de  l'Eglise,  et  le  clergé,  et  tous  les  bons  chrestiens  et 
catholiques  ;  que  cette  Eglise  bien  congregée  [réunie]  et  assemblée 
ne  peut  errer,  parce  qu'elle  est  régie  du  Saint-Esprit. 

Interrogée  si  elle  se  veut  rapporter  à  l'h^glise  militante  qui  est 
en  terre,  ainsi  qu'on  lui  a  déclaré  :  repart  estre  envolée  au  Roy  de 
France  de  la  part  de  Dieu,  de  la  bienheureuse  Vierge,  et  de  tous 
les  saints  et  saintes  du  paradis,  et  de  l'Eglise  victorieuse  du  ciel 
et  par  leur  commandement,  et  qu'elle  se  soumettra  à  cette  Eglise. 
Et  dit  que  pour  se  sousmettre  à  l'Eglise  militante,  elle  ne  leur  res- 
pondra  autre  chose  pour  le  présent. 

[De  la  reprise  de  l'habit  de  femme]. 

Enquise  ce  qu'elle  veut  dire  de  cet  habit  de  femme  qu'on  lui 
offre,  afin  qu'elle  puisse  aller  à  la  messe  ;  repart  qu'elle  ne  le  pren- 
dra point  encore  jusques  à  ce  qu'il  plaira  à  Dieu.  Que  s'il  est  ainsi 
qu'il  faille  qu'elle  soit  menée  jusques  au  jugement,  elle  se  rappor- 
tera à  messieurs  les  gens  d'Eglise  [pour]  qu'ils  lui  fassent  cette 
grâce  d'avoir  une  chemise  de  femme  et  un  couvrechef  en  sa  teste 
et  qu'elle  ayme  mieux  mourir  que  de  révoquer  ce  que  Dieu  lui  a 


328  E.    RICHER.    —    LA    PUCELLE    d'oRLKANS 

fait  faire;  et  ci'oit  fermement  que  Dieu  ne  permettra  pas  qu'elle 
soit  mise  si  bas,  qu'elle  n'aye  bien  tost  secours  par  quelque  miracle. 

On  lui  demande,  veu  qu'elle  asseure  porter  l'habit  viril  par  com- 
mandement de  Dieu,  poui'quoj  elle  demande  une  chemise  de  femme 
à  l'article  de  la  mort.  Respond  qu'il  lui  suffit  que  cette  chemise 
soit  bien  longue. 

Interrogée  si  sa  marraine  qui  a  veu  mesdames  les  fées  est  tenue 
pour  une  bonne  et  prude  femme  :  maintient  que  oui  et  n'est  répu- 
tée devineresse  ni  sorcière. 

Et  attendu  qu'elle  avoit  déposé  que,  si  on  lui  permettoit  de  s'en 
aller,  elle  prendroit  un  habillement  de  femme,  on  lui  demanda  si 
c'estoit  la  volonté  de  Dieu  quelle  changeast  d'habit.  Confesse  que 
si  on  lui  avait  donné  permission  de  s'en  aller  en  habillement  de 
femme,  elle  repi-endroit  incontinent  après  un  habit  d'homme  et 
feroit  ce  qui  lui  est  commandé  de  Dieu,  ainsi  qu'elle  a  respondu 
autres  fois,  et  que  pour  chose  du  monde  ne  voudroit  faire  serment 
de  ne  plus  porter  les  armes  et  un  habillement  dhomme,  désirant 
faire  le  commandement  de  Dieu. 

On  s'enquiert  d'elle  de  quel  âge  estaient  sainte  Catherine  et 
sainte  ]\larguerite,  et  quels  habillements  elles  avoient.  Respond 
qu'ils  avoient  d'elle  sa  response  sur  cela  et  ne  leur  en  donneroit 
point  d'autre,  qu'elle  leur  avoit  dit  ce  qu'elle  en  sç.avoit  de  plus 
certain. 

Enquise  si,  auparavant  ce  jour,  elle  a  cru  que  mesdames  les  fées 
estoient  de  malins  esprits  :  réplique  ne  sçavoir  rien  de  cela. 

[Si  les  saintes  de  Jeanne  haïssaient  les  Anglais]. 

Demandent  si  saintes  Catherine  et  Marguerite  haïssent  les 
Anglois.  Dit  qu'elles  ayment  ce  que  Dieu  ajme,  et  haïssent  aussi 
ce  qu'il  hait. 

Interrogée  si  Dieu  hait  les  Anglois  :  respond,  pour  ce  qui  est  de 
l'amour  et  de  la  haine  quant  à  leur  ame,  n'en  sçavoir  rien  ni  ce  qu'il 
leur  fera  ;  mais  qu'elle  sçait  bien  qu'ils  seront  chassez  de  France 
et  que  Dieu  envolera  une  victoire  aux  François  contre  les  Anglois. 

Enquise  si  Dieu  estoit  pour  les  Anglois  quand  leurs  affaii*es  pros- 
péroient  en  France  :  respond  qu'elle  ne  sçait  pas  si  Dieu  haïssoit 
les  François;  qu'elle  croit  bien  qu'il  vouloit  permettre  que  les 
François  fussent  chastiez  pour  leurs  péchés  s'ils  en  avoient. 

On  lui  demande  quelle  garantie  et  secours  elle  espère  de  Dieu, 
de  ce  qu'elle  portoit  un  habillement  d'homme.  Dépose,  soit  de 
l'Habit  ou  de  tout  ce  qu'elle  a  fait,  qu'elle  n'en  attend  autre 
récompense  que  le  salut  de  son  ame. 

Interrogée  quelles  armes  elle  offrit  en  l'église  de  Saint-Denis  en 
France  :  asseure  que  ce  fut  son  harnois  blanc  tout  complet,  avec 
une  épée  qu'elle  avoit  gagnée  devant  Paris. 


DE  COMPIÈGXE  A  ROUEN.  —  LE  PROCÈS  32* 

S'enquièrent  pourquoy  elle  offrit  ses  armes.  Maintient  que  ce  fut 
par  dévotion,  ainsi  que  gens  de  guerre  ont  accoustumé  après  avoir 
été  blessez;  et  parce  qu'elle  avoit  esté  blessée,  elle  oiïrit  ses  armes 
à  saint  Denis,  d'autant  qu'il  est  réclamé  en  France  ^  On  lui 
demande  si  c'est  pour  faire  adorer  ses  armes.  Dit  que  non. 

Enquise  de  quoy  servoient  ces  cinq  croix  engravées  en  l'espée 
qu'elle  avoit  trouvée  à  Sainte-Catherine  de  Fierbois  :  répliqua  n'en 
sçavoir  rien. 

On  lui  demande  qui  l'avoit  mue  de  faire  peindre  des  anges  avec 
des  bras,  pieds,  jambes,  et  vestements  en  son  estandart.  Dit  avoir 
desjà  respondu  à  cela. 

Interrogée  si  ce  sont  les  anges  qui  viennent  à  elle  qu'elle  a  fait 
peindre  :  repart  qu'elle  les  a  l'ait  peindre  comme  on  les  peint  aux 
églises.  On  lui  demande  si  elle  les  a  veus  jamais  de  la  manière 
dont  ils  ont  esté  dépeints.  Respond  qu'elle  ne  leur  dira  autre 
chose. 

Enquise  pourquoj  elle  n'a  pai-eillement  fait  peindre  la  clarté 
qui  vient  à  elle  avec  l'ange  ou  avec  ses  voix  :  confesse  n'avoir  eu 
commandement  de  le  faire. 


ADVERTISSEMENT 

Le  lecteur  prendra  garde  h  plusieurs  cavillations  proposées 
en  cette  séance  àlaPucelle,  afin  de  la  surprendre.  Et  entre 
autres,  ils  lui  demandent  [ce]  qu'elle  veut  dire  de  cet  habille- 
ment de  femme  qu'on  lui  offre  afin  qu'elle  puisse  aller  à  la 
messe,  etc.  Car  sur  cette  offre  captieuse  ils  ont  fait  une 
induction  couchée  aux  douze  articles  envoiez  à  l'Université 
de  Paris  :  que  cette  fille  avoit  préféré  l'habillement  d'homme 
qu'elle  portoit,  pour  aller  à  la  messe  et  pouvoir  communier 
mesme  le  jour  de  Pasques,  etc.  A  raison  de  quoy,  l'Université 
de  Paris  qui  n'a  eu  cognoissance  des  causes  et  circonstances 
alléguées,  pourquoy  la  Pucelle  retenoit  cet  habillement 
d'homme,  Ta  déclarée  absolument  impie,  hérétique  et  mal 
sentant  de  la  foy,  etc.,  comme  ayant  préféré  le  port  d'un 
habit  viril  pour  ouyr  la  messe  et  communier  aux  jours 
ordonnez  par  l'Eglise  :  [ce^  qui  est  une  pure  et  noire  calomnie. 
Car  c'est  toute  autre  chose  ne  vouloir  absolument  ouyr  la 


1.  D'après  le  texte  :  «  d'autant  que  c'est  le  cri  de  France  — propter 
hoc  quod  est  clamor  Franciae.  »  Montjoie  Saint-Denis  !  (Procès,  t.  I,  p. 


330  E.    RICHER.    LA    PUCELLE    D  ORLEANS 

messe  ni  recevoir  la  sainte  communion,  et  refuser  de 
l'entendre  et  de  communier  sous  certaines  conditions 
périlleuses,  et  mesme  de  contrevenir  aux  commandements 
de  Dieu. 

On  tient  pour  règle  de  théologie,  quand  deux  préceptes 
divins  semblent  se  heurter  et  contrarier  l'un  l'autre, 
que  le  moindre  doibt  céder  au  plus  grand,  et  le  condi- 
tionnel et  provisionnel  périlleux  à  l'absolu  non  périlleux. 
La  Pucelle  dit  avoir  exprès  et  absolu  commandement  du 
ciel  de  porter  un  habillement  d'homme,  pour  satisfaire  à 
sa  mission  et  converser  parmi  les  gens  de  guerre,  afin  de 
garder  sa  virginité  et  n'induire  personne  à  tentation,  etc. 
Or,  estant  en  prison  au  chasteau  de  Rouen,  gardée  par  les 
Anglois  ses  ennemis  mortels,  qui  s'estoient  efforcez  maintes 
fois  d'attenter  à  son  honneur,  et  pour  celte  occasion  estoit 
contrainte  d'estre  jour  et  nuit  esguilletée,  ainsi  que  nous 
avons  observé  ailleurs,  l'Evesque  de  Beauvais  lui  demande  si 
elle  veut  prendre  un  habillement  de  femme,  et  qu'on  lui 
permettra  d'ouyr  la  messe  et  de  communier  le  jour  de 
Pasques.  Laquelle  proposition  est  équipollentc  à  un  précepte 
conditionnel  et  provisionnel,  périlleux  pour  cette  fille,  C'est 
pourquoy,  régie  qu'elle  estoit  de  l'esprit  de  Djeu,  considérant 
qu'elle  n'avait  encore  aucun  commandement  de  quitter  cet 
habit,  et,  le  quittant,  quelle  s'exposoit  au  péril  d'estre 
violée,  demeurant  tousjours  parmi  ses  ennemis  mortels, 
pour  ces  causes  elle  demeure  perplexe  sur  la  proposition  de 
l'Evesque  de  Be,auvais  ;  et  il  n'y  a  personne  craignant  Dieu, 
les  susdites  circonstances  posées,  qui  n'eust  fait  la  mesme 
response  que  cette  fille  a  faite  :  joinct  que  cette  permission 
d'ouyr  la  messe  et  de  communier  n'est  que  conditionnelle, 
provisionnelle  et  périlleuse  pour  cette  fille. 

Voici  encore  une  autre  insigne  meschanceté.  La  Pucelle 
ayant  déposé  qu'une  sienne  marraine  lui  avoit  dit  autrefois 
avoir  veu  auprès  du  Beau  ^fay  les  fées  (séance  troisiesme),  ils 
lui  demandent  si,  auparavant  ce  jour,  elle  a  cru  que  les  fées 
fussent  des  esprits  malins;  et  ayant  respondu  ne  sçavoir  si 


DE  COMPIÈGNE  A  ROUEN.  LE  PROCÈS  331 

elles  l'étaient,  le  Promoteur  (article  cinquiesme)  conclud 
qu'elle  les  a  tenues  pour  anges  de  lumière.  Mais  partout  il  est 
ordinaire  à  cet  homme  de  substituer  l'affirmative  pour  la 
négative,  et  au  contraire  la  négative  pour  l'affirmative. 

Une  autre  malicieuse  chicanerie:  on  lui  demande  si  sainte 
Catherine  et  Marguerite,  voire  Dieu  mesme,  haïssent  les 
Anglois,  etc.  Elle  respond  que  les  saints  ayment  et  haïssent 
ceux  que  Dieu  ayme  et  hait  ;  et  quant  à  ce  qui  est  de  l'amour 
ou  de  la  haine  de  l'ame,  n'en  sçavoir  rien,  ni  de  ce  que  Dieu 
fera  aux  Anglois  :  bien  estre  certaine  qu'ils  seront  chassez  de 
France,  etc.  Sur  laquelle  response  très  véritable,  le  Promoteur 
(article  trente-sixiesme  de  sa  production),  conclud  impudem- 
ment et  faussement  que  cette  fille  a  dit  que  Dieu  et  ses  saintes 
haïssoient  certaines  nations  fort  saintes  et  religieuses, 
honorant  les  saints  du  paradis  conformément  à  l'ordonnance 
et  tradition  de  l'Eglise  catholique.  Car  cet  homme  partial 
allègue  toujours  pour  certain  et  avéré  tout  ce  que  la  Pucelle 
a  expliqué  en  très  bon  sens  et  catholique,  ou  qu'elle  a  nié 
absolument  :  comme  ainsi  il  asseure  qu'elle  a  laissé  ses  armes 
à  Saint-Denis  pour  les  faire  adorer  au  peuple. 

SÉA.XCE  XV 

[Neuvième  ixterrogatûiue  dans  la  prison] 

De  l'étendard. j 

Le  mesme  jour  de  samedi  dix-septiesme  mars  après-midi,  la 
Pucelle  est  interrogée,  sçavoir  si  ces  deux  angos  en  son  enseigne 
représentoient  saint  Michel  et  saint  (Jabriel.  Dépose  n"avoir  esté 
là  despeints  que  pour  Ihonneur  de  Dieu  qui  tenoit  un  monde  en  son 
enseigne. 

On  lui  demande  si  ces  deux  anges  estoient  deux  anges  gardant  le 
monde,  et  pourquoy  il  n'y  en  avoit  plusieurs,  veu  que  Dieu  lui 
avoit  commandé  de  prendre  et  porter  cet  estandart.  l{.ecognoist 
avoir  eu  de  cela  exprès  commandement  de  la  pai't  de  Dieu,  saintes 
Catherine  et  Marguerite,  lesquelles  lui  dirent  qu'elle  prist  un 
estandart  de  l'ordonnance  du  Koy  du  ciel  ;  et  qu'ayant  eu  ce  com- 
mandement, elle  avoit  fait  peindre  la  figure  de  Dieu  et  des  anges 
en  son  enseigne,  et  que  le  tout  avoit  esté  fait  par  ordonnance  du 
ciel. 


332  E.    mCHER.    —    LA    PUCELLE    d'oRLÉANS 

Enquise  si  elle  avoit  demandé  à  ses  deux  saintes  qu'en  vertu  de 
cet  estandart  elle  gagnast  toutes  les  guerres  auxquelles  elle  se 
mettroit,  et  qu'elle  emportast  toujoiu-s  la  victoire;  répliqua  qu'elles 
lui  avoient  enjoinct  de  porter  hardiment  un  estandart  et  que  Dieu 
luy  ajderoit. 

On  lui  demanda  si  elle  avdoit  plus  son  estandart  que  son 
estandart  ne  lui  aydoit.  Respond  que  toute  sa  victoire  et  celle  de 
son  estandart  provenaient  de  Dieu. 

Enquise  si  l'espérance  d'obtenir  la  victoii'e  estoit  fondée  en 
l'estendart  ou  en  elle-mesme  :  repart  que  tout  cela  dépendoit  de 
Dieu  et  non  d'autre. 

On  lui  demande,  si  quelque  autre  portant  cet  estandart,  il  auroit 
aussi  bonne  fortune  qu'elle  mesme  avoit.  Asseure  n'en  sçavoir  rien 
et  s'en  rapporte  à  Dieu. 

Interrogée,  si  quelqu'un  de  son  parti  lui  eust  donné  à  porter  son 
estandart.  à  sçavoir  si  elle  eust  eu  autant  d'espérance  en  icelui 
qu'au  sien  propre  qui  lui  avoit  esté  donné  de  la  part  de  Dieu,  et 
principalement  en  celui  de  son  Roy  :  répliqua  qu'elle  portoit  plus 
volontiers  celui  qu'elle  avoit  eu  ordonnance  de  porter  de  la  part  de 
Dieu  ;  néantmoins  que  de  tout  cela,  elle  s'en  remelloit  à  Dieu. 

On  s'enquierl  à  quoy  estoit  bon  ce  signe  ou  marque  qu'elle 
mettoit  en  ses  lettres  avec  ces  noms  Jésus  Maria.  Respond  que  les 
ecclésiastiques  escrivanl  des  lettres  en  usoient  ainsi,  et  qu'aucuns 
lui  avoient  remonstré  que  c'estoit  bien  séant  avec  ces  deux  noms 
Jésus  Maria. 

Enquise  si  elle  avoit  eu  révélation,  au  cas  qu'elle  perdist  sa 
virginité,  qu'elle  perdroit  aussi  sa  bonne  fortune  et  que  ses  voix 
ne  viendroient  plus  à  elle  :  respond  que  cela  ne  lui  a  pas  esté 
révélé. 

On  lui  demande  si  elle  croit  que  estant  mariée,  ses  voix  conti- 
nueroient  tousjours  de  la  visiter.  Repart  n'en  sçavoir  rien  et  qu'elle 
s'en  rapporte  à  Dieu. 

Interrogée  s'il  elle  estimoit  et  croyoit  fermement  que  son  Roy 
eust  bien  fait  en  tuant  Monseigneur  le  duc  de  Rourgogne  :  dit  que 
c'a  esté  un  grand  malheur  pour  le  royaume  de  France  ;  mais  qu'à 
l'aison  de  ce  qui  s'estoit  passé  entre  ces  deux  princes.  Dieu  l'avoit 
envoiié  au  secours  du  Roy  de  France. 

Et  d'autant  qu'elle  avoit  confessé  qu'elle  respondroit  à  l'Evesque 
de  Reauvais  et  à  ceux  qu'il  avoit  commis,  tout  ainsi  qu'elle  feroit 
à  nostre  saint  père  le  Pape  mesme,  et  toutes  fois  il  y  avoit  plusieurs 
articles  et  points  auxquels  elle  ne  vouloitrespondre;  on  lui  demanda 
si  elle  respondroit  plus  amplement  devant  le  Pape.  Maintient  avoir 
respondu  tout  le  plus  véritablement  qu'elle  a  pu,  et  si  elle  sravoit 
quelque  chose  de  laquelle  elle  se  souvint  qu'elle  n'eust  déclarée,  la 
diroit  très  volontiers. 

Intei-rogée  s'il  lui  semble  qu'elle  soit  tenue  de  dire  plus  pleine- 


DE  COMPIÈGXE  A  ROUEX.  —  LE  PROCÈS  333 

ment  la  vérité  à  nostre  saint  père  le  Pape,  vicaire  de  Dieu,  de  tout 
ce  qu'on  lui  demanderoit  concernant  la  foy  et  le  fait  de  sa  con- 
science, qu'elle  nerespond  à  lui  Evesque  :  lors  elle  demanda  qu'elle 
fust  menée  devant  nostre  saint  père  le  Pape  et  qu'elle  respondroit 
devant  lui  tout  ce  qu'elle  doit  respondre. 

Enquise  de  quelle  matière  estoit  un  de  ses  anneaux  auxquels 
estoient  engravez  ces  noms  Jésus  Maria  :  repartit  qu'elle  ne  sçait 
proprement  ;  que  s'il  estoit  d'or,  ce  n'esloit  pur  or  et  ne  sçait  s'il 
estoit  d'or  ou  d'ambre  :  et  estime  qu'il  y  avoit  trois  croix  et  nul 
autre  signe,  comme  elle  pense,  excepté  ces  deux  noms  Jésus  Maria. 

On  lui  demande  pourquoi  allant  à  quelque  faction  de  guerre,  elle 
jetoit  volontiers  les  yeux  sur  cet  anneau.  Respond  que  c'est  par 
quelque  complaisance  et  pour  l'honneur  de  son  père  et  de  sa  mère, 
et  qu'ayant  cet  anneau  en  son  doigt  elle  en  avoit  touché  sainte 
Catherine  lorsqu'elle  lui  apparut  visiblement.  Interrogée  en  quelle 
part  elle  avoit  touché  sainte  Catherine,  répliqua  qu'ils  n'auront 
autre  chose  d'elle. 

[Des  témoignages  affectueux  reçus  de  ses  saintes 
par  la  Pucelle.] 

On  lui  demande  si  jamais  elle  avoit  baisé  ou  embrassé  ces  deux 
saintes,  et  si  elles  avoient  bonne  odeur.  Repart  qu'il  est  bon  de 
sçavoir  qu'elles  avoient  bonne  odeur. 

Interrogée  si,  en  les  embrassant,  elle  y  ressentoit  de  la  chaleur 
ou  quelque  autre  chose  :  dépose  qu'elle  ne  les  pouvoit  embrasser 
sans  les  sentir  et  toucher.  Enquise  par  quelle  partie  elle  lesembras- 
soit,  si  c'estoit  par  en  haut  ou  par  en  bas  :  réplique  qu'il  est  meilleur 
et  plus  séant  de  les  embrasser  par  en  bas  que  par  en  haut. 

On  lui  demande  si  elle  leur  a  donné  quelques  bouquets  ou 
chapeaux  [de  fleursL  Respond  qu'en  leur  honneur  elle  a  fait  et 
donné  plusieurs  fois  des  bouquets  à  leurs  images  ou  représentations 
qui  sont  aux  églises  ;  et  quanta  celles  qui  lui  apparoissent,  ne  se 
souvient  leur  en  avoir  donné. 

Enquise  lorsqu'elle  mettoit  des  bouquets  en  l'arbre  appelé  le  Reau 
May,  dont  a  esté  parlé  ci-devant,  si  c'estoit  en  l'honneur  de  celles 
qui  lui  apparoissent  :  dit  que  non. 

Intei'rogée,  quand  ces  saintes  viennent  à  elles,  si  elle  leur  fait 
la  révérence  fléchissant  les  genoux  et  s'inclinant  :  asseure  que  oui. 
et  le  plus  qu'elle  peut  leur  fait  la  révérence,  sçachant  bien  qu'elles 
sont  au  royaume  des  cieux. 

On  lui  demande  si  elle  sçait  quelque  chose  de  ceux  qui  vont  en 
l'erré  avec  les  fées.  Repart  n'y  avoir  jamais  esté  et  ne  sçavoir  rien 
de  cela  :  bien  avoir  ouy  dire  qu'elles  y  alloient  le  jeudi,  qu'elle  ne 
croit  point  cela,  et  que  ce  n'est  que  sorcellerie. 

Enquise  si  quelqu'un  avoit  fait  venteler  [flotter]  son  estandart  à 


334  E.    RICHER.    —    LA.    PUCELLE   D  ORLEANS 

l'enlour  de  la  teste  de  son  Roy,  quand  il  fut  consacré  à  Rheims  : 
respond  que  non.  au  moins  quelle  sçache. 

Interrogée  pourquoy  son  estandart  avait  plus  tost  esté  porté  à 
l'église  de  Rheims  que  les  enseignes  des  autres  capitaines  :  maintient 
que  son  estendart  ayant  porté  la  peine,  c'estoit  bien  raison  qu'il 
participast  à  Ihonneur  '■. 


ADVERTISSEMENT  SUR  LA  QUINZIEME  SEANCE 

Cette  séance  regorge  de  malignes  cavillations,  car  tout  y 
est  détorqué  à  sorcellerie,  comme  l'estandart  de  cette  fille,  le 
signe  qu'elle  mettoit  en  teste  de  ses  missives  avec  ces  deux 
motsJÉsus3lARiA,  ses  anneaux  de  cuivre  doré  auxquels  estoient 
engravez  les  noms  de  Jésus  et  de  la  Vierge  ;  pareillement  sa 
virginité:  ils  lui  demandent  si  sa  bonne  fortune  y  est  attachée. 
Et  mesme  pour  la  surprendre  et  l'induire  à  parler  contre  le 
sacrement  de  mariage,  s'enquièrent  si  elle  croit  que  ses  voix 
ne  la  visiteroient  plus  estant  mariée.  Repart  n'en  rien  sçavoir. 
S'enquièrent  encore  si  elle  croit  fermement  que  son  Roy  aye 
bien  fait,  faisant  tuer  le  duc  de  Bourgogne.  Recognoit  que 
c'a  esté  un  grand  malheur  pour  la  France,  mais  que  Dieu 
l'avoit  envolée  au  secours  du  Roy  :  toutes  admirables 
responses.  Certes,  le  Dauphin  n'ayant  que  dix-huit  ans 
lorsque  le  duc  de  Bourgogne  fut  tué,  estoit  excusable,  et  non 
pas  ceux  qui  lui  conseillèrent  de  se  résoudre  à  consentir  à  ce 
meurtre.  Sur  lequel  nous  ferons  une  considération,  puisque 
l'histoire  est  la]  maistresse  de  la  vie. 

Vérilablement,  outre  la  religion  et  la  foy  publique  et  les 
serments  violez  que  Dieu  ne  laisse  jamais  impunis,  il  faut  que 
le  Président  de  Provence,  Tanneguy  du  Chastel  et  autres  con- 
seillers et  exécuteurs  de  cette  entreprise  fussent  du  tout  aveu- 
gles, despourveus  de  conseil  et  prudence  humaine.  Les  loups 
poursuivans  une  proie  n'entrent  jamais  en  un  lieu,  qu'ils  ne 
veoient  une  autre  issue  que  celle  par  laquelle  ils  entrent.  Ces 


1.  Réponse  propre  de  Jeanne,  autrement  laconique  et  chevalere^sque, 
pour  ne  pas  dire  sublime  :  «  Il  avait  été  à  la  peine,  c'était  bien  raison 
qu'il  fust  à  l'honneur  :  »  (Manuscrit  de  D'Urfé  ;  Procès,  t.  I.  p.  187). 


DE  COMPIÈGNE  A  ROUEN.  —  LE  PROCÈS  335 

gens  debvoient  par  ratiocination  considérer  l'événement  de 
leur  furieuse  conspiration  sur  Testât  des  affaires  publiques  qui 
régnoit lors.  Premièrement,  que  Charles  VI  estoit griefvement 
malade,  auquel  Isabeau  de  Bavière  faisoit  faire  tout  ce  que  bon 
lui  sembloit,  mesme  contre  le  Dauphin  son  propre  fils.  Secon- 
dement, que  l'Anglois  recherchoit  Madame  Catherine  de 
France  pour  épouse  ettenoit  en  France  toute  la  Guyenne  et  la 
Normandie  :  davantage,  estoit  en  très  bonne  intelligence 
avec  le  duc  de  Bourgogne,  lequel  possédoit  plusieurs  grands 
Estats  tant  en  France  qu'en  Flandre,  outre  qu'il  avoit  gagné 
l'affection  des  Parisiens  et  de  l'Université  de  Paris,  voire  de 
toute  la  populace  de  France.  Troisiesmement,  que  son  fils 
Philippe  estoit  marié,  âgé  de  vingt-trois  ans,  capable  de 
porter  les  armes,  de  conduire  les  armées  et  de  succéder  à 
tous  les  Estats  et  intérests  de  son  père  pour  se  venger  du 
Dauphin,  comme  il  fit.  En  quatriesme  lieu,  que  le  Dauphin 
n'avoit  rien  que  le  nom  de  Dauphin  avec  un  bien  petit 
apanage  ;  et  d'ailleurs  estoit  de  fort  petite  complexion  et 
bien  peu  agissant.  Par  ainsi,  on  cognoist  que  la  Pucelle  a 
beaucoup  plus  prudemment  considéré  et  pris  cette  affaire  que 
les  gens  du  Dauphin,  disant  que  la  mort  du  duc  de  Bourgogne 
avoit  esté  un  grand  malheur  pour  la  France  et  que  Dieu 
l'avoit  envolée  au  secours  du  Roy,  car  autrement  ce  prince 
eust  succombé  aux  forces  de  ses  ennemis  ;  afin  que  chacun 
recognoisse  les  merveilles  de  Dieu  à  l'endroit  de  ce  pauvre 
Estât. 

La  Pucelle,  séance  cinquieshie,  avoit  dit  qu'elle  respondroit 
comme  si  elle  eust  esté  devant  le  Pape.  L'Evesque  de  Beauvais 
demande  si  elle  peut  estre  obligée  dire  plus  amplement  la 
vérité  à  nostre  saint  père  le  Pape  qu'à  lui  Evesque,  etc.  Elle 
repart  et  demande  d'estre  menée  devant  le  saint-Père,  et 
qu'elle  dira  tout  ce  qu'elle  a  à  respondre.  Laquelle  déposition 
debvoit  estre  tenue  pour  un  juste  appel  et  récusation  de 
l'Evesque  de  Beauvais  ;  veu  que  cette  fille  n'entendoit  les 
termes  et  formes  dont  on  use  en  justice,  et  n'estoit  assistée 
d'aucun  conseil,  ainsi  que  nous  avons  desjà  remarqué. 

Ils    lui    demandent    si,  embrassant    les     saintes    qui   la 


336  E.    RICHER.    —   LA    PUCELLE    D  ORLEANS 

visitoient,  elle  se  ressentoit  de  la  chaleur  ou  quelque  autre 
chose.  Réplique  ne  les  pouvoir  embrasser  sans  les  toucher  et 
sentir.  L'interrogent  si  c'est  par  en  haut  ou  par  en  bas  qu'elle 
les  embrasse.  Confesse  qu'il  est  meilleur  et  plus  séant  par  en 
bas  que  par  en  haut  ;  car  quelqu'un  faisant  la  révérence,  se 
doibt  abaisser  en  signe  d'humilité  et  de  submission. 

Elle  nie  avoir  jamais  esté  quant  et  [avec]  ceux  ou  celles  qui 
vont  danser  avec  les  fées,  et  ne  sçavoir  ce  que  c'est.  Toutes 
fois,  le  Promoteur  prend  sa  négative  pour  affirmative,  selon 
son  ordinaire  et  asseure  qu'elle  y  alloit  ordinairement. 

Faut  observer  qu'en  ces  quinze  séances  sont  contenus  tous 
les  chefs  d'accusation  sur  lesquels  on  a  pu  donner  sentence 
dabsolution  ou  de  condamnation  contre  celte  fille.  Car  tout 
ce  qui  suit  après  n'est  qu'impostures,  conviées  et  calom- 
nies que  ses  ennemis  ont  publiées  sans  aucunes  preuves  ni 
apparence  de  vérité.  Et  faudra  diligemment  conférer  le  tout 
avec  lesdites  séances,  parce  que  de  là  résulte  la  justifica- 
tion de  la  Pucelle. 


Fin  du  procès  d'office 


APPENDICES  DE  L'EDITEUR 

ET 

ÉCLAIRCISSEMENTS 


L'EDITEUR   AU  LECTEUR 

I 

Il  nous  a  paru  bon  de  faire  suivre  de  quelques  appendices 
et  éclaircissements  le  récit  qu'Edmond  Ilicher  nous  a  laissé 
des  dits  et  faits  de  la  Pucelle.  Les  voix  et  la  mission  de  l'en- 
voyée de  Dieu  en  seront  les  sujets  principaux. 

A  l'époque  où  vivait  le  docteur  de  Sorbonne,  les  difficultés 
soulevées  à  propos  de  ces  questions  n'étaient  guère  que  d'or- 
dre théologique.  Aussi  la  dissertation  dans  laquelle  il  les 
aborde  déconcerte-t-elle  un  peu  le  lecteur;  car  Ilicher  glisse 
sur  les  points  qui  nous  intéressent,  et  il  appuie  au  contraire 
sur  ceux  qui  n'ont  plus  à  nos  yeux  qu'une  importance  secon- 
daire. 

Tout  bien  considéré,  l'histoire  de  Jeanne  d'xVrc,  c'est  l'his- 
toire de  sa  mission  libératrice,  et  l'histoire  de  sa  mission 
libératrice  c'est  l'histoire  de  ses  voix.  L'héroi'ne  n'a  délivré 
le  sol  français  de  l'ennemi  héréditaire  que  grâce  à  l'assis- 
tance, aux  conseils,  à  la  direction  de  ses  voix.  Durant  sept 
années,  des  rapports  incessants  ont  existé  entre  elle  et  ses 
protecteurs  célestes  en  vue  de  préparer  ce  grand  fait  histo- 
rique. Un  récit  fidèle  de  ces  rapports  ne  saurait  qu'éclairer 
cette  page  de  nos  annales.  Nous  allons  le  demander  à  Jeanne 
elle-même,  et  c'est  elle  qui,  dans  l'appendice  suivant,  va 
nous  le  donner. 

22 


338  APPENDICES    DE    l'ÉDITEUR 

Ce  récit,  elle  l'a  fait  à  ses  juges  de  Rouen,  et  ils  l'ont  con- 
signé dans  l'instrument  authentique  du  procès  de  sa  con- 
damnation. Il  y  avait  à  l'en  dégager,  et  ce  n'était  pas  chose 
aisée.  Ce  que  les  rédacteurs  des  procès-verbaux  se  sont  pro- 
posé, c'est  d'y  introduire  un  désordre  capable  de  découra- 
ger les  meilleures  volontés  :  ils  ne  tenaient  pas  à  ce  qu'on 
vît  clair  dans  leuts  inlerrog'ations  perfides.  Nous  avons  mis 
à  cette  tâche  de  faire  la  lumière  toute  l'application,  toute  la 
patience  nécessaires,  nous  avons  rétabli  la  suite  naturelle 
des  idées  et  des  faits,  et  nous  ne  sommes  arrêté  que  lorsque 
les  difficultés  nous  ont  semblé  vaincues.' 

Avons-nous  réussi?  Le  lecteur  en  jugera.  En  toutcas,  nous 
lui  fournissons  à  chaque  pa§e,  à  chaque  ligne  pour  ainsi  dire, 
le  moyen  de  contrôler  l'exactitude  et  la  probité  de  notre  tra- 
vail. Des  références  suivies  indiquent  les  passages  de  l'édi- 
tion de  Jules  Quicherat  qui  permettront  d'en  vérifier  la 
conscience.  Qu'il  è'agisse  de  saint  Michel  ou  des  saintes  Ca- 
therine et  Marguerite,  c'est  par  Jeanne  d'Arc  elle-même  qu'o'n 
•entendra  raconter  ses  visions  et  ses  voix,  et  le  langage  dont 
elle  usera  aura  pour  garantie  le  témoignage  même  de  ses 
ennemis.  Ils  l'ont  ouï  les  premiers;  volontairement  ou  non, 
ils  ont  laissé  aux  historie-ns  le  moyen  de  l'entendre  à  leur 
tour.  Nous  userons  de  ce  moyen  :  il  en  résultera  le  meilleur 
des  suppléments  aux  pages  d'E.  Richer  sur  ce  sujet. 

II 

Qu'on  nous  permette  encore  une  remarque. 

Ce  ne  sont  pas  des  admirateurs  de  l'héroine  qui  ont 
informé  la  postérité  du  commerce  mystérieux  qui,  de  sa  trei- 
zième à  sa  vingtième  année,  n'a  cessé  d'exister  entre  elle  et 
des  êtres  supérieurs;  c'est  elle-même  qui  l'a  fait  connaître  : 
sobrement,  quand  les  circonstances  l'ont  demandé,  avant  sa 
captivité;  avec  de  nombreux  et  intéressants  détails,  lorsque 
à  la  barre  d'un  tribunalprévenu,  elle  dut  justifier  ses  actes  et 
prouver  son  innocence. 

C'est  elle  qui  révéla  les  noms  des  protecteurs  célestes  dont 
elle  recevait  les  inspirations,  et  c'est  elle  aussi  qui  les  dési- 


ET    ECLAIRCISSEMENTS  339 

gnait  sous  le  nom  de  «  Voix  ».  Si  elle  les  désignait  ainsi,  c'est 
que  l'archange  saint  Michel,  sainte  Catherine  et  sainte  Margue- 
rite annonraient  leurpre'sence  et  se  manifestaient  habituelle- 
ment à  la  jeune  vierge  par  la  parole  intellectuelle  ou  senaihle, 
même  quand  ils  ne  lui  apparaissaient  pas;  ce  qui  semble 
avoir  eu  lieu  quelquefois.  Chose  surprenante,  aucun  texte  ne 
permet  de  conclure  qu'ils  lui  soient  apparus  pendant  le  som- 
meil. Pour  lui  faire  entendre  leurs  recommandations,  lui 
donner  leurs  conseils,  au  besoin  ils  l'éveillaient  (voir  les  troi- 
sième et  quatrième  séances;.  En  maintes  circonstances,  à 
Boaurevoir  par  exemple,  il  y  eut  entre  Jeanne  et  ses  saintes 
de  véritables  dialogues  :  les  saintes  insistant  afin  que  Jeanne 
se  résignât,  et  Jeanne  persistant  de  son  côté  à  vouloir  s'évader 
alîn  de  rejoindre  ses  amis  de  Gompiègne. 

Mais  écoutons  rhéro'i'ne  elle-même.  Elle  nous  parlera  : 

1°  Des  apparitions  de  l'archange  saint  Michel  ; 

^°  De  ses  relations  avec  les  vierges  et  martyres,  sainte 
Catherine  et  sainte  Marguerite  ; 

3°  De  son  attitude  devant  les  juges  de  Rouen,  des  révéla- 
tions et  prophéties  que,  au  nom  de  ses  voix,  elle  leur  fit  en- 
tendre. 

Après  leur  avoir  donné  l'explication  de  sa  mission  de  vie, 
elle  leur  exposa  par  avance  les  grandes  lignes  de  sa  mission 
de  survie.  En  l'année  i4o3,  l'une  et  l'autre  de  ces  missions 
avaient  pris  fin  et  tout  ce  que  l'envoyée  de  Dieu  avait  annoncé 
se  trouvait  accompli. 

Ph.-H.  D. 


APPENDICE   PREMIER 


LES  VISIONS   ET  VOIX  DE  JEANNE  D'ARC 
RACONTÉES  PAR  ELLE  MÊME 


PREMIERE  PARTIE 

JEANNE    d'arc    et    SAINT  MICHEL 

Le  juge  iNTEnROGATEUR.  —  Laquelle  de  vos  apparitions  est  venue 
à  vous  la  première  [Procès,  t.  l,  p.  72');  et  quelle  est  la  première 
voix  qui  vint  à  vous  {ibid.,  73)  ? 

Jeanne.  —  C'est  saint  Michel  :  ce  fut  la  première  voix  (jui  Aint  à 
moi  de  par  Dieu  pour  m'aidera  me  conduire. 

La  première  fois,  j'eus  grand'  peur.  La  voix  vint  vers  l'heure  de 
midi,  l'été,  dans  le  jardin  de  mon  père  ^  J'entendis  la  voix  à  droite, 
du  côté  de  l'église,  et  de  ce  côté  venait  une  grande  claité.  J'avais 
alors  treize  ans  ou  environ. 

Quand  je  l'eus  entendue  trois  fois,  je  reconnus  que  c'était  la 
voix  d'un  ange.  Elle  me  paraissait  être  une  digne  voix.  Elle  m'a 
toujours  bien  gardée  et  je  l'ai  toujours  bien  comprise  {ibid.,  52). 

Le  Juge.  —  Comment  avez-vous  connu  que  c'était  saint  Michel  ? 

Jeanne.  —  Par  le  parler  et  le  langage  des  anges  (p.  1C9).  Puis,  il 
se  nomma  à  moi  (p.  274). 

1.  Le  texte  i[ue  nou.s  suivons  est  celui  de  l'édition  de  Jules  Quiche- 
rat,  tome  I  :  nous  en  désignerons  constamment  la  page.  Quant  au  livre 
II  de  Richer,  nous  nous  contenterons  d'inditiuer  les  séances. 

2.  C'est  la  seule  fois  que  la  Pucelle  indique  le  lieu  où  elle  ouit  la  voi.x 
de  saint  Micliel,  avant  son  départ  de  Domremy.  Elle  ne  l'indiquera  non 
plus  qu'une  fois  pour  les  apparitions  de  sainte  Catlierine  et  de  sainte 
Marguerite.  On  le  verra  plus  loin. 


JEANNE    ET    SES    VOIX  341 

Le  iuge.  —  Avcz-vous  vu  saint  Michel  même  ?    . 

Jeanne.  —  Oui,  je  l'ai  vu  devant  mes  jeux;  et  il  n'était  pas  seul, 
mais  accompagné  des  anges  du  ciel  (  p.  73). 

Le  JUtiE.  —  Avez-vous  vu  saint  Michel  et  les  anges  corporellemcnt 
et  réellement? 

Jeanne.  —  Je  les  ai  vus  des  yeux  de  mon  coups  aissi  uien  que  je 
vous  vois.  Et  quand  ils  s'éloignaient  je  pleiu'ais,  cl  j'aurais  bien 
voulu  qu'ils  m'emportassent  avec  eux'  {ibid.). 

Ce  que  saint  Michel  enseignait  à  la  petite  Jeanne. 

Lé  juge.  — -  Pourquoi,  lorsque  vous  crûtes  que  c'était  saint  Michel, 
le  connùlcs-vous  plus  promplement  que  vous  ne  l'aviez  connu  a  sa 
première  apparition? 

Jeanne.  —  A  sa  première  apparition,  j'étais  tout  enfant,  et  j'eus 
grandpeur.  Je  le  vis  plusieurs  fois  avant  de  savoir  que  ce  fût  saint 
Michel.  Mais  depuis  qu'il  se  fût  nommé,  il  m'enseigna  et  me  mon- 
tra tant  de  choses  que  je  crus  fermement  que  c'était  lui. 

Le  juge.  —  Quels  enseignements  vous  donna-t-il  ? 

Jeanne.  —  11  m'enseigna  à  me  bien  conduire,  à  fréiiuenter 
l'église.  Sur  toutes  choses  il  me  disait  d'être  bonne  jeune  fille,  que 
Dieu  m'aiderait.  11  me  dit  en  particulier  que  j'irais  au  secours  du 
roi.  Et  l'ange  me  racontait  la  pitié  qui  était  au  royaume  de  France. 
(P.  171,  o2.  —  E.  llicHER.  loc.  cit.) 

Gomment  l'archange  initia  la  jeune  vierge  à  sa  mission. 

Le  juge.  —  Que  vous  dit  saint  Michel  quand  il  vint  à  vous  -  ? 

Jeanne.  —  11  me  dit  à  moi  Jeanne  qu'il  fallait  que  je  vienne  en 
France.  Il  en  vint  à  me  le  dire  deux  ou  trois  fois  par  semaine,  et 
je  ne  pouvais  durer  où  j'étais. 

Il  m'assurait  aussi  que  je  ferais  lever  le  siège  mis  devant  la  ville 
d'Orléans. 

Un  jour,  il  me  dit  à  moi  Jeanne  d'aller  à  Vaucouleurs  trouver 
Robert  de  Baudricourt,  capitaine  de  la  place;  qu'il  me  ilonnerait 
des  gens  pour  m'accompagner. 

Et  moi,  Jeanne,  je  répondis  que  j'étais  une  pauvre  fille  no  sachant 
ni  chevaucher,  ni  guerr.iyer. 

1.  E.  RiciEu,  séances  II,  IV,  XIV. 

2.  Quoii[ue,  en  ces  passa-^es,  la  Pucelle  ne  nomme  pas  saint  Michel, 
t'est  lai  qu'elle  désigne  par  le  mot  «  Voiv  »  au  singulier,  comme  l'in- 
dique la  suite  des  idées. 


342  APPENDICE    I 

Ce|)endaul  j'allai  chez  un  oncle  à  moi.  et  je  lui  flis  qu'il  me  fal- 
lait aller  à  Vaucoulcurs.  Et  mon  oncle  m'y  conduisit. 

Quand  je  fus  venue  à  Vaucouleurs,  je  reconnus  Robert  de  Baudri- 
Gourt,  quoique  je  ne  l'eusse  jamais  vu.  C'est  la  voix  qui  me  le  fit 
connaître,  car  elle  me  dit  que  c'était  lui. 

Je  dis  moi  Jeanne  à  Robert  :  Il  faut  que  j'aille  en  France. 

Par  deux  fois,  Robert  refusa  de  m'écouter  et  me  repoussa.  La 
troisième  fois,  il  me  reçut  et  me  donna  des  gens.  Or,  la  voix 
m'avait  avisée  que  ce  sei^ait  ainsi  (p.  52.  53). 

Je  partis  de  Vaucouleurs  en  habit  d'homme,  avec  une  épée  que 
m'avait  donné  Robert  de  Baudricourt,  sans  autre  armes,  accompa- 
gnée d'un  chevalier  (Jean  de  Metz),  d'un  écujer  (Bertrand  de  Pou- 
lengy),  et  de  quatre  serviteurs.  Ai'rivée  i\  Saint-Urbain,  nous  pas- 
sâmes la  nuit  dans  l'abba  ve. 

A  Auxerre,  j'entendis  la  messe  dans  l'église  principale. 

J'avais  alors  souvent  «  mes  voix  -),  sans  compter  celle  dont  j'ai 
parlé  plus  haut'  (p.  54). 

Je  ne  portais  plus  l'habit  de  femme,  je  l'avais  quitté  pour  pren- 
dre celui  d'homme.  Je  crois  que  mon  conseil  (c'est-à-dire  saint  Mi- 
chel) m'a  bien  conseillée  (p.  55). 

C'est  sans  empêchement  d'aucune  sorte  que  j'arrivai  à  Chinon. 
Il  était  environ  midi.  Je  descendis  dans  une  hôtellerie,  en  atten- 
dant de  paraître  devant  mon  roi. 

Lorsque  j'entrai  dans  la  salle,  je  le  reconnus  parmi  tous  les 
autres.  C'est  la  voix  (saint  Michel)  qui  me  le  fit  connaître. 

La  voix  m'avait  assuré  aussi,  peu  après  mon  arrivée,  que  mon 
roi  me  donnerait  audience. 

Et  ceux  de  mon  parti  reconnurent  que  la  voix  m'élail  bien 
envoyée  de  par  Dieu,  et  ils  n'en  firent  pas  de  doute.  Mon  roi  et 
plusieurs  autres  étaient  de  ce  nombre,  je  le  sais  bien,  moi  Jeanne; 
et  avec  lui  aussi  Charles  de  Bourbon  et  deux  ou  trois  autres. 

En  finissant  la  jeune  fille  dit  : 

«  Il  n'est  point  de  jour  où  je  n'entende  cette  voix,  et  j'en  ai  grand 
besoin. 

«  Du  reste,  je  ne  lui  ai  jamais  demandé  d'autre  récompense 
finale  que  le  salut  de  mon  âme-.  »  (P.  56,  57). 


1.  «  Mes  Voix  »,  c'est-à-dire  celles  de  sainte  Catherine  et  de  sainte 
Marguerite.  «Celle  dont  j'ai  parlé  plus  haut»,  c'est-à-dire  celle  de 
saint  Michel  dont  la  jeune  vierge  raconte  les  apparitions  et  la  direction. 

2.  E.  RicHER,  séance  II. 


JEAN^ÎE    ET    SES   VOIX  343 

Jeanne  n'est  venue  en  France  et  na  pris  l'habit  d'homme  que  par 
commandement  de  Dieu. 

Le  juge.  —  A  rinstigation  de  qui  êtes-vous  venue  en  France? 

Jeanne-  —  Je  ne  suis  venue  en  France  que  par  ommandement 
de  Dieu.  Si  Dieu  ne  me  l'avait  commandé,  j'eu.sse  mieux  aimé 
être  tirée  par  des  chevaux  que  d'v  venir.  (P.  73  et  74). 

Le  juge.  —  Est-ce  également  par  commandement  de  Dieu  que 
vous  avez  pris  Ihahit  d'homme? 

Jeanne.  —  Je  n'ai  pris  Fhabit  d'homme  par  le  conseil  d'aucun 
homme  au  monde.  .Te  n'ai  pris  cet  habit  et  je  n'ai  rien  fait  que  par 
le  commandement  de  Dieu  el  des  anges  (de  saint  Micliel  en  parti- 
culier). 

Le  JUGE.  —  Crovez-vous  que  le  commandement  qui  vous  a  été 
fait  de  prendre  habit  d'homme  soit  cliose  licite? 

Jeanne.  —  Tout  ce  que  j"ai  fait,  je  l'ai  fait  par  commandement 
de  mon  Seigneur.  Volontiers  je  prendrais  un  autre  habit,  pourvu 
que  ce  fût  par  commandement  de  Dieu. 

Le  juge.  —  Avez-vous  pris  cet  habit  par  ordre  de  Robert  de 
Baudricourt? 

Jeanne.  —  Non. 

Le  juge.  —  Pensez-vous  avoir  bien  fait  de  le  prendre? 

Jeanne.  —  Tout  ce  que  jai  fait  par  commandement  de  mon  Sei- 
gneur, j'estime  l'avoir  bien  fait,  et  j'attends  de  lui  bon  garant  et 
secours. 

Le  juge.  —  Mais  dans  ce  cas  particulier,  pensez-vous  avoir  bien 
fait  ? 

.Ieanne.  —  Dans  toutes  les  choses  que  j'ai  faites,  je  n'ai  rien 

PAIT  au  monde  que  PAR  CO.M.MANDEMENT  DE  DIEU*.    [Ihld.) 

Du  départ  de  Jeanne  d'Arc  contre  le  gré  de  ses  parents. 

Le  juge.  —  Croyez-vous  avoir  bien  fait  de  partir  sans  le  congé 
de  votre  père  et  de  votre  mère  ;  n'est-ce  pas  un  devoir  de  les  hono- 
rer ? 

Jeanne.  —  Je  leur  ai  bien  obéi  en  toutes  choses;  depuis,  je  leur 
en  ai  écrit  et  ils  m'ont  pardonnée  (p.  129). 

1.  C'est  le  principe  que  Jeanne  ne  cesse  dinvotiuei- pour  justilicr  sa 
conduite.  —  On  reviendra  plusieurs  fois,  au  cours  du  procès,  sur  le 
sujet  de  Tliabit  d'homme. 

E.  RicHER,  séance  IV. 


34 i  APPENDICE    I 

Le  juge.  —  Quels  songes  voire  père  avait-il  eus  avant  votre 
départ? 

Jeanne.  —  Ma  mère  m"a  dit  plusieurs  fois  que  mon  père  avait 
songé  que  Jeanne  sa  fille  jdevait  s'en  aller  avec  des  hommes  d'ar- 
mes. De  là  grand  souci  chez  mon  père  el  ma  mère  pour  me  bien 
garder,  et  ils  me  tenaient  en  grande  sujétion.  Poiu-  moi,  je  leur 
obéissais  en  toute  chose;  j'excepte  le  procès  intenté  à  Toul  pour 
cause  de  mariage. 

Ma  mère  me  disait  encore  avoir  ouï  mon  père  dire  à  mes  frères: 
«  Si  je  croyais  que  la  chose  que  j'ai  songée  d'elle  dût  arriver,  en 
vérité  j'aimerais  mieux  que  vous  la  noyassiez;  et  si  vous  ne  le  fai- 
siez, je  le  ferais  moi-même.  » 

Peu  s'en  fallut  que  mon  père  et  ma  mère  ne  perdissent  le  sens 
quand  je  partis  pour  Yaucouleurs. 

Le  .lUGE.  —  Ces  songes  venaient-ils  h  votre  père  après  le  temps 
où  vous  aviez  eu  vos  visions'? 

.Ieanne.  —  Il  y  avait  plus  de  deux  ans  déjà  que  j'avais  mes  voix, 
lorsque  mon  père  parla  comme  je  viens  de  le  dire  (p.  131,  132). 

Le  juge.  —  Demandàtes-vous  à  vos  voix  si  vous  deviez  annoncer 
votre  départ  à  votre  père  et  à  votremère? 

Jeanne.  — Mes  voix  eussent  été  contentes  que  je  le  leur  annonçasse 
n'eût  été  la  peine  que  cela  m'eût  faite  à  moi-même.  Pour  rien  au 
monde,  je  ne  leur  en  aurais  parlé.  Au  demeurant,  mes  voix  s'en 
rapportaient  à  moi  de  dire  mon  départ  à  mon  père  et  à  ma  mère 
ou  de  n'en  rien  dire. 

Le  juge.  —  Qu'est-ce  qui  vous  a  mue  de  faire  citer  un  homme  à 
Toul  en  promesse  de  mariage? 

Jeanne.  —  Ce  n'est  pas  moi  qui  le  fis  citer,  c'est  lui.  Je  ne  lui 
avais  fait  aucune  promesse.  Je  le  déclarai  avec  serment.  Au  reste, 
mes  voix  m'assurèrent  que  je  gagnerais  mon  procès  (p.  127,  128). 

Le  juge.  —  Quand  vous  quittâtes  vos  parents,  croyiez-vous  pécher  ? 

Jeanne.  —  Puisque  Dieu  commandait,  je  n'avais  qu'à  obéir. 
Eussé-je  eu  cent  pères  et  cent  mères,  eussé-je  été  fille  de  roi,  Dieu 
le  commandant,  je  serais  partie'  (p.  129'. 

En  quelle  forme  saint  Michel  apparaissait  à  Jeanne  d'Arc 

Le  juge.  —  Quelle  figure  avait  saint  .Michel  lorsqu'il  vous  est 
apparu;  — en  quelle  forme,  grandeur,  apparence  et  habit  vint-il  à 
vous  ? 

1.  E.  RicHEii.  séances  VIII,  IX. 


JEANXE   ET    SES   VOIX  345- 

Jeanne.  —  Il  était  dans  la  forme  d'un  très  vrai  prud'homme  (d'un 
homme  honnête  et  sérieux)  (p.  90,  173)..  De  ses  vêlements  je  ne 
sais  rien. 

Le  juge.  —  Etait-il  nu  ? 

Jeanne,  —  Pensez-vous  que  Dieu  nait  point  de  quoi  le  couvrir  ? 

Le  JUGE.  —  Avait-il  des  cheveux? 

Jeanne.  —  Pourquoi  lui  seraient-ils  coupés  ? 

Lé  juge.  — ■  Avait-il  une  balance? 

Jeanne.  —  Je  ne  sais.  fp.  173  et  suiv  ) 

Le  juge.  —  Le  voyez-vous  souvent  ? 

Jeanne.  —  Je  ne  l'ai  pas  vu  depuis  que  j'ai  quitté  le  château  du 

Crotoy'-(P-89)- 

Le  juge.  —  En  le  voyant  qu'éprouvez-vous  ? 

Jeanne.  —  Jéprouve  en  le  voyant  une  grande  joie.  11  me  semble 
que  je  ne  suis  pas  en  péché  mortel. 

Le  juge.  —  Pensez-vous  donc  être  en  péché  mortel  lorsque  vous 
vous  confessez? 

Jeanne.  — Je  ne  sais  si  j'ai  été  en  péché  mortel;  je  ne  crois  pas 
en  avoir  fait  les  œuvres.  Dieu  veuille  que  je  n'y  aie  jamais  été!' 
Qu'il  lui  plaise  me  préserver  présentement  et  toujours  de  toute 
œuvre  qui  grève  mon  âme  (p.  89,  90)  I 

Le  juge.  —  Saint  Gabriel  était-il  avec  saint  Michel  quand  l'ar- 
change vint  à  vous  ? 

Jeanne.  — Je  n'en  ai  pas  souvenance  (p.  83). 

Le  juge.  —  Pensez-vous  que  saint  Michel  et  saint  Gabriel  aient 
des  têtes  naturelles  ? 

Jeanne,  au  lieu  de  répondre  à  la  question  étrange  qu'on  lui  fait, 
prononce  cette  déclaration  : 

—  Je  les  ai  vus  d3  mes  yeux-  ;  je  crois  que  ce  sont  eux  aussi  fer- 
.mement  que  je  crois  que  dieu  existe. 

Le  juge.  —  Pensez-vous  que  Dieu  les  ait  créés  de  la  manière  et 
dans  la  forme  où  vous  les  avez  vus? 

Jeanne.  —  Présentement,  vous  n'aurez  autre  chose  de  moi  (p.  93) . 


1.  C'ost-à-dire  depuis  envu'on  deus  mois.  —  L'arcbange  pouvait  ne 
pas  apparaître  à  la  jeune  vierge  et  se  borner  à  lui  parler. 

2.  Cette  déclaration  de  la  Pucelle  prouve  qu'elle  avait  parlé  précé- 
demment à  ses  juges  des  apparitions  de  saint  Gabriel.  Pourtant  le  pro- 
cès d'office  n'en  dit  rien.  C'est  au  cours  du  procès  ordinaire,  page  400, 
que  Jeanne  dira  :  «  Le  jour  de  la  Sainte-Croi.^  j'eus  confort  de  saint 
Gabriel.  Et  croyez  bien  que  c'était  lui.  J'ai  su  par  mes  voix  que  c'était 
saint  Gabriel.  » 


346  APPENDICE    I 

Je  crois  les  dits  et  faits  de  saint  Michel  aussi  fermement  que  je  crois 
cjue  Notre  Seigneur  a  souffert  mort  et  passion  pour  nous. 

Quant  aux  anges,  je  les  ai  vus  de  mes  yeux,  vous  n'aurez  pas  de 
moi  davantage  (p.  173,  174)  ^ 

De  l'audience  de  Chinon. 

Le  juge.  —  Quand  vous  vîtes  le  roi  pour  la  première  fois,  y 
avait-il  de  la  lumière  ? 

Jeanne.  —  11  y  avait  là  plus  de  trois  cents  personnes  et  de  cin- 
quante flambeaux,  sans  compter  la  lumière  spirituelle.  J'ai  rare- 
ment des  révélations  sans  qu'elles  soient  accompagnées  de  celte 
lumière. 

Le  .iuge.  —  Gomment  le  roi  a-t-il  cru  à  vos  paroles  '? 

Je.anne.  —  Par  les  signes  qu'il  a  eus  et  par  le  témoignage  du 
clergé. 

Le  juge.  —  Quelle  révélation  lui  avez-vous  faites  ? 

Jeanne.  —  Vous  ne  le  saurez  pas  de  moi  cette  année.  Pendant 
ti'ois  semaines  je  fus  interrogée  par  les  clercs  à  Chinon  et  à  Poi- 
tiers. Le  roi  eut  un  signe  touchant  mes  faits  à  moi,  Jeanne,  avant 
de  vouloir  croire  en  ma  mission.  Les  clercs  de  son  parti  furent  de 
cette  opinion  que,  dans  mon  fait,  il  n'y  avait  rien  que  de  bon 
(p.  75). 

A  mon  roi  j'ai  dit  en  une  seule  fois  tout  ce  qui  mavait  été  révélé. 
C'est  que  j'étais  envoyée  vers  lui  (p.  73). 

Le  juge.  —  Pensez-vous  que  votre  roi  fit  bien  de  tuer  ou  de  faire 
tuer  le  duc  de  Bourgogne  ? 

Jeanne.  —  Ce  fut  grand  dommage  pour  le  royaume  de  France. 
Quoi  qu'il  y  eut  entre  ces  deux  princes,  c'est  au  secours  du  roi  de 
France  que  Dieu  m'a  envoyée  (p.  183,  184). 

Le  J.UGR.  —  Quelles  troupes  vous  donna  votre  roi  lorsqu"il  vous 
mit  à  l'œuvre  ? 

Jeanne.  —  11  me  donna  de  dix  à  douze  mille  hommes. 

Le  juge.  —  N'aviez-vous  pas  dit  que  vous  feriez  lever  le  siège 
d'Orléans  ? 

Jeanne.  —  J'étais  assurée  de  faire  lever  le  siège  d'Orléans,  car 
cela  m'avait  été  révélé.  Je  le  dis  à  mon  roi  avant  de  venir  dans  la 
place. 

Le  juge.  —  Ne  fûtes-vous  pas  blessée? 

Jeanne.  —  A  l'assaut  livré  à  la  bastille  du  Pont,  je  fus  blessée 

1.  E.  RicHER,  séa7ices  Y,  VI,  XIV. 


JEANNE    ET    SES    VOIX  347 

par  une  flèche  au  cou.  Mais  celte  blessure  ne  m'empêcha  ni  de 
monter  à  cheval  ni  d'agir. 

Le  juge.  • —  Saviez-vous  que  vous  seriez  blessée  ? 

Jeanne.  —  Je  le  savais  parfaitement  et  je  le  dis  à  mon  roi.  Cela 
m'avait  été  révélé  par  mes  voix  '  (p.  78,  79). 

De  1  épée  de  Fierbois. 

Le  JUGR.  —  Avez-vous  été  à  Sainte-Catherine-de-Fierbois? 

Jeanne.  —  Oui,  j'y  ai  été,  j'y  ai  entendu  trois  messes  le  même 
jour,  ensuite  j'allai  à  Chinon.  J'écrivis  à  mon  roi  des  lettres  dans 
lesquelles  je  lai  demandais  si  je  devais  entrer  dans  la  ville  où  il 
se  trouvait.  Je  venais  de  faire  un  voyage  de  cent  cinquante  lieues 
pour  le  rencontrer  et  lui  être  en  aide,  et  je  savais  beaucoup  de 
bonnes  choses  pour  lui.  Il  me  semble  même  avoir  mis  dans  ces 
lettres  que  je  reconnaîtrais  mon  roi  parmi  tous  les  assistants. 

Le  juge.  —  Aviez-vous  alors  une  épée  ? 

Jeanne.  —  J'en  avais  une  qu'on  m'avait  donné  à  Vaucouleurs. 
Mais  à  Tours  j'envoyai  chercher  une  épée  qui  était  dans  l'église  de 
Sainte-Catherine-de-Fierbois,  derrière  l'autel.  On  l'y  trouva  en 
effet  couverte  de  rouille. 

Le  juge.  —  Comment  sùtes-vous  que  cette  épée  se  trouvait  là? 

Jtîanne.  —  Je  le  sus  par  mes  voix.  Jamais  je  n'avais  vu  Ihomme 
qui  alla  chercher  cette  épée.  Elle  était  couverte  de  rouille,  dans  la 
teiTe.  et  il  y  avait  cinq  croix.  J'écrivis  aux  prêtres  de  cette  église 
de  vouloir  bien  m'envoyer  cette  épée,  et  ils  me  l'envoyèrent.  Elle 
était  derrière  l'autel,  sous  terre,  autant  qu'il  me  semble. 

Aussitôt  que  l'épée  eût  été  retrouvée,  les  ecclésiastiques  de  cette 
église  la  frottèrent  et  la  rouille  s'en  détacha  sans  difficulté.  Un 
ai-murier  de  Tours  l'alla  chercher.  Les  ecclésiastiques  de  l'endroit 
me  donnèrent  un  fourreau.  Les  gens  de  Tours  m'en  donnèrent  un 
également.  Ces  fourreaux  étaient  l'un  de  velours  vermeil,  l'autre 
de  drap  d'or.  J'en  fis  faire  un  autre  de  cuir  solide.  Lorsque  je  fus 
.  prise,  je  n'avais  plus  cette  épée  ^  (p.  75,  76). 

1.  E.  RicHER.  séances  IV,  XIV. 

Jeanne  n'e.>^t  pas  la  seule  qui  nous  ait  informé  de  ces  révélations 
qu'elle  fit  au  roi.  Un  document  précieux,  la  lettre  du  sire  de  Rotselaer. 
en  date  de  lin  avril  1420,  mentionne  ces  propliélies  et  quelques  autres 
avec  des  précisions  auxquelles  il  n'y  a  rien  à  opposer.  Voir  J.  Qliche- 
rat.  Procès,  IV,  42.3. 

2.  Aucun  document  ne  dit  ce  qu'est  devenue  l'épée  de  Fierbois. 
—  E.  RiCHEii,  séance  IV. 


348  APPENDICE    I 


De  Tétendard. 


Le  juge.  —  Quand  vous  allâtes  à  Orléans,  aviez-vous  un  éten- 
dard ou  une  bannière  et  quelle  en  était  la  couleur? 

Jeanne.  —  J'avais  une  bannière  dont  le  champ  était  semé  de 
lis.  Le  monde  y  était  figuré  et  Dieu  le  tenait  dans  la  main.  Deux 
anges  étaient  à  côté.  Elle  était  de  couleur  banche,  de  toile  blanche 
dite  boucassin  et  les  noms  Jhesus  Maria  v  étaient  inscrits.  La 
frange  était  de  soie. 

Le  juge.  —  Qu'aimiez-vous  plus  de  votre  étendard  ou  de  votre 
épée  ? 

Jeanne.  — J'aimais  beaucoup  plus,  jaimais  quarante  fois  plus 
l'étendard  que  l'épée. 

Le  juge.  —  Qui  vous  fit  faire  cette  peinture  sur  l'étendard  ? 

Je.\nne.  —  Je  vous  l'ai  déjà  dit  :  je  n'ai  rien  fait  que  par  com- 
mandement de  Dieu  ^ 

Si  je  chargeais  les  ennemis  l'étendard  à  la  main,  c'était  pour 
ne  pas  verser  de  sang.  Et,  en  fait,  je  n'ai  jamais  tué  personne  - 
(p.  78). 

Du  signe  donné  par  Jeanne  au  roi. 

Le  JUGE.  —  Quel  est  le  signe  que  vous  donnâtes  à  votre  roi  quand 
vous  vîntes  à  lui  ? 

Jeanne.  — Ce  fut  un  signé  remarquable,  digne  de  foi  et  le  plus 
excellent  qui  soit  au  monde  ^ . 

Le  Ji'GE.  —  En  sûtes-vous  quelque  chose  par  vos  voix. 

Jeanniî.  —  Quand  je  partis  pour  venir  vers  mon  roi  mes  voix 
me  dirent  :  V^a  sans  crainte;  quand  tu  seras  devant  le  roi,  il  aura 
bon  signe  pour  te  recevoir  et  te  croire  *. 

\.  On  verra  plus  bas  sainte.s  Catherine  et  Marguerite  transmettre  à 
Jeanne  ce  commandement. 

2.  E.  RiCHER,  séance  IV. 

3.  Le  signe  qui  fournit  à  Charles  Vfl  la  preuve  péremptoire  que 
Jeanne  lui  était  envoyée  de  Dieu  pour  lui  être  en  aide,  fut  la  révélation 
que  la  jeune  vierge  lui  lit  des  trois  prières  qu'il  avait  adressées  au 
ciel  dans  un  moment  où  il  n'espérait  plus,  et  l'assurance  qu'elle  y  joi- 
gnit qu'il  était  le  fils  légitime  de  Charles  Vf.  Seulement,  la  Pucelle  ne 
voulut  jamais,  à  aucun  prix,  faire  connaître  ce  signe  à  ses  juges.  Elle 
ne  s'e.vprima  qu'en  ternies  généraux  et  allégoriques.  Yoir Histoire  com- 
plète de  Jeanne  d'Arc,  chapitre  vu,  Le  secret  du  uoi. 

4.  Preuve  qu'il  s'agissait  de  convaincre  Charles  Vit  de  la  vérité  de 
sa  mission.  Cette  conviction  fut  l'cifet  de  la  révélation  que  nous  venons 


JEANNE    ET    SES    VOIX  349 

Le  juge.  —  Ce  signe  venait-il  de  par  Dieu  ? 

Jeanne.  —  C'est  un  ange  de  par  Dieu  qui  donna  le  signe  à  mon 
roi^  et  j'en  rendis  grâce  à  Notre-Seigneur. 

Le  juge.  —  Les  gens  d'église  virent-ils  le  signe  en  question  ? 

Jeanne.  —  Ils  eurent  connaissance  du  dit  signe  et  cessèrent  de 
me  contredire.  Dieu  le  permit  pour  mettre  fin  aux  questions  qu'on 
m'adressait  (p.  120-122). 

Le  juge.  —  L'ange  qui  apporta  à  votre  roi  ledit  signe  ne  parla- 
t-il  pas? 

Jeanne.  —  Il  dit  à  mon  roi  qu'on  me  mît  en  besogne,  que  la 
«  patrie  <)  serait  aussitôt  allégée  (p.  126). 

Le  juge.  —  Cet  ange  était-ce  l'ange  qui  vous  était  apparu  pre- 
mièrement (c'est-à-dire  saint  Michel),  ou  était-ce  un  autre? 

Jeanne.  —  C'était  toujours  le  même  (saint  Michel)  (p.  126). 

Que  saint  Michel  ne  lui  a  jamais  failli. 

Le  juge.  —  Faites  vous  la  révérence  à  saint  Michel  et  aux  anges 
quand  vous  les  voyez  ? 

Jeanne.  —  Oui,  et  après  leur  départ,  je  baise  la  terre  sur  laquelle 
ils  ont  passé  (p.  130). 

Le  juge.  —  L'ange  qui  vint  avec  vous  au  roi  ne  vous  a-t-il  point 
failli  ? 

Jeanne.  — Non,  il  ne  m'a  jamais  failli. 

Le  juge.  —  Ne  vous  a-t-il  point  failli  dans  les  biens  de  la  fortune 
puisque  vous  avez  été  prise  ? 

Jeanne.  —  Puisque  cela  a  plu  à  Dieu,  je  crois  que  c'est  pour  le 
mieux  que  j'ai  été  prise. 

Le  juge.  —  Dans  les  biens  de  la  grâce  ne  vous  a-t-il  point 
failli  ? 

Jeanne.  —  Comment  me  faillirait-il  quand  il  me  conforte  tous 
les  jours  (p.  126,  127). 

Le  juge.  —  Est-ce  pour  vos  mérites  à  vous  que  Dieu  vous  a  envoyé 
son  ange  ? 

de  rappeler.  Et  c'est  le  changement  immédiat  qui  se  produisit  chez  le 
Dauphin  qui  avisa  les  personnages  présents  de  la  confiance  que  Jeanne 
avait  obtenue. 

1.  Le  Dauphin  recul  aussi  do  ["archange  saint  Michel,  comme  rhéroine 
va  le  dire,  les  lumières  et  grâces  nécessaires  pour  établir  sa  lerme  con- 
viction. Ou  bien  s'agit-il  de  Jeanne  elle-même,  véritable  «  ange  »,  c'est-à- 
dire  «  messagère,  envoyée  de  Dieu  »,  selon  la  signification  propre  du 
mot. 


350  APPENDICE    I 

Jeanne.  —  L'ange  venait  pour  une  grande  chose  :  pour  donner 
secours  aux  bonnes  gens  d'Orléans,  à  cause  des  mérites  de  son  roi 
et  du  bon  duc  d'Orléans. 

Le  juge.  —  Pourquoi  vous  a-t-il  choisi  plutôt  qu'un  autre  ? 

Jeanne.  —  lia  plu  à  Dieu  de  se  servir  dune  simple  Pucelle  pour 
rebouter  les  adversaires  du  roi  '  (P.  144,  14:j). 

Ce  que  Jeanne  était  pour  Saint  Michel  et  ses  voix. 

Le  juge.  —  Vos  voix  ne  vous  ont-elles  pas  appelé  fille  de  Bien, 
fille  de  rEyli^e,  fille  au  grand  cœur^? 

Jeanne.  —  Avant  la  levée  du  siège  d'Orléans  et  depuis,  quand 
elles  me  parlent,  souvent  elles  m'appellent  Jeanne  la  Pucelle,  fille 
de  f)ku-^!  (P.  130). 

deuxii<:me  partie 

JEANNE    d'aUC    ET    LES    SAINTES    CATHERINE    ET    MARGUERITE 

De  leurs  apparitions. 

Le  juge.  —  Que  vous  dit  saint  Michel  au  sujet  de  vos  voix? 

Jeanne.  —  Quand  il  vint  à  moi,  saint  Michel  me  dit  que  sainte 
Catherine  et  sainte  Marguerite  viendraient  aussi  ;  que  j'agisse  par 
leur  conseil,  car  elles  étaient  chargées  de  me  conduire  et  de  me 
conseiller  sur  ce  que  j'aurais  à  faire;  que  je  crusse  ce  qu'elles 
me  diraient,  que  c'était  le  commandement  de  Notre  Seigneur 
(p.  170). 

En  effet,  il  }•  a  sept  ans  révolus  qu'elles  sont  chargées  de  me 
gouverner  (p.  172). 

Le  juge.  —  Avez-vous.  depuis  samedi  entendu  la  voix  qui  vient  à 
vous  ? 

Jeanne.  —  Oui,  je  l'ai  entendue  plusieurs  fois  (p.  70). 

Le  juge.  —  La  voix  qui  vous  parlait  était-ce  la  voix  d'un  ange,  la 
voix  d'un  saint  ou  d'une  sainte,  ou  la  voix  de  Dieu  sans  intermé- 
diaire 1 

Jeanne.  —  C'était  la  voix  de  sainte  Catherine  et  de  sainte  Mar- 

1.  E.  Riche»,  séances  VIII,  IX. 

2.  E.  RicHER.  séance  VIII.  —  Voir,  livre  premier,  chapitre  x,  p.  118. 
rapportée  par  le  comte  de  Dunois,  la  scrne  dans  laquelle  Jeanne 
raconte  à  €harles  VII  la  manière  dont  ses  voix  lui  parlaient.  «  Va,  va, 
fille  de  Dieu,  lui  disaient-elles  ;  je  serai  à  ton  aide.  » 


JEANNE    ET    SES   VOIX  351 

guerile.  Elles  étaient  parées  de  belles,  de  très  riches  et  de  très  pré- 
cieuses couronnes. 

Le  juge.  —  Comment  savez-vous  que  ce  sont  ces  deux  saintes;  les 
distinguez-vous  bien  lune  de  l'autre  ? 

Jeanne.  —  Je  sais  que  ce  sont  elles  et  je  les  distin-gue  l'une  de 
l'autre. 

Le  juge.  —  Comment  cela  ? 

Jeanne.  —  Par  la  manière  dont  elles  me  saluent  et  parce  qu'elles 
se  nomment  à  moi. 

Le  juge.  —  SoTit-elles  vêtues  des  mêmes  étoffes? 

Jeannk.  —  Je  ne  vous  dirai  rien  autre  maintenant. 

Le  juge.  —  Sont-elles  du  même  âge? 

Jeanne.  —  Je  n'ai  pas  congé  de  vous  le  dire. 

Le  Juge.  —  Ces  saintes  parlent-elles  ensemble  ou  Tune  après 
l'autre  ? 

Jeanne.  — J'ai  toujours  eu  conseil  des  deux  ensemble^  (p.  71,  72) 

Le  juge.  —  Depuis  mardi  vous  êtes-vous  entretenue  avec  sainte 
Catherine  et  sainte  Marguerite  ? 

Jeanne.  — Oui,  hier  et  aujourd'hui.  11  n'est  point  de  jour  que  je 
ne  les  entende. 

Le  juge.  —  Les  voyez-vous  toujours  de  même? 

Jeanne.  —  Je  les  vois  toujours  avec  la  même  forme.  Leurs  têtes 
sont  parées  de  magnifiques  coui"onnes.  Je  ne  parle  pas  du  reste  du 
vêtement.  De  leurs  tuniques  je  ne  sais  rien. 

Le  Juge.  —  Comment  savez-vous  que  la  chose  qui  vous  apparaît 
est  homme  ou  femme  ? 

fe.ANfNE.  —  Je  le  sais  parfaitement.  Je  les  distingue  à  leur  voix  et 
elles  me  l'ont  révélé. 

Je  ne  sais  rien  de  cela  que  ce  ne  soit  par  révélation  ou  comman- 
dement de  Dieu  (p.  85). 

Le  juge.  —  Quelle  figure-apercevez-vous? 

Jeanne.  —  La  face. 

Le  juge.  —  Ont-elles  des  cheveux? 

Jeanne.  —  Mais  oui. 

Le  juge.  —  Y  a-t-il  quelque  chose  entre  leurs  cheveux  et  leurs 
couronnes? 

Jeanne.  —  Non,  il  n'y  a  rien. 

Le  juge.  —  Leurs  cheveux  sont-ils  longs  et  pendants? 

Jeanne.  —  Je  n'en  sais  rien,  pas  plus  que  si  elles  ont  des  bras  ou 
autres  membres. 

Le  juge.  —  Quel  langage  vous  parlent-elles  ? 


352  APPENDICE    I 

JEA^^•E.  —  Un  langage  1res  bon  et  1res  beau,  et  je  les  comprends 
très  bien. 

Le  juge.  —  Comment  peuvent-elles  parler  si  elles  n"ont  pas 
de  membres? 

Jeanne.  —  Je  m'en  rapporte  à  Dieu.  Leur  voix  est  belle,  douce. 
humble,  et  elle  parle  français. 

Le  juge.  —  Sainte  Marguerite  ne  parle  donc  pas  anglais  ? 

Jeanne.  —  Comment  parlerait- elle  anglais,  puisqu'elle  n'est  pas 
du  parti  des  Anglais? 

Le  juge.  —  Avec  les  couronnes  qui  ornent  leurs  tètes  ces  saintes 
ont-elles  des  anneaux  aux  oreilles  ou  ailleurs  '? 

Jeanne.  —  De  cela  je  ne  sais  rien  (p.  86). 

Le  juge.  —  Sainte  Catherine  et  sainte  Marguerite  n'ont-elles  pas 
conversé  avec  vous  sous  le  Bel  Arbre  dont  il  a  été  question  ? 

Jeanne.  —  Je  n'en  sais  rien. 

Le  juge.  —  Ne  vous  ont-elles  pas  parlé  près  de  la  fontaine  voisine 
de  l'arbre? 

Jeanne.  —  Elles  m'ont  parlé  et  je  les  ai  entendues  en  cet  endroit. 
Mais  que  me  dirent-elles  alors,  je  ne  m'en  souviens  pas  ^  (p.   87). 

Rapports  de  Jeanne  avec  les  saintes 

Le  juge.  —  Est-ce  vous  qui  appelez  vos  saintes  ou  viennent-elles 
sans  que  vous  les  appeliez? 

Jeanne.  —  Souvent  elles  viennent  sans  que  je  les  appelle.  D'au- 
tres fois,  si  elles  ne  venaient,  je  demanderais  bientôt  à  Noire-Sei- 
gneur de  les  envoyer. 

Le  juge.  —  Ne  les  avez-vous  pas  appelées  quelquefois  sans  qu"el- 
les  soient  venues  ? 

Jeanne.  —  Jamais  je  n'ai  eu  besoin  d'elles  qu'elles  ne  soient 
venues  (p.  127). 

Quelque  chose  que  j'aie  faite  dans  les  occasions  importantes, 
mes  voix  me  sont  toujours  venues  en  aide  (p.  169). 

Le  juge.  —  Vous  demandent-elles  un  délai  pour  répondre  ? 

Jeanne.  —  Sainte  Catherine  me  répond  quelquefois.  Mais  il 
m'arrive  de  ne  pouvoir  la  comprendre  à  cause  du  trouble  de  la  prison 
et  de  la  noise  de  mes  gardes. 

1.  E.  RiCHEU,  séance  Y. 

i.  Jeanne  a  garde  le  silence  sur  les  autres  endroits  des  environs  de 
Domrcmy  où  ses  voix  la  visitaient.  Elle  nous  apprend  plus  bas  qu'elle 
cUait  dans  sa  treizième  année  quand  les  saintes  lui  apparurent  pour  la 
première  fois. 


JEANNE    ET    SES    VOIX  3133 

Et  quand  je  fais  requèle  h  sainte  Calherino,  alors  sainte  Cathe- 
rine et  sainte  Marguerite  font  requête  à  Dieu  ;  et  puis,  par  com- 
mandement de  Nolrc-Seigneur,  elles  me  donnent  la  réponse  ^ 
(p.  153). 

Du  vœu  de  virginité. 

Le  juge.  —  Vous  promîtes  de  garder  votre  virginité.  Est-ce  à 
Notre-Seigneur  lui-même  que  vous  parliez? 

Jeanne.  —  11  devait  bien  suffire  de  le  promettre  à  celles  qui 
venaient  de  par  lui,  sainte  Catherine  et  sainte  Marguerite. 

Le  juge.  —  Quand  avez-vous  promis  de  garder  la  virginité? 

Jeanne.  —  La  première  fois  que  j'ouis  mes  voix,  je  fis  vœu  de 
garder  ma  virginité  tant  qu'il  plairait  à  Dieu.  J'avais  alors  treize 
ans  ou  environ  (p.  128). 

Le  jcge.  —  Quand  vos  saintes  viennent  à  vous,  y  a-t-il  de  la 
lumière  avec  elles  ? 

Jeanne.  —  Il  n'est  point  de  jour  qu'elles  ne  viennent  au  cliâleau, 
et  elles  ne  viennent  pas  sans  lumière  (p.  153). 

Le  juge  .  —  Qu'avez-vous  demandé  à  vos  voix  ? 

Jeanne.  —  J'ai  demandé  à  mes  voix  trois  choses  :  l'une,  mon 
expédition  ;  l'autre,  que  Dieu  vînt  en  aide  aux  Français  et  qu'il 
gardât  bien  les  villes  de  leur  obéissance  ;  la  troisième,  le  salut  de 
mon  âme-  fp.  154). 

De  l'étendard. 

Le  juge.  —  Sur  votre  étendard  le  monde  était-il  peint,  ainsi  que 
deux  anges,  etc.  ? 

Jeanne.  —  Oui.  et  je  n'en  eus  jamais  qu'un. 

Le  juge.  —  Que  signifiait  cette  peinture  de  Dieu  tenant  le  monde 
et  des  deux  anges  (p.  117)  ? 

Ces  deux  anges  représenlaient-ils  saint  Michel  et  saint  Gabriel? 

Jeanne.  —  Ces  deux  anges  n'étaient  là  que  pour  l'honneur  de 
Notre-Seigneur  qui  était  peint  sur  l'étendard.  Je  n'y  fis  représenter 
deux  anges  que  pour  l'honneur  de  Dieu  qui  était  figuré  tenant  le 
monde. 

Je  le  dis  à  mon  roi,  quoique  avec  peine.  De  la  signification  de 
l'étendard  je  ne  sais  pas  autre  chose. 

Le  juge.  —  Les  deux  anges  figurés  sur  votre  étendard  étaient-ce 

i  .  E.  RicHEB,  séances  VIII,  XI. 
2.  E.  RicHER,  séances  Vllf,  XI. 


Î54  APPENDICE   I 

les  deux  anges  qui  gardent  le  monde  ?  Pourquoi  n'y  en  avait-il  pas 
un  plus  grand  nombre  ? 

Jeanne.  —  Tout  létendard  était  commandé  de  Dieu  par  les  voix 
de  sainte  Catherine  et  de  sainte  Marguerite.  Elles  me  dirent  : 
Prends  l'étendard  de  par  le  Roy  du  ciel,  porte-le  hardiment,  et  fais- 
y  peindre  le  Roy  du  ciel. 

C'est  parce  qu'elles  me  dirent  :  Prends  F  étendard  de  par  le  lioy 
du  ciel  ;  que  je  fis  faire  cette  figure  de  Notre-Seigneur  et  des  anges  et 
que  je  les  fis  peindre.  Le  tout,  je  le  fis  par  commandement  de  Dieu. 

Le  juge.  —  Demandâtes-vous,  si,  par  la  vertu  de  cet  étendard, 
vous  gagneriez  toutes  les  batailles  que  vous  livreriez  et  si  vous 
auriez  victoire? 

Jeanne.  —  Elles  me  dirent  :  Prends  hardiment  l'étendard  et  Dieu 
t'aidera. 

Le  juge.  —  Aidiez-vous  plus  à  l'étendard  ou  l'étendard  à  vous  ? 

Jeanne.  —  De  la  victoire  de  l'étendard  ou  de  Jeanne,  c'était  tout 
à  Notre-Seigneur. 

Le  juge.  —  L'espérance  d'avoir  victoire  était-elle  fondée  en 
votre  étendard  ou  en  vous  ? 

Jeanne.  —  11  était  fondé  en  Notre-Seigneur  et  non  ailleurs. 

Le  juge.  —  Si  un  autre  que  vous  eût  porté  votre  étendard,  aurait- 
il  eu  aussi  bonne  fortune  que  vous  ? 

Jeanne.  —  Je  n'en  sais  rien  ;  je  m'en  attends  à  Notre-Seigneur. 

Le  juge.  —  Si  un  des  gens  de  votre  parti  vous  eût  donné  son 
étendard  à  porter  ;  supposons  même  que  ce  fût  l'étendard  de  votre 
roi  ;  auriez-vous  eu  aussi  bonne  espérance  ? 

Jeanne.  —  Je  portais  plus  volontiers  celui  qui  m'avait  été  ordonné 
de  par  Dieu.  Toutefois,  de  tout  je  m'en  attendais  à  Notre-Seigneur 
(p.  117;  181-183). 

Le  juge.  —  Avez-vous  dit  que  les  panonceaux  faits  à  la  ressem- 
blance du  vôtre  étaient  heureux? 

Jeanne.  —  Ce  que  je  disais  aux  miens,  le  voici  :  Entrez  hardi- 
ment parmi  les  Anglais. 

Et  moi-même  j'y  entrais  '  (p.  97). 

1.  E.  RicHER,  séance  Vif,  XV,  YL 

La  Pucelle  a  dit  de  l'épée  de  Fierbois  qu'elle  ne  la  portait  pas  lors- 
qu'elle fut  prise:  mais  «  elle  avait  avec  elle  son  étendard,  dit  Monstrelet, 
lorsque  avec  ses  gens,  de  Compiègne  elle  alla  en  belle  ordonnance 
assaillir  les  premiers  logis  du  Duc.  »  [Procès,  t.  IV,  p.  439). 

L'étendard  tomba  entre  les  mains  des  anglo-bourguignons  et  fut  dé- 
truit sans  doute,  comme  tout  ce  qui  appartenait  à  la  Pucelle,  de  peur 
que  le  garder  ne  portât  malheur  aux  Anglais. 


JEANNE    ET    SES    VOIX  355- 

Du  signe  du  Roi. 

I.E  JUGE.  —  Quel  signe  avez-voiis  donné  à  votre  roi  ? 

Jeanne.  —  Des  choses  que  j"ai  promis  de  tenir  secrètes  je  ne 
dirai  rien. 

Le  juge.  —  A  qui  avez-vous  fait  cette  promesse  ? 

Jeanne.  —  Je  l'ai  faite  à  sainte  Catherine  et  à  sainte  Marguerite 
cela  a  été  montré  au  roi.  Je  le  leur  ai  promis  de  moi-même,  parce 
qu'on  me  tourmentait  trop  de  le  dire.  Et  je  promis  de  n'en  plus 
parler  à  qui  que  ce  soit  (p.  90). 

Le  juge.  —  Que  voulait  dire  ce  signe  ? 

Jeanne.  —  L'ange  (saint  Michel  par  la  bouche  de  Jeanne)  certi- 
fiait à  mon  roi  qu'il  aurait  le  royaume  de  France  tout  entier, 
moyennant  l'aide  de  Dieu  et  le  labeur  de  moi  Jeanne.  Qu'il  me  mit 
en  besogne,  qu'il  me  donnât  des  gens  d'armes,  et  il  serait  promp- 
tement  couronné  et  sacré. 

Et  quand  l'ange  vint  devant  le  roi,  il  remettait  en  la  mémoire  du 
roi  la  belle  patience  qu'il  avait  montrée  dans  les  grandes  tribula- 
tions qui  lui  étaient  venues. 

Le  juge.  —  En  quel  lieu  l'ange  vous  apparut-il  à  vous  Jeanne  ? 

Jeanne.  —  J'étais  presque  toujours  en  prière  afin  que  Dieu 
envoyât  le  signe  du  roi.  J'étais  en  mon  logis  dans  la  maison  d'une 
bonne  femme,  près  du  château  de  Chinon,  quand  l'ange  vint.  Puis 
lui  et  moi  allâmes  au  roi.  Et  l'ange  était  accompagné  d'autres 
anges  que  chacun  ne  voyait  pas. 

Le  juge.  —  Tous  ces  anges  avaient-ils  la  même  figure? 

Jeanne.  —  Les  uns  se  ressemblaient,  les  autres  non.  Quelques- 
uns  avaient  des  ailes,  d'autres  des  couronnes.  Avec  eux  se  trou- 
vaient saintes  Catherine  et  Marguerite.  Et  elles  allèrent  avec 
l'ange  jusque  dans  la  chambre  du  roi'. 

Le  juge.  —  Comment  l'ange  vous  quitta-t-il  ? 

Jeanne.  — Il  me  quitta  dans  une  petite  chapelle.  Je  fus  peinée  de 
son  départ  ;  je  pleurais  et  volontiers  je  m'en  fusse  allée  avec  lui  ; 
moi,  c'est-à-dire  mon  âme  (p.  139-144). 

Jeanne  blessée  a  la  bastille  du  Pont. 

Le  juge.  —  Au  siège  d'Orléans  fùtes-vous  blessée  ? 

Jeanne.  —  A  l'assaut  de  la  bastille  du  Pont,  je  fus  blessée  au 

1.  Evidemment  la  scène  que  raconte  Jeanne  était  visible  pour  elle, 
mais  pour  elle  seule. 

2.  E.  RicHEn,  séances  V,  X. 


356  APPENDICE    I 

COU  par  une  flèche  ou  vireton.  î\Iais  sainte  Calherine  me  réconforla 
grandement.  Je  fus  guérie  dans  une  quinzaine  de  jours,  sans  cesser 
de  monter  à  cheval  et  d'agir. 

Le  juge.  —  Saviez-Yous  que  vous  seriez  hlessée? 

Jeanne.  —  Je  le  dis  à  mon  roi.  Cela  mavait  été  révélé  par  les 
voix  des  deix  saintes,  je  veux  dire  des  Bienheureuses  Calherine  et 
Marguerite  (p.  79). 

De  la  délivrance  du  duc  d'Orléans. 

Le  juge.  —  Comment  auriez-vous  délivré  le  duc  d'Orléans  '  ? 

Jeanne.  —  J'eusse  fait  assez  de  prisonniers  Anglais  de  ce  côté-ci 
de  la  mer  pour  délivrer  le  duc.  Si  je  n'en  eusse  pas  pris  assez, 
j'aurais  passé  la  mer  en  puissance  et  je  serais  aller  le  chercher  en 
Angleterre . 

Le  juge.  —  Saintes  Catherine  et  Marguerite  vous  ont-elles  dit 
absolument  et  sans  condition  que  vous  prendriez  assez  dhommes 
pour  avoir  le  duc  retenu  prisonnier  en  Angleterre,  ou  bien  que  vous 
passeriez  la  mer  et  liriez  chercher  dans  trois  ans? 

Jeanne.  —  Oui,  je  le  dis  à  mon  roi.  et  lui  demandai  de  me  laisser 
disposer  des  seigneurs  anglais  qui  étaient  alors  prisonniers. 

Si  j'avais  duré  trois  ans  sans  être  empêchée,  j'aurais  délivré  le 
prince.  Pour  le  faire,  trois  ans  eussent  suffi,  mais  c'était  trop  peu 
d'une  année-  (p.  133,  134), 

Jeanne  et  les  pauvres  gens.  —  De  l'enfant  de  Lagny. 

Le  juge.  —  Connaissiez-vous  les  sentiments  de  ceux  de  votre 
parti,  lorsqu'ils  baisaient  vos  pieds,  vos  mains  et  vos  vêtements? 

Jeanne.  —  Beaucoup  me  voyaient  volontiers.  Cependant  ils  bai- 
saient mes  vêtements  le  moins  que  je  pouvais.  Les  pauvres  gens 
venaient  volontiers  à  moi,  parce  que  je  ne  leur  faisais  pas  de 
déplaisir  et  que  je  les  supportais  plutôt  de  mon  mieux  (p.  102). 

Le  juge.  —  Oiielàge  avait  l'enfant  pour  lequel  vous  priâtes  à 
Lagny  •*  ? 

Jeanne.    —  L'enfant  avait  trois  jours.  Il  fut  apporté   à  Lagny 

1.  Jeanne  avait  annoncé  à  plusieurs  reprises  que  le  duc  d'Orléans 
prisonnier  reviendrait  cerlainemenl  d'Angleterre  ;  mais  elle  n'avait  pas 
ajouté  ([ue  cela  adviendrait  par  son  entremise  à  elle  et  de  son  vivant. 

2.  E.  RicHEU,  séances  IV,  IX. 

3.  Minute  française  :  giie  vous  visildles;  le.vto  latin  :  «  que  vous  res- 
suscitâtes ». 


JEANNE    ET    SES    VOIX  3o7 

(levant  limage  de  Noti-e-Dame.  On  me  dit  que  les  jeunes  filles  de 
la  ville  étaient  devant  cette  image  ;  que  je  voulusse  bien  aller  moi 
aussi  prier  Dieu  et  la  Bienheureuse  Vierge  de  lui  donner  la  vie. 
J'y  allai  avec  les  autres  jeunes  filles,  je  priai;  finalement  il  donna 
signe  de  vie  et  bailla  trois  fois.  On  le  baptisa,  il  mourut  presque 
aussitôt  et  on  l'inhuma  en  terre  sainte. 

Il  y  avait  trois  jours,  à  ce  qu'on  disait,  que  l'enfant  ne  don- 
nait aucun  signe  de  vie,  et  il  était  noir  comme  ma  cotte.  Mais 
quand  il  eut  baillé,  la  couleur  commença  à  lui  revenir.  Pour  moi, 
j'étais  avec  les  jeunes  filles,  à  genoux,  priant  devant  Notre-Dame. 

Le  iUGE.  —  Ne  dit-on  pas  par  la  ville  que  vous  aviez  fait  faire 
cette  résurrection  et  qu'elle  avait  été  l'effet  de  votre  prière  ? 

Jeanne.  —  Je  ne  m'en  occupai  pas.  '  (P.  105,  106.) 

De  Catherine  de  la  Rochelle. 

Le  juge.  —  Avez-vous  vu  et  connu  Catherine  de  la  Rochelle  ? 

Jeanne.  —  Oui,  à  Jargeau  et  à  Montfaucon  en  Berry. 

Le  juge.  —  Ladite  Catherine  ne  vous  a-t-elle  pas  montré  une 
dame  vêtue  de  blanc  quelle  disait  lui  apparaître  quelquefois? 

Jeanne.  —  Non. 

Le  juge.  —  Que  vous  a  dit  icelle  Catherine? 

Jeanne.  —  Elle  ma  dit  qu'une  dame  blanche,  velue  de  drap  d'or, 
venait  à  elle  Catherine,  lui  disant  d'aller  par  les  bonnes  villes,  et 
de  se  faire  bailler  par  le  roi  des  hérauts  et  des  trompettes  pour 
crier  que  quiconque  aurait  or,  argent  ou  trésor  caché  l'apportât 
aussitôt;  que  ceux  qui  auraient  des  trésors  cachés  et  qui  ne  les 
apporteraient  pas,  dame  Catherine  les  connaîtrait  bien  et  ferait 
découvrir  les  trésors;  et  avec  cet  argent  elle  payerait  mes  hommes 
d'armes.  Je  lui  répondis  de  retourner  à  son  mari,  de  s'occuper  de 
son  ménage  et  de  nourrir  ses  enfants. 

Pour  savoir  à  quoi  m'en  tenir,  je  parlai  à  sainte  Catherine  et  à 
sainte  Marguerite.  Elles  me  dirent  que  du  fait  de  ladite  Catherine 
de  la  Rochelle  ce  n'était  que  folie,  et  que  tout  cela  n'était  rien. 
J'écrivis  à  mon  roi  ce  qu'il  en  devait  faire. 

Le  juge.  —  N'avez-vous  pas  parlé  à  ladite  Catherine  d'aller  à 
La  Charité-sur-Loire"? 

Jeanne.  —  Dame  Catherine  ne  me  conseillait  pas  d'y  aller,  tout 
au  contraire,  il  faisait  trop  froid.  Elle  voulait  se  rendre  auprès  du 
duc  de  Bourgogne  pour  faire  la  paix.  Je  lui  dis  que,  à  mon  avis, 
on  n'aurait  de  paix  que  par  le  bout  de  la  lance. 

1.  E.  RicfiF.R,  séaiiceW. 


338  APPENDICE    I 

Je  demandai  h  icelle  Catherine  si  la  dame  blanche  qui  lui 
apparaissait  venait  la  trouver  chaque  nuit,  et  je  lui  dis  que,  pour 
ce,  je  coucherais  avec  elle.  De  fait,  jy  couchai  et  veillai  jusqu'à 
minuit  :  je  ne  vis  rien  et  je  m'endormis.  Au  matin  je  demandai  à 
ladite  Catherine  si  la  dame  blanche  était  venue  la  trouver.  Elle  me 
répondit  qu'elle  était  venue  pendant  que  je  dormais  et  qu'elle 
n'avait  pu  m'éveiller.  Lors,  je  lui  demandai  si  elle  ne  viendrait 
pas  le  lendemain.  Elle  me  répondit  que  oui.  A  cause  de  cela,  je 
dormis  de  jour  et  demeurai  éveillée  toute  la  nuit.  Mais  je  ne  vis 
rien,  quoique  souvent  j'interrogeasse  Catherine  :  Cette  dame 
va-t-elle  venir  oui  ou  non?  Et  elle  me  x-épondait:  Oui,  tantôt. 
(P.  i06-109'.) 

Les    saintes   annoncent  à   Jeanne   qu'elle   sera  prisonnière 
des   Anglais. 

Le  jugk.  —  Avez-vous  fait  la  sortie  de  Compiègne  par  commande- 
ment de  vos  voix? 

Jeanne.  —  En  la  semaine  de  Pâques  dernières,  comme  j'étais  sur 
les  fossés  de  Melun,  mes  voix,  je  veux  dire  sainte  Catherine  et 
sainte  Marguerite,  me  dirent  que  je  serais  prise  avant  la  Saint-Jean  : 
qu'il  fallait  que  ce  fût  ainsi,  que  je  ne  m'en  ébahisse  pas,  mais  prisse 
tout  en  gré,  que  Dieu  m'aiderait. 

Le  juge.  —  Depuis  Melun,  vos  voix  ne  vous  redirent-elles  pas 
encore  que  vous  seriez  prise  ? 

Jeanne.  —  Oui,  plusieurs  fois  et  presque  tous  les  joui's.  Et  je 
demandais  à  mes  voix  que,  une  fois  prise,  je  mourusse  aussitôt 
sans  long  tourment.  Et  elles  me  dirent:  Prends  tont  en  gré,  il  faut 
qu'il  soit  fait  ainsi. 

Je  leur  ai  plusieurs  fois  fait  requête  pour  savoir  l'heure  où  je 
serais  prise;  mais  elles  ne  me  la  dirent  pas.  (P.  ]  14-'!  15.) 

Le  juge.  —  N'est-ce  pas  la  voix  ou  une  révélation  qui  vous  dit 
de  faire  la  sortie? 

Jeanne.  —  Ce  jour-là,  je  ne  sus  pas  que  je  serais  prise  et  je  n'eus 
aucun  commandement  de  sortir;  mais  il  m'avait  toujours  été  dit 
qu'il  fallait  que  je  fusse  prisonnière.  (P.  116-.) 

1.  E.  RicHEEi,  séance  YI. 

2.  E.  RiCHER,  séance  VII. 

Les  historiens  qui  sont  d'avis  que  la  mission  de  renvoyée  de  Dieu 
finissait  à  Reims  et  qu'après  le  sacre  ses  Voi-x  ne  s'occupaient  presque 
plus  d'elle,  feront  bien  de  peser  le  sens  et  la  valeur  de  ces  textes.  Il  leur 
laudra  du  courage  pour  persister  dans  leur  st-ntiment. 


JEANNE   ET    SES    VOIX  359 

Du  saut  de  Beaurevoir. 

Le  juge.  —  Pour  quelle  cause  avez-vous  sauté  de  la  tour  de 
Beaurevoir  ? 

Jeanne.  —  .l'avais  ouï  dire  que  ceux  de  Compiègne  devaient  être 
mis  à  feu  et  à  sang;  et  moi  j'aimais  mieux  mourir  que  de  vivre 
après  une  telle  destruction  de  bonnes  gens.  Ce  fut  une  des  causes- 
L'autre  fut  que  je  me  savais  vendue  aux  Anglais,  et  j'eusse 
mieux  aimé  mourir  que  d'être  entre  les  mains  des  Anglais,  mes 
adversaires. 

Le  juge.  —  Fites-vous  le  saut  par  le  conseil  de  vos  voix? 

Jeanne.  —  Sainte  Catherine  me  disait  chaque  jour  de  ne  point 
sauter,  que  Dieu  me  viendrait  en  aide  et  aussi  à  ceux  de  Compiègne. 
Et  moi,  je  dis  à  sainte  Catherine  :  «  Puisque  Dieu  sera  en  aide  à 
ceux  de  Compiègne,  je  veux  y  être».  Alors  sainte  Catherine  me 
dit  :  «  Sans  faute,  il  faut  que  tu  prennes  tout  en  gré.  Tune  seras 
pas  délivrée  que  tu  n'aies  vu  le  roi  des  Anglais.  »  Je  répondis  : 
«  Vraiment,  je  ne  voudrais  point  le  voir.  J'aimerais  mieux  mourir 
que  d'être  mise  en  la  main  des  Anglais. 

Le  juge.  — N'avez-vous  pas  dit  à  sainte  Catherine  et  à  sainte 
Marguerite  :  Dieu  laissera-t-il  mourir  si  mauvaisement  ces  bonnes 
gens  de  Compiègne? 

Jeanne.  —  Non,  je  ne  l'ai  pas  dit.  La  vérité  est  que  je  parlai  à 
mes  saintes  en  cette  manière  :  Comment  Dieu  laissera-t-il  mourir 
ces  bonnes  gens  de  Compiègne  qui  ont  été  et  sont  si  loyaux  à  leur 
seigneur  '? 

Après  ma  chute  je  fus  réconfortée  par  sainte  Catherine.  Elle  me 
dit  de  me  confesser  et  de  demander  pardon  à  Dieu  d'avoir  sauté  ; 
que  sans  faute  ceux  de  Compiègne  auraient  secours  avant  la  Saint- 
Martin  d'hiver.  Alors  je  me  pris  a  revenir,  je  commençai  à  manger 
et  tantôt  je  fus  guérie  ^  (P.  150-152.) 

De  la  dévotion  de  Jeanne  envers  ses  saintes. 

Le  juge.  —  Quand  vos  voix  viennent,  leur  faites-vous  l'évérence 
absolument  comme  à  un  saint  ou  à  une  sainte  ? 

1.  E.  RicHER,  séance  XI. 

Les  juges  de  Rouen  dénaturent  les  faits  lorsqu'ils  représentent  Jeanue 
«  se  précipitant  du  haut  de  la  tour  de  Beaurevoh-  ».  La  prisonnière  ne 
se  précipita  pas,  elle  tenta  simplement  de  s'évader  au  moyen  de  linges 
noués  ensemble  et  attaeiiés  à  la  fenêtre  du  donjon.  Los  linges  se  rom- 
pirent et  Jeanne  tomba. 


360  APPENDICE    I 

Jeanne.  —  Assurément.  Et  si  parfois  je  ne  l'ai  pas  fait,  je  leiu'  on 
ai  demandé  pardon.  En  vérité,  je  ne  sais  pas  leur  faire  de 
révérence  aussi  profonde  qu'il  conviendrait,  car  je  crois  fermement 
que  ce  sont  saintes  Catherines  et  Marguerite.  .le  dirai  la  même 
chose  de  saint  Michel. 

Le  juge.  —  On  fait  volontiers  oblation  de  cierges  aux  saints  du 
paradis.  Quand  ces  saints  et  saintes  sont  venus  à  vous,  ne  leur 
avez-vous  pas  offert  des  cierges  ardents  ou  autres  choses,  à 
l'église  ou  ailleurs,  et  n'avez-vous  pas  fait  dire  des  messes  ? 

.Ieanniî.  —  Non,  si  ce  n'est  en  faisant,  à  la  messe,  l'offrande 
entre  les  mains  du  prêtre,  pour  l'honneur  de  sainte  Catherine  : 
c'est  une  des  saintes  qui  m'apparaissent.  .le  n'ai  pas  fait  brûler 
autant  de  cierges  que  j'eusse  voulu  en  l'honneur  de  sainte  Catherine 
et  de  sainte  Marguerite  du  paradis,  parce  que  je  crois  fermement  que 
ce  sont  elles  qui  viennent  à  moi. 

Le  juge.  —  Quand  vous  mettez  les  cierges  devant  l'image  de 
sainte  Catherine,  le  faites-vous  en  l'honneur  de  celle  qui  vous 
apparaît  ? 

Jeanne.  —  Je  le  fais  en  l'honneur  de  Dieu,  de  Notre-Dame  et  de 
sainte  Catherine  qui  est  au  ciel. 

Le  juge.  —  Encore  une  fois,  mettez-vous  ces  cierges  en 
l'honneur  de  cette  sainte  Catherine  qui  se  montre  à  vous  ou  vous 
apparaît  ? 

Jeanne.  —  Mais  oui  ;  je  ne  sais  pas  de  différence  entre  celle  qui 
m'apparait  et  celle  qui  est  au  ciel.  (P.  166-108). 

Jeanne  et  les  commandements  de  ses  voix. 

Le  juge.  — Faites-vous  et  accomplissez-vous  toujours  ce  que  vos 
voix  vous  commandent? 

Jeanne.  —  J'accomplis  de  tout  mon  pouvoir  le  commandement 
de  Dieu  que  mes  voix  me  transmettent.  Autant  que  je  le  comprends, 
mes  voix  ne  me  commandent  rien  sans  le  bon  plaisir  de  Dieu. 

Le  juge.  —  Dans  les  faits  de  guerre,  avez-vous  jamais  rien  fait 
sans  le  conseil  de  vos  voix? 

Jeanne.  —  Je  vous  en  ai  répondu  :  lisez  bien  votre  livre  et  vous 
le  trouverez.  (P.  168.) 

C'est,  ajouta-t-elle,  à  la  requête  des  hommes  d'armes  qu'eut  lieu 
la  vaillance  d'armes  devant  Paris.  A  la  Charité,  j'y  allai  à  la 
requête  de  mon  roi.  Ce  ne  fut  ni  par  commandement  de  mes  voix 
ni  contre  leur  commandement. 


JEAXXE    ET    SES    VOIX  361 

Le  juge.  —  N'avez-vous  jamais  l'ien  fait  conti'e  leur  commande- 
ment et  leur  volonté  ? 

Jeanne.  —  J'ai  accompli  selon  mon  pouvoir  ce  que  j'ai  pu  et  su 
faire.  Quand  au  saut  du  donjon  de  Beaurevoir,  je  le  fis  contre  leur 
commandement.  Mais  elles  me  vinrent  en  aide  et  empêchèrent  que 
je  ne  me  tuasse. 

Sainte  Catherine  et  sainte  Marguerite  me  font  me  confesser  de 
temps  en  temps;  tantôt  l'une,  tantôt  l'autre.  Preuve  de  l'intérêt 
qu'elles  portent  à  mon  âme.  (P.  89,  169.) 

Le  juge.  —  Ne  croyez-vous  pas  que  ce  soit  un  grand  péché 
d'offenser  sainte  Catherine  et  sainte  Marguerite  qui  vous  apparais- 
sent et  d'agir  contre  leur  commandement  ? 

Jeanne.  — Mais  oui,  pour  qui  le  comprend.  Ce  en  quoi  je  les  ai 
le  plus  oflensées,  c'est  le  saut  de  Beaurevoir.  Mais  je  leur  en  ai 
demandé  merci,  ainsiquedes  autres  offenses  que  j'ai  pu  commettre 
contre  elles.  (P.  172'.) 

Comment  Jeanne  était  traitée  par  ses  saintes. 

Le  juge.  — Pourquoi  regardiez-vous  volontiers,  allant  à  la  guerre, 
l'anneau  qui  portail  les  noms  de  Jésus  et  de  Marie  ? 

Jeanne.  —  Par  plaisance  et  pour  l'honneur  de  mon  père  et  de 
ma  mère,  et  parce  qu'ayant  cet  anneau  en  main  et  au  doigt,  j'ai 
touché  sainte  Catherine  qui  m'apparaissait.  (P.  185-187.) 

Le  juge.  —  N'avez-vous  jamais  baisé  ou  embrassé  sainte 
Catherine  et  sainte  Marguerite  ? 

Jeanne.  —  Je  les  ai  embrassées  toutes  deux, 

Le  juge.  —  Fleuraient-elles  bon  ? 

Jeanne.  —  Assurément  elles  fleuraient  bon. 

Le  juge. —  En  les  embrassant,  senliez-vous  la  chaleur  ou  autre 
chose  ? 

Jeanne.  —  Je  ne  pouvais  pas  les  embrasser  sans  les  sentir  et  les 
toucher. 

Le  juge.  — Par  quelle  partie  les  embrassiez-vous  ? 

Jeanne.  —  11  était  plus  séant  de  les  embrasser  par  en  bas  que  par 
en  haut. 

Le  juge.  — N'avez-vous  point  donné  à  vos  saintes  des  guirlandes 
ou  .chapeaux  de  fleurs  ? 

Jeannr.  —  En  leur  honneur,  j'en  ai  donné  plusieurs  fois  à  leurs 

1.  E.  RicHEH,  séance  XIII. 


362  APPENDICE    I 

images  ou  à  leurs  statues  dans  les  églises  ;  mais  aux  saintes  qui 
m'apparaissent  je  ne  me  souviens  pas  d'en  avoir  donné. 

Le  Ji'GE.  —  Quand  vous  mettiez  des  guirlandes  à  lArbre  des 
Dames,  les  meltiez-vous  en  l'honneur  de  celles  qui  vous  apparais- 
saient ? 

Jeanne.  —  Non. 

Le  juge.  —  Quand  ces  saintes  venaient  à  vous,  leur  faisiez-vous 
révérence,  en  fléchissant  les  genoux  ou  en  vous  inclinant? 

Jeanne.  —  Mais  oui  :  je  leur  faisais  le  plus  de  révérences  que  je 
pouvais,  parce  queje  sais  bien  que  ce  sont  celles  qui  sont  dans  le 
l'oyaume  du  paradis. 

Je  vous  ai  dit  de  saint  Michel  et  des  saintes  ce  que  je  sais.  Je  les 
ai  vus,  aussi  vrai  qu'ils  sont  avec  les  bienheureux  au  paradis 
(P.  93).  Je  crois  que  ce  sont  eux  que  Notre  Seigneur  m'a  envoyés 
pour  me  soutenir  et  me  donner  conseil.  Je  le  crois  aussi  fermement 
que  je  crois  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  a  souffert  la  mort  pour 
nous  et  nous  a  rachetés  des  peines  de  l'enfer.  (P.  274,  275.) 

Le  juge.  — Ne  fit-on  pas  flotter  ou  tourner  votre  étendard  autour 
de  la  tête  de  votre  roi  pendant  son  sacre  à  Reims  ? 

Jeanne.  —  Pas  que  je  sache. 

Le  juge.  —  Pourquoi  votre  étendard  fut-il  porté  en  l'église  de 
Reims  au  sacre  de  votre  roi,  plutôt  que  ceux  des  autres  capi- 
taines ? 

Jeanne.  —  11  avait  été  à  la  peine,  c'était  bien  raison  qu'il  fût  à 
l'honneur*.  (P.  187.) 


DU  «  CONSEIL  »  DE  L.\  PUCELLE 

Les  textes  qui  précèdent  nous  montrent  saint  Michel  et  les 
saintes  exerçant  de  concert  une  action  d'assistance  et  de 
tutelle  sur  la  jeune  vierge  confiée  à  leurs  soins.  Du  commen- 
cement à  la  fin  de  sa  mission,  ils  seront  ses  inspirateurs  et 
ses  guides.  A  l'archange  reviendra  la  direction  souveraine,  le 
«  gouvernement  supérieur  ».  Aux  deux  saintes,  il  appartien- 
dra d'intervenir  dans  les  incidents  et  les  difficultés  de  chaque 
jour.  En  réalité,  les  voix  de  l'Envoyée  de  Dieu  seront  pour 
elle  un  véritable  «  Conseil  ». 

1.  E.  RicHEit.  féanceUX. 


JEANNE   ET    SES    VOIX  3G3 

Ceci  n'est  pas  iinç  hypothèse  ou  une  imagination  des  histo- 
riens. Jeanne  elle-même  s'en  est  expliquée  avant  et  pendant 
le  procès,  ses  juges  ont  pris  soin  de  nous  le  faire  savoir. 

Au  début  du  premier  interrogatoire  public,  l'évêque  de  Beauvais 
somme  l'accusée  de  dire  toute  la  vérité. 

—  Voulez-vous,  lui  demande-t-il,  dire  la  vérité  sur  les  questions 
qui  vous  seront  posées,  touchant  la  foi  et  que  vous  saurez  ? 

Jeanne  répond.  — Volontiers,  je  jurerai  dédire  ce  que  je  sais  de 
mon  pèx'e  et  de  ma  mère  et  de  ce  que  j'ai  fait  depuis  que  j'ai  pris 
la  route  de  France.  Mais  de  mes  révélations  de  par  Dieu,  je  n'en  ai 
parlé  à  personne,  sauf  à  Charles  mon  roi,  et  je  n'en  parlerai  à  qui 
que  ce  soit.  «  Mon  conseil  secret,  »  c'est-à-dire  mes  visions  et  mes 
voix  m'ont  défendu  de  les  faire  connaître.  (P.  45.) 

A  propos  de  la  prise  de  .largeau,  le  juge  dit  à  la  Pucelle. 

—  Les  Anglais  demandaient  un  délai  de  quinze  jours  avant  de 
se  retirer  avec  armes  et  bagages.  En  avez-vous  délibéré  avec  «  votre 
Conseil,  c'est-à-dire  avec  vos  voix  m?  Anhabuil  tune  déliberationcm 
cum  suo  Consilio.  videlicet  cum  suisvocibus? 

Jeanne.  —  Je  n'en  ai  pas  souvenance.  (I^.  7U,80.) 

Au  cours  du  même  interrogatoire  public,  le  cinquième,  le  juge 
lui  demande  : 

—  Vos  voix  vous  ont-elles  dit  que  vous  sei'ez  délivrée  de  prison  ? 
Jeanne.  —  Non.  J'ignore  quand  je  serai  délivrée. 

Le  juge  insiste  et  pose  la  même  question  en  d'autres  termes  : 

—  Votre  «  Conseil  »  vous  a-t-il  dit  que  vous  serez  délivrée  de  la 
prison  actuelle? 

Jeanine.  —  Parlez  m'en  dans  trois  mois  et  je  vous  répondrai. 
(P.  88.) 

C'est  encore  le  même  sujet  que  le  juge  aborde  une  autre  fois 
et  avec  les  mêmes  expressions. 

—  Votre  (■  Conseil  »  vous  a-t-il  révélé  que  vous  vous  évaderiez 
de  votre  prison. 

Jeanne.  —  De  cela  je  n'ai  rien  à  vous  dire.  (P.  64.) 
Dès  le  second  interrogatoire,  le  juge  veut  savoir  qui  a  poussé  la 
Pucelle  à  prendre  l'habit  d'homme. 

Elle  répond  qu'elle  avait  dû  laisser  1  habit  de  son  sexe  pour  pren- 
dre l'habit  d'homme.  Et  donnant  a  entendre  que  c'était  par  com- 
mandement de  ses  voix,  elle  ajoute  :  «  Je  pense  que  mon  «  Conseil  » 
m"a  donné  un  sage  avis.  »  (P.  o'j.) 


3Ù4  APPENDICE    I 

Ce  qui  lui  faisait  dire  en  une  autre  circonstance  :  «  Tout  ce  que 
j'ai  fait  de  bien,  je  l'ai  fait  par  commandement  de  mes  voix.  » 
(P.  133.) 

De  ce  «  Conseil  supérieur  »  Jeanne  parla  plusieurs  fois  à  son  roi 
Charles  VII,  au  comte  de  Dunois,  h  son  intendant  Jean  d'Aulon, 
aux  capitaines. 

Nous  avons  rappelé  la  scène  du  château  de  Loches  dans  laquelle, 
en  présence  du  Dauphin,  du  Bâtard  dOrléans  et  de  quelques  autres 
personnages,  la  jeune  fille  consentit  à  dire  «  de  quelle  manière  en 
usait  son  Conseil,  quand  il  lui  parlait  ».  (E.  Richer,  livre  1,  loco 
supra  cilato.) 

Au  Bâtard  d"Orléans,  aux  capitaines  qui  sans  consulter  Jeanne, 
ont  pris  des  résolutions  qu'elle  n'approuve  pas,  elle  dira  sans  hési- 
ter :  —  En  nom  Dieu,  XOr  Conseil  de  mon  Seigneur  est  plus  sage  que 
le  vôtre. 

Vous  avez  été  à  votre  Conseil,  et  moi  j"ai  été  au  mien.  Croyez 
que  ce  qu'a  décidé  le  Conseil  de  mon  Seigneur  s'accomplira,  et  que 
le  vôtre  périra.  [Procès,  t.  III,  p.  5,  108.) 

Le  jour  de  la  «  chasse  de  Patay  »,  lorsqu'elle  apprit  que  les 
Anglais  s'étaient  mis  en  retraite,  la  jeune  guerrière  dit  toute  joyeuse 
aux  capitaines  :  «  Fussent-ils  pendus  aux  nues,  nous  les  aurons.  Ils 
sont  tous  nôtres:  mon  Conseil  me  l'a  dit.  »  {Ibid.  98,  09.) 

L'intendant  de  laPucelle,  Jean  d'Aulon,  racontait  que  «  lorsque 
ladite  Pucelle  avait  aucune  chose  à  faire  pour  le  fait  de  la  guerre, 
elle  disait  que  son  Conseillui  avait  appris  ce  quelle  devait  faire.  » 

Un  jour  le  brave  intendant  eut  la  curiosité  de  savoir  qui  «  était 
le  Conseil  ».  Il  le  demanda  simplement  à  Jeanne  d'Arc.  «  Elle  lui 
répondit  qu'ils  étaient  trois  ses  conseillers,  desquels  l'un  était  tou- 
jours résidamment  avec  elle  (sainte  Catherine)  ;  l'autre  allait  et 
venait  souventes  fois  vers  elle  et  la  visitait  (sainte  Mai'guerite)  :  et 
le  troisième  était  celui  avec  lequel  les  deux  autres  délibéraient.  » 

Poussant  la  curiosilé  plus  loin,  d'Aulon  requit  Jeanne  «  qu'elle 
voulût  lui  montrer  iceluj  Conseil.  » 

Jeanne  lui  répondit  catégoriquement  «  qu'il  n'était  pas  assez 
digne  ni  vertueux  pour  iceluy  voir.  » 

L'honnête  intendant  comprit  la  leçon.  «  11  se  désista  de  plus  en 
parlera  la  Pucelle  ni  enquérir.  »  [Ibid.  p.  219-220.) 

N'est-ce  pas  une  chose  également  originale  et  touchante  que  cette 
assistance  des  protecteurs  célestes  de  la  Pucelle  devenus  son 
Conseil  ?  Sous  sa  direction  tutélaire.  la  jeune  guerrière  ne  fut 
jamais  isolée,  jamais  il  ne  lui  faillit.  Tout   ce   qu'elle    annonça 


JEAXNE    ET    SES   VOIX  305- 


de  sa  pari  s'accomplit  à  la  lettre.  Orléans  fut  délivré,  le  Dauphin 
sacré,  les  Anglais  battus  et  la  France  sauvée. 


ïliOISlEME  PARTIE 

LES  JUGES  DE  JEANNE  ET  LES  VOIX 

Premières  interrogations. 

Au  commencement  du  premier  interrogatoire  public,  Tévèque  de 
Beauvais  parle  à  Jeanne  en  ces  termes  : 

—  Nousvous  requérons  judiciairement  de  jurer,  la  main  sur  les 
Saints  Evangiles,  de  dire  la  vérité  dans  toutes  les  questions  qui 
vous  seront  posées. 

Jeanne.  —  Mais  je  ne  sais  pas  sur  quels  points  vous  voulez  m"in- 
lerroger.  Peut-être  me  demanderez-vous  des  choses  que  je  ne  pour- 
rai dire. 

L  EvÈQUE.  —  Jurez-vous  de  dire  la  vérité  sur  ce  qui  vous  sera 
demandé  touchant  la  foi,  si  vous  le  savez  ? 

Jeanne.  —  Pour  ce  qui  regarde  mon  père  et  ma  mère,  et  ce  que 
j"ai  fait  depuis  que  j'ai  pris  le  chemin  de  France,  je  jurerai  volon- 
tiers. Mais  pour  les  révélations  que  j'ai  eues  de  Dieu,  je  n'en  ai  jamais 
rien  dit  ni  révélé  à  personne  qu'au  seul  roi  Charles,  mon  roi,  et  je 
n'en  dirai  rien.  Mon  Conseil  secret,,  mes  visions  m'ont  défendu  d'en 
rien  dire  à.  personne.  (Procès,  t.  I.  p.  45.) 

Au  commencement  du  second  interrogatoire,  le  juge  désigné 
pour  interroger  la  Pucelle,  maître  Jean  Beaupère,  revient  sur  la 
question  du  serment. 

—  Tout  d'aboi'd,  lui  dit-il,  je  vous  exhorte  à  dire,  comme  vous 
l'avez  juré,  la  vérité  sur  ce  que  j'aurai  à  vous  demander. 

—  Vous  pourriez  bien,  dit  Jeanne,  me  demander  telle  chose  sur 
laquelle  je  répondrais,  et  telle  autre  sur  laquelle  je  ne  répondrais 
pas.  Si  vous  étiez  bien  informé,  vous  devriez  vouloir  que  je  fusso 
hors  de  vos  mains,  «  car  je  n'ai  rien  fait  que  par  révélation  ». 

Et  elle  maintint,  ainsi  que  dans  les  interrogatoires  suivants, 
la  réserve  qu'elle  avait  mis  à  son  serment  '■.  (P.  50,  oi.) 

Les  voix  pressent  Jeanne  de  répondre  hardiment. 

Le  juge  intebrogateur.  —  Avez-vous  entendu  la  voix  qui  vient 
à  vous? 

1.  !•;.  RiciiF.H,  {éanccsl,  H. 


366  APPENDICE    I 

Jeanne.  —  Je  l'ai  entendue  hier  et  aujourd'hui. 

Le  juge.  —  A  quelle  heure  hier  ? 

Jeanne.  —  Une  fois  le  matin,  puis  à  vêpres,  puis  le  soir,  à  VAve 
Maria.  Il  m'arrive  de  l'entendre  plus  souvent  que  je  ne  dis. 

Le  juge.  —  Que  faisiez-vous  hier  matin,  quand  la  voix  est  venue 
à  vous. 

Jeanne.  —  Je  dormais,  elle  ma  éveillée. 

Le  juge.  — Est-ce  en  vous  touchant  les  bras. 

Jeanne.  —  Non,  sans  me  toucher. 

Le  juge.  —  Était-elle  dans  la  chambre. 

Jeanne.  —  Pas  que  je  sache,  mais  dans  le  château. 

Le  juge.  —  L'avez-vous  remerciée  ? 

Jeanne.  —  Oui,  je  l'ai  remerciée  :  j'ai  joint  mes  mains  en  me 
soulevant  et  m'assejant  sur  le  lit.  J'avais  d'ailleurs  requis  son 
conseil. 

Le  juge.  —  Que  vous  a-t-elle  dit  ? 

Jeanne.  —  De  répondre  hardiment. 

Le  juge.  —  En  somme,  que  vous  a-t-elle  dit,  lorsque  vous  avez 
été  éveillée  ? 

Jeanne.  —  Elle  m'a  dit.  je  le  répète,  de  répondre  hardiment;  que 
Dieu  viendrait  à  mon  aide.  Oui,  elle  m'a  dit  de  répondre  sans 
crainte. 

Sadressant  aussitôt  à  l'évêque  de  Beauvais,  la  jeune  fille  lui  dit  : 

—  Vous,  évéque,  vous  pi'étendez  que  vous  êtes  mon  juge.  Prenez 
garde  à  ce  que  vous  faites,  car,  en  vérité,  je  suis  envoyée  de  dieu,  et 
vous  vous  mettez  en  grand  danger. 

Le  juge.  —  La  voix  a-t-elle  changé  d'avis  ? 

Jeanne. —  Jamaisjenel'ai  trouvée  tenant  deux  langages  contrai- 
res. Celte  nuit  en';ore  elle  me  pressait  de  répondre  hardiment. 
(P.  61-63.) 

Le  juge.  —  L'avez-vous  entendue  depuis  samedi  ? 

Jeanne.  —  Oui  et  plusieurs  fois. 

Le  juge.  —  Que  vous  a-t-elle  dit  ? 

Jeanne.  —  Toujours  et  plusieurs  fois  la  même  chose  :  de  vous 
répondre  hardiment  quand  vous  m'interrogeriez  sur  ce  qui  touche 
le  procès  i.  (P.  71,  140.) 

Des  révélations  faites  à  la  Pucelle. 

Le  juge.  —  La  voix  vous  a-t-elle  défendu  de  dire  tout  ce  qui  vous 
serait  demandé  ? 

1.  E.  RicHER.  séances  III,  lY,  X. 


JEANNE    ET    SES    VOIX  367 

Jeanne.  —  J'ai  l'eçu  des  révélations  concernant  le  roi  que  je  ne 
vous  dirai  pas. 

Le  juge.  —  Cette  voix  vient-elle  de  Dieu  ? 

Jeanne.  —  Oui  et  par  son  ordre,  je  le  crois  aussi  fermement  que 
je  crois  la  foi  chrétienne  et  que  dieu  nous  a  rachetés  des  peines  de 
l'enfer. 

Je  le  répète  :  elle  vient  de  la  part  de  Dieu.  Assurément,  je  ne  vous 
dirai  pas  tout  ce  que  j'en  sais.  J'appréhende  beaucoup  plus  de  me 
mettre  en  faute  en  disant  quelque  chose  qui  déplaise  à  mes  voix, 
qu'en  vous  répondant  à  vous-même. 

Le  juge.  —  Vos  voix  vous  ont-elles  donné  conseil  sur  ce  que 
vous  leur  demandiez  ? 

Jeanne.  — J'ai  eu  conseil  sur  quelques  points;  mais  il  en  est 
d'autres  dont  je  ne  parlei'ai  que  si  j'en  ai  permission.  Si  je  répon- 
dais sans  en  avoir  la  permission,  je  naurais  pas  mes  voix  en 
garant;  mais  si  le  Seigneur  me  le  permet,  je  répondrai  sans 
crainte,  car  j'aurai  bonne  garantie. 

Le  juge.  —  Croyez-vous  qu'il  déplaise  à  Dieu  qu'on  dise  lavérité  ? 

Jeanne.  —  Mes  voix  m'ont  dit  certaines  choses  pour  le  roi  et  non 
pour  vous.  Cette  nuit  même,  la  voix  m'a  dit  beaucoup  de  choses 
pour  le  bien  du  roi.  Je  voudrais  bien  qu'il  les  sût,  dussé-je  ne  pas 
boire  de  vin  d'ici  à  Pâques. 

Le  juge.  —  La  voix  ne  pourrait-elle  pas  porter  cette  nouvelle  à 
votre  roi? 

Jeanne.  —  Elle  ne  le  ferait  que  si  c'était  la  volonté  de  Dieu.  Si 
Dieu  lui-même  y  consentait,  j'en  serais  bien  contente. 

Le  juge.  —  Pourquoi  la  voix  ne  pai'le-t-elle  pas  maintenant  au 
roi,  comme  elle  le  faisait  lorsque  vous  étiez  en  sa  présence? 

Jean-ne.  —  J'ignore  si  telle  est  la  volonté  de  Dieu.  N'était  la 
grâce  de  Dieu  je  ne  saurais  rien  faire. 

Le  juge.  —  Savez-vous  si  vous  êtes  en  la  grâce  de  Dieu  '  "? 

Jeanne.  —  Si  je  n'y  suis,  Dieu  veuille  m'y  mettre;  et  si  j'y  suis, 
Dieu  veuille  m'y  garder.  Je  serais  la  plus  malheureuse  du  monde 
si  je  savais  n'être  pas  dans  la  grâce  de  Dieu.  Certainement  la  voix 
ne  viendrait  pas  à  moi  si  j'étais  dans  le  péché  -.  (P.  63,  6i-.) 


1.  L'assesseur  Jean  Lefèvre,  professeur  de  théologie,  fît  observer  à 
l'évêque  de  Beauvais  que  ce  n'était  pas  là  une  question  à  poser  à  une 
simple  jeune  fille.  L'évêque  de  Beauvais  repartit  aigrement  :  «  Vous, 
vous  auriez  mieux  fait  de  vous  taire.  »  Peu  de  docteurs,  assurément, 
eussent  répondu  de  façon  aussi  arlmirable  que  cette  fille  dos  cliamps. 

2.  E.  RiCHER,  Séance  III. 


368  APPENDICE   I 


Jeanne  adolescente. 


Le  JUGE.  —  Avez-vous  appris  quelque  métier  en  votre  jeunesse^ 

Jeanne.  —  Oui,  j'ai  appris  à  coudre  et  à  filer,  et  à  ce  métier  je 
ne  crains  aucune  femme  de  Rouen. 

Dans  la  maison  de  mon  père,  lorsque  je  n'allais  pas  aux  champs 
avec  les  bi-ebis  et  les  animaux,  je  vaquais  aux  soins  du  ménage. 

Le  juge.  —  Vous  confessiez-vous  tous  les  ans? 

Jeanne.  —  Oui,  à  mon  curé;  et,  quand  il  était  empêché,  à  un 
autre  avec  sa  permission.  Je  me  suis  confessée  deux  ou  trois  fois, 
ce  me  semble,  à  des  religieux  mendiants  à  Neufchâteau.  Par 
crainte  des  Bourguignons,  nous  nous  étions  réfugiés  en  celte  ville, 
en  Lorraine,  chez  une  femme  surnommée  La  Rousse,  où  je  demeu- 
rai environ  quinze  jours.  (P.  53.) 

Le  juge.  —  Dans  votre  jeunesse,  alliez-vous  aux  champs  vous 
promener  avec  les  enfants  du  village? 

Jeanne.  —  Oui,  j'j  suis  allée  plusieurs  fois. 

Le  juge.  —  Les  habitants  de  Domremy  tenaient-ils  le  parti  des 
Bourguignons  ouïe  parti  adverse? 

.Ieanne.  —  Je  n'ai  connu  parmi  eux  qu'un  Bourguignon,  et  j'eusse 
bien  voulu  qu'on  lui  coupât  la  tête,  pourvu  toutefois  que  ce  fût  le 
plaisir  de  Dieu. 

Le  juge.  —  Les  habitants  de  Maxey-sur-Meuse  étaient-ils  pour  ou 
contre  les  Bourguignons? 

Jeanne.  —  Ils  étaient  pour  les  Bourguignons. 

Le  juge.  —  Quand  vous  étiez  jeune,  la  voix  vous  a-t-elle  dit  de 
haïr  les  Bourgnignons  ? 

Jeanne.  —  Quand  j'eus  compris  que  les  voix  étaient  pour  le  roi 
de  France  je  n"aimai  pas  les  Bourguignons.  Ils  auront  guerre  s'ils 
ne  font  pas  ce  qu'ils  doivent,  je  le  sais  par  ma  voix. 

Le  juge.  —  Avez-vous  jamais  été  avec  les  petits  enfants  qui  se 
battaient  pour  votre  parti  ? 

Jeanne.  —  Je  ne  m'en  souviens  pas;  mais  j'ai  bien  vu  que  quel- 
ques-uns de  Domremy  qui  s'étaient  battus  contre  ceux  de  Maxey, 
en  revenaient  parfois  maltraités  et  tout  en  sang. 

Le  juge.  —  Dans  votre  jeune  âge,  aviez-vous  l'intention  de  com- 
battre les  Bourguignons? 

Jeanne.  —  Ma  ferme  volonté,  mon  vif  désir  étaient  que  mon  roi 
eût  son  royaume. 

Le  Juge.  —  Conduisiez-vous  les  animaux  aux  champs  ? 

Jeanne.  —  Quand  j'eus  grandi  et  atteint  l'âge  de  raison,  je  ne 


JEANNE    ET    SES    VOIX  369 

gardais  pas  habiluellement  les  animaux,  mais  jaidais  à  les  mener 
dans  les  prairies  et  dans  le  château  nommé  de  llle,  par  crainte 
des  gens  de  guerre. 

Le  juge.  —  Parlez-nous  de  l'arbre  qui  était  près  de  votre  village. 
;P.  65-68.) 

Je.\nne.  —  (Voir  dans  E.  Richer,  à  la  fin  de  la  troisième  séance, 
le  texte  et  l'Adverlissement.) 

De  l'habit  d'homme. 

Le  juge  —  Croyiez-vous  faire  mal  en  portant  Ihabit  d'homme  ? 

Jeanne.  —  Puisque  je  le  porte  par  commandement  de  Notre- 
Seigneur  et  à  son  service,  je  ne  pense  pas  faire  mal.  Quand  il 
plaira  à  Dieu  de  me  l'ordonner,  je  l'aurai  bientôt  quitté.  (P.  161.) 

Le  juge.  —  Lorsque  vous  abordâtes  pour  la  première  fois  votre 
roi,  ne  vous  a-t-il  pas  demandé  si  vous  avez  changé  d'habit  par 
suite  d'une  révélation? 

Jeanne.  —  Je  n'ai  pas  souvenance  que  pareille  chose  m'ait  été 
demandée.  C'est  écrit  à  Poitiers. 

Le  juge.  —  Votre  roi,  la  reine  et  ceux  de  votre  parti  ne  vous 
ont-ils  pas  quelquefois  demandé  de  quitter  l'habit  d'homme? 

Jeanne.  —  Ceci  n'est  pas  du  procès. 

Le  juge.  —  A  Beaurevoir  ne  vous  a-t-on  pas  fait  la  même 
requête  ? 

Jeanne.  —  Oui,  en  vérité.  Mais  je  répondis  que  je  ne  le  quitte- 
rais pas  sans  congé  de  Dieu. 

La  demoiselle  de  Luxembourg  et  la  dame  de  Beaurevoir  m'of- 
frirent un  habit  de  femme  ou  du  drap  pour  le  faire  et  me  deman- 
dèrent de  le  porter.  Je  répondis  que  je  n'en  avais  pas  la  permission 
de  Notre-Seigneur  et  qu'il  n'en  était  pas  encore  temps. 

Le  juge.  —  Eussiez-vous  cru  commettre  un  péché  mortel  en  pre- 
nant habit  de  femme? 

Jeanne.  —  Je  fais  mieux  d'obéir  et  de  servir  mon  souverain 
Seigneur,  à  savoir  Dieu.  Si  j'eusse  dû  prendre  cet  habit,  je  l'eusse 
plutôt  fait  à  la  requête  de  ces  deux  dames  que  d'autres  dames  qui 
soient  en  France,  excepté  ma  reine  ^. 

Le  juge.  ^—  Lorsque  Dieu  vous  révéla  d'avoir  à  quitter  l'habit  de 
femme  pour  Ihabit  d'homme,  le  fit-il  par  la  voix  de  saint  Michel 
ou  par  celles  de  sainte  Catherine  ou  Marguerite? 

1.  Cotte  mention  de  la  reine  indique,  ce  semble,  que  ]\Iarie  d'.Anjou 
avait  fait  à  la  Pucelle  la  même  demande  et  reçu  la  même  explication. 


370  APPENDICE    I 

Jeanne.  —  Je  ne  vous  dirai  pas  maintenant  autre  cliose.  (P.  94- 
96.) 

Le  juce.  —  En  refusant  de  prendre  habit  de  leaime,  n'affectcz- 
vous  pas  de  tenir  en  mépris  votre  sexe  ? 

Jeanne.  —  Quant  aux  œuvres  de  femme,  il  y  aura  toujours  assez 
<le  femmes  pour  les  faire.  (P.  230.) 

Le  juge.  —  Quel  garant  et  quel  secours  attendez-vous  de  Notre- 
Seigneur  en  portant  l'habit  d'homme  ? 

Jeanne.  —  Tant  de  l'habit  d'homme  que  d'autres  choses  que  j'ai 
faites,  je  n'attends  d'autre  loyer  que  le  salut  de  mon  âme  ^. 
;P.    179.) 

De  la  sortie  de  Compiègne. 

Le  jl'ge.  —  D'où  étiez-vous  partie,  à  votre  dernière  venue  à  Com- 
piègne ? 

Jeanne.  —  De  Crépy-en- Valois.  Je  vins  à  heure  secrète  du  matin, 
et  j'entrai  dans  la  ville  sans  que  les  ennemis  s'en  doutassent.  Ce 
jour  même,  sur  le  soir,  je  fis  la  sortie  où  je  fus  prise. 

Le  juge.  —  Avez-vous  fait  cette  sortie  par  commandement  de 
vos  voix  ? 

Jeanne.  —  Ce  jour-là.  je  ne  sus  point  que  je  serais  prise  et  je 
n'eus  aucun  commandement  de  sortir.  Mais  il  m'avait  toujours 
été  dit  qu'il  fallait  que  je  fusse  prisonnière. 

Le  juge.  —  Si  vos  voix  vous  avaient  commandé  cette  sortie  en 
vous  signifiant  que  vous  seriez  prise,  y  seriez-vous  allée  '? 

Jeanne.  —  Si  j'eusse  su  que  je  devais  être  prise  je  n'y  serais  pas 
allée  volontiers.  Toutefois,  j'eusse  fini  par  faire  ce  que  comman- 
daient mes  voix,  quelque  chose  qu'il  dût  m'en  advenir. 

Le  juge.  —  Quand  vous  fîtes  cette  sortie,  passàtes-vous  parle 
pont  de  Compiègne  ? 

Jeanne.  —  Je  passai  par  le  pont  et  par  le  boulevard.  Avec  la 
compagnie  des  gens  de  mon  parti  j'allai  contre  ceux  de  monsei- 

1.  Iv  lîiCHEU,  séances  Wl.  "VI,  XIV. 

Ces  questions  sur  l'habit  d'homme,  avec  celios  que  nous  avons  rap- 
portées plus  haut,  ne  sont  pas  les  seules  que  les  juges  aient  posées  à 
ia  Pucelle.  Ils  y  reviennent  à  plusieurs  reprises,  tantôt  en  lui  offrant  de 
prendre  un  habit  de  femme,  ce  qui  lui  permettrait  d'ouïr  la  messe 
(p.  176),  tantôt  en  essayant  de  lui  prouver  qu'elle  s'était  rendue  cou- 
pable d'une  faulc  mortelle  fp.  169).  A  ces  arguties,  la  Pucelle  oppose  ces 
deu.K  réponses  :  1°  Elle  n'a  pris  l'habit  d'homme  que  par  commande- 
ment exprès  de  Dieu:  2°  Elle  est  prête  à  le  quitter  dès  que  Dieu  le 
lui  commandera. 


JEAXXE    ET    SES    VOIX  371 

gneui'  Jean  de  Luxembourg.  Je  les  reboutai  par  deux  fois  jusqu'au 
logis  des  Bourguignons,  et  la  troisième  fois  jusqu'à  mi-chemin. 
Alors  les  Anglais  qui  étaient  là  coupèrent  le  chemin  à  moi  et  à 
mes  gens.  Pendant  que  je  me  retirais,  je  fus  prise  dans  les  champs, 
du  côté  qui  regarde  la  Picardie,  près  du  boulevard.  Entre  l'endroit 
où  je  fus  prise  et  Compiègne  il  y  avait  la  rivière  et  le  boulevard 
avec  son  fossé  ;  il  n'y  avait  pas  autre  chose^.  (P.  H4-il7.) 

De  l'assaut  de  Paris.  —  Des  affaires  de  Pont  1  Evêque 
et  de  La  Charité. 

Le  .iuge.  —  Quand  vous  allâtes  devant  Paris,  y  allàtes-vous  par 
l'évélations  de  vos  voix  ? 

Jeanne.  —  Non,  j'y  allai  à  la  requête  des  gentilshommes  qui 
voulaient  faire  une  escarmouche  ou  une  vaillance  d'armes.  Mon 
intention  était  de  passer  outre  et  de  traverser  les  fossés. 

J'y  fus  blessée,  mais  au  bout  de  cinq  jours  je  fus  guérie.  (P.  146, 
37.) 

Le  juge.  —  Avez-vous  eu  quelque  révélation  d'aller  à  Ponl- 
l'Evéque  ? 

Jeanne.  —  Après  la  révélation  qui  m'apprit  sur  les  fossés  de 
Melun  que  je  serais  prise,  je  me  rapportai  le  plus  souvent  aux  capi- 
taines pour  ce  qui  était. de  la  guerre.  Toutefois,  je  ne  leur  disais 
pas  avoir  eu  révélation  que  je  serais  prise. 

Le  juge.  —  Avez-vous  eu  révélation  d'aller  devant  La  Charité  ? 

Jeanne.  —  Pas  davantage.  J'y  allai  à  la  requête  des  gens  d'ar- 
mes. 

Le  juge.  —  Pourquoi  n'entràtes-vous  point  dans  cette  ville  puis- 
({ue  vous  en  aviez  commandement  de  Dieu  ? 

Jeanne.  —  Qui  vous  a  dit  que  j'avais  commandement  de  Dieu 
d'y  entrer  ? 

Le  juge.  —  N'avez-vous  pas  eu  conseil  de  votre  voix  ? 

Jeanne.  —  Je  voulais  aller  en  France.  Mais  les  hommes  d'armes 
dirent  que  c'était  mieux  d'aller  premièrement  devant  La  Charité  -. 
iP.  146,  109.) 

Des  armes  offertes  à  Saint-Denis,  par  la  Pucelle . 

Le  juge.  —  Quelles  armes  offrîtes-vous  à  l'église  de  Saint-Denis 
en  France  ? 

■1.  E.  RiCHEis,  séance  VU. 

i.  E.  RicHER,  séancesll,  X,  VI. 


372  APPENDICE    I 

Jeanne.  —  Un  blanc  harnais  tout  entier  m'apparlenant,  avec  une 
épée  que  je  gagnai  devant  Paris. 

Le  juge.  —  A  qui  ofTrîtes-vous  ces  armes  ? 

Jeanne.  —  Je  les  offris  par  dévotion,  selon  la  coutume  des 
hommes  d'armes  quand  ils  sont  blessés.  Ayant  été  blessée  devant 
Paris,  j'offris  ces  armes  à  Saint-Denis,  parce  que  c'est  le  cri  de  la 
France  (Mont-Joje-Saint-Denis). 

Le  juge.  —  Les  offrîtes-vous  pour  qu'on  les  adorât? 

Jeanne.  —  Non. 

Le  juge.  —  Saint  Denis  vous  est-il  jamais  apparu? 

Jeanne. — Jamais,  queje  sache.   (P.  127.) 

Le  juge.  —  A  Saint-Denis,  n'avez-vous  pas  désobéi  à  vos  voix  ? 

Jeanne.  —  Elles  m'avaient  recommandé  d'abord  d'y  demeurer  : 
je  voulais  bien,  iiioi,  ne  pas  méloigner  ;  mais  les  seigneurs  m'em- 
menèrent malgré  moi.  Toutefois,  à  mon  dépari,  j'eus  congé  de  m'en 
aller '.(P.  179,  57,259.) 

De  la  soumission  à  1  Eglise  et  de  l'appel  au  Pape. 

L'un  des  pièges  les  plus  dangereux  mis  par  l'évêque  de 
Beauvais  sous  les  pas  de  la  pauvre  prisonnière  fut  linlerro- 
gatoire  qu'il  lui  fit  subir  le  samedi  saint  (3 1  mars)  sur  la  sou- 
mission à  l'Eglise. 

S'exprimer  avec  la  justesse  et  la  précision  nécessaire  était 
impossible  à  qui  n'avait  pas  étudié  la  théologie  et  le  droit 
canon.  Jeanne  ignorait  l'un  et  l'autre.  Ce  qui  n'empêche  pas 
que  dans  la  condition  où  elle  se  trouvait,  son  argumentation 
ne  soit  admirable.  Il  n'y  avait  qu'un  mot  à  ajouter  pour  la 
rendre  décisive.  L'appel  au  Pape  y  suppléa.  Moyennant  cet 
appel,  sa  soumission  à  l'Eglise  était  hors  de  cause. 

Le  juge.  —  Jeanne,  voulez-vous  vous  en  rapporter  au  jugement 
de  l'Eglise  qui  est  sur  terre  de  tous  vos  dits  et  faits,  et  spécialement 
de  tout  ce  qui  touche  le  procès  ? 

Jeanne.  —  Je  m'en  rapporterai  à  l'Eglise,  pourvu  qu'elle  ne  me 
demande  rien  d'impossible. 

Le  juge. —  Qu'appelez-vous  impossible? 

Jeanne.  —  J'appelle  impossible,  révoquer  tout  ce  que  j'ai  dit  au 
procès  touchant  les  visions  et  révélations  que  j'ai  eues  de  par 
Dieu,   et  regretter  d'avoir  fait  ce  que  notre  sire  m'a  fait  faire  et 

1.  E.  RiCHEB,  séances  XIV,  il. 


JEANNE    ET    SES    VOIX  373 

commandé.  Ces  choses,  je  ne  les  révoquerai  et  ne  les  laisserai  à 
faire  pour  homme  qui  vive.  Au  cas  où  l'Eglise  voudrait  me  faire 
faire  quelque  chose  de  contraire  au  commandement  que  Dieu  m'a 
fait,  pour  rien  au  monde  je  ne  le  ferais  *. 

Le  juge.  —  Si  l'Eglise  vous  dit  que  vos  révélations  sont  illusions 
ou  choses  diaboliques,  vous  en  rapporterez-vous  à  l'Eglise  ? 

Jeanne.  —  Je  men  rapporterai  toujours  à  Notre-Seigneur  de  qui 
je  ferai  le  commandement.  Je  sais  que  ce  qui  est  contenu  dans  le 
procès  n'a  été  fait  que  par  commandement  de  Dieu.  Ce  que  j'ai 
affirmé  ou  dit  au  procès  avoir  fait  par  commandement  de  Dieu,  il 
me  serait  impossible  de  faire  le  contraire.  Je  m'en  rapporterai  à 
Notre-Seigneur  dont  je  ferai  toujours  le  bon  commandement. 

Le  juge.  —  Ne  croyez-vous  pas  être  sujette  à  l'Eglise  de  Dieu  qui 
estsur  terre,  c'est-à-dire  à  notre  saint  père  le  Pape,  aux  cardinaux, 
archevêques,  évêques  et  autres  prélats  ? 

Jeanne.   —  Oui,  notre  sire  Dieu  premier  servi-. 

Le  juge.  —  Avez-vous  commandement  de  vos  voix  de  ne  pas  vous 
soumettre  à  l'Eglise  et  à  son  jugement  ? 

Jeanne. —  Mes  voix  ne  me  dissuadent  pas  d'obéir  à  l'Eglise,  mais 
notre  sire  Dieu  premier  servi'.  (P.  324-326.) 

Appel  au  Pape 

i°  Pendant  les  interrogatoires. 

Le  juge.  — Vous  avez  dit  que  vous  répondriez  aussi  complètement 
à  Monseigneur  de  Beauvais  et  à  ses  représentants  quë^ous  répon- 
driez à  notre  saint  père  le  Pape.  Pourtant  il  y  a  plusieurs  questions 
auxquelles  vous  refusez  de  répondre. 

1.  El  Jeanne  pouvait  ajouter  :  l'Eglise  militante,  celle  qui  n'est  pas 
l'Eglise  de  P.  Gauchon,  ne  le  voudra  certainement  pas. 

2.  En  songeant  à  la  pensée  secrète  de  l'ëvêque  de  Beauvais  qui 
entend  se  substituer  personnellement  à  l'Eglise  militante  et  est  décidé 
à  ne  tenir  aucun  compte  de  l'appel  de  Jeanne  au  Pape,  la  Pucelle  ne 
fait  ici  que  redire  le  mot  des  Apôtres  au  sanhédrin  :  Si  juslum  est  in 
conspectu  Dei  vos  potius  audire  qiiani  Deum  judicate.  (Actes,  IV,  19.) 

A  ce  point  de  vue,  le  mot  «  Notre  sire  Dieu  premier  servi  »  est  admi- 
rable. 

3.  Quelques  assesseurs,  touchés  de  la  bonne  foi  de  l'accusée,  l'éclai- 
rèrent  sur  cette  question  périlleuse.  Jeanne  alors  déclara  se  soumettre 
au  Concile  de  Bâle  qui  allait  se  réunir.  Mais  révoque  de  Beauvais  ne 
permit  pas  qu'on  prit  acte  de  sa  soumission.  [Procès,  t.  II,  4,  304,  349, 
350.) 


374  ArPENDICK    I 

lié  pondriez- vous  plus  complèlemenl  devant  le  Pape  que  vous  ne 
le  faites  devant  Monseigneur? 

Jeanne.  —  J  ai  répondu  le  plus  vrai  que  j'ai  su  :  s'il  me  venait  en 
mémoire  quelque  chose  que  je  me  souvienne  n'avoir  par  dite,  je  la 
dirais  volontiers. 

Lk  juge.  —  Vous  semble-l-il  que  vous  soyez  tenue  de  dire  la  vérité 
plus  complètement  à  notre  seigneur  le  Pape,  vicaire  de  Dieu,  sur 
tout  ce  qu'on  vous  demanderait  touchant  le  procès  et  le  fait  de  votre 
conscience  ? 

Jeanne.  —  Ce  que  je  requiers,  c'est  que  vous  me  meniez  devant 

NOTRE  SEIGNEUR  LE  PAPE,  ET  ALORS  DEVANT  LUI,  JE  RÉPONDRAI  TOUT  CE 
QUE  JE  DEVRAI  RÉPONDRE^.  (P.  184,  18;j.) 

2"  Au  cimetière  de  Saiat-Oiien. 

L'appel  au  Pape  que  nous  venons  de  mentionner  n'est  pas  le  seul 
que  la  Pucelle  ait  fait  entendre  durant  le  procès.  Celui  qu'elle  for- 
mula le  24  mai  au  cimetière  de  Saint-Ouen,  fut  aussi  catégorique  et 
beaucoup  plus  solennel. 

Le  juge.  —  Voulez-vous  soumettre  tous  vos  dits  et  faits  à  notre, 
sainte  mère  l'Eglise  ? 

Jeanne.  —  Pour  ce  qui  est  de  la  soumission  à  l'Eglise,  j'ai  demandé 
aux  juges  que  toutes  les  clïoses  que  j'ai  faites  ou  dites  soient 
envoyées  à  Rome,  à  notre  saint  père  le  Pape  à  qui  et  à  Dieu  d'abord 
je  me  rapporte.  Quant  à  mes  dits  et  faits,  je  les  ai  faits  de  par 
Dieu.  Je  n'en  veux  charger  personne,  ni  mon  roi,  ni  aucun  autre. 
S'il  y  a  quelque  faute,  c'est  à  moi  seule  qu'elle  doit  être  attribuée. 

Le  juge.  —  Uévoquez-vous  lesfaits  et  dilsqui  sont  réprouvés  par 
les  clercs  ? 

Jeanne.  —  Je  m'en  rapporte  à  Dieu  et  à  notre  saint  pèi'c  le  Pape. 

Le  Juge.  —  Cela  ne  suffit  pas.  On  ne  peut  pas  aller  chercher 
le  saint  père  si  loin.  Les  évêques  sont  juges,  chacun  dans  son 
diocèse. 

Et  par  trois  fois,  le  juge  renouvela  sa  question. 

Par  trois  fois  l'accusée  répondit  «qu'elle  se  soumettait  au  souve- 
rain Pontife  et  à  l'Eglise,  et  elle  requit  qu'on  la  menât  devant  le 
Pape  » . 

—  Khbien.  lui  dit-on,  votre  procès  sera  envoyé  au  Pope,  cl  il  le 
jugera. 

Jeanne  réplique  :  —  Pas  du  tout.  Cela  ne  doit  pas  se  passer 

1.  E.  RicHEii.  Séance  XV. 


JEANNE   ET    SES    VOIX  M;,, 

ainsi.  Je  ne  sais  pas  ce  que  vous  mettriez  dans  le  procès,  .le  veux 
être  menée  au  Pape  et  qu'il  m'interroge.  (P.  444-446  et  tom-  II, 
p.  328,  358.) 

Ces  instances  de  la  jeune  fille  demeurèrent  non  avenues.  L'évéqiio 
de  Beauvais  nen  tint  aucun  compte  :  il  se  chargea  de  remplacer  le 
Pape  et  de  porter  la  sentence. 

Du  martyre  de  Jeanne. 

Le  juge.  —  Savez-vous  par  révélalion  que  vous  seriez  délivrée  : 
les  voix  vous  en  ont  elles  parlé  ? 

Jeanne.  —  Oui,  elles  m'en  ont  parlé.  Elles  mont  dit  que  je 
serais  délivrée,  mais  j'ignore  le  jour  et  l'heure;  et  que  je  fisse  hon 
visage.  (P.  94.) 

Le    juge.    —    Vos    saintes    vous    ont   donc    promis  secours  ? 

(P.  m). 

Je.\nne. —  Sainte  Catherine  m'a  dit  que  j'aurais  secours.  Je  ne 
sais  s'il  consistera  à  me  délivrer  de  la  prison,  ou  si,  quand  je  serai 
en  jugement,  il  se  produira  quelque  trouhle  par  le  moyen  duquel 
je  pouri'ai  être  délivrée.  Je  pense  que  ce  sera  l'un  ou  l'autre. 

Ce  que  mes  voix  m'ont  dit  le  plus,  c'est  que  je  serai  délivrée  par 
grande  victoire.  Elles  ajoutent  : 

—  Prends  tout  en  gi'é  ;  ne  te  chaille  pas  de  ton  martyre  :  tu  t'en 
viendras  finalement  au  royaume  du  paradis. 

Cela,  mes  voix  me  l'ont  dit  simplement  et  absolument,  sans 
faillir. 

Je  crois  fermement  que  Notre-Seigneur  ne  permettra  pas  que  je 
tombe  si  bas,  que  je  n'aie  bientôt  secours.  (P.  176.) 

Le  juge.  —  Qu'entendez-vous  par  martyre  ? 

Jeanne.  —  J'entends  la  peine  et  l'adversité  que  je  souffre  en  la 
prison.  Je  ne  sais  si  je  souffrirai  davantage,  mais  je  m'en  attends 
à  Notre-Seigneur. 

Le  juge.  —  Depuis  que  vos  voix  vous  ont  dit  que  vous  irez  fina- 
lement au  royaume  du  paradis,  vous  tenez-vous  assurée  d'être  sauvée 
et  de  n'aller  point  en  enfer  ? 

Jeanne.  —  Je  crois  fermement  ce  que  mes  voix  m'ont  dit.  à 
savoir  que  je  serai  sauvée  aussi  fermement  que  si  je  l'étais  déjà. 
(P.  156.) 

Le  juge.  —  Maintenez-vous  cette  réponse  '? 

Jeannf.  —  J'ai  répondu  que  je  serai  sauvée  pourvu  que  je  tienne 
le  serment  que  j'ai  fait  à  Dieu  de  garder  ma  virginité  d'âme  et  de 
corps. 


376  APPENDICE    I 

Le  juge.  —  Alors,  vous  n'avez  plus  besoin  de  vous  confesser. 

Jeanne.  —  .Je  ne  sache  point  avoir  péché  mortellement.  Mais  si 
j'étais  en  péché  mortel,  j'estime  que  sainte  Catherine  et  sainte 
Marguerite  me  délaisseraient  tantôt. 

Quant  à  la  question  que  vous  m'avez  faite,  je  crois  qu'on  ne  sau- 
rait trop  nettoyer  sa  conscience'.  (P.  137.) 

Le  juge.  —  N'invoquez-vous  pas  vos  voix  chaque  jour,  ne  leur 
demandez-vous  pas  conseil  sur  ce  que  vous  avez  à  faire  ? 

Jeanne.  — Je  vous  ai  répondu  sur  cela.  Tant  que  je  vivrai,  j'ap- 
pellerai mes  voix  à  mon  aide. 

Le  juge.  —  De  quelle  manière  les  requérez-vous? 

Jkanne.  —  Je  supplie  Dieu  et  Notre-Dame  de  m'envoyer  conseil 
et  confort  ;  et  ils  me  l'envoient. 

Le  juge.  —  Par  quelles  paroles  les  requérez-vous  ? 

Jeanne.  —  Je  les  requiers  de  cette  manière  :  «  Très  doux  Dieu, 
en  l'honneur  de  votre  sainte  passion,  je  vous  requiers,  si  vous 
m'aimez,  que  vous  me  révéliez  comment  je  dois  répondre  à  ces 
gens  d'église.  Je  sais  bien,  quant  à  l'habit,  le  commandement, 
comment  je  l'ai  pris  ;  mais  je  ne  sais  point  par  quelle  manière 
je  le  dois  laisser.  Pour  ce,  plaise  à  vous  de  me  l'enseigner.  » 

Et  aussitôt  les  voix  viennent. 

Aujourd'hui,  elles  sont  venues  trois  fois.  Et  saintes  Catherine 
et  Marguerite  m'ont  dit  comment  je  devais  répondre  au  sujet  de 
l'habit.  (P.  278-280.) 

Le  juge.  —  Pourquoi  vous  obstinez-vous  à  porter  cet  habit 
d'homme  sans  nécessité,  puisque  vous  êtes  en  prison  ? 

Jeanne.  —  Quand  j'aurai  fait  ce  pour  quoi  je  suis  envoyée  de 
par  Dieu,  alors  je  prendrai  habit  de  femme.  (P.  39L) 

Le  juge.  —  Contre  toute  bienséance,  ne  restiez-vous  pas  en  la 
compagnie  des  hommes,  refusant  le  service  des  femmes  ? 

Jeanne.  —  Mon  gouvernement  était  d'hommes.  Quant  au  logis  et 
au  gîte,  le  plus  souvent  j'avais  une  femme  avec  moi.  Et  lorsque 
j'étais  à  la  guerre,  si  je  ne  pouvais  trouver  de  femme,  je  couchais 
vêtue  et  armée.  (P.  293-294.) 

Le  juge.  —  Ne  vous  étes-vous  pas  constituée  chef  de  guerre, 
vous  arrogeant  orgueilleusement  le  commandement  sur  les 
hommes? 

1.  E.  Riche».  Séance  X. 


JEANNE    ET    SES    VOIX  377 

Jeanne.  —  J'ai  dit  comment  j'ai  été  constituée  chef  de  guerre. 
Si  j'ai  été  chef  de  guerre,  c'était  pour  batti;e  les  Anglais.  (P.  293.) 

Le  JUGE.  —  Ne  vous  êtes-vous  pas  vantée  de  connaître  l'avenir, 
vous  attribuant  à  vous,  créature  ignorante,  ce  qui  n'appartient 
qu'à  Dieu  ? 

Jeanne.  —  Notre-Seigneur  est  maître  de  révéler  l'avenir  à  qui 
il  lui  plaît.  Ce  que  j'ai  dit  de  l'épée  de  Fierbois  et  d'autres  choses 
à  venir,  c'est  par  révélation.  (P.  251.) 

Le  juge.  —  Ne  voulez-vous  pas  vous  amender,  conformément 
aux  délibérations  des  gens  de  savoir  ? 

Jeanne.  —  Lisez  ce  que  vous  avez  à  lire,  et  je  vous  répondrai.  Je 
m'en  attends  à  Dieu,  mon  créateur,  de  tout;  je  l'aime  de  tout 
mon  cœur.  (P.  383.) 

JEANNE    ENVOYÉE    DE    DIEU 

L'evèque.  —  Voulez-vous  jurer  sans  conditions,  ni  réserves  ? 

Jeanne.  —  Je  dirai  sans  peine  ce  que  je  sais,  mais  je  ne  dirai 
pas  tout.  Je  suis  venue  de  par  Dieu,  je  n'ai  rien  à  faire  ici.  Ren- 
voyez-moi à  Dieu  de  par  qui  je  suis  venue.  (P.  61.) 

Le  juge.  —  Voulez-vous  soumettre  tous  vos  dits  et  faits  à  la 
détermination  de  notre  sainte  mère  l'Eglise? 

Jeanne.  —  J'aime  l'Eglise  et  voudrais  la  soutenir  de  tout  mon 
pouvoir.  Quant  à  ma  venue,  il  faut  que  je  m'en  rapporte  au  Roi 
du  ciel  qui  m'a  envoyée  h  Charles,  fils  de  Charles  qui  est  roi  de 
France  ^ 

Le  juge.  —  Encore  une  fois,  vous  rapportez-vous  de  vos  dits  et 
faits  à  la  détermination  de  l'Eglise  ? 

Jeanne.  —  Je  suis  venue  au  roi  de  France  de  par  Dieu,  de  par  la 
Bienheureuse  Vierge  Marie,  de  par  tous  les  benoîts  saints  et 
saintes  du  paradis  et  par  leur  commandement.  A  cette  Eglise-là, 
je  soumets  tous  mes  bons  faits  et  tout  ce  que  j'ai  fait  ou  ferai. 
Quant  à  me  soumettre  à  l'Eglise  militante  —  celle  de  laquelle  les 
juges  avaient  exclu  les  prêtres  du  parti  français,  repoussant  la 
demande  que  l'accusée  avait  faite,  —  je  n'en  répondrai  mainte- 
nant autre  chose -.  (P.  174-176.) 

Le  juge.  —  Pensez-vous  que  votre  roi  fit  bien  de  tuer  ou  de 
faire  tuer  le  duc  de  Bourgogne  ? 

1.  E.  RiCHER,  séances  IH.  XIV. 

2.  E.  Richer;  séance  XIV. 


378  APPENDICE    I 

.Ikanîse.  —  Ce  fut  grand  dommage  pour  le  royaume  de  Fi'ance. 
Quoi  quil  j  eût  entre  ces  deux  princes,  c'est  au  secours  du  roi  de 
France  que  Dieu  m'a  envoyée ^  (P.  183-184.) 

On  a  vu  plus  haut  que  la  Pucelle  ne  craignit  pas,  aucommenco- 
ment  du  troisième  interrogatoire  public,  d'interpeller  l'évêque  de 
Beauvais  et  lui  déclara  que,  «  en  vérité,  elle  était  ênvo^'ée  de  Dieu. 
Qu'il  prît  garde  de  bien  juger,  car,  il  se  mettrait  en  grand  dan- 
ger ». 

Dans  la  séance  du  14  mars,  la  dixi;ine,  l'évêque  de  Beauvnis 
revint  sur  ce  sujet  et  posa  à  la  jeune  fille  la  question  suivante  : 

Vous  avez  dit  que  nous,  Evoque,  nous  nous  exposions  a  un 
grand  danger  en  vous  mettant  en  cause.  Qu'est-ce  que  ce  danger 
auquel  nous  et  les  autres  nous  exposons? 

Jeanne.  —  Oui,  je  vous  ai  dit  :  Vous  prétendez  que  vous  êtes 
mon  juge;  je  ne  sais  si  vous  l'êtes.  Mais,  avisez-vous  de  ne  pas 
juger  mal,  car  vous  vous  mettriez  en  un  danger  grave.  Je  vous  en 
avertis,  et  si  Dieu  vous  frappe,  j'aurai  fait  mon  devoir  de  vous  le 
dire.  (P.  154-155.) 

Car,  en  vérité,  je  suis  envoyée  de  Dieu.  (P.  62.) 

Le  juge.  —  Ceux  de  votre  parti  croient-ils  fermement  que  vous 
êtes  envoyée  de  Dieu  ? 

Jeanne.  —  Je  ne  sais  s'ils  le  croient,  et  je  m'en  rapporte  à  eux. 
Mais,  s'ils  ne  le  croient  pas,  je  n'en  suis  pas  moins  envoyée  de  par 
Dieu. 

Le  juge.  —  En  vous  croyant  envoyée  de  Dieu,  pensez-vous  qu'ils 
aient  bonne  créance  ? 

Jeanne.  —  S'ils  me  croient  envoyée  de  Dieu,  ils  ne  sont  pas  abu- 
sés'^. (P.  101.) 

DES    PRÉDICTIONS    FAITES    PAR    LA    PUCELI-E    EN    PRÉSENCE 
DU    TRIBUNAL    DE    ROUEN 

La  soumission  de  Paris. 

Au  commencement  du  cinquième  interrogatoire  public,  les 
juges  firent  donner  lecture  de  la  lettre  de  Jeanne  aux  Anglais. 
Dans  cette  lettre,  la  jeune  fille  dit  au  roi  d'Angleterre  et  à  ses 
capitaines  qu'elle  est  «  envoyée  de  Dieu  pour  faire  rendre  les  clefs 

1.  l^.  RicHEB,  séance  XV. 

2.  E.  RicHER,  séance  VI. 


JEANNE    ET    SES    VuIX  379 

de  toutes  les  bonnes  villes  qu'ils  ont  prises  en  France;  quelle  est 
venue  de  par  Uieu  pour  réclamer  le  sang  royal  n. 

En  ordonnant  cette  lecture,  l'évéque  de  Beauvais  procurait  à 
l'accusée  l'occasion  de  rétracter,  s'il  y  avait  eu  lieu,  ce  que  la 
lettre  contenait  d'assurances  défavorables  à  la  cause  anglaise,  en 
particulier  que  «  le  roi  Charles  entrerait  dans  Paris  en  bonne 
compagnie  »■.  (Procès,  1,  2i0.) 

Loin  de  retirer  aucune  de  ces  assurances,  Jeanne  les  maintient 
et  renouvelle,  en  fixant  l'époque,  la  prédiction  de  la  rentrée  de 
Paris  en  l'obéissance  de  son  souverain  légitime. 

«  Avant  (jue  sept  années  se  soient  écoulées,  dit-elle,  les  Anglais 
abandonneront  un  gage  plus  précieux  qu'ils  ne  l'ont  fait  devant 
Orléans  :  ils  perdront  tout  en  France.  Oui,  les  Anglais  éprouveront 
la  perle  la  plus  grande  qu'ils  aient  jamais  éprouvée  :  cela  par  une 
grande  victoire  que  Dieu  enverra  aux  Français.  » 

Cette  victoire  fut  la  soumission  de  la  capitale  et  son  abandon 
par  les  troupes  anglaises,  en  1436. 

Devant  le  tribunal  de  Rouen,  l'envoyée  de  Dieu  ne  lait  que 
renouveler  et  confirmer  la  prédiction  qu'elle  avait  faite  devant  la 
Commission  royale  de  Poitiers  et  dans  la  lettre  aux  Anglais. 

Seulement,  la  Voyante  fait  observer  que  si  les  Anglais  eussent 
ajouté  foi  à  sa  lettre,  ils  eussent  agi  sagement;  qu'avant  sept  ans, 
ils  reconnaîtront  le  bien  fondé  de  ce  qu'elle  leur  avait  écrit. 
(P.  241.) 

Le  juge,  continuant,  demande  à  la  l'ucelle  :  —  Comment  savez- 
vous  cela? 

Jeanne.  —  Je  le  sais  par  une  révélation  qui  m'a  été  faite  et  qui 
sera  accomplie  avant  sept  ans.  Et  de  ce  qui  m'a  été  révélé,  j'en  mifi 
aussi  assurée  que  je  le  suis  de  votre  présence  devant  moi. 

Le  juge.  —  Quand  cela  s'accomplira-t-il  '? 

Jeanne.  —  J'ignore  le  jour  et  l'heure. 

Le  juge.  —  Par  qui  savez- vous  ces  choses  à  venir? 

Jeanne.  —  Je  les  sais  par  sainte  Catherine  et  sainte  Marguerite^ 
(P.  84-83.) 

Le  traité  d'Arras. 

Nous  avons  rapporté  plus  haut,  la  réponse  de  l'héroïne  au  juge 
qui  la  sommait  de  soumettre  ses  dits  et  faits  à  la  détermination 
de  l'Eglise.  Elle  insistait  sur  ce  point  que  «  le  Roi  du  ciel  l'avait 
envoyée  à  Charles,  fils  de  Charles,  qui  était  roi  de  France  ». 

1.  E.  RicHER.  séance  V. 


380  APPENDICE    I 

Pi'éocr-upée  avant  tout  de  défendre  la  vérité  de  sa  mission  de 
par  Dieu,  sous  l'inspiration  de  ses  voix  elle  en  apporte  une  preuve 
nouvelle  et  annonce  en  ces  termes  l'un  des  événements  qui,  peu 
après  sa  mort,  devaient  affaiblir  considérablement  la  cause 
anglaise. 

((  V^ous  verrez,  dit-elle,  que  les  Français  gagneront  bientôt  une 
grande  besogne  que  Dieu  enverra  aux  Français,  et  qui  mettra  en 
branle  presque  tout  le  royaume  de  France. 

«  Je  vous  le  dis,  afin  que  quand  ce  sera  advenu,  on  ait  mémoire 
que  je  l'ai  dit.  » 

Le  juge.  —  Quand  cela  adviendra-t-il  ? 

Jeanne.  — Je  m'en  rapporte  à  Notre-Seigneur  *.  (P.  174175.) 

Celle  grande  besogne,  c'est  le  traité  d'Arras,  signé  le  21  septem- 
bre 1435,  qui  détacha  le  duc  de  Bourgogne  du  roi  d'Angleterre  et 
le  réconcilia  définitivement  avec  Charles  Vil. 

Prédiction   de  la  recouvrance  du  royaume  et  de  l'expulsion 
des  Anglais. 

Le  juge.  —  Quelles  promesses  vous  ont  faites  sainte  Catherine 
et  sainte  Marguerite  ? 

Jeanne.  —  Elles  m'ont  assuré  que  mon  roi  serait  rétabli  dans 
son  royaume,  que  ses  adversaires  le  voulussent  ou  non. 

Le  juge.  —  Vos  voix  vous  ont-elles  dit  aussi  que  dans  trois  mois 
vous  serez  délivrée  de  prison  ? 

Jeanne.  —  Cela  n'est  pas  du  procès. 

Le  juge.  —  Vos  voix  vous  ont-elles  défendu  de  dire  la  vérité  ? 

Jeanne.  —  Vous  voudriez  que  je  vous  dise  ce  qui  regarde  le  roi 
de  France.  Ce  que  je  sais,  cest  que  mon  roi  gagnera  le  royaume 
de  France.  Cela,  je  le  sais  comme  je  sais  que  vous  êtes  là  devant 
moi  pour  me  juger.  Je  serais  morte  si  ces  révélations  ne  me  con- 
fortaient chaque  jour  -.  (P.  87-88.) 

Le  juge.  —  N'avez-vous  pas  promis  à  celui  que  vous  appelez 
votre  roi,  trois  choses,  entre  autres  :  de  faire  lever  le  siège 
dOrléans,  de  le  faire  couronner  à  Reims,  et  de  le  délivrer  de  ses 
adversaires  ? 

Jeanne.  —  Oui,  je  confesse  avoir  porté  des  nouvelles  de  par 
Dieu  à  mon  roi,  à  savoir  que  notre  Sire  lui  rendrait  son  royaume, 
qu'il  le  ferait  couronner  à  Reims  et  qu'il  mettrait  hors  ses  adver- 

1.  E.  RiCHER,  .séance  XIV. 

2.  E.  RicHER,  séance  V. 


JEANNE    ET    SES    VOIX  381 

saires.  El  de  ce,  je  fus  messagère  de  par  Dieu.  Ou"il  me  mil  donc 
hardimenl  à  l'œuvre, 

Et  en  parlant  du  royaume,  je  dis  tout  le  royaume.  Que  si  mon- 
seigneur de  Bourgogne  et  les  autres  sujets  du  royaume  ne  venaient 
à  lobéissance,  le  roi  les  y  ferait  venir  par  force.  (P.  231-232.) 

Pour  monseigneur  de  Bourgogne,  je  l'ai  requis  par  lettre,  lui  cl 
ses  ambassadeurs,  qu'il  y  eût  paix  entre  son  roi  et  lui.  Mais  pour 
les  Anglais,  la  paix  qu'il  y  faut,  c'est  qu'ils  s'en  aillent  chez  eux,  en 
Angleterre.  (P.  233-234.) 

Victoire  de  Castillon. 

Lk  juge.  —  Savez-vous  si  sainte  Catherine  et  sainte  Marguerite 
haïssent  les  Anglais? 

Jeanne.  —  Elles  aiment  ce  que  Dieu  aime  et  haïssent  ce  que 
Dieu  hait. 

Le  juge.  —  Dieu  hait-il  les  Anglais  ? 

Je.\nne.  —  De  l'amour  ou  de  la  haine  que  Dieu  a  pour  les 
Anglais  et  pour  leurs  âmes,  je  ne  sais  rien.  Mais  je  sais  bien  qu'ils 
seront  boutés  hors  de  France,  excepté  ceux  qui  y  demeureront  et 
mourront,  et  que  Dieu  enverra  victoire  aux  Français  contre  les 
Anglais  '.  (P.   177.) 

Cette  victoire  qui  «  bouta  les  Anglais  hors  de  toute  France  », 
fut  la  victoire  de  Castillon  (14o3)  ;  le  vieux  ïalbot  y  perdit  la 
bataille  et  la  vie. 


Avisée  l'éditeur.  —  Sur  ce  sujet  des  Voix  de  la  Pucelle,  on 
poiu'ra  consulter  les  deux  ouvrages  spéciaux  suivants  : 

Chassagnon  (Abbé Hyacinthe).  —  Les  Voix  de  Jeanne  d'Arc,  in-S"^, 
Lyon,  1896. 

Dunand  (Chan.  Philippe-Hector).  —  Les  iiiio)is  et  les  Voix, 
in-8°,  Paris.   1903.  lvi-662  pages. 

Aux  pages  lii-lvi  de  celle  deuxième  étude,  le  lecteur  trouvera 
l'indication  d'une  Bibliographie  assez  abondante.  L'étude  même  se 
divise  en  trois  parties  : 

Première  partie  :  Les  textes  et  les  faits. 

Deuxième  partie  :  Les  voix  de  Jeanne  et  les  explications  imaginées. 

Troisième  partie  :  Les  voix  de  Jeanne  et  lexplication  chrétienne. 

Suivent  cinq  Appendices,  dont  un  sur  riiallucinalion  et  l'hysté- 
rie, et  trente  notes. 

1.  E.  RiCHER,  séance  XIV. 


APPENDICE    II 

'      *AVANT    LE    PROCÈS    DE    ROUEN,    LA    PUCELLE   NA-T-ELLE 
JAMAIS    PARLÉ    DE    SES    VOIX 

De  la  plume  de  M.  Gabriel  Hanotaux,  dans  les  articles-  qu'il  a 
donnés  à  la  Revue  des  Deux  Mondes  sur  Jeanne  d'Arc,  est  tombée 
cette  réflexion  :  «  11  est  l'emarquable  que  des  anges  et  des  saintes 
qui  furent  envoyés  à  Jeanne,  il  n'est  pas  fait  mention  une  seule 
fois  avant  le  procès  ■ .  » 

Ce  langage  est-il  bien  exact?  Sans  doute,  aucun  document  n'af- 
firme qu'avant  le  procès  de  Rouen  la  Pucelie  «  ait  dévoilé  toute  la 
belle  histoire  des  Voix  ».  Parce  qu'elle  était  sainte,  elle  la  recou- 
verte en  partie  du  voile  de  l'humilité  chrétienne,  tant  qu'elle  s'est 
sentie  libre  de  parler  ou  de  se  taire.  Parce  qu'elle  était  sainte,  elle 
a  pensé  qu'elle  devait  parler,  dès  qu'elle  a  été  interrogée  sur  ce 
sujet  par  un  tribunal  ecclésiastique  ayant  les  apparences  d'un  tri- 
bunal régulier.  Mais  il  est  très  vrai  que  plusieurs  fois,  au  cours 
de  son  histoire  et  de  sa  mission,  l'envoyée  de  Dieu  a  parlé  de  ses 
voix  en  termes  des  plus  explicites. 

C'est  d'abord  l'un  des  deux  gentilshommes  à  qui  Robert  de  Bau- 
dricourt  la  confia  pour  la  conduire  à  Chinon,  Jean  de  Metz,  qui 
dira  aux  juges  de  la  réhabilitation  :  «  Sans  cesse,  Jeanne  nous 
recommandait  de  ne  rien  craindre.  Elle  avait  ordre  de  faire  ce 
qu'elle  faisait.  Ses  friH-es  du  paradis  lui  marquaient  ce  qu'elle 
avait  à  faire.  Depuis  quatre  ou  cinq  ans,  ses  frères  du  paradis  — 
elle  répète  le  mot  —  et  son  seigneur,  c'est-à-dire  Dieu,  lui  avaient 
dit  qu'il  lui  fallait  guerroyer  pour  recouvrer  le  royaume  de 
France.  —  Sûrement,  ajoutait-elle,  elle  arriverait  jusqu'au  Dau- 
phin, elle  était  née  pour  cela,  il  les  recevrait  et  leur  ferait  bon 
visage.  »  [Procès,  t.  II,  pp.  437,  438,  449.) 

La  Pucelie  mentionne  ici,  à  deux  reprises,  ses  «  frères  du  para- 
dis ».  Aux  juges  de   Rouen  qui  l'en  presseront,   elle  dira,   de  plus. 

1.  Revue  des  Deux  Mondes  tlu  !'>'■  juin  1910.  p.  484. 


DES    VOIX    DE    JEANNE    AVAxM'    LE    l'ROCES    DE    ROUEN  383 

comment  ils  se  nommaient  et  quelques-unes  des  circonstances  qui 
ont  signalé  leurs  nombreuses  apparitions. 

11  j  a  plus.  Au  cours  des  quinze  interrogatoires  du  procès  d'ol- 
llce,  il  est  question,  on  l'a  vu  plus  haut,  du  «  Conseil  secret  »  de  la 
l'ucclle  et  de  ses  Voix.  Ce  n'est  pas  seulement  à  ses  juges  que 
.leanne  a  parlé  de  ces  faveurs  providentielles.  Elle  en  a  maintes 
lois  entretenu  son  roi,  les  seigneurs  de  la  cour,  les  maîtres  et  pré- 
lats qui  l'examinèrent,  et  nous  en  retrouvons  l'écho  fidèle  jusque 
chez  les  chroniqueurs  de  l'époque. 

Au  rapport  d'un  témoin,  la  jeune  vierge  parla  «  de  grande 
manière  »  de  ses  visions,  en  présence  de  la  Commission  rojale  de 
Poitiers.  Comme  on  lui  demandait  ce  qui  l'avait  poussé  à  venir 
jusqu'au  i*oi,  elle  répondit  magno  modo  en  ces  termes  : 

'.;  Pendant  qu'elle  gardait  les  animaux,  une  Voix  lui  apparut  — 
expression  propre  au  témoin,  le  religieux  dominicain  Seguin  de 
Seguin,  —  qui  lui  dit  que  Dieu  avait  grand'pitié  du  peuple  de 
France,  et  qu'il  fallait  qu'elle,  Jeanne,  vint  en  France.  En  enten- 
dant ces  paroles,  elle  se  mit  à  pleurer.  Et  alors,  la  \'oix  lui  dit 
,d"aller  à  Vaucouleurs,  qu'elle  y  trouverait  un  capitaine  qui  la 
ferait  conduire  sûrement  en  France  et  au  roi  ;  qu'elle  niiésitàt  pas. 
Et  elle  avait  fait  ce  que  lui  disait  la  Voix,  et  elle  était  venue  au 
roi,  sans  empêchement  aucun.  »  {Procès,  t.  III,  p.  204.) 

Perceval  de  Boulainvilliers,  dans  sa  lettre  au  duc  de  Milan, 
s'exprime  à  peu  près  de  la  même  manière.  C'est  «  une  Voix  sortie 
d"une  nuée,  qui  apprit  à  Jeanne  d'Arc  enfant,  quelle  mission  guer- 
rière elle  aurait  à  remplir.  Cette  Voix  se  fit  entendre  plusieurs 
fois  :  et  les  apparitions  se  succédèrent  jusqu'à  ce  que  Jeanne  prit 
la  route  de  Chinon  ».  {Procès,  t.  V,  pp.  117,  118.) 

D'après  Alain  Chartier,  c'est  également  «  une  Voix  sortie  d'une 
nuée  qui  avertit  maintes  fois  la  jeune  vierge  de  venir  au  secours 
du  royaume  et  du  roi  ».  {Ibid.,  p.  132.) 

On  trouvera  les  Voix  de  Jeanne  mentionnées  à  plusieurs  reprises 
dans  la  Chronique  de  la  Pucelte  {Procès,  t.  1\',  p.  23:j),  et  dans  les 
pages  de  Jean  Chartier.  {Ibid.,  pp.  168,  169.) 

Lenvoyée  de  Dieu  n'attendit  pas  lexamen  de  Poitiers  pour 
entretenir  les  prélats  et  docteurs  de  Chinon  du  Conseil  et  des  Voix 
qui  la  dirigeaient.  Le  duc  d'Alençon  nous  apprend  que,  comme  on 
lui  demandait  le  motif  de  sa  venue  à  la  Cour,  elle  leur  répondit 
'(  quelle  était  venue  par  ordre  du  roi  des  cieux,  qu'elle  avait  un 
Conseil  et  des  Voix  qui  lui  marquaient  ce  quelle  avait  à  faire  ». 
{Procès,  t.  III,  p.  92.) 

Confirmant  et  tout  ensemble  expliquant  cette  déclaration,   elle 


384  APPENDICE    II 

disait  au  jeune  duc,  avec  qui  elle  prenait  son  i-epas,  qu'on  lavait 
fort  examinée,  mais  quelle  en  savait  beaucoup  plus  qu'elle  nen 
avait  montré  à  ses  interrogateurs.  {Ibid.) 

ICUe  faisait  la  même  confidence  au  frère  Pasquerel,  son  aumô- 
nier. Plus  dune  fois  elle  lui  avoua  que  «  son  fait  n'était  qu'une 
mission  d'en  haut,  ou,  selon  son  expression,  qu'un  ministère  ». 
Quand  on  remarquait  en  sa  présence  «  que  jamais  on  n'avait  rien 
vu  de  comparable  à  son  fait,  que  dans  aucun  livre  on  ne  trouvait 
rien  de  pareil  »,  la  jeune  fille  répondait  :  «  Mon  seigneur  possède 
un  livre  dans  lequel  nul  clerc  ne  lit,  si  parfait  soit-il  en  cléri- 
calure.  »  (I6jrf.,pp.  110,  lii.) 

Ce  sont  là  des  allusions  manifestes  à  ses  révélations  et  à  ses 
Voix.  Aux  propos  le  bon  père  Pasquerel  joindra  des  faits.  Il  rap- 
pellera les  insultes  grossières  dont  les  Anglais  la  couvraient,  lors- 
qu'à Orléans,  elle  les  sommait  de  lever  le  siège.  Jeanne  ne  put 
s'empêcher  de  répandre  d'abondantes  larmes,  «  en  invoquant  le 
secours  du  Roi  du  ciel  ».  Elle  ne  l'invoqua  pas  en  vain,  ajoute 
l'excellent  aumônier.  «  Elle  fut  consolée,  car  elle  eut  des  nouvelles 
de  son  Seigneur.  » 

Ue  même,  à  l'assaut  des  ïournelles.  Blessée  par  une  flèche, 
«  d'abord  elle  fut  effrayée  et  pleura  ;  mais  bientôt,  avoua-t-elle, 
elle  fut  consolée  )'.  {Ibid.,  pp.  108,  109.) 

Mais  revenons  aux  témoignages  formels  dans  lesquels  il  est  ques- 
tion du  Conseil  de  la  jeune  guerrière  et  de  ses  Voix. 

En  arrivant  en  vue  d'Orléans,  qu'elle  venait  délivrer,  Jeanne 
reproche  à  Dunois  de  lui  avoir  fait  prendre  la  route  de  la  rive 
gauche  de  la  Loire,  au  lieu  de  celle  de  la  rive  droite.  «  Croyez,  lui 
dit-elle,  que  le  Conseil  de  mon  Seigneur,  celui  qui  me  dirige,  est 
plus  sage  que  le  vôtre.  »  {Procès,  t.  111,  p.  3.) 

Aux  capitaines  qui,  ayant  délibéré  sans  elle,  veulent  lui  imposer 
leurs  résolutions,  elle  fera  savoir  «  qu'elle  a  été  à  son  Conseil, 
elle  aussi,  et  que  ce  que  son  Conseil  a  décidé  s'accomplira  ».  {Ibid., 
p.  108.) 

Le  jour  de  la  «  chasse  de  Patay  »,  elle  assurera  de  la  victoire 
ses  compagnons  d'armes.  «  Les  Anglais  fussent-ils  pendus  aux 
nues,  nous  les  aurons,  dit-elle  :  ils  sont  tous  nôtres,  mon  Conseil 
me  l'a  dit.  »  {Ibid.,  pp.  98,  99.) 

Mais  les  deux  personnages  qu'il  nous  faut  entendre  de  préférence, 
sont  le  Bâtard  d'Orléans  et  Jean  d'Aulon,  l'intendant  de  l'hé- 
i-oïne. 

Le  Bâtard  d'Orléans,  dans  sa  déposition  à  l'enquête  du  procès 
de  revision,  peindra  la  scène  si  touchante  dans  laquelle  Jeanne, 


DES    VOIX    DE   JEANNE    AVANT    LE    PROCÈS    DE    ROUEN  385 

en  présence  du  roi  et  de  plusieurs  seigneurs,  au  nombre  desquels 
était  Dunois,  consentit  à  dire  comment  elle  invoquait  ses  Voix. 

Il  avait  été  question  de  la  marche  sur  Reims,  et  la  Pucelle  avait 
pressé  le  Dauphin  d'aller,  au  plus  tôt,  recevoir  son  «  digne  sacre  ». 
L'un  des  seigneurs  présents,  Christophe  d'Harcourt,  lui  demanda 
si  tel  était  l'avis  de  son  Conseil.  Jeanne  répondit  que  oui.  Chris- 
tophe d'Harcourt  alors  ajouta  : 

—  JNe  voudriez-vous  pas  dire,  en-  présence  du  Roi,  de  quelle 
manière  votre  Conseil  vous  parle  ? 

—  Volontiers,  répondit  Jeanne,  je  vous  le  dirai. 

—  Vraiment,  fit  Charles  VII.  il  vous  plaii-ait  de  le  dire  devant 
les  personnes  présentes? 

—  Mais  oui,  repartit  la  Pucelle. 

Alors  elle  dit  que  lorsqu'on  refusait  de  croire  ce  quelle  assurait 
de  la  part  de  Dieu,  elle  se  retirait  à  l'écart,  priait  Dieu,  et  se  plai- 
gnait à  lui  que  ceux  à  qui  elle  s'adressait  refusassent  de  croire  à 
ses  paroles.  Et  quand  sa  prière  était  achevée,  elle  entendait  une 
Voix  qui  lui  disait  :  Fille  de  Dieu,  va,  va,  je  serai  à  ton  aide.  Et 
quand  elle  entendaitcette  Voix,  elle  devenait  toute  joyeuse  et  elle 
eût  voulu  être  toujours  en  cet  état.  »  {Procès,  t.  III,  p.  12.) 

iN'est-ce  pas  au  même  sentiment  que  la  «  Fille  de  Dieu  »  obéis- 
sait, lorsque,  à  propos  des  Anges  qui  lui  apparaissaient,  elle  dira 
plus  tard  :  «  Oui,  je  les  ai  vus  aussi  bien  que  je  vous  vois;  et,  quand 
ils  s'en  allaient,  je  pleurais  et  j'aurais  bien  voulu  qu'ils  me  pris- 
sent avec  eux.  »  {Procès,  I,  73.) 

L'intendant  de  la  Pucelle,  Jean  d'Aulon,  le  plus  honnête  homme 
que  Dunois  ait  connu,  eut,  ainsi  que  Christophe  d'Harcourt,  la 
curiosité  de  savoir  ce  qu'était  ce  Conseil  dont  la  jeune  guerrière 
suivait  les  avis  et  dont  elle  faisait  à  son  brave  intendant  1  honneur 
de  parler. 

«  Car,  rapporle-t-il  lui-même,  quand  la  Pucelle  avait  aucune 
chose  à  faire  pour  le  fait  de  sa  guerre,  elle  lui  disait  que  son  Con- 
seil lui  avait  dit  ce  qu'elle  devait  faire. 

«  Il  l'interrogea  donc  qui  était  son  dit  Conseil.  Jeanne  lui  répon- 
dit qu'ils  étaient  trois,  ses  conseillers,  desquels  l'un  résidait  habi- 
tuellement avec  elle,  l'autre  allait  et  venait  souventes  fois  vers 
elle,  et  le  tiers  (troisième)  était  celui  avec  lequel  les  autres  délibé- 
raient. » 

Cette  communication  ne  suffit  pas  au  brave  d'Aulon;  il  désira 
en  savoir  davantage  et  il  requit  Jeanne  «  qu'elle  voulut  une  fois 
lui  montrer  icelui  conseil.  Jeanne  répliqua  qu'il  n'était  ni  assez 
digne,  ni  assez  vertueux  pour  icelui  voir  ».  {Procès,  t.  111,  218.) 

25 


386  APPENDICK    II 

Qu'inférer  de  ces  textes  divers  ? 

Deux  choses  aussi  évidentes  l'une  que  l'autre. 

La  pi'emière,  c'est  que  l'Envoyée  de  Dieu  ne  garda  pas  un 
silence  absolu,  durant  sa  vie  publique,  sur  le  Conseil  supérieur  et 
les  Voix  d'en  haut  qui  la  dirigeaient  dans  laccomplissement  de  sa 
mission  libératrice.  Le  roi,  les  seigneurs  de  la  cour,  les  prélats  qui 
l'examinèrent,  les  capitaines  en  furent  informés,  et  autour  d'eux, 
de  simples  hommes  d'armes  ne  l'ignorèrent  pas.  «  C'était  son  Con- 
seil, déposera  un  écuyer,  Gobert  Thibaut,  qui  lui  avait  dit  de  venir 
sans  tarder  jusqu'au  roi.  »  {Procès,  t.  III,  75.) 

La  seconde,  c'est  qu'à  ces  affirmations,  suffisantes  au  point  de 
vue  de  la  transcendance  et  de  la  garantie  de  sa  mission,  l'Envoyée 
Ac  Dieu  ne  joignit  pas  de  détails.  Elle  ne  fit  connaître,  en  aucune 
circonstance  antérieure  au  procès  de  Rouen,  la  personnalité  de 
ses  Voix  et  les  noms  des  êtres  supérieurs  qui  formaient  son  Con- 
seil. A  ses  ennemis  mortels  était  réservée  la  tâche  de  provoquer, 
de  recueillir  et  de  nous  conserver  ces  aveux. 


APPENDICE  III 

LA    MISSION    DE    LA    PUCELLE    —    LES    ORIGINES 


Quelque  inléi'essant  que  soit  le  récit  des  visions  de  la  Piicelle 
racontées  par  elle-même,  ce  qui  ne  Test  pas  moins,  c'est  la  lumière 
(lu'il  projette  sur  la  mission  libératrice  de  lliéroïne,  ses  origines, 
son  accomplissements 

L'histoire  de  Jeanne  c'est,  avons-nous  dit,  l'histoire  de  sa  mis- 
sion annoncée  d'abord,  puis  exécutée.  Et  parce  que,  au  cours  de 
cette  mission,  ses  Voix  ne  cessent  d'intervenir,  d'inspirer  ses  pro- 
pos et  ses  actes,  la  jeune  fille  parlera  autant  de  ses  Voix  que  d'elle- 
même,  des  conseils,  de  la  direction,  des  révélations  qu'elle  rei^oit 
que  de  la  manière  dont  elle  se  conforme  à  ces  conseils  et  obéit  à 
cette  direction. 

Comme  elle  est  la  seule  qui  puisse  en  témoigner  et  qui  en  ait 
témoigné,  son  témoignage  devient  la  source  unique  de  sa  propre 
histoire.  De  ses  rapports  mystérieux  de  sept  années  avec  ses  pro- 
tecteurs célestes,  nous  ne  savons,  les  historiens  ne  savent  que  ce 
qu'elle  nous  en  a  l'aconté. 

Quel  a  donc  été,  d'après  Jeanne  elle-même,  le  principe  de  sa 
mission  libératrice,  quelles  en  ont  été  les  origines,  quelle  a  été  la 
raison  d'être  de  son  apparition  à  la  cour  du  roi  Charles  Vil  et  de 
son  intervention  dans  les  affaires  du  royaume? 

I 

Ce  que  la  Pucelle  n'a  cessé  d'affirmer,  c'est  que  sa  vocation  et  sa 
mission  sont  de  Dieu,  c'est  que  ses  Voix  les  lui  ont  fait  connaître, 
c'est  enfin  que  dans  sa  réponse  à  l'appel  de  Dieu,  dans  l'accoui- 

i .  Sur  la  mission  de  la  Pucelle  et  les  problèmes  qui  s'y  rattaclienl" 
nous  uous  permettrons  de  renvoyer  à  notre  Etude  criliriue,  4«  série  : 
Jeanne  d'Arc  et  sa  mission  d'après  les  documents.  Conférences  données 
en  1909  à  l'iuslitut  catholique  de  Paris.  In-12,  G.  Beauchesne,  H7,  rue  de 
Rennes,  éditeur. 


388  APPENDICE    III 

plissement  de  sa  mission,  aux  jours  de  Iriomphe  comme  aux  jours 
d'épreuve,  elle  a  constamment  été  guidée,  conseillée,  assistée, 
confortée,  éclairée  par  ses  protecteurs  d'en  haut. 

Demandons-lui  quel  est  le  point  de  départ  de  sa  vocation,  elle 
répondra  : 

«  Une  Voix  venant  de  Dieu  pour  l'aider  à  se  bien  conduire.  » 
Quelle  est  la  raison  d'être  de  cette  vocation?  Elle  ajoutera  que, 
indépendamment  de  sa  sanctification  personnelle,  c'est  le  relève- 
ment du  royaume,  la  défaite  et  l'expulsion  de  1". anglais. 

«  Il  faut  que  la  jeune  vierge  quitte  son  village  pour  aller  en 
France.  Seule,  elle  peut  recouvrer  les  provinces  au  pouvoir  de 
l'étranger.  D'elle  seule  le  pars  et  son  roi  auront  secours  ^  » 

Devant  un  tel  langage,  l'horizon  s'illumine,  l'on  est  transporté 
en  pleine  histoire  sacrée.  On  a  l'intuition  que  Jeanne  appartient  k 
l'histoire  de  l'Église  aussi  bien  qu'à  l'histoire  de  notre  pays.  En  lui 
réservant  l'honneur  de  vaincre  et  de  chasser  les  envahisseurs.  Dieu 
en  use  envers  sa  petite  servante  comme  il  en  a  toujours  usé  envers 
les  personnages  dont  il  a  fait  ses  envoyés  extraordinaires,  ses  ins- 
truments de  choix,  Abraham,  Moïse,  Josué,  Gédéon,  Debbora, 
Esther,  Judith,  saintes  Brigitte  de  Suède  et  Catherine  de  Sienne, 
sans  oublier  les  vierges  et  martyres  sainte  Catherine  et  Marguerite. 
A  ces  âmes  privilégiées,  l'appel  de  Dieu  s'est  fait  entendre  avant 
toutes  choses.  Jeannette  l'entendra  pareillement.  Sauver  le  peuple 
élu  était  la  mission  des  Moïse  et  des  Debbora.  Sauver  un  grand  pays 
et  son  prince,  leur  rendre  l'indépendance,  briser  le  joug  de  l'An- 
glais prêt  à  s'abattre  sur  eux,  telle  sera  la  mission  de  la  vierge  de 
Doinremy. 

Cet  appel  d'en  haut,  Jeanne  l'entendra  plusieurs  fois  pendant 
deux  années  consécutives  avant  que  lui  soit  révélée  l'œuvre  à 
laquelle  cet  appel  la  destinait.  La  première  fois,  ce  sera,  on  l'a  vu 
plus  haut,  dans  le  jardin  de  son  père,  par  un  beau  jour  d'été;  puis 
au  milieu  des  prairies  qui  bordent  la  iMeuse,  puis  dans  la  solitude 
de  Bermont,  sous  les  ramures  du  Bois  Chesnu,  dans  les  champs 
lorsque  sonne  V Angélus,  et  jusque  dans  les  sanctuaires  de  dévotion 
où  elle  aime  venir  prier.  Jamais,  sans  ces  appels  réitérés,'  la 
simple  villageoise  qu'était  Jeanne  n'eût  songé  à  se  parer  du  titre 
d'  «  Envoyée  de  Dieu  ». 

Ce  n'est  pas  dès  la  première  apparition  que  ce  titre  lui  est 
conféré.  Ses  Voix  la  font  passer  par  plusieurs  degrés  d'initiation 
avant  de  lui  révéler  leur  secret. 

1.  l'rocès,  t.  I,  p.  51  ;  t.  11,  p.  436. 


LA    MISSION    DE    LA    PUCELLE,    LES    ORIGINES  389 

Premier  degré.  —  La  vocation  et  l'appel  de  Dieu.  —  L'archange 
saint  Michel,  d"abord,  les  saintes  Catherine  et  Marguerite,  quelque 
temps  après,  lui  apparaissent  et  conversent  avec  elle  «  pour  Taidcr 
à  se  bien  conduire  ». 

Deuxième  degré.  —  La  mission  se  prépare.  —Jeanne  met  en  pra- 
tique les  conseils  de  ses  Voix.  Sa  piété,  sa  foi,  son  amour  de  la 
France  et  de  Dieu  grandissent.  Larchange  alors  «  lui  raconte  la 
pitié  du  royaume  ». 

Troisième  degré.  —  La  mission  se  précise.  —  Jeanne  brûle  du 
désir  de  porter  remède  à  cette  pitié.  La  Voix  lui  apprend  qu'il  lui 
faudra  pour  cela  quitter  son  village  et  venir  en  France.  A  un 
moment  donné,  elle  le  lui  dira  deux  ou  trois  fois  par  semaine. 

Quatrième  degré.  —  J.es  voiles  se  déchirent.  La  jeune  vierge  est 
investie  de  sa  mission.  —  Le  siège  d'Orléans  approche.  Jeajine  doit 
le  faire  lever.  Mais  il  est  indispensable  qu'elle  ait  une  audience  du 
Dauphin.  Qu'elle  se  rende  donc  à  Vaucouleurs  et  qu'elle  demande 
à  Baudricourt  une  escorte  pour  la  mener  à  Chinon.  Qu'elle  n'hésite 
pas  à  se  présenter  à  lui  comme  1'  «  Envoyée  de  Dieu  »,  qui  seule 
peut  venir  en  aide  au  royaume,  qu'elle  lui  donne  comme  gage  la 
révélation  de  la  défaite  de  Rouvray,  et  Baudricourt  finira  par  con- 
sentir à  sa  demande.  Ses  officiers  la  conduiront  au  roi,  et  la  jeune 
fille  sera  mise  à  même  d'accomplir  sa  mission. 

Celte  mission,  elle  la  connaît  maintenant  dans  .ses  éléments 
essentiels  ;  l'esprit  de  Dieu  et  ses  Voix  la  lui  ont  révélée.  Comme 
elle  le  dit  au  capitaine  de  Vaucouleurs,  comme  elle  le  redira  maintes 
fois  aux  conseillers,  gens  du  roi  et  gens  d'Église,  ce  sera,  dans  un 
sens  général,  le  salut  du  pays,  la  recouvrance  du  royaume  à  main 
armée,  si  les  envahisseurs  repoussent  les  propositions  de  paix;  ce 
sera  plus  particulièrement  et  à  brève  échéance  la  levée  du  siège 
d'Orléans,  le  sacre  du  Dauphin  à  Reims,  et  deux  séries  d'événe- 
ments précisés  plus  tard,  correspondant  aux  deux  parties  de  sa 
mission,  l'une,  «  mission  de  vie  »,  qui  s'accomplira  de  son  vivant, 
l'autre,  «  mission  de  survie  »,  qui  ne  s'accomplira  qu'après  sa  mort, 
mais  cependant  du  vivant  même  de  son  roi.  Dans  l'une'  et  dans 
l'autre,  le  vrai  titre  de  Jeanne  sera  celui  d"  «  Envoyée  de  Dicui:. 

«  Gentil  Dauphin,  dira-t-elle  à  Chai'Ies  Vil,  je  suis  venue  et  suis 
envoyée  de  Dieu  pour  donner  secours  au  royaume  et  à  vous  '.  » 

A  l'évéque  de  Beauvais,  son  juge,  elle  dira  par  «Jeux  fois  : 
«  Prenez  garde  à  ce  que  vous  faites,  car  je  suis  envoyée  de  Dieu  -.  » 

1.  Procès,  t.  I,  p.  17. 

2.  Ibid.,  t.  II.  p.  62,  154. 


390  APPENDICE    III 

Sur  le  bûcher,  son  acte  suprême  de  foi  sera  celui-ci  :  «  Non.  mes 
Vnix  ne  mont  pas  trompée,  ma  mission  était  de  Dieu  '.  )) 

Et  ses  fidèles  auxiliaires  dans  l'accomplissement  de  sa  mission 
seront  les  protecteurs  célestes  qui  l'en  ont  investie  de  par  Dieu- 
ce  Tout  ce  que  jai  fait  de  bien,  déclarera-t-elle,  je  l'ai  fait  par 
commandement  de  mes  Voix.  —  Jamais  je  n'ai  eu  besoin  d'elles 
qu'elles  ne  soient  venues.  Voilà  sept  ans  qu'elles  ont  entrepris  de 
me  gouverner  -.  » 

Du  reste,  ses  Voix  ne  lui  ordonneront  rien  que  par  commande- 
ment de  Dieu.  «  Elles  viennent  de  Dieu  et  par  son  ordre.  Et  elle  n'a 
rien  fait  que  par  commandement  de  Dieu  et  de  ses  anges  ^.  » 

De  là  ses  protestations  réitérées  :  «  Je  ne  suis  venue  en  France 
que  par  commandement  de  Dieu.  J'eusse  mieux  aimé  être  écartelée 
que  d'y  venir  sans  son  commandement.  » 

Ses  juges  lui  opposant  le  devoir  d'obéir  à  ses  père  et  mère  : 

«  Puisque  Dieu  commandait,  répliqua-telle,  il  fallait  bien  obéir, 
lîlussé-je  eu  cent  pères  et  cent  mères,  eussé-je  été  fille  de  roi,  Dieu 
le  commandant,  je  serais  partie  K  » 


II 

Les  esprits  formés  à  l'école  du  christianisme  ne  seront  pas  sur- 
\>y\s  de  ce  dessein  de  la  Providence.  Ils  savent  que  Dieu  se  plaît  à 
«  choisir  les  faibles  de  ce  monde  pour  confondre  les  forts  ».  Quant 
aux  esprits  que  les  considérations  de  ce  genre  laissent  indilférents, 
l'étude  sérieuse  des  documents  les  gênera  fort  pour  donner  de  la 
mission  de  laPucelle  et  de  ses  origines  une  explication  purement 
naturelle. 

A  tenir  compte  du  milieu  et  des. occupations  dans  lesquelles  la 
petite  Jeanne  a  passé  les  années  de  son  adolescence,  c'est  un  pos- 
tulat de  bon  sens  quelle  n'a  pu  concevoir  d'elle-même  et  improviser 
sa  vocation  et  sa  mission  telles  qu'elle  les  présenta  à  son  parent 
Laxart  et  au  capitaine  de  Vaucouleurs  d'abord,  plus  tard  au  jeune 
roi,  aux  prélats  et  gens  de  guerre  qui  l'examinèrent,  en  dernier 
lieu  à  ses  juges  de  Rouen.  Simple  villageoise,  d'une  famille 
obscure,  sans  instruction,  sans  formation  spéciale,  ces  idées  lui 
sont  venues  d'ailleurs. 

1.  Ibid.,  t.  m,  p,  170. 

2.  Procès,  t.  I,pp.  71-72,  127,  1.32,  133.  134. 


3.  Ibid..  p.  74. 

4.  ma.,  p.  129. 


r.    MISSION    DE    LA    PUCELLE,    LES    ORIGINES  301 

Mais  c'est  un  postulai  de  bon  sens  non  moins  manifeste  el  une 
(•nnséqiience  qui  jaillit  des  documents,  que  ces  idées  n'ont  pu  lui 
venir  davantage  ni  des  siens,  ni  des  compagnons  de  son  adoles- 
cence, ni  des  personnes,  ecclésiastiques  ou  laïques,  avec  qui  elle  a 
été  en  relation  de  sa  treizième  à  sa  seizième  année.  Auprès  d'aucun 
des  personnages  dont  parlent  les  textes,  la  jeune  fille  na  pu  puiser 
les  éléments  du  plan  qu'elle  a  conçu,  et  apprendre  les  moyens  de 
le  mettre  à  exécution  :  l'intelligence,  l'expérience,  les  connaissances 
indispensables  leur  faisaient  totalement  défaut. 

Oubliant  que  les  procédés  commodes  du  i^oman  doivent  être 
bannis  de  l'histoire,  un  écrivain  de  renom  imaginait  récemment 
\m  moine  quelque  peu  fanatique  dont  la  Pucelle  aurait  subi  l'in- 
fluence, un  directeur  inconnu  qui  «  aurait  préparé  à  Charles  VII  un 
angélique  auxiliaire'  ». 

On  a  dit  encore  :  «  Jeanne  fréquentait  beaucoup  de  prêtres  et  de 
moines.  » 

Si  l'on  s'en  tient  aux  documents,  la  Pucelle  n'a  fréquenté  ni 
beaucoup  de  prêtres  ni  beaucoup  de  moines.  Elle  a  pu  en  ren- 
contrer sur  son  chemin  quelques-uns,  mais  elle  ne  fréquentait 
guère  que  son  curé.  Elle  visita  une  fois  l'an,  de  sa  dixième  à  sa 
quinzième  année,  son  oncle,  le  curé  de  Sermaize.  et  put  voir  un  de 
ses  cousins,  religieux  à  l'abbave  de  Cheminon.  Elle  se  confessa 
trois  ou  quatre  fois  en  passant  à  jMessire  Fournier,  curé  de  Vau- 
couleurs.  Henri  Arnolin,  de  fiondrecourt-Ie-Chàteau,  l'entendit 
trois  fois  en  confession  pendant  un  carême,  et  une  autre  fois  à 
l'occasion  d'une  fête.  Jean  Colin,  chanoine  de  Brixey,  la  confessa 
deux  ou  trois  fois.  A  Neufchàteau,  elle  se  confessa  deux  ou  trois 
fois  à  des  religieux  mendiants  ^  Parmi  ces  prêtres,  on  n'en  aperçoit 
aucun  qui  ait  pu  remplir  le  rôle  d'initiateur  et  de  «  directeur  » 
imaginé  par  M.  A.  France.  La  jeune  fille  a  pu  également  se  con- 
fesser aux  curés  des  paroisses  voisines  de  Domremv  où  elle  allait 
en  dévotion,  à  Maxey-sur- Valse,  à  Biu'ey-le-Petit,  à  Saint-Nicolas- 
du-Port.  à  Toul,  à  Nancy  peut-être.  Mais  ces  ecclésiastiqnes.  elle 
ne  Tes  a  a'us  que  par  circons  tance  et  il  n'est  pas  exact  de  dire 
qu'elle  les  fréquentait.  Il  l'est  encore  moins  d'ajouter  «  qu'elle  se 
trouvail  en  relation  avec  nombre  de  personnes  ecclésiastiques  aptes 
il  reconnaître  le  don  qu'elle  avait  de  voir  des  choses  invisibles.  « 
•  .es  personnes  sont  rares,  on  ne  les  rencontre  pas  aisément,  et 
.nicun  document  n'apprend  que  Jeanne  les  ait  rencontrées. 

1.  A.  Frange,   17e  de  Jeanne  d'Arc,  t.  1,  p.  54. 

2.  Procès,  t.  II,  446,  4o9,  432. 


392  APPENDICE    III 

Ces  hypothèses  n'éclairent  pas  plus  la  mission  de  l'Envoyée  de 
Dieu  que  ne  l'éclairent  les  théories  de  la  suggestion,  de  l'auto- 
suggestion et  des  phénomènes  hallucinatoires. 

Aux  historiens  qui  trouvent  une  explication  suffisante  de  la  voca- 
tion de  la  Pucelle  dans  l'impression  douloureuse  que  les  malheurs 
du  temps  produisaient  sur  son  àme  vibrante  et  sensible  à  l'excès, 
Henri  Wallon  oppose  cette  remarque  malaisée  à  réfuter  : 

«  Si  le  sentiment  des  souffrances  que  la  guerre  apporte,  si  la 
haine  qu'inspire  le  conquérant  maître  du  sol  natal,  avaient  suffi 
pour  donner  un  sauveur  à  la  France,  il  serait  né  par  tout  ailleurs 
qu'à  Domremy.  » 

D'un  autre  côté,  il  faut  bien  convenir  que  rien  dans  la  condition 
sociale  où  se  trouvait  la  Pucelle  ne  la  prédisposait  à  sa  mission  et 
ne  la  favorisait.  Ce  n'est  point  la  vocation  personnelle  qui  a  fait 
surgir  la  vocation  divine,  c'est  plutôt  celle-ci  qui  a  donné  naissance 
à  celle-là.  Humainement  parlant,  les  vocations  sont  déterminées 
d'habitude  par  le  milieu  dans  lequel  on  a  vécu,  par  les  traditions 
familiales,  par  les  goûts  et  les  aptitiides  propres  aux  individus.  Qui 
s'aventurerait  à  dire  que  le  milieu  villageois,  les  occupations 
champêtres  et  autres  travaux  dans -lesquels  Jeanne  a  passé  son 
adolescence,  que  l'infirmité  de  son  sexe  l'ont  poussée  vers  cette  vie 
guerrière  à  laquelle  on  la  voit  ne  se  résoudre  qu'avec  peine  et  se 
résigner?  «  Guerroyer,  chevaucher  à  la  façon  des  hommes  d'armes, 
je  ne  sais  pas,  dit-elle,  ce  n'est  pas  mon  état  :  j'aimerais  miçux 
filer  à  côté  de  ma  pauvre  mère.  Si  je  le  fais,  c'est  que  Dieu,  mon 
seigneur,  veut  que  je  le  fasse-.  » 

Encore  moins  pourrait-on  prêter  une  influence  efficace  en  ce  sens 
à  ses  parents,  amis  et  compagnons  de  jeunesse.  Ce  n'est  pas  son 
père  qui  l'eût  poussée  en  cette  voie,  ni  les  ecclésiastiques  et  aucun 
des  personnages  avec  qui  les  documents  la  montrent  en  rapport. 
Ce  que  l'on  peut  dire,  et  ce  qui  est  la  conduite  habituelle  de  la 
Providence,  c'est  que  l'appel  de  Dieu  a  fait  naître  chez  la  Pucelle, 
à  côté  de  la  vocation  surnaturelle,  une  vocation  naturelle  de  cir- 
constance. L'ardente  foi  chrétienne  de  la  jeune  fille,  son  patrio- 
tisme non  moins  généreux  auront  raison  des  résistances  de  la 
nature,  elles  donneront  des  ailes  à  ses  désirs,  et  la  jeune  vierge 
mettra  au  service  de  son  pays  les  riches  facultés,  cœur,  imagina- 
tion, volonté,  intelligence,  dont  le  Créateur  n'a  pas  oublié  de  la 
douer. 

1.  H.  Wallon,  Jeanne  d'Arc,  t.  I.  pp.  83,  84. 

2.  Procès,  t.  I,  53;  IF,  «6. 


LA    MISSION   DE    LA   PUCELLE,    LES    ORIGINES  393 

III 

Autre  queslion  qui  a  bien  son  importance.  Que  sied-il  de  penser 
de  la  conviction  profonde  avec  laquelle  Jeanne  parle  de  ses  visions 
et  de  ses  Voix?  Jamais  elle  n'émet  l'ombre  d'un  doute  sur  leur 
réalité  et  leur  objectivité.  Au  contraire,  elle  ne  trouve  pas  d'expres- 
sion assez  forte  pour  rendre  ce  qu'elle  éprouve.  L'archange  saint 
Michel,  les  anges  qui  l'accompagnaient,  les  saintes  Catherine  et 
Marguerite,  elle  affirme   les  avoir  vus  de  ses  yeux,  comme  elle 
voyait  siégeant  sur  leur  tribunal  les  juges  qui  étaient  devant  elle. 
Ces  impressions,  cette  conviction,  comment  les  expliquer? 
Une  première  explication  bien  simple,  parce  qu'elle  est  fondée 
sur  la  loyauté,  la  sincérité  de  la  jeune  fille,  consiste  cà  dire  qu'elle 
s'exprimait  de  la  sorte,  parce  qu'elle  pensait  et  sentait  de  la  sorte 
au  plus  intime  de  son  être. 
Mais  comment  se  les  expliquait-elle  à  elle-même? 
Oh!   bien  simplement  aussi,  grâce  à  la  créance  dans  laquelle 
•elle  avait  été  élevée,  grâce  à  la  pureté  de  sa  vie  et  à  l'ardeur  de  sa 
foi. 

Nous  l'oublions  trop  dans  nos  temps  de  scepticisme  et  dincrédu"- 
lité.  Le  christianisme  était  la  religion  de  Jeanne  d'Arc  et  de  son 
siècle.  Or,  l'un  des  points  fondamentaux  du  christianisme,  c'est 
que  jamais  Dieu  n'a  cessé  d'être  en  rapport  avec  l'homme,  le  ciel' 
avec  la  terre,  les  «  habitants  du  paradis  »  avec  certaines  âmes 
prédestinées.  II  en  a  été  ainsi  dans  l'Ancien  et  dans  le  Nouveau 
Testament;  il  en  a  été  ainsi  dans  toute  l'histoire  de  l'Église.  Quel- 
ques années  avant  l'apparition  de  la  vierge  de  Domremy,  Brigitte 
de  Suède  et  Catherine  de  Sienne  avaient  été  de  ces  âmes  choisies  : 
pourquoi  Jeanne  ne  l'aurait-elle  pas  été? 

L'enfant  ne  se  disait  pas  cela,  mais  Dieu  le  lui  fit  entendre.  Des 
messagers  divins  entrèrent  en  relation  avec  elle  et  créèrent  en  son 
âme  la  conviction  qu'elle  était  choisie  pour  sauver  son  pays  et 
l'arracher  à  la  domination  anglaise.  Pom"  Jeanne  chrétienne 
ardente,  pour  Jeanne  sœur  des  saintes  et  des  anges,  cela  suffisait. 
Cela  suffit  aussi  à  Ihistorien  qui  accorde  à  l'Évangile  et  à  l'his- 
toire de  l'Église  le  respect  qu'ils  méritent.  Les  secrets  ressorts  des 
Voix  et  visions  de  la  Pucelle  restent  pour  lui  un  mystère  :  dans- 
l'ensemble,  ces  Voix  et  visions  ne  le  sont  plus  :  elles  se  présentent 
comme  l'un  des  moyens  dont  use  la  Providence  pour  former  les 
créatures  exceptionnelles  dont  elle  veut  faire  1  instrument  de  ses 
miséricordes. 


394  AI'PEXDICE    III 

Au  reste,  la  foi  que  ces  visions  et  révélations  réelauient  des 
esprils  qui  les  jugent  dignes  de  créance  est  une  foi  purement 
humaine,  n'ayant  rien  de  commun  avec  la  foi  surnaturelle  due  aux 
vérités  révélées  de  Dieu. 

Ce  qui  fait  de  cette  foi  humaine  pour  tout  historien  sans  parti 
pris  la  seule  solution  acceptable  du  problème  des  Voix,  c'est  le 
langage  formel  des  documents,  et  ce  qu'il  apparaît  de  raisonnable 
dans  l'explication  que  la  Libératrice  du  pays  donne  de  son  inter- 
vention. 

D'une  part,  le  langage  des  documents  est  formel  et,  quoiqu'il 
s'agisse  d'une  continuité  de  faits  qui  i-emplissent  sept  années, 
aucune  obscurité,  aucune  équivoque,  aucune  lacune  ne  se  produit 
qui  permette  d'élever  le  moindre  doute  sur  cette  succession  de 
visions,  d'apparitions,  et  sur  l'objet  de  ce  commerce  supérieur  que 
l'héroïne  a  fait  connaître  avec  les  précisions  les  plus  significali,ves. 

D'autre  part,  simple  et  raisonnable  apparaît  l'explication  de  ce 
qu'il  y  a  de  merveilleux  dans  son  histoire.  Il  est  évident  que  ce  qui 
s'est  passé  au  temps  de  la  Bible  et  de  l'Évangile  a  pu  se  passer  au 
XV'  siècle.  L'archange  Gabriel  a  été  envoyé  de  Dieu  au  prophète' 
Daniel,  au  prêtre  Zacharie,  père  de  Jean-Baptiste,  à  la  bienheureuse 
Vierge  Marie.  Pourquoi  Dieu  ne  l'aurait-il  pas  envoyé,  ainsi  que 
saint  Michel  et  les  saintes  Catherine  et  Marguerite,  à  la  future 
Libératrice  de  son  peuple  préféré  '?  Qui  oserait  dire  que  les  raisons 
ou  la  puissance  lui  ont  fait  défaut  ? 

Si  l'on  tient  à  comprendre  de  quelle  manière  des  esprits  incor- 
porels ont  pu  se  manifester  à  un  être  corps  et  à  me,  qu'on  recoure 
aux  grands  théologiens  comme  saint  Thomas  d'Aquin  et  Suarez, 
aux  grands  penseurs  tels  que  Pascal  et  Leibniz,  Descartes  et 
Bossuet,  et  les  lumières  jailliront  abondantes. 

Et  pour  les  esprils  qui  tiendraient  à  ne  pas  quitter  le  terrain  de 
l'histoire  pure,  qu'ils  veuillent  bien  noter  parmi  les  visions  et  révé- 
lations de  l'envoyée  de  Dieu,  celles  dont  l'éclat  resplendit  assez 
pour  qu'on  y  découvre  une  portée  objective  convaincante  qu'il  est 
aisé  à  tout  historien  de  vérifier  ^ 


IV 

A  quel  titre,  d'ailleurs,  récuserait-on  l'affirmation  que  riiéro'ine 

L  Pour  les  questions  que  le  sujet  des  Voix;  de  la  Pucelle  soulève,  on 
les  trouvera  présentées  avec  les  développements  voulus  dans  les  deux 
ouvrages  cités  plus  haut. 


LA    MISSION    DE    LA    PUCELLE,    LES    ORIGINES  39'5 

fait  de  sa  mission  divine  et  des  phénomènes  exli-aordlnaires  qui 
l'ont  accompagnée  ?  Serait-ce  parce  qu'on  ne  croit  pas  en  Dieu  ? 
Oui  oserait  proclamer  cette  raison  suffisante  ?  Entre  Jeanne  qui 
affirme  ce  qu'elle  a  expérimenté  pendant  plusieurs  années  et  des 
incrédules  qui  nient  pour  le  plaisir  de  nier,  à  qui  doit-on  s'en 
rapporter?  Est-ce  que  ces  négateurs  ont  vu  ce  qui  se  passait  dans 
l'âme  de  la  Pucelle  lorsqu'elle  recevait  ses  visiteurs  célestes;  et 
parce  qu'ils  prétendraient  ces  communications  impossibles,  depuis 
quand  leur  intelligence  serait-elle  la  mesure  des  possibilités  et 
des  réalités? 

Le  seul  personnage  dont  les  déclarations  fassent  foi  dans  cette 
question,  ce  n'est  ni  un  académicien  sceptique,  ni  un  professeur  de 
Sorbonne  athée,  qui  n'ont  rien  constaté  ni  expérimenté,  c'est 
Jeanne  d'Arc.  11  s'agit  de  faits  nombreux  d'expérience  qui  lui  sont 
propres.  Elle  était  dans  les  conditions  d'intelligence  et  de  sincérité 
requises  pour  ne  dire  que  la  vérité. 

Donc  c'est  à  son  témoignage,  à  l'exclusion  de  tout  autre,  à 
moins  de  faire  la  preuve  du  contraire,  que  l'historien  sans  paiti 
pris,  sans  préjugé  sectaire  doit  s'en  rapporter. 

Après  tout  n'est-ce  pas  la  chose  la  plus  rationnelle  du  monde 
que  cette  explication  catholique  des  dits  et  gestes  d'une  sainte 
catholique,  dans  un  pays  catholique.  Qu'onréserve  pourles  héroïnes 
païennes  les  théories  qui  font  litière  de  l'idéal  et  du  divin. 


APPENDICE  IV 

LA    QUESTION     «    JEANNE    d'aRC    »     AUX    XV*"     ET   XVII^    SIÈCLES 
ET    CETTE    QUESTION    AUJOURD'HUI 


Une  des  raisons  qui  nous  font  atlacher  du  prix  à  la  publication 
de  l'œuvre  d'Edmond  Richer  c'est  que,  de  son  temps  comme 
aujourd'hui,  deux  portraits  de  la  Pucelle  sollicitaient  les  préfé- 
rences de  l'opinion,  l'un  dessiné  d'après  l'évéque  de  Beauvais, 
l'autre,  d'après  les  juges  et  les  témoins  de  la  réhabilitation.  Avant 
de  se  prononcer,  le  docteur  de  Sqrbonne  rechercha  les  vraies 
sources  de  l'histoire  de  Jeanne,  les  étudia  profondément  et  ne  prit 
la  plume  que  lorsque  sa  conviction  eût  été  solidement  établie. 
Aussi,  son  œuvre  est-elle  tout  ensemble  un  témoignage  en  faveur 
de  la  Pucelle,  longuement  et  mûrement  réfléchi,  et  un  monument 
qui  fixe  la  tradition  et  la  critique  pour  la  première  moitié  du  dix- 
septième  siècle. 

Or,  à  quelques  égards,  en  ce  qui  concerne  la  question  «  Jeanne 
d'Arc  ;;,  ce  qu'on  voit  aujourd'hui  rappelle  ce  que  l'on  voyait  au 
temps  de  Richer  et  ce  qui  se  passait  au  milieu  du  xv°  siècle,  lorsque 
le  procès  de  revision  eut  été  jugé. 

Rapprochons  les  faits  afin  de  mieux  nous  en  rendre  compte. 


LES  DEUX  JEANNE  d'aRC  AU  XV*"  SIÈCLE  :  LA  JEANNE  D  ARC 
DE  l'université  DE  PARIS  ',  ET  LA  JEANNE  DARC  DES  VRAIS 
ET    LOYAUX    FRANÇAIS. 

Quelle  idée  les  Français  qui  vivaient  au  lemps  des  deux 


i .  Au  temps  de  la  Pucelle,  on  nommait  couramment  «faux  Français  » 
les  sujets  du  royaume  qui  soutenaient  la  cause  anglaise. 


E.    RICHER    ET    L  HISTOIRE    DE    JEANNE    AUJOURD'HUI  397 

procès  de  la  Piicelle,  du  procès  de  condamnalion  et  du  pro- 
cès de  réhabilitation,  pouvaient-ils  concevoir  de  son  patrio- 
tisme, de  son  héroïsme,  de  sa  sainteté,  de  la  part  qui  lui 
revenait  dans  la  libération  du  territoire,  de  ses  droits  à  la 
gratitude  du  pays  ? 

On  plaçait  sous  leurs  regards  deux  images  bien  différentes: 
l'une  dessinée,  peinte,  garantie  par  le  personnage  qui  avait 
jugé,  condamné,  livré  Jeanne  au  bûcher  ;  l'autre  dessinée, 
peinte  d'après  les  témoins  de  sa  vie,  et  certifiée  sincère  par 
les  juges  chargés  de  reviser  le  procès  qui  l'avait  condamnée. 

En  laquelle  de  ces  deux  images  pouvait-on  s'attendre  à 
rencontrer  le  véritable  portrait  de  l'héroïne  ? 

D'après  les  docteurs  de  l'Université  de  Paris,  son  portrait 
authentique,  c'était  l'image  dessinée,  garantie  par  l'évêque 
de  Beauvais,  Pierre  Cauchon.  D'après  les  juges  de  la  réhabi- 
litation, c'était  l'image  dont  les  témoins  de  la  vie  de  Jeanne 
avaient  fourni  les  traits. 

1°  Du  portrait   de   Jeanne  dWrc,   d'après  Pierre  Cau- 
chon. —  Si  le  tableau  que  Pierre  Cauchon  a  peint  de  Jeanne 
d'Arc  était  fidèle,  quelle  idée  les  contemporains  auraient-ils  _ 
gardée  de  la  Libératrice  ? 

Ils  en  auraient  gardé  l'idée  d'une  aventurière  qui,  par  le 
mensonge  et  l'imposture,  avait  réussi  à  capter  la  confiance 
du  roi  Charles  VII  ; 

D'une  intrigante  qui  se  disait  «  envoyée  de  Dieu  »  pour 
tromper  plus  sûrement  les  princes  et  les  peuples  ; 

D'un  suppôt  des  démons,  avec  qui  elle  était  en  commerce 
constant  ; 

D'une  fille  inventrice  de  fausses  apparitions  et  de  fausses 
révélations  ; 

D'une  hérétique  convaincue  de  schisme  envers  l'Eglise  et 
d'erreurs  dans  la  foi  ; 

D'un  sujet  coupable  de  rébellion  envers  son  souverain 
légitime,  le  roi  de  France  et  d'Angleterre,  Henri  YI,  et  cap- 
turée les  armes  à  la  main  ; 

D'une  accusée  en  cause  de  foi,  justement  condamnée  à  la 
prison  perpétuelle  par  une  première  sentence  ; 


398  APPENDICE    IV 

D'une  hérétique  relapse,  plusieurs  fois  parjure,  renégate, 
apostate,  condamnée  définitivement  à  la  peine  du  feu  et  livrée 
au  bras  séculier,  le  30  mai  1431. 

Pour  que  la  postérité  pût  avoir  confiance  en  la  fidélité 
d'un  portrait  aussi  chargé,  elle  devrait  être  assurée  de  la 
sincérité,  de  l'esprit  de  justice,  de  l'indépendance,  de 
l'impartialité  de  l'auteur,  l'évéque  de  Beauvais,  et  du 
corps  enseignant  qui  s'en  portait  caution,  l'Université  de 
Paris. 

Or,  c'est  un  fait  avéré  que  l'évéque  de  Beauvais  et  l'Uni- 
versité de  Paris  étaient  vendus  au  gouvernement  anglais  ; 
qu'ils  n'ont  vu  dans  la  Pucelle  que  l'ennemie  de  ce  gouver- 
nement, lequel  avait  chargé  Pierre  Gauchon  de  la  faire 
brûler  par  arrêt  de  justice  ;  et  c'est  un  fait  non  moins  cer- 
tain que  le  prétendu  portrait  de  Jeanne,  dessiné  par  l'évéque 
de  Beauvais  n'a  qu'un  but,  rendre  vraisemblable  et  justifier 
aux  yeux  des  contemporains  et  de  la  postérité  la  sentence 
inique  dont  il  a  pris  la  responsabilité,  et  le' supplice  infâme 
auquel  il  a  condamné  sa  victime. 

L'opinion  publique,  depuis  la  seconde  moitié  du  xv^  siècle, 
a-t-elle  estimé  exacte  et  fidèle  l'image  qu'a  tracée  de  sa  vic- 
time l'évéque  P.  Gauchon  ? 

A  cette  question,  Ihistoire  fait  une  réponse  négative.  Jus- 
qu'à une  date  assez  récente,  historiens  et  érudits  se  sont 
accordés  à  ne  voir  en  cette  image  que  le  plus  faux  des  por- 
traits ;  et  si,  depuis  quelques  années,  l'accord  n'est  plus  una- 
nime, c'est  encore  du  côté  de  l'opinion  traditionnelle  que  se 
trouve  la  grande  majorité. 

2"  Du  portrait  de  Jeanne  d'Arc,  d'après  les  témoins  de  la 
réhabilitation.  —  Le  tableau  d'histoire  dessiné  par  Pierre 
Gauchon  ayant  été  ]'econnu  indigne  de  confiance,  on  jugea 
tout  différemment  le  tableau  dessiné  d'après  les  témoins 
de  1456. 

D'ailleurs,  pour  en  assurer  la  fidélité,  on  n'avait  négligé 
aucune  des  précautions  propres  à  écarter  les  inexactitudes 
et  les  méprises.  Les  hommes  les  plus  compétents,  légiste.-^, 
canonistes,  maîtres  en  théologie  étudièrent,  au  point  de  vue 


E.    RICHER    ET    L  HISTOIRE    DE    JEANNE    AUJOURD'HUI  390 

du  droit  et  des  faits,  toutes  les  questions  intéressant  l'histoire 
de  l'héroïne. 

Outre  plus  de  douze  mémoires  ou  consultations  de  grande 
valeur,  rédigés  en  vue  d'éclaircir  la  matière  sur  le  terrain 
spécial  des  faits,  on  rassembla  cent  quarante-quatre  déposi- 
tions de  nature  à  commander  la  confiance  et  à  se  contrôler 
les  unes  les  autres. 

C'est  un  point  aujourd'hui  reconnu  en  critique,  que 
cette  masse  de  témoignages  est  au-dessus  de  toute  discus- 
sion. 

Une  fois  achevé,  ce  portrait  offrit  aux  loyaux  Français  une 
héroïne  bien  différente  de  l'aventurière  hérétique  et  parjure 
de  l'évêque  de  Beauvais.  Les  contemporains  y  reconnurent 
la  Pucelle  dont  ils  avaient  gardé  le  souvenir. 

Après  eux,  la  postérité  n'a  cessé  de  voir  en  elle  la  «  vierge 
inspirée  »  dont  les  prédictions  avaient  annoncé  la  délivrance 
du  royaume,  la  guerrière  dont  la  vaillance  la  préparait, 
une  libératrice  dont  la  recouvrance  du  territoire  fut  l'œuvre 
nationale. 


II 


DEUX    C(  JEANNE    D  ARC   ))    A    PARIS    ET    EN    FRANCE 
ENCORE    aujourd'hui 

Ce  n'est  plus  un  secret  qu'un  violent  effort  a  été  tenté  der- 
nièrement pour  remettre  en  honneur  la  «  Jeanne  d'Arc  »  de 
Pierre.  Cauchon,  et  amener  les  esprits  à  penser  que  le  tableau 
signé  de  ce  maître  fourbe  est  le  seul  qui  donne  la  «  Jeanne 
d'Arc  de  l'histoire  ». 

[°  La  «  Jeanne  cVArc  »  de  Vévéque  de  Beauvais  et  Mes- 
sieurs les  professeurs  de  V Université.  — Est-ce  simple  coïn- 
cidence fortuite,  serait-ce  l'effet  calculé  de  la  mise  en  jeu  d'un 
certain  nombre  de  causes,  en  ce  xx^  siècle,  les  principaux 
personnages  qui  se  portent  garants  de  la  fidélité  du  portrait 
de  la  Pucelle  par  l'évêque  de  Beauvais,  sont,  comme  en  1431 , 
des  maîtres,  des  docteurs,  des  professeurs  de  l'Université  de 


400  APPENDICE   IV 

Paris?  L'image  qu'ils  offrent  en  leur  nom  au  public  n'est 
guère  qu'une  réduction  du  tableau  peint  par  Pierre  Cau- 
chon. 

Ainsi,  Pierre  Cauchon  a  dit  que  les  voix,  visions, 
apparitions,  révélations  de  l'héroïne  étaient  fictives  et 
mensongères. 

Nos  professeurs  universitaires  disent,  eux  aussi,  qu'elles 
étaient  fictives  et  mensongères. 

Pierre  Cauchon  a  dit  que  Jeanne  avait  été  fausse  prophé- 
tesse,  que  plusieurs  de  ses  prédictions  ne  s'étaient  point 
accomplies. 

Nos  professeurs  de  l'Université  et  autres  historiens, 
disciples  du  même  maître,  soutiennent  après  lui  la  même 
opinion. 

Pierre  Cauchon  a  dit  que  Jeanne  avait  consenti  une  abju- 
ration canonique  qui  n'a  jamais  eu  lieu  : 

Qu'elle  a  signé  un  formulaire  infâme,  quand  il  est  établi 
qu'elle  ne  l'a  jamais  vu; 

Qu'elle  s'est  parjurée  plusieurs  fois,  quand  elle  n'a 
jamais  prononcé  aucun  des  serments  que  l'évêque  de  Beau- 
vais  lui  prête  ; 

Qu'elle  a  renié  ses  révélations,  son  patriotisme,  quand  le 
document  auquel  on  emprunte  ce  mensonge  est  un  faux  docu- 
ment; 

Qu'elle  a  été  hérétique  relapse  très  volontairement,  quand 
elle  n'a  jamais  erré  dans  la  foi  et  n'a  repris  l'habit  d'homme 
dans  sa  prison  que  contrainte  par  un  véritable  guet-apens  ; 
Quelle  a  été,  pour  ces  motifs,  justement  condamnée  et 
livrée  au  bûcher,  quand  après  examen,  il  ne  subsiste  même 
pas  l'ombre  d'un  seul  de  ces  motif. 

Ces  accusations  ou  du  moins  la  plupart  qui,  si  elles  étaient 
fondées,  infligeraient  à  l'héroïne  une  flétrissure  ineffaçable, 
nos  professeurs  universitaires  les  acceptent  sur  la  parole  de 
l'évêque  de  Beauvais,  ils  les  prennent  à  leur  compte  et  les 
reproduisent  sans  ombre  d'hésitation. 

Au  nom  de  l'école  nouvelle,  un  membre  de  l'Académie 
française  qui  passe  actuellement  pour  chef  de  ladite  école, 
écrit  une  vie  de  l'héroïne  dans  laquelle,  non  seulement  il  in- 


E.    RIGHEU    ET    l'hISTOIRE    DE   JEAN.NE    AUJOURD'HUI  401 

sère  comme  justifiées  la  plupart  de  ces  accusations,  mais  il 
les  aggrave,  ne  reculant  pas  devant  l'invention  d'un  faux 
interrogatoire,  ignominieux  pour  Jeanne  d'Arc,  dont  il  n'y  a 
pas  un  seul  mot  au  procès.  (A.  France,  Vie  de  Jeanne  à^ Arc, 
t.  II,  p.383etsuiv.) 

Dans  cette  biographie,  les  dilettanti  trouvent  beaucoup 
d'ironie,  beaucoup  de  scepticisme, beaucoup  d'esprit  même; 
mais,  remarque  un  écrivain  anglais,  sir  Andrew  Lang,  on  y 
trouve  encore  plus  de  ricanement  dépensé  en  des  sujets  qui 
méritaient  autre  chose  ;  et,  de  l'avis  des  critiques  les  plus 
autorisés,  en  ce  qui  regarde  l'héroïne  elle-même,  encore  plus 
de  dénigrement. 

Une  vie  conçue  et  présentée  de  la  sorte  donnera  pleine 
satisfaction  aux  esprits  pour  qui  la  seule  «  Jeanne  d'Arc  )>  de 
Pierre  Cauchon,  évèque  de  Beauvais,  est  la  Jeanne  d'Arc  de 
l'histoire.  Ils  ne  s'y  attendent  peut-être  pas  ;  mais  on  la  leur 
sert  revue  et  notablement  augmentée. 

t"  La  nouvelle  école  et  M.  Achille  Luchaire.  —  Ce  sont, 
avons-nous  dit,  des  professeurs  et  membres  de  l'Université 
de  Paris  qui  ont  entrepris  cette  réhabilitation  de  la  fausse 
Jeanne  d'Arc  de  Pierre  Cauchon,  et,  par  suite,  la  réhabilita- 
tion de  l'évêque  lui-même  ^ 

Loin  de  nous  la  pensée  de  prêter  un  pareil  dessein  à  l'Uni- 
versité de  France  :  les  œuvres  sont  personnelles,  et  les  res- 
ponsabilités aussi.  Et  puis,  nous  sommes  heureux  de  pro- 
duire un  exemple  établissant  que,  parmi  les  professeurs  les 
plus  éminents  du  corps  universitaire,  il  en  est  qui  sont  loin 
d'approuver  la  dite  entreprise. 

Cet  exemple  et  les  textes  qui  le  justifient,  nous  les  deman- 
derons à  i\I.  Achille  Luchaire,  le  regretté  professeur  d'his- 
toire médiévale  en  Sorbonne. 

Au  sujet  du  culte  que  les  adeptes  de  la  nouvelle  école  pro- 

1.  Au  nom  de  M.  Luchaire.  nous  poumons  joindre  le  nom  d'un 
membre  de  l'Académie  française,  M.  Gabriel  Hanotaux,  qui.  sans 
entrer  dans  la  discussion,  se  range  aux  conclusions  du  savant  profes- 
seur de  la  -Sorbonne.  L'étude  de  M.  Hanotaux  sur  la  Pucelle  est  une 
rectification  courtoise  des  idées  du  dernier  académicien,  biographe  de 
Jeanne,  M.  A.  France. 


402  A^'l'l£^DlCh;  iv 

fessent  pour  le  maître  qu'ils  ont  choisi,  l'on  doit  distinguer 
entre  le  principe  et  les  applications. 

Le  principe  est  celui  qui  fait  de  l'honnêleté  de  l'ëvèque  de 
Beauvais  un  dogme  intangible,  et  du  procès  de  condamnation 
un  «  bloc  sacro-saint  »,  devant  lequel  les  historiens  n'ont 
qu'à  s'incliner.  Les  applications  regardent  les  accusations 
spéciales  que  le  prélat  porte  contre  la  Pucelle,  et  les  actes 
que,  contre  toute  évidence,  il  lui  attribue. 

M.  Achille  Luchaire  proteste  contre  le  principe,  et  il  pro- 
teste non  moins  énergiquement  contre  les  applications. 

Du  principe  lui-7néme  :  Vhonnélelé  de  Pierre  Ccmchon, 
dogme  intangible.  —  «  Malgré  l'autorité  de  leur  nom,  dit 
M.  A.  Luchaire,  «Jules  Quicherat  et  M.  A.  France  ne  m'en- 
traîneront pas  à  partager  leur  foi  robuste  dans  l'honnêteté 
professionnelle  du  juge  Gauchon,  trop  habile  et  aussi  trop 
amoureux  de  la  forme  et  du  droit,  prétend-on,  pour  avoir 
osé  insérer  au  dossier  des  actes  qui  ne  seraient  pas  l'ex- 
pression exacte  de  la  réalité.  »  (Article  de  la  Grande  Revue, 
marsi908,  p.  214.) 

Du  procès,  bloc  sacro-saint.  —  «  Aujourd'hui,  poursuit  le 
professeur  en  Sorbonne,  les  historiens  de  l'école  de  J.  Qui- 
cherat ne  peuvent  s'empêcher  d'avouer  que  l'évèque  de 
Beauvais,  tout  en  conduisant,  à  certains  égards,  les  débats 
de  manière  à  donner  l'illusion  qu'il  respectait  les  règles  du 
droit,  les  a  violées  en  fait,  tant  qu'il  a  pu,  au  préjudice  de 
l'accusée,  et  que  sa  passion  haineuse,  nuancée  d'hypocrisie, 
a  été  ici  aussi  flagrante  que  l'irrégularité  de  certains  actes 
de  sa  procédure. 

«  Si  la  réalité  est  telle,  comment  expliquer  cette  sorte  de 
respect  dont  ces  historiens  continuent  à  entourer  l'instru- 
ment tronqué  de  cette  procédure  ? 

«  Et  pourquoi  «  ce  bloc  sacro-saint  »  de  pièces  de  justice 
où  l'on  n'admet  ni  la  possibilité  des  témoignages  complai- 
sants, ni  des  omissions  et  suppressions  calculées,  ni  des  textes 
mutilés,  intercalés  ou  falsifiés  ?  »  (Ibid.) 

Après  le  principe,  les  applications.  —  Les  pièces  fabri- 


E.    RTCHER    ET    L  HISTOIRE    DE    JEANNE    AUJOUUd'hUI  403 

quées  par  l'évêque  de  Beauvais,  pour  faire  croire  en  la  cul- 
pabilité de  la  Pucelle,  sont  le  long  formulaire  du  procès  et  l'In- 
formation posthume.  La  pièce  rédigée  de  façon  dolosive  et 
calomnieuse  est  celle  des  douze  articles.  M.  Achille  Luchaire 
expose  sa  pensée,  sur  la  confiance  que  méritent  ces  pièces, 
dans  les  termes  suivants. 


DE    L  INFORMATION    POSTHUME    ET    DES    DOUZE    ARTICLES 

«Jamais je  ne  me  résoudrai  à  couvrir  de  ma  garantie 
l'Information  posthume,  cette  pièce  étrange,  ajoutée  après 
coup  au  procès,  qui  ne  porte  pas  de  signature,  et  qu'un  gref- 
fier a  formellement  refusé  de  valider. 

«  J'admire  aussi  la  belle  confiance  des  savants  qui  caution- 
nent la  valeur  historique  du  réquisitoire  en  soixante-dix 
articles,  ou  celle  des  douze  articles  soumis  à  l'Université  de 
Paris.  )) 

DU    DRAME    DE    SAINT-OUEN    ET    DE    LA    FAUSSE   CÉDULE 

«  Quant  au  récit  officiel  de  la  scène  qui  se  passa  au  cime- 
tière de  Saint-Ouen,  le  24  mai  1431,  nulle  personne  de  bonne 
foi,  dit  toujours  M.  A.  Luchaire,  ne  peut  affirmer  sans  un 
profond  trouble  de  conscience,  que  la  courte  cédule,  lue  et 
signée  par  la  Pucelle,  était  identique  au  formulaire  d'abjura- 
tion que  Cauchon  a  fait  transcrire  en  latin  et  en  français 
dans  le  manuscrit  de  son  procès. 

«  Sur  ce  point  essentiel,  nœud  de  toute  l'action,  puisqu'il 
s'agissait  d'aboutir  à  la  condamnation  exigée  par  les  Anglais, 
il  y  a  contradiction  évidente  entre  l'assertion  d'un  juge  sans 
pudeur  et  les  rectifications  des  témoins  de  1456,  dont 
plusieurs  avaient  assisté  de  très  près  au  drame  de  Saint- 
Ouen. 

«  Pas  de  milieu.  Ou  il  faut  décerner  à  l'évêque  de  Beauvais 
un  certificat  de  loyauté  et  de  sincérité  quasi  angélique,  ou  il 
faut  accuser  des  témoins  au  nombre  de  cinq  d'avoir  effronté- 
ment menti. 

«  Quel    historien    indépendant   se   résignerait  à  n'avoir 


404  APPENDICE    IV 

jamais  l'ombre  d'un  doute  sur  la  véracité  du  «  scélérat  »,  — 
ainsi  l'appelle  M.  France,  préf.  p.  lv  —  qui  présidait  le 
tribunal  de  Rouen  ?  »  {Ibid.,  p.  215.) 

Enfin,  il  est  une  personnalité  quasi  universitaire  dont  on 
ne  permet  pas  de  soupçonner  l'infaillibilité,  et  qui  est  mise 
ici  sur  la  sellette  :  Jules  Quicherat,  le  chef  même  de  l'école 
antitraditionnelle.  M.  A.  Luchaire  n'hésite  pas  à  signaler  ses 
erreurs  à  propos  des  deux  procès. 

«  La  critique  de  Quicherat,  dit-il,  n'a  été  pour  l'ensemble 
de  cette  question,  ni  assez  pénétrante,  ni  assez  sévère  :  il  a 
eu  le  tort  d'affirmer  et  de  croire,  là  oii  s'imposaient  plus  que 
jamais  le  doute  et  la  défiance  ;  en  un  mot,  sa  démonstration 
sur  la  valeur  historique  des  deux  procès  a  besoin  d'être 
revisée.  Nous  n'incriminons  pas  l'exactitude  du  paléographe 
et  de  l'éditeur  des  textes  ;  nous  contestons  sur  ce  point  le 
jugement  de  l'historien.  »  {Ibid.,  p.  215.) 

CONCLUSION 
Jeanne  d'Arc  et  son  portrait  traditionnel. 

Si  l'argumentation  de  M.  A.  Luchaire  est  irréprochable, 
si  les  articles  publiés  par  M.  G.  Hanotaux  dans  la  Revue  des 
Deux  Mondes  sont  d'une  belle  et  véridique  inspiration, 
c'est  à  l'Eglise  catholique  et  à  son  chef  qu'il  faut  demander 
le  portrait  fidèle  de  la  servante  de  Dieu.  Son  premier  histo- 
rien en  date,  Edmond  Richer,  aura  eu  le  mérite  d'en  fixer 
l'image  et  de  la  transmettre  aux  âges  suivants.  En  tête  de 
son  ouvrage  on  pourra  mettre  sans  blesser  la  vérité  :  His- 
toire de  la  Bienheureuse,  de  sainte  Jeanne  d'Arc,  laPucelle 
d'Orléans. 

Jeanne  béatifiée,  c'est  l'héroïne  telle  qu'elle  lui  est  appa- 
rue ;  l'héroïne  prenant  place,  non  dans  le  panthéon  des 
romanciers  stercoraires,  mais  dans  la  «  cité  éternelle  de 
Dieu  ». 

C'est  l'enfant  du  peuple,  la  pauvre  paysanne,  la  modeste 
chrétienne,  si  riche  de  cœur,  que  la  France,  l'Eglise  s'accor- 
dent à  proclamer  la  Jeanne  d'Arc  de  l'histoire. 


APPENDICE  V 


DU    SECRET    ET    DU    SIGNE    DU    ROI 


Edmond  Richer  a  traité  ce  sujet  dans  le  livre  premier  de  son 
Histoire  de  la  Pucelle  et  dans  ses  Adoertissements  sur  les  interroga- 
toires où  il  est  question  des  efforts  des  juges  pour  amener  l'accu- 
sée à  se  contredire  à  ce  propos  et  à  se  compromettre.^ 

Quelques  éclaircissements  complémentaires  ne  seront  pas  inu- 
tiles. 

I 

De  la  scène  elle-même. 

Où  se  trouvait  la  Pucelle,  quand  elle  offrit  au  jeune  roi  de  lui 
révéler  un  secret  «  connu  de  lui  seul  et  de  Dieu  »,  révélation  qui 
lui  prouverait  qu'elle  lui  était  véritablement  envoyée  de  Dieu  ? 

La  Pucelle  était  alors  au  château  royal  de  Ghinon  dans  la  tour 
du  Couldray.  Elle  souffrait  de  l'indécision  du  Dauphin.  Un  jour, 
plus  inquiète  qu'à  l'ordinaire,  elle  vint  trouver  Charles  VII  et  lui 
dit. 

On  a  vu  le  résumé  de  son  langage  dans  E.  Richer.  En  voici  à 
peu  près  les  termes. 

«  Gentil  Dauphin,  pourquoi  re'fusez-vous  de  me  croire  ?  Je  vous 
dis  que  Dieu  a  pitié  de  vous,  de  votre  royaume  et  de  votre  peuple, 
car  saint  Louis  et  saint  Charlemagne  sont  à  genoux  devant  lui, 
faisant  prière  pour  vous.  Si  je  vous  révèle  des  choses  si  secrètes, 
qu'il  n'y  a  que  Dieu  et  que  vous  qui  les  sachiez,  croirez-vous  bien 
que  je  suis  envoyée  de  par  Dieu  "?  » 

A  l'appui  de  cette  proposition,  la  jeune  fille  admit  comme 
témoins  de  cette  communication,  le  duc  d'Alençon,  Robert  Le 
Maçon,  seigneur  de  Trêves  en  Anjou,  Christophe  d'FIarcourt,  et  le 
confesseur  du  prince  Gérard  Machet.  Elle  leur  fit  jurer  qu'ils  gar- 


406  APPENDICE    IV 

deraienl  le  secrets  Puis,  en  leur  présence,  elle  tint  au  Dauphin  ce 
langage  : 

«  Sire,  n'avez-vous  pas  bien  mémoire  que  le  jour  delà  Toussaint 
dernière,  vous  étant  en  la  chapelle  du  château  de  Loches,  en 
votre  oratoire,  tout  seul,  vous  fîtes  trois  requêtes  à  Dieu  ?  » 

Le  Roi  répondit  qu'il  se  souvenait  très  bien  d'avoir  fait  à  Dieu 
trois  requêtes. 

«  La  première  requête  que  vous  fîtes  à  Dieu,  poursuivit  la 
Pucelle,  fut  que,  si  vous  n'étiez  vrai  héritier  du  royaume  de 
F'rance,  ce  fût  le  bon  plaisir  de  Dieu  de  vous  ôter  le  courage  de 
travailler  à  recouvrer  ledit  royaume,  de  vous  garder  la  vie  sauve 
et  un  refuge  en  Ecosse  ou  en  Espagne. 

«  La  seconde  requête  fut  que  vous  priâtes  Dieu,  si  les  grandes 
adversités  et  tribulations  que  le  pauvre  peuple  de  France  souffrait 
et  avait  souffert  si  longtemps,  procédaient  de  votre  péché  et  que 
vous  en  fussiez  cause,  que  ce  fût  son  plaisir  d'en  relever  le  peuple 
et  que  vous  seul  en  fussiez  puni  et  portassiez  pénitence,  soit  par 
mort  ou  telle  autre  peine  qu'il  lui  plairait. 

«  La  troisième  requête  fut  que  si  le  péché  du  peuple  était  cause 
desdites  adversités,  ce  fût  le  plaisir  de  Dieu  pardonner  audit 
peuple  et  mettre  le  royaume  hors  des  tribulations  auxquelles  il 
était  depuis  douze  ans  et  plus  ^.  » 

II 
Questions  à  résoudre. 

Cette  scènn  est  d'une  grande  importance,  eu  égard  à  la  mission 
de  la  Pucelle.  Elle  suscite  de  graves  questions  et  nous  ne  regrette- 
rons pas  nos  efforts  si  nous  parvenons  à  les  élucider. 

Ces  questions  sont  au  nombre  de  trois  : 

Première  question.  —  Est-ce  un  fait  historiquement  certain  que, 
au  commencement  de  sa  mission,  la  Pucelle  a  révélé  à  Charles  VU 
une  chose  qui  ne  pouvait  être  connue,  et  n'était  connue  que  de  lui 
seul  et  de  Dieu  ? 

Deuxième  question.  —  Cette  chose  était-elle  uniquement  l'affir- 
mation de  la  légitimité  du  Dauphin  comme  «  vray  héritier  du 
royaume  de  France  ?  » 

1.  Chro7iique  delà  Pucelle,  Procès,  t.  IV,  p.  208-209. 

2.  VAbréviateur  du  Procès,  dans  J.  Quicherat,  t.  IV,  pp.  :!38-259.  — 
Voir  aussi  le  Miroir  des  femmes  vertueuses,  ibid.,  pp.  271-272:  —  et 
Pierre  Sala,  ibid.,  p.  280. 


•  LE    SECHET    ET    I.E    SIGNE    DU    ROI  407 

Troisième  question.  —  Ou  bien  cette  chose  consistait-elle  dans 
les  trois  prières  rappelées  ci-dessus,  et  n'est-ce  qu'après  avoir 
convaincu  le  jeune  roi  de  sa  qualité  d'inspirée  de  Dieu,  que  Jeanne 
ajouta  la  révélation  de  sa  légitimité? 

1°  Réponse  à  la  première  question. 

D'après  des  témoignages  au-dessus  de  toute  suspicion,  c'est  un 
fait  certain  que  la  Pucelle  a  révélé  au  jeune  roi  une  chose  qui 
n'était  connue  que  de  lui  seul  et  de  Dieu.  Six  contemporains 
dignes  de  confiance  attestent  le  fait  :  frère  Pasquerel  et  le  cheva- 
lier d'Aulon,  en  leurs  dépositions  au  procès  de  1456,  Cousinot  de 
Montreuil  (1467)  en  sa  Chronique  de  la  Pucelle,  l'évêque  de  Lisieux, 
Thomas  Basin  (U71)  en  son  Histoire  de  Charles  Vil,  qui  le  rap- 
porte sur  la  parole  de  Dunois  lui-même  ;  Alain  Chartier,  et  le  sire 
de  Rotselaer,  chargé  d'affaii'es  du  duc  de  Brabant. 

D'après  frère  Pasquerel,  aumônier  de  Jeanne,  le  Roi  dit  aux  sei- 
gneurs présents  que  la  Pucelle  lui  avait  révélé  «  certaines  choses 
secrètes  que  personne  ne  savait  ou  ne  pouvait  savoir,  sinon  Dieu. 
C'est  pourquoi  il  attendait  beaucoup  d'elle  ^  » 

L'intendant  de  Jeanne,  le  chevalier  d'Aulon,  déposa  qu'après 
avoir  été  présentée  à  Chinon,  «  la  jeune  fille  parla  au  Roy  secrète- 
ment et  luy  dit  aucunes  choses  secrètes  :  quelles,  il  ne  sçait  ». 

L'honnête  intendant  ajoute  ce  détail  important.  Peu  de  temps 
après,  Charles  rappelait  ces  révélations  de  la  Pucelle  en  présence 
de  quelques  membres  de  son  Conseil  et  de  Jean  d'Aulon  lui-même, 
et  il  donnait  à  entendre  que  si  Jeanne  les  lui  avait  communiquées, 
c'était  en  vue  de  lui  persuader  «  qu'elle  lui  estoit  envolée  de  par 
Dieu  pour  l'ayder  à  recouvrer  son  royaume  ^  ». 

Ce  qui  l'essort  du  langage  de  l'intendant  de  Jeanne,  c'est  le  fait 
incontestable  de  la  révélation  d'un  secret  connu  de  Charles  VII  et 
de  Dieu. 

La  Chronique  de  la  Pucelle  a  le  soin  de  nommer  les  quatre  per- 
sonnages en  présence  desquels  Jeanne  révéla  le  secret  à  son  Roi  ; 
il  note  les  circonstances  de  cette  révélation,  et  en  particulier  le 
serment  de  la  tenir  secrète  que  la  Pucelle  exigea  des  témoins.  Ceux- 
ci  furent  fidèles  à  leur  promesse  ;  c'est  pourquoi  l'auteur  en  est 
réduit  à  nous  apprendre  que  «  Jehanne  dist  au  Roy  une  chose  de 
grand  conséquence,    bien  secrète,  qu'il  avait  faicte  ;  dont  il    (le 


1.  Procès,  t.  III,  p.  103. 

2.  Ibld.,  p.  209. 


408  APPENDICE    V 

Koy)  fut  fort  esbahy,  car  il  n'y  avait  personne  qui  le  pût  savoir 
que  Dieu  et  luy.  Dès  lors,  fut  comme  conclu  que  le  Roy  essayerait 
à  exécuter  ce  quelle  disait  '  » . 

Mais  en  quoi  consistait  cette  chose  secrète  ?  Les  témoins  ayant 
gardé  le  silence,  Cousinot  de  Montreuil  nen  sut  rien  et  n'en  put 
dire  davantage. 

L'évéque  de  Lisieux,  Thomas  Basin,  assure  tenir  du  comte  de 
Dunois  lui-même,  avec  qui  il  était  très  lié,  le  fait  de  cette  révéla- 
tion. Si  Charles  Vil,  dit-il,  se  confia  en  la  Pucelle,  «  c'est  qu'il  y 
fut  amené  par  les  choses  très  secrètes  qu'elle  lui  avait  révélées  : 
choses  si  secrètes,  si  cachées,  connues  de  Charles  seul,  qu'aucun 
homme  au  monde  ne  pouvait  les  savoir  que  par  révélation  di- 
vine ». 

Voilà  poui-quoi,  ajoute  cet  historien,  «  le  roi  vit  en  la  Pucelle 
un  chef  de  guerre  que  la  Providence  lui  envoyait  ».  Voilà  pour- 
quoi, à  partir  de  ce  moment,  en  dépit  des  influences  contraires 
qu'il  subissait  et  des  fluctuations  qui  en  étaient  la  conséquence,  la 
rectitude  de  son  jugement  l'amenait  à  convenir  qu'une  jeune  villa- 
geoise en  possession  d'un  pareil  secret  ne  pouvait  le  tenir  que  du 
ciel  et  lui  était  envoyée  de  par  Dieu. 

Dans  une  letti*e  écrite  en  juillet  1429  à  un  prince  étranger,  Alain 
Chartier  parle  de  l'entretien  que  Jeanne,  à  Chinon.  eut  avec 
Charles  Vil.  «  Le  roi  l'écouta  avec  grand  intérêt.  Que  lui  dit-elle, 
il  n'y  a  personne  qui  le  sache.  Cependant,  à  en  juger  par  la  joie 
peu  ordinaire  dont  Charles  fut  rempli,  on  eût  dit  qu'il  venait 
d'être  visité  du  Saint-Esprit  2.  » 

A  la  date  du  22  avril  1429,  le  sire  de  Rotselaer,  chargé  d'affaires 
du  duc  de  Brabant,  écrivait  de  Lyon  une  lettre  qui  mentionne  la 
présence  de  la  Pucelle  auprès  du  Dauphin,  quelques-unes  des  pré- 
dictions dont  elle  lui  a  donné  l'assurance,  et,  ajoute-t-il  à  la  fin, 
«  plusieurs  autres  choses  dont  le  roi  garde  devers  lui  le  secret  — 
plura  alia  quse  rex  pênes  se  tenet  sécréta  ^  ». 

Quoique  ces  deux  derniers  témoignages  n'aient  pas  la  précision 
des  quatre  premiers,  il  n'est  pas  douteux  qu'ils  ne  concernent  le 
même  objet. 

2°  Réponse  à  la  deuxième  question. 

C'est  donc  un  fait  historiquement  certain  que,   au  commence- 

1.  Chronique  de  la  Pucelle,  loco  citato. 

2.  Procès,  t.  V.  p.  133. 

3.  Jbid.,  t.  IV.  p.  426. 


LE    SECRET    ET    LE    SIGNE    DU    ROI  409 

ment  de  sa  mission,  la  Pucelle,  pour  établir  son  titre  d'envoyée 
de  Dieu,  a  révélé  au  jeune  roi  une  chose  qui  n'était  connue  que  de 
lui  seul  et  de  Dieu. 

Ce  qui  n'est  pas  moins  certain,  c'est  que  cette  chose  n'a  pu  être, 
en  cette  circonstance,  l'affirmation  pure  et  simple  de  la  légitimité 
de  Charles  Vil  et  de  ses  droits  à  la  couronne  de  France. 

La  raison  en  est  aussi  concluante  qu'obvie.  La  chose  révélée  au 
jeune  prince  était  connue  de  lui  seul  et  de  Dieu.  Or,  peut-on  dii-e 
que  la  légitimité  de  sa  naissance  et  la  justice  de  ses  droits  à  la 
possession  du  royaume  étaient  connues  du  Dauphin,  sans  tomber 
dans  la  plus  flagrante  des  contradictions?  Charles  doutait,  Charles 
éprouvait  la  plus  cruelle  des  anxiétés.  Donc  il  n'était  pas  cei'tain; 
donc  sa  légitimité  n'est  pas  le  fait  personnel  que  Jeanne  a  pu  lui 
révéler,  pour  lui  fournir  la  preuve  péremptoire  qu'elle  lui  était 
envoyée  de  par  Dieu. 

Elle  a  pu  le  lui  révéler,  elle  le  lui  a  certainement  révélé,  soit  en 
cette  circonstance,  soit  en  des  circonstances  difféi'entes,  mais  seu- 
lement après  avoir  posé  en  principe  une  révélation  préalable, 
manifeste,  qui  a  sei'vi  comme  de  majeure  à  l'affirmation  dont  il 
s'agit. 

Jeanne,  par  exemple,  a  raisonné  ainsi  : 

u  Gentil  Dauphin,  vous  reconnaissez  que  je  dis  la  vérité,  que  je 
suis  éclairée  d'en  haut,  quand  je  vous  rappelle  les  trois  prières  sor- 
ties de  votre  cœur  en  un  jour  d'affliction  que  vous  ne  sauriez 
oublier.  Reconnaissez  que  je  dis  également  la  vérité,  que  je  suis 
éclairée  d'en  haut,  quand  je  vous  affirme  que  vous  êtes  vi'ay  héri- 
tier du  royaume  et  que  je  vous  suis  envoyée  de  par  Dieu.  » 

C'est  par  un  raisonnement  de  ce  genre  que  la  Pucelle,  —  si  elle 
l'a  fait,  et  nous  le  croyons  sans  peine  —  a  rassuré  le  prince  sur  sa 
naissance  royale,  soit  à  l'audience  de  Chinon,  soit  dans  la  scène 
que  nous  avons  rapportée.  Mais  il  n'en  demeure  pas  moins  que  sa 
légitimité  n'était  certainement  pas  la  chose  «  connue  de  lui  seul 
et  de  Dieu  »  qu'elle  lui  rappela  en  ce  moment,  puisque  Charles  Vil 
n'y  songeait  qu'en  proie  au  plus  opiniâtre  des  doutes  et  aux  plus 
cruelles  perplexités. 

3'^  Réponse  à  la  troisième  question. 

Si  l'on  ne  peut  admettre  que  l'affirmation  de  sa  légitimité  ait 
été  l'objet  unique  de  la  révélation  faite  au  roi  par  la  Pucelle,  il 
nest  aucunement  invraisemblable  de  penser  que  les  prières  rap- 
portées plus  haut,  celles-ci  bien  connues  du  Dauphin  et  de  Dieu,  en 


410  APPENDICE    V 

aient  été  l'objet  principal  et  aient  précédé  et  autorisé  l'affirmation 
de  la  légitimité  de  Charles  Vil.  Trois  chroniques  :  VAbréviateur 
du  procès,  l'auteur  du  Miroir  des  femmes  vertueuses,  et  Pierre  Sala 
qui,  d'après  J.  Quicherat,  «  peut  passer  pour  un  auteur  contempo- 
rain à  l'égard  de  Jeanne  d'Arc  »,  rapportent  le  fait  avec  un  accord 
qui  laisse  peu  de  place  à  une  objection  sérieuse. 
Disons  quelques  mots  de  ces  sources  diverses  : 

1.  VAbréviateur  du  Procès. 

L'écrivain  désigné  sous  le  nom  d'Abréviateiir  du  Procès  est  l'au- 
teur demeuré  inconnu  d'une  Histoire  de  Jeanne  d'Arc  que  termine 
un  abrégé  des  deux  Procès.  Cette  histoire  fut  écrite  vers  l'an  1500 
par  ordre  de  Louis  XII.  Tout  ce  qu'on  peut  savoir  de  l'auteur,  c'est 
qu'il  était  clerc,  sinon  prêtre,  et  admirateur  de  Gerson  qu'il  appelle 
7iotre  maître.  Buchon  publia,  en  1827,  d'après  un  manuscrit 
d'Orléans,  une  partie  de  cet  ouvrage  sous  le  titre  de  Chronique  et 
Procès  de  la  Pucelle  d'Orléans.  J.  Quicherat  n'en  a  donné  qu'une 
dizaine  de  pages  {Procès,  t.  IV,  pp.  256-266),  le  l'este  n'ajoutant 
rien  aux  documents  qu'il  avait  précédemment  reproduits. 

Dans  ces  pages  se  trouve  la  révélation  du  secret  du  Roi.  D'après 
l'auteur,  ce  serait  sur  Tavis  de  Gérard  Machet.  son  confesseur,  que 
Charles  VII  demanda  cette  révélation  à  la  Pucelle,  comme  preuve 
de  la  divinité  de  sa  mission.  En  la  rapportant,  VAbréviateur  du  Procès 
déclare  narrer  ce  qu'il  a  ouï  dire  et  attester,  «  non  pas  en  une  fois 
seulement,  mais  plusieurs,  à  grans  personnages  de  France,  qui 
disaient  l'avoir  vu  en  Chronique  bien  authentique,  laquelle  chose 
rédigée  par  escript  dès  lors,  tant  pour  l'autorité  et  la  réputation 
de  celui  qui  la  disait,  que  pour  ce  qu'il  me  sembla  que  chose  estoit 
digne  de  mémoire,  je  l'ay  bien  voulu  ici  mettre  par  escript.  » 
(Procès,  t.  IV,  p.  257.) 

2.  Mirouer  {miroir)  des  femmes  vertueuses. 

Cet  ouvrage,  comme  le  précédent,  est  d'un  auteur  demeuré 
inconnu.  Il  contient  une  Histoire  de  la  Pucelle,  qui  fut  très  popu- 
laire et  très  répandue  sous  le  règne  de  Louis  XII.  Cet  ouvrage  ren- 
ferme sur  Jeanne  d'Arc  deux  récits  précieux  :  celui  qui  traite  du 
secret  du  Roi,  et  l'anecdote  du  passage  de  Jeanne  à  Compiègne 
dans  l'église  Saint-Jacques,  quelques  jours  avant  qu'elle  fût  prise. 

Le  récit  concernant  le  secret  du  Roi  est  tiré  mot  pour  mot  des 
Grandes  annales  de  Bretagne  d'Alain  Bouchard,  avocat  au  Parle- 


LE    SECRET    ET    LE    SIGNE    DU   ROI  411 

ment  de  Bennes,  qui  les  publia  en  1514.  11  en  est  de  même  du  récit 
que  Jean  Bouchet  a  inséi'é  sur  le  même  sujet  dans  ses  Annales 
d'Aquitaine. 
Voici,  au  reste,  cette  page  fort  intéressante  du  Mirouer  : 

«  Quand  Jehanne  la  Pucelle  eut  aperçu  le  Boi,  elle  s'approcha  de 
lui  et  lui  dit  :  «  Moble  seigneur...  m'a  été  commandé  par  Dieu  que 
autre  personne  que  vous  ne  sache  ce  que  j'ai  à  vous  dire.  » 

«  Et  quand  elle  eut  ce  dit  et  remontré,  le  Boi  fit  reculer  au  loin 
au  bas  d'icelle  salle  ceux  qui  y  étaient,  et  à  l'autre  bout  où  il  était 
assis,  fit  approcher  la  Pucelle  de  lui.  Laquelle  par  l'espace  d'une 
heure  parla  au  Boi,  sans  que  autre  personne  que  eux  deux  sût  ce 
qu'elle  lui  disait.  Et  le  Boi  larmoyait  moult  tendrement  :  dont  ses 
chambellans,  qui  voyaient  sa  contenance,  se  voulurent  approcher 
pour  rompre  le  propos;  mais  le  Boi  leur  faisait  signe  qu'ils  se 
reculassent  et  la  laissassent  dire. 

«  Quelles  paroles  ils  eurent  ensemble,  personne  n'en  a  pu  rien 
savoir  ni  connaître;  sinon  que  on  dit  que  après  que  la  Pucelle  fut 
morte,  le  Boi  qui  moult  dolent  en  fut,  dit  et  l'évéla  à  quelqu'un 
qu'elle  lui  avait  dit  comment,  peu  de  jours  avant  qu'elle  vînt  à  lui, 
songeant  aux  grandes  affaires  où  il  était  et  tout  hors  d'espérance 
du  secours  des  hommes,  il  se  leva  de  son  lit  .et  comme  indigne 
d'adresser  sa  prière  à  Dieu,  supplia  sa  glorieuse  Mère  que,  s'il  était 
vrai  fils  du  roi  de  France  et  héritier  de  sa  couronne,  il  plût  à  la 
Dame  de  supplier  son  Fils  qu'il  lui  donnât  aide  et  secours  contre 
ses  ennemis,  en  manière  qu'il  les  pût  chasser  hors  de  son  royaume 
et  gouverner  icelui  en  paix;  et  s'il  n'était  fils  du  roi  et  le  royaume 
ne  lui  appartînt,  que  le  bon  plaisir  de  Dieu  pût  lui  donner  patience 
et  quelques  possessions  temporelles  pour  vivre  honorablement  en 
ce  monde. 

«  Et  dit  le  Boi  que  à  ces  paroles  qui  lui  fui'ent  portées  par  la 
Pucelle,  il  connut  bien  que  véritablement  Dieu  avait  révélé  ce 
mystère  à  cette  jeune  Pucelle,  car  ce  qu'elle  lui  avait  dit  était  vrai. 
Et  jamais  homme  autre  que  le  Boi  n'en  avait  rien  su.  »  (J.  Qui- 
cherat,  t.  IV,  pp.  270-272.) 

La  seule  particularité  à  relever  en  ce  récit,  c'est  qu'il  place  au 
cours  de  l'audience  royale  de  Chinon  la  révélation  que  la  Chronique 
de  la  Pucelle  place  dans  un  entretien  privé. 

3.  Pierre  Sala. 

Pierre  Sala,  fils  d'un  illustre  parlementaire  de  ce  nom,  était 
panetier  du  Dauphin  Orland  ou  Boland.  fils  de  Charles  VIU.  Mes- 


4i2  APPENDICE    V 

sire  Guillaume  Goufïier,  seigneur  de  Boisy,  ancien  chambellan  de 
Charles  VII,  avait  été  donné  au  Dauphin  comme  gouverneur.  De  là. 
une  liaison  des  plus  honorables  entre  Guillaume  Goufïier  et  Pierre 
Sala.  Le  seigneur  de  Boisy,  en  1480,  conta  à  Pierre  Sala  le  «  secret 
qui  avait  été  entre  le  Roi  et  la  Pucelle  »,  et  Pierre  Sala  le  divulgua 
en  i516  dans  son  ouvrage  Len  Hardiesses  des  grands  rois  et  empe- 
reurs, recueil  de  traits  de  courage  anciens  et  modernes. 

Ce  secret,  le  seigneur  de  Boisy  «  bien  le  pouvait  savoir,  dit 
Pierre  Sala,  car  il  avait  été  en  sa  jeunesse  très  aimé  de  ce  roi,  à 
ce  point  qu'il  ne  voulut  souffrir  coucher  aucun  gentilhomme  en  son 
lit,  fors  lui.  En  cette  grande  privauté,  le  Roi  lui  conta  les  paroles 
que  la  Pucelle  lui  avait  dites. 

«  Du  temps  de  sa  grande  adversité,  le  roi  Charles  Vil  se  trouva 
si  bas  qu'il  ne  savait  plus  que  faire.  Étant  en  cette  extrême 
pensée,  il  entra  un  matin  en  son  oratoire,  tout  seul  ;  et  là  fit  une 
humble  requête  et  prière  à  Notre-Seigneur,  dans  son  cœur,  sans 
prononcer  de  parole,  où  il  lui  requérait  dévotement  que  si  ainsi 
était  qu'il  fût  vrai  hoir  descendu  de  la  noble  maison  de  France  et 
que  le  royaume  justement  dût  lui  appartenir,  qu'il  lui  plût  de  lui 
garder  et  défendre,  ou  au  pis  lui  donner  grâce  de  échapper  sans 
mort  ou  prison;  et  qu'il  se  pût  sauver  en  Espagne  ou  en  Ecosse, 
qui  étaient  de  toute  ancienneté  frères  d'armes  et  alliés  des  roys  de 
France,  et  pour  ce  avait-il  choisi  là  son  dernier  refuge. 

«  Peu  de  temps  après  ce,  la  Pucelle  lui  fut  amenée,  laquelle  avait 
eu  en  gardant  ses  brebis  aux  champs  inspiration  divine  pour  venir 
réconforter  le  bon  Roi.  Laquelle  ne  faillit  pas,  et  fit  son  message 
aux  enseignes  dessus  dites,  que  le  Roy  connut  être  vraies;  et  dès 
l'heure  il  se  conseilla  par  elle.  »    (J.  Quicherat,  t.  IV,  pp.  277-281.) 

Un  accord  si  frappant  entre  les  trois  auteurs  que  nous  venons  de 
citer  écarte,  ce  nous  semble,  de  cette  explication  du  secret  révélé 
au  Roi  par  Jeanne  d'Arc  toute  ombre  sérieuse  de  suspicion. 

Une  difficulté  pourrait  se  tirer  du  secret  imposé  par  la  Pucelle 
au:?L  témoins  de  la  révélation  du  secret.  La  réponse  est  aisée. 

D'abord,  il  y  a  lieu  de  croire  que  ce  serment  ne  fut  pas  imposé 
au  roi.  Puis,  après  la  mort  de  Jeanne  sur  le  bûcher  de  Rouen,  les 
autres  seigneurs  purent  s'estimer  déliés  de  la  discrétion  promise,  et 
l'on  conçoit,  avec  la  remarque  de  Pierre  Sala,  la  déclaration  ana- 
logue de  l'Abrévialeur  du  Procès  assurant  «  avoir  ouï  raconter 
cette  révélation  à  grands  personnages  de  France  qui  l'avaient  vue 
en  chronique  bien  authentique  ». 


LE    SECRET    ET    LE    SIGNE    DU    ROI  413 


III 


Questions  finales. 

Faut-il  voir  dans  la  révélation  du  secret  connu  de  Dieu  seul  et  du 
Roi  le  signe  donné  par  la  Pucelle  à  Charles  VII,  pour  lui  prouver 
la  vérité  de  sa  mission,  en  sorte  que  le  signe  du  roi  et  le  secret  du 
roi  seraient  une  seule  et  même  chose? 

Et  existe-t-il  un  rapport  quelconque  entre  la  révélation  de  ce 
secret  et  la  couronne  apportée  au  roi  par  un  Ange,  sur  laquelle  les 
juges  de  Rouen  interrogèrent  Jeanne  avec  tant  dinsislance? 

Éclaircissement  du  premier  point. 

Le  signe  du  roi  et  le  seeret  du  roi  sont  une  seule  et  même  chose 
en  ce  qu'ils  constituent  la  preuve  spéciale  que  Jeanne  a  donnée  au 
roi  de  sa  mission  et  qu'elle  a  refusé  constamment  de  faire  con- 
naître à  ses  juges. 

Mais  le  signe  du  roi  n'est  pas  le  seul  signe  donné  au  Roi  par  la 
Pucelle,  bien  qu'il  soit  le  principal,  pai'ce  que  postérieurement  à 
l'audience  de  Chinon  et  à  la  scène  décrite  par  Cousinot  de  Montreuil, 
l'envoyée  de  Dieu  a  donné  au  Dauphin  et  à  ses  conseillers  bien 
d'autres  signes  de  sa  mission  pour  lesquels  elle  n'a  pas  demandé  le 
secret,  et  dont  elle  n'a  pas  fait  mystère  à  ses  juges  de  Rouen. 

Sur  le  signe  du  Roi  envisagé  comme  signe  propre  au  Roi,  la 
Pucelle  déclare  ce  qui  suit  ; 

Elle  a  donné  ce  signe  à  son  Roi;  mais  le  Roi  et  les  témoins  de  la 
scène  seront  seuls  à  le  connaître.  Le  tribunal  de  Rouen  n'en  saura 
jamais  rien. 

Le  juge  interrogateur  lui  demande  :  —  Quel  signe  avez-vous 
donné  à  votre  Roi  pour  prouver  que  vous  veniez  de  la  part  de 
Dieu? 

Jeanne.  —  Je  vous  ai  toujours  répondu  que  vous  ne  me  tireriez 
jamais  cela  de  la  bouche.  Allez  le  lui  demander  à  lui-même. 

Le  JUGE.  —  Mais  vous  savez  bien  quel  signe  vous  avez  donné  à 
votre  roi. 

Jeanne.  —  Vous  ne  saurez  pas  cela  de  moi^. 

Pierre  Cauchon  et  ses  assesseurs  ignoreront  donc  en  quoi  con- 
siste ce  signe.  Ils  n'ignoreront  pas  néanmoins  que  la  jeune  fille  l'a 

1.  Cinquième  interrogatoire  public,  Procès,  t.  I,  p.  90. 


414  APPENDICE    V 

donné  à  son  Roi,  que  le  prince  en  a  été  satisfait  et  que  seigneurs 
et  gens  d'Église  ont  su  qu'il  lui  avait  été  donné. 

«  Pour  ajouter  foi  à  ses  dits,  fait  observer  la  Pucelle.  Charles  Vil 
avait  de  bonnes  enseignes.  Il  eut  un  signe  de  ses  propres  faits  — 
la  révélation  des  prières  dont  nous  avons  parlé  —  avant  de  s'en 
rapporter  à  elle.  Et  interrogée  par  des  gens  d'Église  soit  à  Ghinon, 
soit  à  Poitiers,  les  clercs  de  son  parti  furent  de  cette  opinion  qu'il 
n'y  avait  dans  son  fait  rien  que  de  bon. 

«  Va  sans  crainte,  lui  avait  dit  la  Voix;  quand  tu  seras  devant 
le  Roy,  il  aura  bon  signe  pour  te  recevoir  et  te  croire.  Et  le  Roi  eut 
son  signe,  et  il  lui  dit  qu'il  était  content.  Et  les  clercs  cessèrent  de 
la  tourmenter  lorsque  le  dit  signe  eût  été  donné  ^  w 

Oue  Jeanne,  en  parlant  de  la  sorte,  fasse  allusion  au  secret  dont 
nous  nous  sommes  occupé  tout  à  l'heure,  cela  résulte  du  langage 
qu'elle  tient  au  jeune  prince  après  le  lui  avoir  révélé. 

((  Et  l'Ange,  dit-elle,  c'est-à-dire  elle-même,  la  messagère  de 
Dieu,  remettait  en  mémoire  à  son  Roi  la  belle  patience  qu'il  avait 
montrée  au  milieu  des  grandes  tribulations  qui  lui  étaient  sur- 
venues ".  » 

N'y  a-t-il  pas  en  ces  paroles  une  allusion  transparente  aux 
angoisses  qui  accablaient  le  Dauphin  en  ces  années  si  malheureuses 
du  commencement  de  son  règne,  et  à  la  prière  qu'il  fit  à  Dieu  et  à 
la  bienheureuse  Vierge? 

Nous  avons  dit  que  si  le  secret  rapporté  plus  haut  et  aboutissant, 
à  la  révélation  de  sa  légitimité  fut  le  signe  spécial  qui  permi 
d'abord  à  Charles  Vil  de  reconnaître  la  mission  divine  de  Jeanne, 
il  ne  fut  pas  le  seul.  En  effet,  la  Pucelle  y  en  ajouta  plusieurs 
autres.  Telles  furent  les  révélations  à  portée  objective  que  le  sire 
de  Rotselaer  mentionne  dans  sa  lettre  aux  conseillers  du  duc  de 
Brabant.  Tels  furent  les  signes  qu'elle  donna  à  ses  examinateurs  de 
Poitiers.  Telles  furent  les  pi-omesses  qu'elle  fit  au  jeune  Roi,  que  le 
tribunal  de  Rouen  lui  reprochait,  et  qu'elle  se  garda  bien  de  désa- 
vouer^. Nous  les  avons  rappelées  plus  haut. 

C'est  sa  mission  tout  entière  que  la  jeune  fille  avouait  de  la  sorte 
avoir  exposée  à  Charles  VII,  en  insistant  sur  les  deux  points  qui 
devaient  la  caractériser,  Pexpulsion  des  Anglais,  «  ces  adversaires 
qui  seraient  mis  dehors  »,  et  la  rentrée  en  possession  de  son 
«  roj-aume  tout  entier  ».  Et  c'est  dans  le  séjour  qu'elle  fit  à  Chinon 

1.  IbicL.pp.  73,  i-20,  121. 

2.  Procès,  t.  I,  p.  142. 

3.  Procès,  Réquisitoire,  art.  XVIIl. 


LE    SECRET    ET    LE    SIGNE    DU    ROI  415 

et  Poitiers  que  surgirent  les  occasions  qui  lui  permirent  de  s'expri- 
mer avec  son  roi  en  toute  liberté. 

Éclaircissement  du  second   point 

C'est  assurément  une  chose  étrange  que  l'insistance  des  juges 
de  la  Pucelle  —  si  toutefois  ils  n'ont  pas  altéré  ses  réponses  — 
pour  lui  arracher  toute  cette  histoire  de  la  couronne  apportée  et 
remise  au  roi  Charles  Vil  par  un  Ange  qui  tantôt  parait  être  saint 
Michel,  tantôt  Jeanne  elle-même.  Ils  insistent  parec  qu'ils  s'ima- 
ginent qu'il  s'agit  du  secret  que  la  Pucelle  refuse  de  leur  révéler. 
Et  la  Pucelle  semble  se  prêter  à  leur  insistance  parce  que,  à  la 
faveur  de  cette  feinte,  elle  glisse  une  explication  allégorique  au 
moyen  de  laquelle  le  secret  véritable  demeurera  inviolé*. 

Elle  tient  à  ne  pas  le  livrer,  parce  qu'il  intéresse  l'honneur  de 
la  maison  de  France.  Et  elle  ne  cache  pas  a  ses  juges  sa  ferme 
résolution,  puisque  pressée  de  tout  dire  sur  ce  point,  elle  répond 
jusqu'à  vingt-quatre  fois  qu'elle  «  ne  dira  rien,  que  cela  ne  touche 
pas  au  procès,  qu'elle  ne  pourrait  parler  qu'en  se  parjurant  ». 

Pour  se  garder  de  toute  indiscrétion,  poussée  à  bout  par  ses 
interrogateurs,  la  jeune  fille  s'efforce  de  leur  donner  le  change  en 
leur  présentant  cette  histoire  allégorique  de  la  couronne  remise 
au  roi  par  Jeanne  elle-même,  «  ange  et  messagère  de  Dieu  »  ou 
par  saint  Michel  —  car  ses  réponses  ont  l'un  et  l'autre  sens  — 
dans  une  scène  supra-terrestre  où  l'envojée  de  Dieu  aurait  été 
actrice  et  témoin. 

C'est  l'explication  qu'Edmond  Richer,  à  la  suite  de  Théodore  de 
Lellis  et  de  Paul  Pontanus,  a  donnée  du  langage  et  de  la  conduite 
de  Jeanne  en  ces  circonstances.  Elle  ne  supprime  pas  toutes  les 
difficultés  qui  naissent  des  textes,  mais  elle  résout  les  principales. 
Pour  celles  qui  restent  insolubles,  nous  avons  un  jugement  qui  nous 
dispense  de  les  examiner,  celui  d'un  homme  qui  n'est  pas  suspect, 
Vallet  de  Viriville. 

«  Toute  cette  histoire  de  signe,  d'ange,  dit-il,  paraît  être  quel- 
que pax'odie,  dénaturée  par  la  mauvaise  foi,  des  réponses  que  put 
faire  la  prévenue.  »  {Procès  traduit...,  p.  87,  note  2;  p.  88,  note!.) 

1.  Les  interrogatoires  dans  lesquels  il  est  particulièrement  question 
de  la  couronne  remise  au  Roi  et  considérée  comme  signe  établissant  la 
mission  de  Jeanne  de  par  Dieu,  sont  le  cinquième  interrogatoire  public, 
Procè.t,  t.  (,  90-91  :  —  le  deuxième  interrogatoire  de  la  prison  ou  huitième 
séance  ihid.,  126;  —  le  quatrième  ou  dixi-ème  séance,  140-144.  Voir 
aussi  !o  deuxième  des  douze  articles,  ibid.,  330-3ol. 


416  APPENDICE    V 

Ces  réserves  faites,  nous  répondrons  à  la  question  posée  plus 
haut.  Non,  11  n'existe  aucun  rapport  entre  le  vrai  signe  du  roi. 
celui  par  lequel  Jeanne  lui  a  prouvé  la  réalité  de  sa  mission  de 
par  Dieu,  et  l'allégorie  que  les  juges  de  Rouen  ont  prise  pour  ce 
signe-là.  En  les  suivant  sur  ce  terrain,  en  répondant  à  leurs  inter- 
rogations, la  Pucelle  y  gagnait  de  garder  son  secret,  et  en  effet,  rien 
dans  le  procès  n'a  transpiré  de  la  révélation  qu'elle  fit  à  son  roi. 

Au  demeurant,  en  tenant  compte  des  documents  d'une  part,  des 
interrogatoires  du  procès  de  l'autre,  l'historien  se  trouve  en  pré- 
sence de  deux  signes  qualifiés  de  signes  du  roi  :  le  signe  authen- 
tique et  le  signe  allégorique  ;  l'un  correspondant  à  la  révélation 
par  la  Pucelle  des  prières  connues  de  Dieu  seul  et  de  Charles  Vil  ; 
l'autre  ne  concernant  que  l'entrevue  de  Jeanne  avec  le  Dauphin  à 
Chinon,  et  la  traduction  allégorique  de  l'assurance  qu'elle  lui 
donna,  ainsi  qu'à  l'archevêque  de  Reims  et  à  la  Commission  de 
Poitiers,  qu'il  serait  sacré  à  Reinis  et  recouvrerait  tout  son 
royaume.  L'un  est  le  signe  véritable,  l'autre  n'est  qu'un  signe  de 
circonstance.  A  l'historien  de  ne  pas  les  confondre  et  de  faire  à 
chacun  sa  place. 

IV 

Si  la  Pucelle  a  donné  au  roi  Charles  VII  le  signe  qui  lui  était 
spécial  en  lui  révélant  des  choses  «  connues  de  lui  seul  et  de  Dieu  »  ; 
si  ce  sont  «  les  trois  requêtes  que,  dans  un  moment  de  désespé- 
rance, le  jeune  prince  soumit  au  ciel  »,  l'on  doit  convenir  qu'il 
n'était  pas  possible  à  la  jeune  fille  d'acquérir  cette  connaissance 
par  elle-même,  et  qu'elle  en  a  été  redevable  à  une  illumination 
venue  d'en  haut. 

De  cette  même  manière,  on  s'explique  qu'elle  ait  été  instruite 
du  projet  que  formait  le  Dauphin  de  se  réfugier  en  Ecosse  ou  en 
Espagne,  et  qu'elle  le  lui  ait  rappelé.  Ce  que  la  petite  paysanne 
ignorait,  l'envoyée  de  Dieu  l'apprenait  par  ses  Voix.  Etant  donnée 
la  vérité  du  rôle  que  Jeanne  leur  attribue,  l'historien  catholique 
voit  toutes  les  difficultés  soulevées  par  les  historiens  libre-penseurs 
s'évanouir,  et  il  n'en  est  pas  réduit  comme  eux  à  mutiler  les  textes 
ou  à  les  dénaturer. 

C'est  le  seul  parti  qui  reste  à  la  disposition  des  écrivains  de 
l'école  antitraditionnelle.  Pour  n'avoir  pas  à  expliquer  la  révéla- 
tion du  secret  du  Roi,  ils  la  suppriment.  11  lui  substituent  l'affir- 
mation de  sa  légitimité. 

Frère  Pasquerel,  l'aumônier  de  Jeanne,  déposait  que,  dans  l'en- 


LE    SECRET    ET    LE    SIGNE    DU    ROI  4i7 

trelien  secret  qu'elle  eut  avec  le  Dauphin,  le  jour  de  l'audience  de 
Chinon,  Jeanne  lui  donna  l'assurance  qu'il  était  le  fils  légitime  de 
Charles  YI  et  l'héritier  de  sa  couronne.  [Procès,  t.  IH,  p.  103.) 

Ce  que  frère  Pasquerel  a  omis  de  dire,  c'est  que  cette  assurance, 
pour  être  prise  au  sérieux,  dut  être  précédée  d'un  fait  caractéris- 
tique, d'une  confidence  obligeant  le  Dauphin  à  convenir  qu'elle 
était  vraiment  inspirée  de  Dieu.  Une  garantie  de  ce  genre  faisant 
défaut,  Charles  ne  pouvait  voir  en  ce  propos  qu'une  imagination 
pure,  et  dans  la  Pucelle  qu'une  aventurière  dont  il  devait  surtout 
se  défier. 

Avec  le  fait  de  la  révélation  des  piuères  du  Roi  connues  de  Dieu 
seul,  la  logique  reprend  ses  droits,  et  l'on  conçoit  que  Charles  VU 
ait  accepté  une  assurance  ayant  pour  fondement  une  révélation 
d'ordre  vraiment  surhumain. 

Cette  révélation,  les  historiens  antîtraditionnels  la  réduisent  à 
rien.  Ainsi,  au  cours  de  son  récit,  Henri  Martin  s'exprime  comme 
s'il  ne  doutait  pas  de  l'authenticité  de  la  dite  révélation.  Mais, 
arrivé  aux  Éclaircissements,  la  peur  du  surnaturel  s'empare  de  lui 
et  il  retire  ce  qu'il  paraissait  avoir  avancé.  11  borne  la  révélation 
de  l'héroïne  à  l'affirmation  de  la  légitimité  de  la  naissance  du 
Dauphin,  et  il  n'admet  que  de  vagues  rapports  entre  le  langage  de 
Jeanne  et  la  teneur  des  prières  du  roi.  {Jeanne  d'Arc,  p.  42,  43, 
322:  in-12,  Hachette,  1857.) 

On  ne  saurait  trop  le  redire,  vouloir  à  tout  prix  bannir  le  sur- 
humain, le  miraculeux  de  l'histoire  de  Jeanne  d'Ax'c,  c'est  travestir, 
dénaturer  cette  histoire  tout  entière. 

Un  procédé  non  moins  suspect  est  celui  des  historiens  qui,  pour 
se  débarrasser  du  divin,  attribuent  ci  l'héroïne  des  facultés  psy- 
chiques d'un  ordre  exceptionnel.  C'est  le  procédé  cher  à  H.  Martin 
et  à  J.  Quicherat.  Nous  sommes  surpris  qu'il  ait  séduit  un  esprit 
aussi  positif  que  M.  Andrew  Lang.  Ce  critique  convient  que  bien 
des  particularités  de  la  vie  de  Jeanne,  telles  que  le  secret  du  Roi 
semblent  dépasser  les  limites  du  pouvoir,  humain.  Elles  «  semblent  » 
seulement.  Au  fond,  le  critique  anglais  reste  persuadé  que  ces  phé- 
nomènes, quelque  exceptionnels  qu'ils  soient,  «  ne  dépassent 
nullement  ces  limites.  »  (Andrew  Lang.  La  Jeanne  d'Arc  d'A. 
France,  p.  162-163,  in-18,  Paris,  1909.) 

Mais  d'où  vient  que  ces  «  phénomènes  déconcertants  »  ne  se 
rencontrent  que  dans  une  seule  histoire  et  en  telle  quantité,  l'his- 
toire de  notre  grande  Française,  de  notre  grande  sainte,  Jeanne 
d  Arc  ? 


APPENDICE  VI 

LA  PUCELLE    A-T-ELLE    ÉTÉ    PRISE    SUR    LE    TERRITOIRE 
DU    DIOCÈSE    DE    BEAUVAIS^ 

De  l'élude  des  documents  il  résulte  que  le  procès  de  la  Pucellen'a 
pas  été  un  procès  d'inquisition  proprement  dite,  avec  l'inquisiteur 
pour  juge  principal;  il  a  été  un  procès  dit  «  de  lOrdinaire  »,  avec 
un  évéque  pour  principal  juge,  l'évêquedeBeauvais,  et  un  inquisiteur 
pour  juge  assistant.  Jean  Lemaître,  vice-inquisiteur  de  Rouen. 

Ce  n'élait  pas  à  ce  dessein  que  s'était  arrêtée  tout  d'abord  T  Uni- 
versité de  Paris. 

Dès  la  première  heure,  elle  ne  songeait  qu'à  faire  livrer  la  pri- 
sonnière des  Anglais  à  l'inquisiteur  et  à  la  faire  juger  dans  Paris 
même.  De  là  la  lettre  que  le  26  mai,  c'est-à-dire  deux  jours  après 
la  sortie  de  Compiègne,  frère  Billory,  vicaire  général  du  grand 
inquisiteur,  écrivait  au  duc  de  Bourgogne. 

C'est  à  sa  personne  qu'il  demandait  que  Jeanne  fût  livrée 
«  pour  ester  par  devant  nous  à  droit  contre  le  procureur  de  la 
sainte  inquisition.  »  [Procès,  t.  1,  p.  12,  13.) 

Il  en  fut  autrement. 

Dans  le  mois  de  juillet  qui  suivit,  [un  personnage  nouveau, 
l'évêque  de  Beauvais,  entrait  en  scène.  Ce  prélat  prétendit  être  le 
juge  propre  et,  selon  le  terme  juridique,  «  Ordinaire  »  de  Jeanne 
d'Arc  :  cela  parce  qu'elle  aurait,  d'après  lui,  été  prise  sur  le  terri- 
toire de  son  diocèse. 

Tout  heureux  de  cette  revendication,  les  dirigeants  de  la  politique 
anglaise  donnèrent  satisfaction  à  l'évêque.  En  conséquence,  ils 
arrêtèrent  que  le  procès  de  la  Pucelle  serait  jugé  non  à  Paris, 
mais  à  Rouen,  non  par  l'inquisiteur  de  France,  mais  par  l'évêque 
de  Beauvais  à  titre  de  juge  «  Ordinaire  »,  avec  un  inquisiteur  pour 
l'assister. 

En  se  prononçant  de  la  sorte,  les  régents  de  France  et  d'Angle- 
terre avaient  leurs  raisons.  A  Paris,  l'ennemie  des  Anglais  eût 

1.  Cet  Appendice  développe  et  complète  la  Noie  explicative  des 
pages  16fi,  167. 


DU    DIOCESE    OÙ    JEANNE    FUT    PRISE  419 

échappé  peut-être  à  une  condamnation  capitale.  A  Rouen,  avec 
l'évêque  de  Beauvais  pour  juge  principal,  des  soldats  anglais  pour 
garnisaires,  les  conseillers  royaux  pour  surveiller  et  au  besoin  gui- 
der les  débats,  tous  obstacles  sérieux  étaient  écartés  et  les  vaincus 
d'Orléans  et  Patay  restaient  assurés  de  leur  vengeance. 

I 

Nous  ne  venons  pas  rechercher  présentement  si,  même  en  admet- 
tant que  la  Pucelle  ait  été  prise  sur  le  territoire  du  diocèse  de 
Beauvais,  Pierre  Cauchon  devenait  par  cela  même  son  juge  com- 
pétent et  «  Ordinaire  ».  C'est  là  une  question  de  droit  canonique 
que  les  docteurs  de  la  réhabilitation  ont  tranchée  négativement. 
On  n'a,  pour  s'en  convaincre,  qu'à  lire  les  pages  189-192  du  mémoire 
de  l'évêque  de  Lisieux,  Thomas  Basin,  dans  les  Mémoires  et  Consul- 
tations publiées  par  M.  P.  Lanéry  d'Arc  (in-8°,  A.  Picard,  1889).  La 
conclusion  à  laquelle  les  raisons  invoquées  aboutissent  est  celle-ci  : 

Concludo  ex  incompetentia  judicum  et  fori,  processum  et  senten- 
tiam  contra  Johannam  habitos  cornière  et  nullos  de  jure  existere. 
[Op.  cit.,  p.  192). 

La  question  que  nous  voudrions  examiner  est  purement  histo- 
rique et  documentaire,  à  savoir  si,  comme  l'a  prétendu  le  juge  de 
la  Pucelle,  le  point  de  territoire  sur  lequel  elle  fut  prise  apparte- 
nait ou  non  au  diocèse  de  Beauvais.  Edmond  Richer  le  nie  à  plu- 
sieurs reprises  dans  son  histoii*e  de  l'héroïne.  Éditeur  de  son 
ouvrage,  il  est  naturel  que  nous  nous  demandions  si  les  documents 
connus  appuient  son  sentiment  ou  le  combattent. 

Précisons  le  point  à  éclaircir  et  notons  d'où  vient  la  difficulté. 

Le  point  à  éclaircir  est  celui-ci.  En  affirmant  que  la  Pucelle  a 
été  faite  prisonnière  sur  le  territoire  du  diocèse  de  Beauvais, 
l'évêque  Pierre  Cauchon  en  a-t-il  fourni  la  preuve  ;  s'il  ne  l'a  pas 
fournie,  existe-t-il  et  a-t-on  ultérieurement  découvert  des  pièces 
suppléant  à  son  silence  ? 

Quant  à  l'origine  de  la  difficulté,  elle  se  trouve  dans  ce  fait  peu 
connu  que,  au  temps  de  Jeanne  d'Ai'c,  la  ville  de  Compiègne 
appartenait,  non  au  diocèse  de  Beauvais,  mais  au  diocèse  de  Sois- 
sons.  Jeanne  ayant  été  prise  sur  un  terrain  dépendant  de  la  ville 
de  Compiègne,  rive  droite  de  l'Oise,  la  question  serait  de  savoir  si 
Compiègne  en  cette  partie  de  son  territoire  n'était  plus  du  diocèse 
de  Soissons,  mais  de  celui  de  Beauvais.  La  Lrallia  Christiana,  t.  X, 
XI,  affirme  expressément  que  la  ville  de  Compiègne  dépendait 
du   diocèse  de    Soissons.    Reste  à   savoir  s'il  en  était  de  même 


420  APPENDICE    Vr 

de  la  partie  de  son  territoire  qui  se  trouvait  sur  la  rive  droite  de 
l'Oise,  au  delà  du  pont. 

II 

En  revendiquant  le  di'oit  de  juger  la  Pucelle  à  titre  de  «  Juge 
ordinaire  »,  et  en  fondant  sa  revendication  sur  le  fait  qu'elle  était 
sur  un  point  de  son  diocèse  quand  elle  tomba  dans  les  mains  de 
ses  ennemis,  l'évêque  de  Beauvais  a-t-il  produit  au  procès  la  preuve 
de  ce  fait  ;  à  son  défaut,  l'Université  de  Paris,  le  roi  d'Angleterre 
l'ont-ils  produite? 

Cette  preuve,  on  la  cherche  en  vain  au  procès  et  ailleurs.  Il  ne 
paraît  pas  qu'on  ait  songé  un  instant  à  la  donner.  L'évêque  affirme, 
l'Université  affirme,  le  roi  d'Angleterre  affirme  ;  ils  ne  prouvent 
pas.  Gomme  il  s'agit  d'une  chose  nullement  évidente,  un  petit  bout 
de  preuve  n'eût  pas  été  inutile. 

La  preuve  que  le  procès  de  condamnation  ne  présente  pas,  les 
enquêtes  de  la  revision  ne  la  donnent  pas  davantage.  On  y  trouve 
mentionné  le  bruit  que  Jeanne  avait  été  prise  sur  le  territoire  du 
diocèse  de  Beauvais  ;  mais  on  n'y  trouve  pas  autre  chose.  Des  125 
témoins  entendus  en  1455-1456,  cinq  seulement  font  allusion  à  la 
prise  delà  Pucelle  :  les  deux  notaires-greffiers  du  procès,  G.  GoUes 
et  G.  Manchon,  l'assesseur  Thomas  de  Gourcelles,  l'appariteur 
Leparmentier  et  le  chanoine  André  Marguerie. 

Le  notaire-greffier  G.  Colles  dit  bien  que  l'évêque  de  Beauvais 
justifiait  sa  qualité  de  juge  de  Jeanne  par  ce  fait  quelle  aurait  été 
prise  dans  les  limites  du  diocèse  de  Beauvais  ;  mais  il  ne  dit  pas 
que  l'évêque  en  ait  jamais  fourni  la  preuve. 

«  Episcopus  Belvacensis,  dépose-t-il,  incoepit  processum  contra 
Johannam  ex  eo  quod  dicebat  eam  fuisse  captam  infra  metas  diœce- 
cesis  Belvacensis  .  »  (Procès,  t.  ill,  p.  161.) 

Le  notaire-greffier  ,G.  Manchon  n'affirme  pas  autre  chose.  «  La 
Pucelle,  à  ce  qu'on  disait,  avait  été  prise  dans  le  diocèse  de  Beau- 
vais. C'est  pourquoi,  ajoute-t-il,  l'évêque  de  Beauvais  prétendait  être 
son  juge,  et  il  prit  tous  les  moyens  pour  qu'elle  lui  fut  livrée.  — 
Ut  dicebatur,  Johanna  capta  fuit  in  diœcesi  Beloacensi...  »  {Ibid.,  p. 
134.) 

D'après  Thomas  de  Gourcelles,  «  si  l'évêque  P.  Gauchon  se  char- 
gea du  procès  de  Jeanne,  c'est  parce  qu'il  était  conseiller  du  roi 
d'.Vngleterre  et  que  Jeanne  avait  été  prise  sur  son  territoire:  Quia 
erat  episcopus  Belvacensis  in  cujus  territorio  ipsa  Johanna  fuerat 
capta  et  apprehensa.  {Ibid.,  p.  57.) 


DU    DIOCESE    OÙ    JlîANNE    FUT    PRISE  421 

Courcelles  rappelle  l'affinnation  du  prélat  ;  il  ne  parle  ni  d'en- 
quête officielle,  ni  de  preuve  apportée,  ni  de  vérification  person- 
nelle. 

I/appariteur  Leparmentier  et  le  chanoine  André  Marguerie  ne 
mentionnent  le  fait  que  par  ouï-dire.  «  On  disait,  dépose  Lepar- 
mentier, que  la  Pucelle  avait  été  prise  dans  le  diocèse  de  Beau- 
vais  :  —  dicebalur...»  {Ibi(l.,p.  185.) 

—  «  Ce  que  j'ai  ouï  dire,  ajoutait  André  Marguerie,  c'est  que 
Jeanne  avait  été  prise  en  deçà  des  limites  du  diocèse  de  Beauvais, 
près  de  Compiègne.  »  {Ibid.,  p.  182,  183.) 

III 

Jusqu'ici  nous  sommes  en  présence  d'une  opinion  qui.  d'un  côté, 
intéresse  et  favorise  trop  les  personnages  qui  l'ont  émise  pour  être 
acceptée  sans  preuves,  et  qui,  d'un  autre  côté,  en  fait  de  preuves, 
ne  peut  invoquer  qu'une  rumeur  sans  fondement. 

C'est  chose  i-egrettable  que  les  docteurs  de  la  revision  n'aient 
point  fait  porter  leurs  investigations  sur  ce  sujet.  Ils  auraient  pu 
relever  dans  la  lettre  du  roi  d'Angleterre  du  3  janvier  1429  (nou- 
veau style)  des  expressions  comme  celles-ci  :  que  Jeanne  «  a  été 
prise  armée  devant  Compiègne,  —  es  termes  et  limites  du  diocèse 
de  Beauvais  {Procès,  1. 1,  p.  18)  ;  »  et  dans  la  lettre  de  l'Université  de 
Paris,  cette  restriction  :  «  en  la  juridiction  de  nostre  très  honoré 
seigneur,  l'évesque  de  Beauvais,  comme  on  dit  {Ibid.,  p.  11).  »  L'Aima 
parens  n'en  était  donc  pas  bien  certaine.  Le  canoniste  Paul  Pon- 
tanus  s'en  est  souvenu  lorsqu'il  posait  la  question  de  la  compé- 
tence de  l'évêque  de  Beauvais  en  ces  termes  : 

An  dicti  processus  et  sententia  nuliitati  subjiciantur,  cum  dominus 
Belvacensis  7ion  videatur  fuisse  competens  judex,  etiam  dato  quod 
esset  in  ejus  territorio  capta?  {Procès,  t.  Il,  p.  64.) 

Toutefois  il  faut  arriver  au  premier  quart  du  xva"  siècle  pour 
rencontrer  la  négation  catégorique  de  la  prétention  de  Pierre 
Cauchon,  sous  la  plume  d'un  historien.  On  a  pu  la  voir  énoncée  au 
premier  livre  de  l'ouvrage  d'Edmond  Richer,  p.  161  et  suiv.  Et  il  ne 
se  borne  pas  à  cette  rectification.  Il  y  revient  au  livre  II  dans  sa  cri- 
tique du  procès,  toutes  les  fois  que  l'occasion  lui  en  est  donnée,  et 
particulièrement  dans  les  trois  passages  suivants  : 

Dans  VAdvertissement  sur  la  lettre  de  l'Universitéde  Paris,  au  duc 
de  Bourgogne,  E.  Richer  écrit  : 

«  L'Université  requiert  que  la  Pucelle  soit  envoyée  à  Paris,  ou 


422  APPENDICE    VI 

mise  entre  les  mains  de  l'Évesque  de  Beauvais,  en  tant  qu'ils  pré- 
tendent qu'elle  avoit  été  prise  en  son  diocèse  ou  jurisdiction  spiri- 
tuelle; chose  faulse  et  supposée,  estant  certain  qu'elle  fut  prise 
au  territoire  de  Compiégne,  qui  est  en  la  jurisdiction  spirituelle  de 
l'Évesque  de  Soissons.  »  (Ms.,  livre  2"  f.  8) 

De  même,  il  fera  suivre  de  ces  lignes  le  texte  de  la  Lettre  du  roi 
d'Angleterre  : 

Cette  lettre,  remarque-t-il,  «  ne  contient  autre  chose  de  mémo- 
rable, sinon  que  l'Évesque  de  Beauvais  est  son  féal  conseiller,  et 
qu'il  est  juge  ordinaire  de  la  Pucelle  :  d'autant  qu'elle  a  esté  «prise 
es  limites  de  son  diocèse  »,et  ne  dit  pas  :  «  dans  le  diocèse  positi- 
vement, »  ainsi  qu'il  est  porté  aux  précédentes  lettres.  Or,  est-il 
véi"itable  que  cette  fille  fut  prise  aux  limites  et  non  dans  et  sur 
le  diocèse  de  Beauvais.  » 

Dans  VAdvertissement  qui  suit  la  lettre  de  l'Évêque  Pierre  Cau- 
chon  au  duc  de  Bourgogne  et  au  comte  de  Luxembourg,  le  même 
historien  dit  encore  : 

«  N'est-ce  pas  un  sacrilège, dire  qu'elle  [la  Pucelle]  a  été  prise  en 
son  diocèse  [celui  de  Beauvais]  ?  Or,  les  actes  du  procès,  septième 
séance,  font  foy  qu'elle  a  esté  prise  au-delà  du  pont  de  Compiégne, 
lequel  borne  le  diocèse  de  Beauvais.  » 


IV 


D'après  cette  insistance  de  Richer,  c'était  bien  chez  lui,  non  une 
simple  opinion,  mais  une  conviction  arrêtée  que  Jeanne  avait  été 
faite  prisonnière  sur  le  territoire  de  Compiégne,  et  par  suite  dans 
le  diocèse  même  de  Soissons,  duquel  Compiégne  dépendait  :  et 
l'opinion  du  docteur  de  Sorbonne  a  paru  suffisamment  motivée  à 
quelques  historiens  pour  qu'ils  aient  cru  devoir  s'y  ranger.  Tels 
sont  Lenglet-Dufi'esnoy  et  Voltaire  auxviii''  siècle.  Michelet  au  xix®  ^ 

Quelle  raison  a  pu  les  frapper,  sinon  les  convaincre  ?  11  y  a  eu  du 
moins  celle-ci  :  E.  Richer  parle  d'une  chose  qu'il  semble  avoir  pris 
la  peine  de  vérifier,  à  savoir  que  le  territoire  de  la  ville  de  Com- 


1.  Pour  ne  citer  que  Michelet,  il  s  exprime  ainsi  dans  son  Histoire  de 
France,  t.  V,  p.  115  : 

«  Il  se  trouva  fort  à  point,  —  pour  imposer  le  choix  de  l'évêque  de 
Beauvais  comme  juge  —  que  la  Pucelle  avait  été  prise  sur  la  limite  du 
diocèse  de  Cauchon  :  non  pas,  il  est  vrai  dans  le  diocèse  même  ;  mais 
on  espéra  faire  croire  qu'il  en  était  ainsi.  » 


DU    DIOCESE    OÙ    JEANNE    FUT    PRISE  423 

piègne  situé  sur  la  rive  droite  de  l'Oise  appartenait,  comme  la  ville 
même,  au  diocèse  de  Soissons. 

D'abord,  il  n'y  a  rien  en  cette  opinion  qui  soit  en  désacord  avec 
le  récit  que  la  Pucelle  fait  à  ses  juges  des  cii'constances  dans 
lesquelles  eut  lieu  son  dernier  combat. 

«  Interrogée  si,  en  la  sortie,  elle  passa  par  le  pont,  respondit 
qu'elle  passa  par  le  pont  et  par  le  boulevard,  et  alla  sur  les  gens 
de  Monseigneur  de  Luxembourg  et  les  rebouta  par  deux  fois  ; 
et  à  la  troisième,  les  Anglais  qui  estoient  là  coupèrent  les  chemins 
à  elle  et  à  ses  gens  entre  elle  et  le  boulevard  :  et  pour  ce  se  retraïrent 
ses  gens  ;  et  elle,  en  se  retirant  aux  champs,  en  costé  devers 
Picardie,  prés  du  boulevard,  fut  prise.  Et  estoit  la  rivière  entre 
Compiègne  et  le  lieu  où  elle  fut  prise;  etn'y  avoit  seulement  entre 
le  lieu  où  elle  fut  prise  et  Compiègne  que  la  rivière,  le  boulevard  et 
le  fossé  dudit  boulevard.  » 

Mais  quel  était  «  le  lieu  où  elle  fut  prise  ?  »  D'après-  J.  Quiche- 
rat  {Aperçus  nouveaux,  p.  89),  c'était  «  l'angle  formé  par  le  flanc 
du  boulevard  et  le  talus  de  la  chaussée  »;  et,  doit-on  ajouter,  pour 
tenir  compte  des  détails  donnés  par  la  Pucelle,  angle  prolongé  par 
la  rivière  du  côté  du  boulevard,  dans  la  direction  de  la  Picardie  et 
du  nord. 

A  inférer  de  cette  description  que  le  champ  où  l'héroïne  fut 
faite  prisonnière  était  tout  proche,  sinon  partie,  du  terrain  sur 
lequel  avait  été  consti'uit  le  boulevard,  et  ressortissait  du  diocèse 
duquel  ressortissait  au  nord  du  boulevard,  la  rive  droite  de  la  riviè- 
re: En  tout  cas,  c'est  chose  indubitable  que  Jeanne  n'a  pas  été 
prise  dans  les  champs,  en  plein  diocèse  de  Beauvais,  mais  sur  la 
rive  droite  de  l'Oise,  à  proximité  du  boulevard  qui  défendait  le 
pont  de  la  place,  «  devant  Compiègne  »,  comme  le  dit  la  lettre  du 
roi  d'Angleterre  ;  Compiègne,  dont  la  rivière  seule  la  séparait.  » 

Selon  toute  vraisemblance,  ce  point  faisait  partie  du  territoire  de 
la  ville  qui,  bien  que  bâtie  sur  la  rive  gauche  de  l'Oise,  possédait 
sur  la  rive  droite,  comme  toutes  les  villes  en  pareille  situation,  et 
comme  elle  possède  aujourd'hui,  des  terrains  longeant  le  fleuve.  De 
ces  terrains,  d'après  E.  Richer,  ceux  de  la  rive  droite  au-dessous 
du  pont  et  du  boulevard,dans  la  direction  du  sud  et  de  l'ouest, appar- 
tenaient au  diocèse  de  Beauvais. %Ceux  qui  étaient  au-dessus  du 
pont,  dans  la  direction  du  nord  et  de  l'est,  appartenaient  au  dio- 
cèse de  Soissons;  en  sorte  que  jusqu'à  moitié  pont  du  côté  de  la 
rive  droite,  les  diocèses  de  Soissons  et  de  Beauvais  étaient  limitro- 
phes. Voici  d'ailleurs  les  termes  d'E.  Richer. 

«  Les  actes  du  procès,  dit-il,  portent  que  Jeanne   fut  prise  au- 


4_*  Al'l'li.NUICJi     VI 

delà  du  pont  de  Compiègne,  du  coslé  de  Picardie,  tirant  vers 
Noyon.  Ce  que  pour  donner  à  entendre,  faut  remarquer  que  la 
rivière  d'Oise  arrose  les  murailles  de  Compiègne  du  côté  de 
septentrion,  et  que  le  pont  est  hors  la  ville  du  mesme  costé,  fai- 
sant la  séparation  du  diocèse  de  Beauvais  et  de  Soissons  :  telle- 
ment que  la  partie  du  pont  qui  est  à  l'occident  est  du  diocèse  de 
Beauvais,  et  que  l'autre  partie  qui  est  à  l'orient  du  coté  de 
Noyon,  est  du  diocèse  de  Soissons.  Donc  la  Pucelle  ayant  esté  prise 
au-delà  du  pont,  du  costé  de  Picardie,  vers  l'orient,  et  ayant  eu  la 
rivière  d'Oise  et  le  boulevard  de  Compiègne  à  l'opposite  du  lieu 
où  elle  fut  prise,  il  est  certain  qu'elle  n'estoit  pas  justiciable  de 
l'évesque  de  Beauvais,  ainsi  que  tous  ceux  qui  ont  écrit  en  la 
revision  du  procez  remarquent.  »  {Histoire...,  liv.  I,  p.  161.) 

C'est,  en  d'autres  termes,  ce  que  nous  disions  tout  à  l'heure. 
D'après  notre  historien,  le  pont  de  Compiègne,  au  xv''  siècle,  sur 
la  rive  droite  de  l'Oise  marquait  la  limite  des  deux  diocèses.  La 
partie  au  sud  du  pont  était  du  diocèse  de  Beauvais;  la  partie  au 
nord  du  pont  était  du  diocèse  de  Soissons.  Or,  Jeanne  avait  été 
prise  en  cette  partie-là.  entre  le  boulevard  et  la  rivière. 

Edmond  Richer  présente  cette  limitation  comme  de  notoriété 
publique  de  son  temps.  Par  suite  de  la  position  de  Compiègne 
débordant  l'Oise  du  côté  de  la  rive  droite,  il  n'y  avait  rien  que 
de  raisonnable  à  ce  que  cette  rive  dépendit  tout  ensemble  des 
paroisses  situées  à  l'intérieur  de  la  ville,  ainsi  qu'on  le  voit 
aujourd'hui,  et  du  diocèse  duquel  ces  paroisses  mêmes  dépen- 
daient. 


L'érudition  de  nos  contemporains  qui  a  éclairci  bien  des  points 
relatifs  à  l'histoire  de  la  Pucelle,  n'a  découvert  aucune  pièce,  aucun 
document  de  nature  à  confirmer  ou  à  contredire  pertinemment 
l'opinion  d'Edmond  Richer  sur  la  question  que  nous  venons  d'ex- 
poser. Une  carte  détaillée  des  deux  diocèses  de  Beauvais  et  de 
Soissons  du  xV  au  xix^  siècle,  de  source  officielle  ou  officieuse, 
eût  rendu  de  grands  services  aux  historiens.  Cette  carte,  ils  l'ont 
cherchée  en  vain.  La  seule  qu'ils  aient  à  leur  disposition  est  celle 
qu'on  trouve  en  tête  du  tome  X  de  la  Gallia  christiana,  et  elle  est 
loin  de  résoudre  les  difficultés.  Pourtant,  en  fait  de  document,  on 
a  retrouvé  les  mémoii-es  d'un  annaliste  de  la  fin  du  xvif^  siècle  qui 
nous  donnent  sur  Compiègne,  à  cette  époque,  des  renseignements 
dignes  d'intérêt. 


DU    DIOCESE    OU    JEANNE    FUT    PRISE  425 

Cet  annaliste  est  un  certain  Claude  Picard,  procureur  de  la  ville, 
qui  avait  l'habitude  de  noter  au  jour  le  jour  les  événements 
survenus  de  son  temps.  Le  président  de  la  société  historique  de 
Compiégne,  M.  de  Bonnault,  se  porte  garant  de  la  conscience  et 
de  l'exactitude  de  cet  auteur.  Jamais,  à  ce  qu'il  assure,  il  ne  l'a 
trouvé  en  désaccord  avec  les  archives  de  la  ville.  11  a  puisé  en  son 
manuscrit  bon  nombre  d'informations  dont  il  a  enrichi  l'étude 
historique  qu'il  va  publier  à  la  librairie  Champion  de  Paris  sous 
ce  titre  :  Compiégne  pendant  les  guerres  de  religion  et  de  la  ligue. 

Or,  à  l'occasion  du  transport  des  restes  mortels  de  Henri  III  à 
Compiégne  en  lf>89,  l'annaliste  Picard  fait  allusion  dans  son  récit 
à  la  limite  des  deux  diocèses  de  Beauvais  et  de  Soissons. 

Le  cercueil  royal  devait  être  remis  au  prieur  et  au  clergé  de 
Saint-Corneille.  La  cérémonie  eut  lieu  le  15  août.  «  Le  funèbre 
dépôt,  raconte  M.  de  Bonnault  d'après  Picard,  avait  été  confié  à 
l'évéque  de  Beauvais,  Nicolas  Fumée,  confesseur  du  roi  trépassé. 
Arrivé  à  la  croix  qui  s'élevait  sur  le  pont  de  Compiégne,  l'évéque 
en  habit  épiscopal  remet  le  corps  du  feu  roi  à  la  garde  du  prieur 
de  Saint-Corneille,  et  prend  soin  d'en  faire  dresser  procès-verbal 
par  deux  notaii'es  de  Compiégne,  Bleuet  et  Jean  de  Pronnay.  » 
[Ouvrage  cité,  p.  251-253.) 

La  ci'oix  dont  il  est  question  était  placée  au  milieu  du  vieux 
pont  de  Compiégne.  Il  subsiste  encore  une  amorce  de  ce  pont  qui 
fut  démoli  sous  le  règne  de  Louis  XV. 

Le  procès-verbal  dressé  par  ordre  de  l'évéque  de  Beauvais  a  été 
conservé.  M.  de  Bonnault  a  bien  voulu  nous  en  procurer  une  copie 
authentique.  11  est  conçu  en  ces  termes. 

Procès-verbal  de  la  remise  du  corps  de  Henri  III  au  prieur  de 
saint  Corneille. 

'(  A  tous  ceulx  qui  ces  présentes  lettres  verront,  Anthoine 
Cacquin,  garde  des  sceaux  roiaulx  de  la  baillie  de  Senlis,  et  Pierre 
Lefebvre.  tabellion  de  par  le  Roy  nostre  sire  es  prevostez  et  chas- 
tellenyes  de  Compiégne  et  de  Choisy,  salut.  Sçavoir  faisons  que  le 
mardy  quinzième  jour  d'aoust  mil  cinq  cens  quatre  vingt  neuf  de 
rellevée,  en  la  personne  de  Raoul  Bleuet  et  Jehan  de  Pronnay, 
notaires  roiaulx  audict  Compiégne,  révérend  père  en  Dieu  messire 
Nicolas  Fumée,  évesque  et  comte  de  Beauvais,  pair  de  Fi-ance, 
estant  au  diocèse  de  Beauvais,  sur  le  pont  de  Compiégne,  au 
devant  de  la  croix,  a  consigné  et  mis  es  mains  des  religieux, 
prieur  et  couvent  de  saint  Corneille  au  dit  Compiégne,  le  corps  du 


426  APPENUICE    VI 

feu  Roy  Henry  Iroisiesme,  roy  de  France  et  de  Polongne,  pour  en 
avoir  la  garde,  du  commandement  de  Sa  Majesté  et  jusque 
que  aultrement  par  icelluy  en  soit  ordonné,  et  de  y  faire  prières 
continuelles  pour  son  âme,  tant  pour  estre  mort  comme  il  a  vescu 
enla  relligion  catholique,  apostolique  et  romaine  pour  laquelle  il 
auroit  exposé  souvent  sa  personne  en  danger  et  du  bon  office  et 
debvoir  rapporté  des  grandes  et  signalées  victoires  des  hérétiques, 
que  pour  estre  les  dits  relligieux  de  la  fondation  de  ses  prédé- 
cesseuVs  Roys  à  la  succession  desquels  ils  ont  obligation  :  pour 
lesquelles  considérations,  sa  dicte  Majesté  auroit  ordonné  son  dict 
corps  y  estre  consigné  :  et  à  cette  fin  ledict  sieur  evesque  a  esté 
commis,  envers  laquelle  et  pour  sa  descharge  auroit  requis  et  est  à 
luy  accordé  ce  présent  acte  pour  luy  servir  en  temps  et  lieu  ce  que 
de  raison.  En  tesmoins  de  ce,  nous  avons  scellé  ces  présentes  qui 
furent  faictes  et  passées  l'an  et  jour  et  en  la  forme  et  manière  que 
dessus,  et  ont  ledist  sieur  evesque,  comme  pareillement  Lesset  le 
clerc,  Telon  et  Vincent,  signé.  —  Bleuet. 

Collation  faite  à  la  minute  du  dict  Lefebvre  tabellion. 

De  Pronnay. 

Biblioth .   de  Compiègne,  B.  P.  9.,  fol.  5  (en  parchemin). 


VI 

Maintenant  que  le  texte  du  procès-verbal  lui-même  a  passé  sous 
les  yeux  du  lecteur,  qu'on  nous  pei'mette  une  question . 

Existe-t-il  une  contradiction  formelle  entre  lopinion  de  Richer 
présentée  plus  haut  et  le  contenu  du  procès-verbal  ? 

Il  n'en  existe,  ce  nous  semble,  aucune.  Le  dit  procès-verbal 
n'affirme  rien  concernant  les  limites  des  diocèses  de  Beauvais  et 
de  Soissons.  11  dit  que  «  sur  le  pont  de  Compiègne,  au  devant  de 
la  croix,  l'évèque  Nicolas  Fumée  a  consigné  et  mis  entre  les 
mains  des  religieux  de  Saint-Corneille  le  corps  de  feu  Roy  Henry 
troisième.  »  11  n'ajoute  pas  que  cette  croix  «  marquait  la  limite 
des  deux  diocèses  ». 

11  est  vrai  que  M.  de  Bonnault  l'ajoute  «  d'après  une  phrase 
jointe  au  récit  de  Picard  qu'il  suppose  être  de  Picard  lui-même.  » 

Cette  phrase,  qu'on  retrouve  dans  D.  Bertheaud,  est  celle-ci  : 

«  Le  corps  fut  conduit  par  Tévesque  de  Beauvais  jusqu'à  la 
croix  qui  est  dessus  le  pont  de  Compiègne  et  qui  est  la  limite  de 
son  diocèse.  »  Dibl.  nation.,  Picardie  XX.  M'  f.  372,  v"  et  suiv.  — 
D.  Bertheaud.) 


DU    DIOCESE    OÙ    JEANNE    l'Ul'    PIUSE  427 

0  Cette  question  de  limite,  conclut  M.  le  Président,  n'est  pas 
chose  même  discutable  pour  nous.  » 

Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  appréciation,  l'on  conviendra  que  la 
méthode  suivie  pourrait  être  plus  rigoureuse.  En  somme,  ce  sont 
des  hypothèses  qu'on  invoque  pour  conclure  à  un  fait  positif.  On 
«  suppose  »  que  l'annaliste  Picard  a  fait  sienne  la  phrase  de  Dom 
Bertheaud,  et  on  «  suppose  >>  qu'il  ne  s'est  pas  trompé.  Deux  hypo- 
thèses, c'est  beaucoup,  c'est  même  trop. 

Cette  dualité  d'hypothèses  se  complique  d'un  oubli  ou  d'un 
défaut  de  précision.  L'annaliste  cité  oublie  ou  néglige  de  préciser 
de  quelle  manière  la  croix  du  vieux  pont  de  Compiègne  délimitait 
les  deux  diocèses.  Si  aucun  autre  texte  ne  pouvait  être  opposé, 
l'explication  la  plus  obvie  consisterait  à  donner  au  diocèse  de 
Soissons  le  côté  du  pont  aboutissant  à  la  ville  de  Compiègne,  et 
au  diocèse  de  Beauvais  le  côté  aboutissant  à  la  rive  droite.  Mais  il 
y  a  le  texte  dEdmond  Richer,  et  l'historien  de  la  Pucelle  est  un 
auteur  trop  sérieux  pour  le  taxer  de  légèreté  et  ne  tenir  aucun 
compte  de  ce  qu'il  a  écrit. 

A  ce  point  de  vue,  la  comparaison  entre  l'annaliste  inconnu 
Picard  et  le  docteur  de  Sorbonne  ne  peut  tourner  qu'en  faveur  de 
ce  dernier.  De  plus,  les  deux  écrivains  sont  du  même  temps -.l'un  et 
l'autre  vivaient  à  la  fin  du  xvi"  siècle.  Richer  n'avait  que  trente  ans 
environ  lorsqu'on  transporta  le  corps  de  Henry  111  à  Compiègne. 
Us  ont  pu  donc  être  également  bien  informés.  Il  ne  serait  pas 
juste  sans  doute  de  sacrifier  Claude  Picard  à  Richer.  11  ne  le 
serait  pas  davantage  de  sacrifier  Richer  à  Claude  Picard. 

Au  demeurant  ne  serait-il  pas  possible  de  concilier  leurs  opi- 
nions ?  Examinées  de  près,  elles  ne  se  contredisent  assurément 
pas. 

Qu'affirme  Picard?  Que  la  croix  du  milieu  du  pont  délimite  les 
deux  diocèses,  sans  déterminer  de  quelle  manière. 

Qu'affirme  Richer?  Que  c'est  le  pont  qui  marquait  cette  limite. 
S'il  ne  parle  pas  de  la  croix,  il  tie  la  nie  pas  non  plus,  et  ses  expli- 
cations se  concilient  parfaitement  avec  l'existence  et  la  destination 
de  la  dite  croix. 

De  la  sorte  nos  deux  auteurs,  loin  de  se  contredire,  s'éclaire- 
raient réciproquement  et  se  compléteraient.  Du  premier,  l'anna- 
liste Picard,  nous  appi*endrions  qu'au  milieu  dtj  vieux  pont  de 
Compiègne  se  dressait  une  croix  indiquant  l'endroit  où  les  deux 
diocèses  de  Soissons  et  de  Beauvais  se  rencontraient.  Par  le 
second,  l'historien  de  la  Pucelle,  nous  saurions  que  si  la  partie  de 
la  rive  droite  située  au  sud  et  à  l'ouest  du  pont  était  du  diocèse 


428  APPEiNDICE    VI 

de  Beauvais,  la  partie  septentrionale  que  Compiègne  possédait  de 
ce  même  côté  était  néanmoins  du  diocèse  de  Soissons;  chose 
des  plus  naturelles,  la  ville  dans  son  ensemble  étant  de  ce  diocèse. 

Et  nous  ne  découvrons  pas  de  raison  suffisante  pour  renoncer  à 
ce  projet  de  conciliation  dans  l'opuscule  publié  par  M.  le  chanoine 
Ledouble  sur  le  passage  de  Jeanne  d'Arc  dans  les  diverses  régions  de 
l'Aisne  (in-12  de  29  pages,  Soissons,  1909).  Cet  érudit  cite  un 
écrivain  de  la  seconde  moitié  du  xviu*=  siècle  qui  confirme  ce  que 
Claude  Picard  a  dit  de  la  croix  du  pont  de  Compiègne  et  de  la 
limite  qu'ejle  marquait.  Dans  son  Etat  du  diocèse  de  Soissons. 
publié  en  1773,  cet  écrivain,  nommé  Rouiller,  donne  des  détails 
sur  cette  croix.  Elle  était  posée  sur  une  colonne  quadrangulaire 
à  la  façon  des  obélisques,  s'élevant  vers  le  milieu  du  pont,  côté 
amont. 

Mais  qu'inférer  de  ces  détails  dans  la  question  présente  ? 
Mettons  que  le  dit'  Houiller  nous  parle  de  ce  qu'il  a  vu.  Edmond 
Richer  aussi  dans  son  histoire  parle,  non  de  ce  qu'il  imagine  ou  sup- 
pose, mais  de  ce  qu'il  a  vu  et  constaté.  Les  raisons  décisives  pour 
rejeter  ce  qu'il  assure  sont  à  trouver.  Encore  un  coup,  dans  ce 
qu'il  avance,  il  n'y  a  rien  que  de  vraisemblable.  11  est  tout  naturel 
que,  au  xv^  et  xvi^  siècle,  Compiègne  et  le  diocèse  duquel  cette 
ville  dépendait  possédassent  sur  la  rive  droite  de  l'Oise  un  terri- 
toire bien  à  eux,  ainsi  qu'on  le  voit  dans  la  plupart  des  villes 
bâties  sur  les  bords  d'une  rivière.  L'auteur  de  Compiègne  au  temps 
de  la  ligue  convient  qu'à  cette  époque  «  l'élection  de  Compiègne 
embrassait  partie  de  la  rive  droite  de  l'Oise  » .  Pourquoi  n'en  eût- 
il  pas  été  de  même  au  point  de  vue  religieux'?  Est-ce  que,  de  nos 
jours,  le  point  de  la  rive  de  lOise  où  la  Pucelle  fut  prise  n'appar- 
tient pas  à  la  principale  paroisse  de  Compiègne?  (Chan.  Ledouble, 
op.  cit.,  p.  25). 

Ce  sont  là  des  considérations  qui  ne  peuvent  qu'être  favorables 
au  sentiment  de  Richer  sur  la  question  examinée  en  cet  appendice. 
Toutefois,  il  ne  nous  en  coûtera  pas  d'avouer  que  nous  serions 
bien  aise  de  voir  ce  sentiment  embrassé  par  un  plus  grand  nombre 
d'historiens,  et  appuyé  par  des  documents  autres  que  les  pages 
d'Edmond  Richer  lui-même.  Espérons  qu'il  s'en  découvrira  et,  dans 
cet  espoir,  attendons. 


APPENDICE  VII 

LA    MISSION    HISTORIQUE    DE    JEANNE    d'aRC, 
SON    OBJET,    SON    ÉTENDUE 

L'histoire  de  la  Pucelle  est  une  des  belles  pages  de  l'his- 
toire de  l'Église  et  de  notre  histoire  nationale;  et  la  beauté 
de  cette  histoire  tient  principalement  à  la  grandeur  de  la 
mission  dont  l'héroïne  a  été  chargée  de  par  Dieu.  Nous  avons 
rappelé  l'origine  de  cette  mission  et  en  quelques  mots  nous 
en  avons  indiqué  l'objet.  Mais  un  tel  sujet  mérite  d'être  traité 
d'une  façon  plus  approfondie.  Nous  allons  donc  le  reprendre 
et  dire, d'après  les  documents,  quel  a  été  l'objet  de  la  mission 
de  Jeanne  et  quelle  en  a  été  l'étendue.  C'est  de  sa  bouche  que 
nous  recueillerons  les  paroles  qui  mettront  en  lumière  ce  que 
nous  estimons  être  la  vérité. 

I 
Opinions  en  présence 

Critiques  et  historiens  sont  loin  d'être  d'accord  sur  cette 
question.  Longtemps  l'opinion  dominante  a  été  que  la  mis- 
sion historique  de  l'héroïne  n'avait  pour  objet  que  la  levée 
du  siège  d'Orléans,  le  sacre  et  le  couronnement  du  fils  de 
Charles  VI  :  elle  ne  s'étendait  pas  au  delà.  Ainsi  pensait 
Mézeray,  ainsi  pense  Edmond  Richer  lui-même  2;  et  l'un  des 
derniers  historiens  de  Charles  VII,  Du  Fresne  de  Beaucourt, 
a  repris  à  son  compte  cette  opinion  en  invoquant  des  argu- 
ments nouveaux  '. 

1.  Nous  disons  «mission  historique»,  afin  de  la  distinguer  de  la  «mis- 
sion personnelle»  de  l'Envoyée  de  Dieu,  qui  avait  pour  objet  sa  propre 
sanctification. 

2.  Voir  son  Histoire,  livre  I,  p.  138. 

3.  Revue  (les  questions  historiques,  t.  II,  année  1867. 


430  APPENDICE    VII 

Telle  n'est  pas  l'opinion  de  l'éditeur  des  deux  Procès, 
Jules  Ouicherat,  et  du  Révérend  Jésuite,  le  père  Ayroles. 

Au  sentiment  de  Jules  Ouicherat,  la  mission  de  la  Pucelle 
avait  un  objet  qui  dépassait  de  beaucoup  le  sacre  de  Reims, 
la  délivrance  du  pays  et  l'expulsion  des  Anglais  jusqu'au 
dernier.  Mais,  remarque  le  critique  historien,  l'héroïne 
n'ayant  point  expulsé  les  envahisseurs,  «  sa  mission  fut  man- 
quée  ^» 

Le  R.  P.  Ayroles  concède  que  la  mission  de  Jeanne  dépas- 
sait la  levée  du  siège  d'Orléans  et  le  sacre  de  Reims  ;  il  con- 
cède également  qu'elle  n'a  pas  été  remplie.  Il  se  sépare  de 
J.  Ouicherat  par  la  manière  dont  il  explique  qu'elle  ne  l'ait 
pas  été.  Si  Jeanne  ne  l'a  pas  remplie,  ce  n'est  pas,  remarque 
t-il,  par  sa  faute,  mais  par  la  faute  de  ceux  qui  devaient  la 
seconder,  lui  prêter  leur  concours, et  qui  le  lui  ont  refusé. Ces 
personnages  on  les  connaît  :  ce  sont  les  conseillers  de 
Charles  VU,  principalement  la  Trémoille  et  Regnault  de 
Chartres;  c'est,  à  quelques  égards,  Charles  VII  lui-même. 

Ainsi,  d'après  le  révérend  père,  la  mission  de  Jeanne 
se  divise  en  deux  parties  :  l'une  absolue,  qui  comprendrait 
la  levée  du  siège  d'Orléans  et  le  sacre,  partie  qui  aurait  été 
ponctuellement  accomplie  ;  l'autre,  conditionnelle,  qui  ne 
s'est  point  accomplie,  non  parce  que  la  Pucelle  n'a  pas  été 
personnellement  à  la  hauteur  de  sa  tâche,  mais  parce  que 
les  auxiliaires  dont  elle  ne  pouvait  se  passer,  au  moment 
voulu,  lui  ont  fait  totalement  défaut-. 

De  ces  trois  opinions, aucune  ne  nous  satisfait  pleinement. 
La  première  nous  semble  pécher  tout  à  fait  par  la  base. 

Nous  admettons  avec  J.  Quicherat  que  la  mission  de  l'en- 
voyée de  Dieu  avait  pour  objet  le  relèvement  du  royaume 


1.  Aperçus  iiouveaux  sur  l'histoire  de  Jeanne  cVArc,  p.  44.  —  L'au- 
teur fait  observer  qu'il  se  sert  à  dessein  de  «cette  brutale  expression  ». 
Et  Henri  Martin,  Histoire  de  France  t.  VI,  p.  19C  et  seq.,  l'approuve 
pleinement.  Les  deux  historiens  ont  fait  erreur  .-  la  mission  de  la 
Pucelle  n'a  pas  été  «  manquée  »  ;  on  verra  qu'elle  a  été  de  tout  point 
accomplie. 

2.  R.  P.  Ayroles,  La  Pucelle  devant  l'Eglise  de  son  temps,  p.  78-79,  655  , 
—  La  vierge  guerrière,  p.  118-136. 


LA    MISSION    HISTORIQUE    DE    JEANNE    D  ARC  431 

et  s'étendait  jusqu'à*  l'expulsion  des  Anglais  ;  mais  nous  ne 
saurions  admettre  «  qu'elle  ait  été  manquée  ». 

Quant  aux  deux  parties  que  le  R.  P.  Ayroles  distingue 
dans  la  mission  de  Jeanne^  cette  distinction  ne  paraît  pas 
recevable.  D'ordinaire,  les  missions  vraiment,  positivement 
divines,  et  la  mission  de  la  Pucelle  était  de  celles-là,  sont 
absolues. 

A  notre  avis,  l'objet  de  la  mission  de  Jeanne  était  le  relè- 
vement de  la  France  et  l'expulsion  de  l'Anglais  :  l'objet  en 
marquait  l'étendue. 

Sans  doute  la  mission  de  l'héroïne  comprenait  la  levée  du 
siège  d'Orléans  et  le  sacre  de  Reims,  mais  elle  allait  beaucoup 
plus  loin  ;  elle  impliquait  le  relèvement  du  pays,  la  défaite 
des  Anglais,  leur  expulsion  finale,  et  la  recouvrance  du 
royaume  tout  entier  du  vivant  de  Charles  VII. 

Dans  l'accomplissement  de  sa  mission, laPucelle  s'est  révé- 
lée «  voyante  inspirée  et  guerrière  libératrice  ». 

«  Voyante  inspirée  »,  elle  l'a  été  dès  la  première  heure  et 
durant  toute  sa  vie  publique,  même  quand  elle  était  au  pou- 
voir de  ses  ennemis. 

«  Guerrière  libératrice  »,  elle  l'a  été  tant  qu'elle  a  pu  tenir 
une  épée  et  courir  sus  à  l'Anglais. 

Et  ses  prédictions  et  ses  prouesses  ont  eu  pour  effet  de  ra- 
mener la  victoire  sous  le  drapeau  de  la  France,  de  redresser 
les  caractères  ;  et  il  en  est  résulté  ce  relèvement  moral  et 
patriotique  du  pays  qui  l'a  rendu  capable  d'achever  l'œuvre 
que  la  «  Française  au  grand  cœur  »  avait  commencée. 

Le  moment  venu,  Jeanne  annonce  d'abord  sa  mission, 
elle  en  indique  les  deux  phases  l'une  guerrière,  l'autre 
morale;  elle  en  précise  l'objet  et  l'étendue. 

En  même  temps  qu'elle  lannonce,  elle  en  commence  l'exé- 
cution. Elle  en  mène  les  deux  parties  de  front  et  si  bien  que, 
à  sa  mort,  elles  seront  assez  avancées  pour  qu'elle  puisse  in- 
sister de  plus  belle  à  la  face  de  ses  juges  sur  la  certitude  du 
succès  final. 

Sans  doute,  personnellement  elle  ne  sera  plus  là;  mais  elle 
y  sera  toujours  par  ses  vaticinations,  par  son  âme,    par  son 


432  APPENDICE    VII 

souvenir.  A  sa  mission  de  vie  succédera  une  mission  de  sur- 
vie. Ses  anciens  compagnons  d'armes  achèveront  ce  qu'elle  a 
commencé.  Même  après  son  trépas,  sa  voix,  comme  le  dit 
l'Écriture,  ne  cessera  de  se  faire  entendre  :  defuncta,  adhuc 
loquilur.  Poursuivant  la  tâche  commencée,  les  vaillants  dé- 
fenseurs du  royaume  en  mèneront  à  bonne  fin  l'accomplisse- 
ment. 

Telle  est,  considérée  dans  l'ensemble,  la  mission  de  l'En- 
voyée de  Dieu.  Examinons-en  maintenant  de  près  chacune 
des  parties. 

II 

La  mission  de  Jeanne  d'Arc,  son  objet.  —  Jeanne  voyante  inspirée. 

Pour  être  une  mission  de  salut  et  de  délivrance  nationale, 
la  mission  de  Jeanne  devait  être  et  a  été,  disons-nous,  une 
mission  de  voyante  inspirée  et  de  guerrière  libératrice,  de 
restauration  patriotique  et  da  relèvement  moral,  l'une  et 
l'autre  se  prêtant  un  mutuel  appui. 

Voyons  d'abord  a  l'œuvre  la  «  Voyante  inspirée.  ». 

Sous  ce  rapport,  l'œuvre  de  la  Pucelle  consiste  à  définir  sa 
mission,  à  préciser  son  objet,  à  dire  son  étendue,  et  à  faire 
connaîti"e  par  avance  les  étapes  qui  conduiront  lentement 
mais  sûrement  au  but  final. 

Le  but  final,  c'est  la  délivrance  du  territoire,  la  recou- 
vrance  du  royaume  et  l'expulsion  de  l'Anglais.  Les  étapes 
qui  conduiront  à  ce  but  seront  la  levée  du  siège  d'Orléans, 
le  sacre  de  Reims,  la  défaite  des  envahisseurs  en  diverses 
campagnes,  et  une  série  d'événements,  tels  que  la  rentrée  de 
Paris  en  l'obéissance  de  son  souverain  légitime,  qui  dépasse- 
ront toute  espérance.  Ces  événements,  la  Voyante  les  annonce 
et  les  précise  si  clairement  que  son  langage  ressemble  moins 
à  une  prophétie  qu'à  une  page  d'histoire.  Pour  s'en 
convaincre,  il  n'y  a  qu'à  rappeler  le  langage  qu'elle  a  fait 
entendre  à  Vaucouleurs,  Ghinon,  Poitiers,  Rouen,  tant  à  ses 
amis  qu'à  ses  ennemis  déclarés. 

A  Vaucouleurs,  la  jeune  vierge  insiste  surle  secours  qu'elle 
portera  au  Dauphin   avant  la   mi-carême.    Elle  ajoute   qu'il 


LA    MISSION    HISTORIQUE    DE    JEANNE    D  ARC  433 

régnera  malgré  tout  et  qu'elle  le  mènera  sacrer  à  Reims. 
Mais  ce  ne  sera  que  le  début  de  sa  mission.  Car  il  s'agit  de 
recouvrer  autre  chose  qu'une  ville,  le  royaume  même  de 
France.  «  Pour  cela,  déclare-t-elle,  il  n'y  a  secours  que  de 
moi  ;  ni  rois  ni  ducs  n'y  pourront  réussir.  »  {Procès,  t.  II,  p. 
456,  436.) 

A  Chinon,  dans  l'audience  solennelle  qui  lui  est  donnée, 
Jeanne  salue  Charles  VII  en  ces  termes  : 

«  Gentil  Dauphin,  je  viens  h  vous  et  vous  suis  envoyée  de 
Dieu  pour  venir  en  aide  au  royaume  et  à  vous.»  {Pi^ocès, 
t.  III,  17.) 

De  quelle  manière  lui  viendra-t-elle  en  aide  ?  Le  bruit  pu- 
blic l'a  déjà  fait  savoir.  Jeanne  délivrera  Orléans  assiégé  et 
mènera  le  roi  à  Reims'pour  l'y  faire  sacrer  {ibid.  p.  4.) 

Et  ce  n'est  pas  tout.  Quelques  jours  après  l'audience  royale, 
afin  que  le  jeune  roi  ne  perde  pas  de  temps,  l'envoyée  de 
Dieu,  en  présence  du  duc  d'Alençon,  lui  révèle  le  peu  que 
durera  sa  carrière  :  «  Un  an,  guère  plus.  Qu'il  songeât  donc 
à  la  bien  employer,  »  C'est  qu'elle  n'avait  pas  seulement  à 
faire  lever  aux  Anglais  le  siège  d'Orléans  et  à  faire  sacrer 
Charles  VII  ;  il  lui  fallait  encore  préparer  la  délivrance  du 
duc  d'Orléans  prisonnier,  battre  nos  ennemis  et  apprendre 
aux  défenseurs  du  royaume  le  chemin  de  la  victoire  {Procès, 
111,99.) 

Voilà  nettement  indiqués  les  secours  que  Jeanne  apporte 
au  roi  et  au  royaume.  Au  roi,  la  délivrance  de  la  cité  orléa- 
naise  et  son  «  digne  sacre  »  ;  au  royaume  la  défaite  des  An- 
glais dont  la  délivrance  du  territoire  sera  la  conséquence. 

En  sera-t-il  de  même  des  déclarations  de  la  Pucelle  à  Poi- 
tiers? 

A  Poitiers,  la  Pucelle  sera  encore  plus  explicite.  Assuré- 
ment elle  n'oubliera  pas  les  deux  événements  majeurs  qui  se- 
ront comme  les  premiers  signes  établissant  sa  mission  d'en 
haut.  «Qu'on  me  donne,  dira-t-elle,  des  hommes,  des  chevaux 
et  des  armes,  et  Orléans  sera  délivré,  et  je  mènerai  le  roi  a 
Reims  sans  empêchement  aucun.  »  jMais  à  ces  signes  pro- 
chains elle  en  ajoute  d'autres  qui,  survenant  plus  tard, 
dissiperont  les  doutes  qu'on  pourrait  avoir  sur  l'objet  de  sa 

28 


434  Al'PENUICli    VII 

mission.  Car  cette  mission  ne  sera  pas  terminée,  tant  s'en 
faut,  lorsque  le  Dauphin  aura  été  sacré  :  d'autres  événements 
devront  s'accomplir.  Et  c'est  alors  que  la  Voyante  annonce 
aux  membres  de  la  commission  royale,  comme  devant  ad- 
venir infailliblement,  ces  trois  autres  choses  ^réputées  alors 
impossibles  : 

La  ville  de  Paris  rentrerait  en  l'obéissance  du  roi  Charles. 

Le  duc  d'Orléans,  prisonnier,  retournerait  d'Angleterre  et 
n'y  mourrait  pas  ; 

Les  Anglais  seraient  «détruits  »  :  le  mot  y  est. Dixit  guod 
Anglici  essent  deslructi  (Procès,  III,  p.  205.) 

Ce  langage  si  réconfortant  pour  le  jeune  prince  et  ses  féaux 
sujets,  la  Pucelle  tient  à  ce  que  les  ennemis  de  la  France  ne 
l'ignorent  pas.  Elle  se  réserve  de  le  leur  signifier  elle-même 
et  elle  leur  écrit  la  lettre-sommation  dont  les  juges  de  Rouen 
ont  inséré  le  texte  dans  l'instrument  du  procès.  (Procès,  I, 
p.  240.) 

En  cette  lettre,  Jeanne  n'use  pas  de  circonlocution  pour  dé- 
clarer au  roi  d'Angleterre  et  à  ses  capitaines  qu'elle  est 
«  envoyée  de  par  Dieu  le  roi  du  ciel  ;  » 

Qu'elle  vient  «  réclamer  le  sang  royal  »,  c'est-à-dire  réin- 
tégrer le  fils  de  Charles  VI  et  la  maison  de  France  dans  tous 
leurs  droits  ; 

Que  la  ville  de  Paris  ne  restera  pas  en  la  possession  de 
l'Angleterre,  qu'elle  se  rendra  au  roi  Charles,  «  lequel  y  en- 
trera en  bonne  compagnie;  » 

Qu'ils  ne  tiendront  pas  «  le  royaume  de  France,  mais  le 
tiendra  le  roi  Charles;  » 

Enfin  que,  si  elle  est  «  cy  envoyée  de  par  Dieu,  le  roy  du 
ciel  »,  c'est  pour  les  «  bouter  hors  de  France  »  et  délivrer  le 
royaume  tout  entier. 

Voyante  inspirée,  Jeanne  comprend  donc  dans  l'objet  de 
sa  mission  une  série  d'événements  futurs  dont  la  levée  du 
siège  d'Orléans  est  le  premier,  et  l'expulsion  de  l'Anglais  le 
dernier.  C'est  à  ce  dénouement  que,  d'après  ses  déclarations 
de  Vaucouleurs,  Chinon,  Poitiers,  sa  mission   doit  aboutir. 


LA    MISSION    HISTORIQUE    DE    JEANNE    D  ARC  435 

Mais  à  Rouen,  à  la  barre  du  tribunal  qui  lajuge,  dans  la  soli- 
tude affreuse  de  son  cachot,  la  Voyante  va-t-elle  maintenir 
ses  déclarations,  n'essaiera-t-elle  pas  de  les  atténuer  ou  de 
les  retirer  ? 

Non  seulement  la  prisonnière  des  Anglais  ne  retire  ou 
n'atténue  aucune  de  ses  vaticinations  précédentes,  non  seule- 
ment elle  les  maintient,  les  confirme, les  renouvelle,  mais  elle 
yen  ajoute  d'autres  non  moins  étonnantes  qui  toutes  vont 
au  même  but. 

Confirmation  de  ses  vaticinations  de  Chinon  et  de  Poitiers. 

Le  juge  interrogateur  lui  demande  :  —  Vous  avez  été  bles- 
sée à  l'assaut  de  la  bastille  du  Pont  ;  saviez-vous  par  avance 
que  cela  arriverait  ? 

Jeanne  répond  :  —  Oui,  je  le  savais.  Je  le  dis  à  mon  Roi  ; 
que  d'ailleurs  la  blessure  ne  m'empêcherait  pas  d'agir. 

J'étais  assurée  aussi  de  faire  lever  le  siège  d'Orléans,  car 
cela  m'avait  été  révélé.  Avant  de  venir  dans  laville,je  l'avais 
dit  à  mon  Roi.  Je  lui  dis  aussi  que  je  le  mènerais  sacrer  à 
Reims  (Procès,  I,  39.) 

Le  jour  du  prononcé  du  Réquisitoire,  à  l'article  XVII  le 
promoteur  repproche  à  l'accusée  d'avoir  promis  à  son  roi  trois 
choses  :  1°  de  faire  lever  le  siège  d'Orléans;  2°  de  le  faire 
couronner  à  Reims;  3°  de  le  délivrer  de  tousses  ennemis, tant 
Anglais  que  Bourguignons. 

A^cet  article,  la  Voyante  répond  :  —  Oui,  j'ai  porté  des 
nouvelles  de  par  Dieu  à  mon  Roi.  Il  lui  rendrait  son  royaume, 
il  le  ferait  couronner  à  Reims,  il  lui  donnerait  la  victoire  sur 
ses  adversaires.  Et  de  ce,  je  fus  messagère  de  par  Dieu.  Qu'il 
me  mit  hardiment  en  œuvre,  je  ferais  lever  le  siège  d'Orléans. 
Et  quand  je  parle  du  royaume,  je  veux  dire  tout  le  royaume. 
(Procès,  L  231,  232.) 

Au  cours  des  interrogatoires,le  juge  lui  demandant  quelles 
promesses  ses  saintes  lui  ont  faites  :  — Elles  m'ont  assurée, 
dit  Jeanne,  que  mon  roi  serait  rétabli  dans  son  royaume,  que 
ses  adversaires  le  veuillent  ou  non.  (Ibid.,  87.) 

Pour  la  délivrance  du  duc  d'Orléans,  qu'on  lise  les  pages 
133,  134  du  procès  de  condamnation. 

Pour  l'expulsion  finale  de  nos  ennemis,  dernier  mot  de  sa 


436  APPENDICE    VII 

mission,  il  faut  entendre  la  réponse  de  la  prisonnière  à  cette 
interrogation  :  Dieu  hait-il  les  Anglais  ? 

—  De  l'amour  ou  de  la  haine  que  Dieu  a  pour  les  Anglais 
et  pour  leurs  âmes,  je  ne  sais  rien.  Ce  que  je  sais,  c'est  qu'ils 
sont  boutés  hors  de  France,  excepté  ceux  qui  y  mourront, 
et  que  Dieu  enverra  victoire  aux  Français.  [Ibid. ,  ilS). 

Telle  est  sa  réponses  aux  juges  qui  ont  charge  de  la 
condamner  comme  visionnaire  diabolique  et  de  la  faire  brûler. 

Mais  il  ne  suffit  pas  à  l'Envoyée  de  Dieu  de  maintenir  ses 
vaticinations  premières  ;  le  bras  chargés  de  chaînes,  elle  en 
prononce  de  nouvelles  tout  en  faveur  de  la  cause  natio- 
nale. 

Elle  a  maintes  fois  assuré  que  Paris  se  soumettrait  à  son 
roi  dans  un  avenir  prochain  :  elle  fixe  maintenant  la  date  à 
laquelle  s'effectuera  cette  soumission,  a  Avant  que  sept 
années  se  soient  écoulées,  dit-elle,  les  Anglais  perdront  un 
gage  plus  précieux  qu'Orléans.  » 

Certainement,  Orléans  valait  moins  que  Paris. 

Puis,  c'est  le  traité  d'Arras  qu'elle  annonce,  «  besogne  qui 
fera  branler  tout  le  royaume  ». 

Puis  enfin,  c'est  la  victoire  de  Gastillon,  «  la  grande  vic- 
toire que  Dieu  enverra  aux  Français  »,  et  qui  mettra  fin  à  la 
guerre  de  Cent  ans  (Procès,  I.  84,  174,  178). 

—  Je  dis  ces  choses,  ajoutait  la  prisonnière,  afin  que  lors- 
que ce  sera  advenu,  on  ait  mémoire  que  je  l'ai  dit  (Ibid.). 

Tous  ces  événements  annoncés  soit  avant,  soit  pendant  la 
captivité  de  la  Pucelle,  sont  comme  les  étapes  successives 
de  sa  mission  ;  l'expulsion  définitive  de  l'Anglais  devait 
seule  en  être  le  point  terminus. 

Jusqu'au  bout,  Jeanne  a  gardé  au  cœur  cette  conviction 
profonde.  Lorsque  Jean  de  Luxembourg,  le  triste  sire  qui  la 
vendit  à  l'Angleterre,  viendra  la  visiter  dans  son  cachot,  la 
prisonnière  ne  la  lui  cèlera  pas. 

—  Je  le  sais,  lui  dira-t-elle,  les  Anglais  me  feront  mourir, 
croyant  par  ma  mort  gagner  le  royaume  de  France.  Mais 
fussent-ils  cent  mille  godons  de  plus  qu'ils  ne  sont  à  présent, 
ils  ne  l'auront  pas  ce  royaume.  »  {Procès,  t.  II,  122). 


LA   MISSION    HISTORIQUE    DE   JEANNE   D  ARC  437 


La  mission  de  Jeanne  d'Arc,  son  objet.  —  Jeanne  «  guerrière 
libératrice  ». 

C'était  beaucoup  que,  dès  son  arrive'e  à  Chinon,  laPucelIe 
marquât  clairement  l'objet  de  sa  mission,  qu'elle  en  dessi- 
nât à  Poitiers  les  grandes  lignes,  et  qu'à  Rouen  elle  achevât 
d'en  indiquer  les  étapes  ;  mais  il  n'importait  pas  moins 
qu'elle  mît  la  main  à  l'œuvre  et  qu'elle  commençât  l'exécu- 
tion de  ce  plan  libérateur.  Ici  ce  n'est  pas  la  «  Voyante  ins- 
pirée »  que  nous  allons  entendre^,  c'est  la  «  guerrière  sans 
peur  »  que  nous  aurons  en  spectacle,  et  c'est  la  délivrance, 
le  relèvement  du  pays  qui  vont  commencer. 

Après  l'idée  l'action,  c'est  la  loi.  Aussi  la  mission  de 
Jeanne,  après  l'avoir  introduite  dans  le  conseil  du  roi,  l'amè- 
nera-t-elle  sur  les  champs  de  bataille  et  s'affirmera-t-elle 
comme  une  mission  essentiellement  guerrière. 

La  jeune  fille  ne  se  faisait  pas  illusion.  Le  but  de  son  inter- 
vention dans  les  affaires  du  royaume  étant  la  défaite  des 
Anglais  et  la  recouvrance  du  territoire,  elle  comprenait  et  ne 
le  cachait  pas,  qu'on  n'y  réussirait  que  «  par  le  bout  de  la 
lance  ».  Aussi  l'une  de  ses  premières  paroles  à  Charles  VII 
fut-elle  «  qu'il  lui  fallait  aller  en  guerre  contre  les  Anglais  » 
(Procès,  I,  56,  108). 

Elle  ne  le  dit  pas  en  vain.  Sa  mission  active  n'a  été  qu'une 
succession  de  combats,  sous  les  murs  de  la  cité  orléanaise» 
àJargeau,  Meung-sur-Loire,  Patay,  même  après  les  échecs 
de  Paris  et  de  La  Charité.  Par  sa  présence  à  Lagny,  Sois- 
sons,  Pont-l'Évèque,  Compiègne,  la  vaillante  guerrière  pro- 
clame la  nécessité  de  combattre  tant  que  les  envahisseurs 
fouleront  le  sol  français.  «  Les  Anglais,  disait-elle,  n'ont 
aucun  droit  sur  la  France.  Je  suis  envoyée  de  Dieu  pour  les 
en  chasser,  et  pour  le  faire  il  faut  armer  »  {Procès,  t.  V^^ 
p.  120;  IV,  104.) 

Chose  étrange  assurément,  que  cette  mission  poursuivie 
les  armes  à  la  main  par  une  jeune  fille,  une  vierge,  une 
héroïne  profondément  chrétienne,  qui,  en  voyant  couler  le 


438  APPEN'DICE    VII 

sang  français,  sentait  ses  cheveux  se  dresser  sur  sa  tête  !  On 
conçoit  l'étonnement  de  Robert  de  Baudricourt  lorsque  Jeanne 
vint  lui  soumettre  son  dessein.  Et  les  gentilshommes  qui  la 
conduisaient  au  Dauphin  durent  n'être  pas  moins  surpris 
lorsqu'elle  leur  dit  de  la  façon  la  plus  simple  :  «  Voilà  quatre 
ou  cinq  ans  que  mes  frères  du  paradis  m'ont  avisée  qu'il  me 
faudrait  partir  en  guerre  pour  recouvrer  le  royaume  de 
France.  » 

Elle  ajoutait  :  «  Pourtant  ce  n'est  pas  mon  état  -.j'aimerais 
mieux  filer  auprès  de  ma  pauvre  mère.  Mais  il  faut  que 
j'obéisse,  car  Dieu,  mon  seigneur,  le  veut'.  » 

Il  le  fallait,  en  outre,  parce  que  guerroyer  était  le  seul  moyen 
d'en  finir  avec  les  Anglais.  On  ne  pouvait  avoir  la  paix  avec 
eux  qu'à  la  condition  de  la  leur  imposer.  La  paix,  mais  c'est 
la  première  chose  que  l'envoyée  de  Dieu  songe  à  leur  offrir. 
«  Avant  tout,  disait-elle,  je  dois  leur  écrire  et  les  sommer  de 
se  retirer  :  telle  est  la  volonté  de  Dieu.  »  Et,  en  effet,  elle 
écrivit  cette  lettre  au  roi  d'Angleterre  et  à  ses  capitaines, 
dans  laquelle  elle  leur  dit  «  qu'elle  est  toute  prête  à  faire  la 
paix  ». 

C'est  son  premier  mot,  ce  sera  aussi  son  dernier  :  «  Faites 
réponse  si  vous  voulez  faire  paix  en  la  cité  d'Orléans  ;  si 
ainsi  ne  le  faictes,  de  vos  bien  grans  dommages  il  vous  sou- 
viendra brièvement  ^.  » 

Les  Anglais  ne  voulurent  pas  de  la  paix  que  Jeanne  leur 
offrait.  Gela  ne  les  empêcha  pas  de  l'accuser  de  se  plaire  en 
l'effusion  du  sang  humain  et  de  ne  combattre  que  pour  cela. 

A  quoi  elle  répondit  :  «  Que  premièrement  [elle  requérait 
qu'on  fit  la  paix;  au  cas  qu'on  ne  voudrait  faire  paix,  qu'elle 
était  toute  prête  à  combattre  ^  » 

Et  devant  cette  mauvaise  foi  de  ses  juges,  elle  ne  craignait 
pas  de  leur  dire  :  Avec  le  duc  de  Bourgogne,  on  peut  parler  de 
paix.  «  Quant  aux  Anglais,  la  paix  qu'il  y  faut,  c'est  qu'ils 
s'en  aillent  en  leur  pays,  en  Angleterre*.  » 

1.  Procès,  t.  II,  436,  437. 

2.  Ibid.,t.  I„p.  240. 

3.  Procès,  t.  I.  art.  XXV  du  Réquisitoire,  p.  243. 

4.  Ibid.,  p.  233. 


LA    MISSION    HISTORIQUE    DE    JEANNE    D  ARC  439 

Maîtres  de  la  capitale,  de  lIle-de-France,  de  la  Normandie, 
de  la  Guyenne,  d'un  grand  nombre  de  places  et  de  châteaux, 
alliés  du  puissant  duc  de  Bourgogne,  nos  ennemis  étaient 
persuadés  qu'ils  n'avaient  qu'à  étendre  la  main  pour  devenir 
maîtres  du  reste  du  royaume.  Voilà  pourquoi  ils  ne  voulaient 
pas  de  paix,  et  voilà  pourpuoi  la  mission  de  la  Pucelle  a  dû 
être  avant  tout  une  mission  guerrière.  Puisqu'on  veut  se  bat- 
tre, dira-t-elle,  on  se  battra,  et  l'on  verra  «  aux  horions 
échangés,  qui  aura  meilleur  droit  des  Français  ou  des  enva- 
hisseurs »  {Lettre  aux  Anglais). 

Et  Jeanne  a  combattu  vaillamment,  et  elle  n'a  cessé  de 
combattre  jusqu'au  jour  où  les  armes  lui  ont  été  arrachées 
des  mains.  Et  si  la  liberté  lui  eût  été  rendue,  à  moins  d'im- 
possibilité absolue,  elle  se  fut  remise  à  combattre.  Ce  qui  le 
montre,  c'est  le  mot  tombé  de  ses  lèvres  pendant  le  procès  de 
Rouen. 

Les  juges  la  pressant  de  renoncer  à  l'habit  d'homme  et  de 
reprendre  les  vêtements  de  son  sexe,  la  prisonnière  répond  : 

—  Quand  j'aurai  fait  ce  pour  quoy  j'ai  été  envoyée  de 
Dieu,  alors  je  reprendrai  l'habit  de  femme  (I,  p.  394). 

Elle  était  donc  persuadée  qu'elle  n'avait  pas  encore  achevé 
«  ce  pour  quoy  elle  était  envoyée  de  par  Dieu  ».  Elle  nourris- 
sait encore  l'espoir  que  par  rançon,  par  un  coup  de  force  ou 
tout  autre  moyen,  elle  serait  rendue  à  la  liberté. 

Mais  de  la  liberté  recouvrée  que  comptait-elle  faire? 

Ce  qu'elle  comptait  en  faire  c'était  ce  qu'elle  en  avait  déjà 
fait  après  la  campagne  de  la  Haute-Loire,  ce  qu'elle  en  fit 
lorsque,  s'arrachant  à  l'oisiveté  du  château  de  Sully,  elle 
prit  la  route  de  l'Ile  de  France 

Des  historiens,  catholiques  ont  eu  le  courage  de  le  lui 
reprocher.  Jeanne  à  Lagny,  Soissons  et  Gompiègne  n'est 
plus,  disent-ils,  l'héroïne  d'Orléans  et  de  Patay.  La  guerre 
qu'elle  va  faire  n'est  plus  que  la  guerre  d'aventure  ^ 

Erreur  grave  qu'un  tel  langage,  critique  injuste  et  critique 
à  trop  courte  vue.  La  guerre  que  l'héroïne  va  faire  à  Lagny, 
Soissons  et  Compiègne,  est  toujours  la  guerre  nationale,  la 

1.  De  Beaucocrt,  cité  plus  haut. 


440  APPENDICE    VII 

guerre  qu'elle  a  mission  de  poursuivre  et  à  laquelle,  tant 
qu'elle  pourra  tenir  son  étendard,  elle  consacrera  sa  vie. 

C'est  la  guerre  contre  les  Anglais  et  les  Bourguignons,  caf 
si  Jeanne  prend  le  chemin  de  l'Ile-de-France,  c'est  que  nos 
ennemis  y  exercent  lenrs  déprédations  et  leurs  hostilités. 
Elle  n'est  plus,  il  est  vrai,  à  la  tête  des  troupes  royales,  elle 
en  est  parfois  réduite  à  faire  la  guerre  de  partisans.  N'im- 
porte, c'est  toujours  la  guerre,  et  l'essentiel  est  qu'on  ne  s'en- 
dorme pas  à  Sully,  Bourges,  Loches,  Ghinon  dans  une  sécu- 
rité trompeuse;  c'est  qu'on  n'oublie  pas  que  l'ennemi  foule 
toujours  en  vainqueur  le  sol  de  la  patrie. 

Et  voilà  pourquoi  elle  qui  avait  mission  de  «  bouter  les 
Anglais  hors  de  toute  France  »,  elle  qui  était  convaincue  que 
la  seule  paix  possible  avec  eux  était  qu'ils  «  s'en  allassent  en 
leur  pays,  en  Angleterre,  »  n'a  pu  se  résigner  à  l'oisiveté  et 
au  repos.  Gomme  les  vaillants,  Jeanne  est  tombée  au  champ 
d'honneur,  les  armes  à  la  main  et  face  à  l'ennemi.  C'est  un 
cas  de  fortune  dont  l'envoyée  de  Dieu,  n'a  point  à  rougir.  Sa 
renommée  guerrière  n'y  perdra  rien,  et  ses  vertus  de  sainte 
n'en  auront  que  plus  d'éclat. 

IV 

La  mission  de^  Jeanne  d'Arc  —  Mission  de  relèvement  moral 
et  patriotique.  —  Mission  sanctificatrice  et  rédemptrice. 

-Mission  de  «  voyante  inspirée  »,  mission  de  «  guerrière 
libératrice  »,  la  mission  de  la  Pucelle  est  encore  une  mission 
de  «  relèvement  patriotique  et  moral  ».  Relèvement  indis- 
pensable pour  que  l'envoyée  de  Dieu  fût  de  son  vivant  secon- 
dée comme  il  le  fallait  dans  l'œuvre  qu'elle  avait  charge  d'ac- 
complir ;  relèvement  non  moins  nécessaire  pour  que,  après 
sa  mort,  le  but  qu'elle  avait  marqué  fût  atteint. 

De  son  vivant,  ce  relèvement  des  âmes,  ce  redressement 
des  caractères,  ce  renouveau  d'attachement  au  pays  devait 
lui  donner  les  auxiliaires  dont  elle  avait  besoin.  Après  sa 
mort,  ces  auxiliaires  se  trouvaient  montés  au  ton  voulu  de 
confiance  et  de  courage  pour  soutenir  vingt  ans  encore  la 
lutte  qui  devait  délivrer  la  France  de  ses  envahisseurs. 


LA    MISSION   HISTORIQUE   DE   JEANNE    D  ARC  441 

A  cette  tâche  de  relèvement  patriotique  des  âmes  et  de 
redressement  des  caractères,  Jeanne,  «  la  Française  au  grand 
cœur  »,  ne  faillira  pas.  Elle  opérera  ce  double  relèvement 
par  ses  vaticinations  et  par  ses  actions  d'éclat.  A  mesure  que 
la  parole  de  la  Voyante  inspirée  remplissait  d'espoir  les 
loyaux  Français,  à  mesure  que  les  victoires  de  Jeanne  «  chef 
de  guerre  »  changeaient  la  face  des  choses,  le  sentiment 
de  l'honneur,  l'amour  du  sol  français  devaient  grandir  dans 
les  âmes,  préparant  la  transformation  morale  sans  laquelle 
vains  eussent  été  les  efforts  de  l'envoyée  du  ciel. 

Sous  cette  double  action,  l'on  sent  qu'il  y  a  du  nouveau 
dans  le  pays  jusque-là  si  malheureux,  que  l'ère  des  défaites 
est  fermée,  que  celle  des  succès  est  ouverte  et  qu'elle  n'est 
pas  près  de  prendre  fin.  D'un  côté  la  décision  succède  à 
l'abattement,  au  désarroi  la  confiance  :  la  confiance  en  Dieu 
et  en  soi,  au  présent  et  à  l'avenir. 

D'un  autre  côté,  c'est  l'inquiétude  qui  se  révèle,  on  ne 
reconnaît  plus  les  Anglais.  Ils  assiègent  la  cité  orléanaise  et 
on  dirait  des  assiégés.  Ces  vainqueurs  d'Azincourt  et  de  Ver- 
neuil  qui  semblaient  avoir  fait  un  pacte  avec  la  victoire,  res- 
tent comme  des  femmes  enfermés  dans  leurs  bastilles.  Du 
continent  la  panique  passe  jusque  dans  la  Grande-Bretagne, 
et  ses  hommes  d'armes  n'osent  venir  combattre  en  France, 
terrifiés  qu'ils  sont  par  une  jeune  fille. 

Aussi  Jeanne  guerrière  peut  livrer  à  Compiègne  son  der- 
nier combat  ;  sa  mission  telle  que  la  Providence  l'a  ordonnée 
s'accomplira  tout  de  même.  Par  ses  prédictions  dont  on  a 
déjà  vu  les  plus  étonnantes  réalisées,  par  ses  exploits,  par 
son  dévouement  à  la  cause  nationale,  par  le  relèvement 
patriotique  qui  en  a  été  la  conséquence,  elle  a  posé  en  somme 
la  cause  de  la  délivrance  promise.  Pour  nous  servir  de  l'ex- 
pression énergique  d'un  chroniqueur  de  l'époque,  «  le  net- 
toyage du  sol  français  »  ne  sera  plus  qu'une  affaire  de  temps. 
La  cause  posée,  aucune  puissance  humaine  n'empêchera  l'ef- 
fet de  se  produire. 

Ainsi  entendue,  la  mission  de  la  Pucelle  sort  du  cadre 
étroit  d'une  mission  uniquement  militaire,  elle  apparaît 
€omme  une  mission  d'un  ordre  supérieur.  Elle  ne  vise  pas 


442  APPENDICE    VII 

seulement  un  certain  nombre  de  fails  d'armes,  de  succès 
plus  ou  moins  brillants  :  elle  agit  sur  le  fond,  sur  l'âme 
même  de  la  nation,  elle  y  opère  une  transformation  si  prodi- 
gieuse que  cette  nation,  naguère  désemparée,  devient  capa- 
ble d'en  finir  avec  ses  envahisseurs.  En  outre,  à  cette  reprise 
d'elle-même,  la  France  gagnera  la  conservation  de  sa  foi 
religieuse.  Elle  n'aura  rien  à  redouter,  dans  un  avenir  pro- 
chain, des  caprices  sanglants  d'un  Henri  VIII,  et  si  elle  ne 
devient  pas  une  friande  continentale,  après  Dieu  elle  en 
devra  remercier  Jeanne  d'Arc. 

C'est  là  un  bienfait  exceptionnel  dont  les  contemporains 
reconnurent  le  prix.  «  Le  restaurement  de  France  et  recou- 
vrement, écrit  Mathieu  Thomassin,  a  été  moult  merveilleux. 
Et  sache  un  chacun  que  Dieu  a  montré  et  montre  chaque 
jour  qu'il  a  aimé  et  aime  le  royaume  de  France,  et  l'a  spé- 
cialement élu  pour  son  propre  héritage  et  pour,  par  le 
moyen  de  lui,  entretenir  la  sainte  foy  catholique,  et  pour  ce 
Dieu  ne  veut  pas  le  laisser  perdre.  Mais  sur  tous  les  signes 
d'amour  que  Dieu  a  envoyés  au  royaume  de  France,  il  n'y 
en  a  point  de  si  grand  ni  de  si  merveilleux  comme  de  cette 
Pucelle.  »  {Procès,  t.  IV,  309-310.) 

La  mission  de  Jeanne  d'Arc.  —  Mission  sanctificatrice 
et  rédemptrice. 

En  parlant  du  relèvement  moral  que  l'Envoyée  de  Dieu 
devait  opérer  chez  tous  les  bons  Français,  nous  omettrions 
une  considération  essentielle  si  nous  ne  rappelions  pas  de 
quelle  manière  l'héroïne  chrétienne,  la  martyre,  la  sainte 
qu'était  Jeanne  devait  contribuer  à  ce  relèvement.  En  l'en- 
voyant au  descendant  de  saint  Louis,  Dieu  se  proposait  le 
relèvement  du  royaume  ;  mais  il  se  proposait  aussi  la  sancti- 
fication et  la  glorification  de  la  jeune  fille  qui  devait  l'opérer. 

De  ces  desseins  de  Dieu  sur  la  vierge  de  Domremy,  un 
chrétien  aujourd'hui  ne  peut  pas  douter.  En  lui  confiant  la 
charge  de  combattre  et  de  vaincre  les  Anglais,  la  Providence 
voulait  tout  aussi  fermement  sa  sainteté  par  la  pratique  des 
plus  héroïques  vertus,  que  la  défaite  des  ennemis  de  la  France, 


LA   MISSION    HISTORIQUE    DE   JEANNE    d'ARC  443 

que  la  délivrance  d'Orléans  et  le  sacre  de  Reims.  C'est  pour- 
quoi nous  devons  ajouter  que  la  mission  de  l'envoyée  de 
Dieu  a  été  morale  dans  le  sens  le  plus  haut,  ayant  été  une 
mission  sanctificatrice  et  rédemptrice  :  sanctificatrice  pour 
elle  d'abord,  pour  beaucoup  d'âmes  ensuite  dont  ses  vertus  et 
son  zèle  s'efforçaient  de  procurer  le  salut,  ainsi  qu'on  a  pu  le 
voir  au  cours  de  son  histoire  ;  de  plus,  rédemptrice  au  profit 
de  la  France  dont  l'indépendance  et  la  prospérité  étaient 
l'objet  de  son  vœu  le  plus  cher.  Qui  se  refuserait  à  voir  dans 
les  épreuves  de  la  Pucelle,  en  particulier  dans  son  abandon 
après  la  tentative  sur  Paris,  dans  sa  captivité  à  Rouen,  son 
procès  et  son  supplice,  le  prix  de  la  rançon  du  pays  ?  Comme 
tous  les  êtres  supérieurs,  l'humble  fille  des  champs  avait  ses 
ennemis  et  ses  jaloux.  C'étaient  naturellement  les  Anglais  à 
qui  elle  avait  fait  connaître  la  «  fuite  honteuse  ;  »  mais 
c'étaient  aussi  des  courtisans  et  des  capitaines  français  ; 
sans  compter  ce  roi  qui,  lorsqu'elle  est  tombée  à  Compiègne 
entre  les  mains  des  Anglo-Bourguignons,  paraît  ne  pas  plus 
songer  aux  moyens  de  la  délivrer,  que  si  elle  n'eût  jamais 
existé. 

On  admire  Jeanne  guerrière,  et  l'on  a  raison,  lorsque  sur 
les  champs  de  bataille,  son  étendard  à  la  main,  elle  court  au 
plus  épais  des  ennemis,  et  donne  à  ses  compagnons  l'exem- 
ple du  courage  et  du  mépris  de  la  mort.  Admirons  aussi 
Jeanne  rédemptrice,  —  elle  le  mérite  tout  autant  — 
lorsque  prisonnière  au  château  de  Rouen,  enchaînée  dans  une 
cage  de  fer  construite  exprès,  elle  est  en  butte  nuit  et  jour 
aux  violences  et  aux  propos  infâmes  de  ses  gardiens.  C'est  là, 
c'est  à  la  barre  du  tribunal  qui  la  juge,  en  présence  des  maî- 
tres et  docteurs  qui  ne  cherchent  qu'à  la  perdre,  en  fin  sur  le 
bûcher  dont  les  flammes  vont  la  dévorer,  en  face  de  la  plus 
horrible  des  morts,  c'est  là  disons-nous,  que  se  révèle  la  chré- 
tienne, l'héroïne,  la  sainte  que  Jeanne  était.  Ses  souffrances 
inexprimables,  son  honneur  de  vierge  à  chaque  instant 
menacé,  le  délaissement  dont  elle  est  l'objet,  ses  larmes  ren- 
dues plus  amères,  sa  condamnation  ignominieuse,  sa  mort 
cruelle,  voilà  de  quel  prix  l'envoyée  de  Dieu  a  payé  sa  gloire 
céleste  et  la  rédemption  de  la  patrie.  De  tels  sacrifices,  de  tels 


APPENDICE    VII 


exemples  ne  sont-ils  point  partie  intégrante  et  partie  admira- 
ble d'une  mission  libératrice  ? 


La  mission  de  Jeanne  d'Arc,  son  étendue. 
Ses  deux  parties,  la  mission  «  de  vie  >  et  la  mission  de  survie  ». 

En  définissant,  d'après  l'héroïne  elle-même,  l'objet  de  sa 
mission,  nous  en  avons  indiqué  l'étendue  et  inféré  des  textes 
cités  qu'elle  allait  jusqu'à  la  recouvrance  du  royaume  du 
vivant  de  Charles  VII  et  jusquà  l'expulsion  des  Anglais.  Si  l'on 
se  demande  maintenant:  cette  mission,  l'envoyée  de  Dieu  l'a- 
t-elle  remplie  tout  entière  ;  il  semble  qu'on  soit  obligé  de 
répondre  négativement,  puisque  c'est  seulement  vingt- 
deux  ans  après  sa  mort  que  les  Anglais  ont  perdu  leur  der- 
nière bataille  et,  en  France,  leur  dernière  province. 

Toutes  choses  dûment  examinées,  il  y  a  lieu  d'apporter 
quelque  mitigation  à  cette  réponse  négative  et  de  réserver 
une  part  importante  à  l'héroïme,  même  dans  l'accomplisse- 
ment de  la  partie  de  sa  mission  qui  ne  devait  se  produire 
qu'après  sa  mort.  Nous  obtiendrons  ce  résultat  en  reconnais- 
sant que  la  mission  totale  de  Jeanne  comprenait  deux  parties 
distinctes,  et  que  en  ces  deux  parties,  il  lui  revient  un  rôle 
considérable.  Nous  nommerons  ces  deux  parties,  l'une  mis- 
sion de  vie,  laquelle  se  termine  au  bûcher  de  Rouen,  l'autre 
mission  de  survie,  laquelle  dépasse  le  supplice  de  la  martyre 
et  ne  prend  fin  qu'avec  la  guerre  de  Cent  ans. 

On  ne  peut  nier  que  cette  division  ne  soit  des  plus  natu- 
relles. Ce  qui  souffre  quelque  difficulté,  c'est  de  montrer  que 
même  après  sa  mort,  la  Pucelle  a  rempli  une  mission  vérita- 
ble, complément  de  son  action  libératrice  et  morale,  et  qu'une 
part  réelle  lui  revient  logiquement  dans  les  événements  qui, 
annoncés  par  elle,  aboutirent  à  la  délivrance  du  territoire  et 
à  l'expulsion  de  l'Anglais. 

Eh'bien,  cette  difficulté  nous  paraît  facile  à  résoudre. 

N'ous  n'avons  pour  cela  qu'à  nous  souvenir  de  la  manière 
dont  le  relèvement  du  pays  devait  s'accomplir,  et  de  la  part 
essentielle  que  l'héroïne  a  prise  à  ce  relèvement. 


LA    MISSION    HISTORIQUE    DE    JEANNE    D  AUC  445 

Nous  disons  «  part  essentielle  »  ;  ce  qui  revient  à  dire  que, 
après  Dieu,  Jeanne  d'Arc  a  été  la  cause  première  de  ce  relève- 
ment et  de  ses  conséquences,  y  compris  la  plus  importante  de 
loutes,  la  défaite  et  l'expulsion  des  envahisseurs. 

Comme  ce  relèvement  lui-même,  la  part  qui  en  revient 
essentiellement  à  l'envoyée  de, Dieu  est  militaire  et  morale. 

Militaire  :  Si  Jeanne  n'eût  pas  fait  lever  le  siège  d'Orléans, 
Talbot  n'aurait  pas  perdu  la  bataille  de  Castillon,  et  les 
Anglais  n'eussent  pas,  à  la  suite  de  cette  bataille,  évacué  le 
sol  français. 

Morale  :  Si  Jeanne  «  Voyante  inspirée  »,  n'eût  pas  à  plu- 
sieurs reprises  fait  savoir  à  tous,  amis  et  ennemis,  l'issue 
inévitable  de  la  lutte  qu'elle  allait  engager,  et  la  série  des  évé- 
nements inattendus  qui  devaient  y  conduire,  l'âme  française 
n'eût  pas  tressailli  d'espoir  à  sa  parole,  et  le  patriotisme  ne 
l'eût  pas  définitivement  reconquise. 

Il  y  a,  dans  ce  que  nous  appellerons  le  ministère  prophé- 
tique de  l'envoyée  de  Dieu,  une  particularité  qu'on  ne  saurait 
trop  remarquer  :  c'est  la  précision  avec  laquelle  on  la  voit 
délimiter  le  terrain  sur  lequel  elle  se  place,  lorsqu'elle  parle  de 
l'objet  de  sa  mission  et  des  prophéties  dont  l'accomplissement 
mettra  sa  véridicité  hors  de  cause.  Parmi  ces  prophéties,  il  y 
en  a  toujours  qui  concernent  un  temps  où  elle  ne  sera  plus  là. 
A  quoi  donc  s'appliquent  ces  prophéties  ?  Elles  ne  s'appli- 
quent pas  à  sa  mission  de  vie,  puisque  la  mort  y  aura  mis  un 
terme.  Elles  ne  peuvent  s'appliquer  alors  qu'à  une  mission 
qui,  de  fait,  en  sera  la  continuation  et  le  complément,  et  que, 
pour  cette  raison,  nous  dénommons  «  mission  de  survie  ». 
Celle-ci  sera,  disons-nous,  la  continuation  de  la  mission  de 
vie,  car  alors  se  dérouleront  les  événements  annoncés  par  la 
Voyante  comme  les  précurseurs  certains  de  la  victoire  défini- 
tive. Et  elle  en  sera  le  complément,  parce  que  ces  événements 
en  se  réalisant,  fournissent  aux  témoins  et  aux  contemporains 
la  preuve  historique  qui  achève  de  démontrer,  aussi  bien  que 
d'exécuter,  sa  mission  de  par  Dieu. 

Désirerait-on  quelques  textes  à  l'appui  de  ces  réflexions  ? 

Il  y  a  d'abord  la  parole  si  touchante  de  la  jeune  fille  au 
Dauphin  et  au  duc  d'Alençon  :  «  Gentil  sire,  je  durerai  un  an, 


440  APPENDICE    VII 

guère  plus  :  il  faut  donc  me  bien  employer.  »  Parole  qui  défi- 
nit avec  trop  de  clarté  le  fait  et  la  brièveté  de  sa  mission  de 
vie. 

Et  il  y  a,  si  l'on  veut,  comme  définition  parallèle  de  sa  mis- 
sion de  survie,  le  mot  de  Mathieu  Thomassin  :  «  S'il  lui  fallait 
mourir  avant  que  ce  pour  quoy  Dieu  l'avait  envoyée  fût 
accompli,  nonobstant  sa  mort,  tout  ce  pour  quoy  elle  était 
venue  s'accomplirait.  » 

Et  Mathieu  Thomassin,  témoin  oculaire  tout  comme  Seguin 
de  Seguin  de  ce  qu'il  affirme,  ajoute  en  manière  de  confir- 
mation : 

«  Et  il  a  été  ainsi  fait  par  la  grâce  de  Dieu,  comme  claire- 
ment et  évidemment  il  appert  et  est  chose  notoire  de  notre 
temps.»  {Procès,  IV,  p.  309-310;.  A  ce  moment,  la  mission 
de  survie  de  la  Pucelle  avait  produit  son  suprême  effet. 

C'est  parce  que  cette  double  mission  était  comprise  dans 
sa  mission  totale  que  Jeanne  entretient  [Robert  de  Baudri- 
court  et  ses  deux  officiers  non  seulement  du  siège  d'Orléans, 
et  du  voyage  à  Ghinon,  mais  «  du  recouvrement  du  royaume,  o 
A  quel  autre  titre  que  celui  de  cette  mission  de  survie  parle- 
t-elle  au  duc  d'Alençon,  au  jeune  roi,  à  la  Commission  de 
Poitiers  de  la  soumission  de  la  capitale,  du  retour  du  duc 
d'Orléans  de  sa  captivité  d'Angleterre,  de  la  recouvrance  du 
royaume  tout  entier,  événements  qui  tous  ne  se  produiront 
qu'après  sa  mort  ? 

Et  n'est-ce  pas  surtout  cette  mission  de  survie  que,  les  bras 
chargés  de  chaîne,  Jeanne  captive  ne  cesse  d'affirmer  à  ses 
juges  ?  Elle  tient  à  leur  dire  qu'ils  auront  beau  la  faire 
mourir,  elle  ne  mourra  pas  tout  entière,  elle  verra  et  ils  ver- 
ront comme  elle  se  réaliser  les  surprises  qu'elle  leur  annonce 
la  paix  d'Arras,  la  soumission  de  la  capitale,  les  victoires  des 
Français  et  enfin  la  délivrance  du  pays. 

Le  fait  de  ces  deux  missions  de  vie  et  de  survie  une  fois 
établie,  toute  difficulté  sérieuse  s'évanouit.  L'on  voit  clair 
dans  la  .mission  de  l'envoyée  de  Dieu,  dans  son  étendue,  dans 
son  accomplissement. 

L'on  conçoit  que,  malgré  la  brièveté  de  sa  carrière,  elle  ait 
été  chargée  d'une  mission  aussi  considérable,  et  que  cette 


LA    MISSIOX    HISTORIQUE    DE    JEANNE    D  ARC  447 

mission  ait  été  tout  entière  accomplie.  Dieu  qui  lui  a  fourni  le 
moyen  d'exécuter  en  sa  courte  vie  ce  qui  la  concernait  person- 
nellement, ne  lui  a  pas  fait  défaut  pour  remplir  à  l'égard  de 
la  France  la  partie  que,  vu  sa  mort  prématurée,  elle  n'a  pu 
personnellement  exécuter. 

La  part  qu'elle  a  prise  aux  événements  survenus  alors  se 
détermine  de  deux  façons.  C'est  d'abord  le  souvenir  persistant 
que  les  capitaines,  ses  compagnons  d'armes  et  les  défenseurs 
du  royaume  ont  conservé  de  ses  paroles  de  «  Voyante  ins- 
pirée, ))  paroles  qui  déchiraient  à  leurs  yeux  le  voile  de  l'ave- 
nir, leur  en  marquaient  les  phases  successives  et  leur  en 
fixaient  le  but.  C'est  ensuite  le  souvenir  de  ses  exemples,  de 
ses  exploits,  de  sa  vaillance,  de  sa  confiance  en  Dieu,  de  ses 
grandes  vertus  et,  avec  ce  souvenir,  la  persuasion  qu'une 
œuvre  aussi  admirablement  commencée  ne  pouvait  pas  ne  pas 
se  terminer  de  même. 

Ainsi  la  double  action  de  Jeanne  envoyée  de  Dieu,  en  tant 
que  «  Voyante  inspirée  »  et  de  «  Libératrice  guerrière  » 
après  s'être  exercée  durant  sa  vie  se  poursuit  au  delà  du  tom- 
beau. 

Les  capitaines  qui  ont  commencé  avec  elle  l'œuvre  de  la 
délivrance  auront  l'heur  de  la  continuer. 

Parce  que  la  Libératrice  d'Orléans  ne  sera  plus  à  leur  tête 
lorsque  les  Anglais  perdront  leur  dernière  bataille,  gardons- 
nous  de  donner  raison  aux  historiens  myopes  qui  lui  dénient 
l'honneur  d'en  avoir  posé  la  cause  première. 

Les  missions  historiques  des  grands  hommes  ne  finissent 
pas  d'ordinaire  à  leur  mort  :  elles  se  prolongent  au  delà. 
C'est  à  ces  grands  hommes  que,  sans  compter,  l'histoire  en 
rapporte  l'honneur.  Que  dans  nos  annales,  on  réserve  aux 
ancienscompagnons  d'armes  de  l'héroïne  qui  vainquirent  les 
Anglais  en  1449-1453  une  place  glorieuse,  rien  de  plusjuste. 
Mais  qu'au  milieu  d'eux  et  un  peu  au-dessus,  on  en  réserve 
une  tout  aussi  glorieuse  à  Jeanne  la  Pucelle.  La  victoire  de 
Castillon  est  la  sœur  puînée  de  la  victoire  de  Patay. 

Et  si  l'on  demandait  pourquoi,  nous  répondrions  : 

Mais  simplement  parce  que  c'est  le  changement  que  l'en- 
voyée de  Dieu  a  opéré  chez  les   défenseurs  du  pays,  l'élan 


448  APPENDICE    VII 

qu'elle  leur  a  imprimé,  la  confiance  dont  elle  les  a  pénétrés  ; 
c'est  le  souvenir  vivant  de  ses  faits  d'armes,  celui  de  ses  pré- 
dictions dont  ils  avaient  vu  les  plus  étonnantes  s'accomplir, 
qui  ont  amené  la  victoire  finale,  résultante  logique  de  sa 
double  mission. 

L'on  dirait  que  du  jour  où  la  grande  française  subit  son 
martyre,  son  âme  soit  devenu  l'âme  même  de  la  France, 
Dans  sa  mission  de  vie,  elle  avait  montré  que  les  vainqueurs 
d'Azincourt  n'étaient  pas  invincibles.  Dans  sa  mission  de 
survie  ils  ne  le  furent  pas  davantage.  Les  troupes  du  roi 
marchèrent  de  succès  en  succès,  les  troupes  anglaises  de 
défaite  en  défaite.  En  vingt  années,  les  provinces  qu'elles 
avaient  mis  près  de  cent  ans  à  conquérir  rentraient  en  la 
possession  de  leur  souverain  légitime.  La  mission  totale  de 
l'envoyée  de  Dieu  était  bien  accomplie.  «  11  a  plu  à  Dieu, 
disait-elle,  de  faire  toutes  ces  choses  par  une  faible  femme, 
par  une  simple  pucelle.  »  {Procès,  t.  I,  p.  144). 

On  peut  le  dire  encore  aujourd'hui  :  l'on  ne  sortira  pas  de 
la  vérité  historique. 

VI 

Réponse  à  quelques  objections. 

Avant  de  présenter  la  conclusion  qui  se  dégage  des  consi- 
dérations précédentes,  nous  devons  au  lecteur  l'exposé  des 
faits  et  raisons  qu'on  allègue  pour  limiter  la  mission  de  la 
Pucelle  au  sacre  de  Reims,  c'est-à-dire  à  une  durée  de  moins 
de  trois  mois,  n'y  comprenant  que  les  résultats  obtenus  en 
cet  espace  de  temps. 

Nous  ne  nous  arrêterons  pas  aux  arguments  présentés  par 
J.  Quicherat  pour  établir  que  la  mission  de  la  Pucelle  telle 
qu'il  l'entend  a  été  «  manquée  ».  J.  Quicherat  est  persuadé 
que  Jeanne  s'était  engagée  à  s'emparer  en  personne  de  Paris 
et  à  exterminer  les  Anglais  {Aperçus  nouveaux...,  p.  75). 
Cette  opinion  du  critique  ayant  contre  elle   le  sens  obvie  des 

\.  Voir  sur  ce  sujet  la  première  série  de  nos  études  critiques,  Les 
visions  et  les  voix,  cliap.  xvii. 


LA    MISSION    HISTORIQUE    DE    JEA.NiNE    D  ARC  449 

textes,  il  n'y  a  pas  lieu  de  s'y  arrêter  et  nous  n'en  dirons  pas 
autre  chose. 

Les  historiens  qui  limitent  au  sacre  de  Reims  la  mission 
de  Jeanne  d'Arc  lui  font,  on  ne  saurait  en  disconvenir,  la 
mesure  bien  étroite.  Quelles  raisons  apportent-ils  à  l'appui? 
Ils  allèguent  des  paroles  tombées  de  sa  bouche.  Ils  prétendent 
que,  à  partir  du  sacre,  ses  Voix  ne  l'assistent  guère  plus.  Pri- 
vée de  leurs  inspirations,  la  jeune  guerrière  laisse  désormais 
les  chefs  de  l'armée  diriger  les  opérations  à  leur  guise.  On 
voit  bien  qu'elle  n'a  plus  qu'à  attendre  lissue  incertaine  de 
sa  destinée. 

Commençons  par  les  paroles  tombées  de  la  bouche  de  l'hé- 
roïne. Examinons-les  de  près,  nous  verrons  qu'elles  expri- 
ment le  contraire  de  ce  qu'on  prétend  y  trouver. 

C'était  dans  les  premiers  jours  d'août  1429.  Poursuivant 
sa  marche  à  travers  l'Ile-de-France,  la  petite  armée  royale  était 
arrivée  à  La  Ferté  et  à  Crespy  en  Valois.  Les  habitants  du 
pays  accouraient  en  foule  sur  le  passage  de  Charles  VII  qui 
venait  d'être  sacré,  et  tout  joyeux,  criaient  :  u  Noël!  Noël  !  » 
Touchée  jusqu'aux  larmes,  Jeanne  qui  chevauchait  entre 
Dunois  et  l'archevêque  de  Reims,  ne  put  s'empêcher  de 
dire  : 

—  Voilà  un  bon  peuple  !  Je  n'en  ai  jamais  vu  qui  se  réjouit 
comme  celui-ci  de  l'arrivée  d'un  si  noble  prince.  Puissé-je 
être  assez  heureuse  pour  finir  mes  jours  en  ce  pays  et  inhu- 
mée en  cette  terre  ! 

L'archevêque  de  Reims  alors  lui  demanda  : 

—  En  quel  lieu,  Jeanne,  croyez-vous  mourir? 

—  Où  il  plaira  à  Dieu,  répondit-elle;  car  je  ne  suis  assurée 
ni  du  temps  ni  du  lieu  plus  que  vous-même.  Que  je  voudrais 
qu'il  plût  d  Dieu  mon  créateur  que  je  m'en  retournasse 
maintenant,  quittant  les  armes,  et  que  je  revinsse  servir 
mon  père  et  ma  mère,  et  garder  leurs  troupeaux  avec 
ma  sœur  et  mes  frères,  qui  seraient  grandement  joyeux  de 
me  voir*  I 

1.  Procès,  i.  m,  pp.  14-15.  Déposition  de  Dunois. 


450  APPENDICE    VII 

Voilà,  d'après  le  comte  de  Dunois,  témoin  oculaire,  le 
langage  qu'aurait  tenu  la  jeune  Lorraine  ^  On  remarquera 
qu'il  n'y  est  nullement  fait  mention  de  la  levée  du  siège 
d'Orléans  et  du  sacre  de  Charles  VII.  Par  conséquent,  on  ne 
saurait  inférer  des  paroles  citées  que  Jeanne,  ayant  obtenu 
ces  deux  résultats,  estimait  sa  mission  accomplie  tout  entière. 
Ce  qui  en  ressort  au  contraire,  c'est  la  pensée  que  cette 
mission  n'est  pas  arrivée  à  son  terme,  puisque  Jeanne 
voudrait  «  qu'il  plût  à  Dieu  qu'elle  s'en  retournât  »,  et  qu'elle 
ignore  si  Dieu  le  veut. 

Ou  plutôt,  non,  elle  ne  l'ignore  pas.  Elle  sait  que  la  volonté 
divine  l'appelle  ailleurs  qu'en  son  village;  elle  est  encore 
loin  du  ternie  de  sa  mission,  car  ce  terme,  d'après  ses  pro- 
pres déclarations,  n'est  autre  que  l'expulsion  définitive  des 
envahisseurs. 

Parlons  maintenant  du  prétendu  silence  des  Voix  après  le 
sacre.  D'abord  rien  n'est  moins  prouvé  que  ce  silence. 

En  second  lieu,  ce  silence,  s'il  était  prouvé,  s'explique- 
rait de  la  façon  la  pkis  naturelle. 

Rien,  disons-nous,  n'est  moins  prouvé  que  ce  silence  des 
Voix  de  la  jeune  fille  après  Reims.  Il  est  démenti  formelle- 
ment par  ses  déclarations  réitérées  aux  juges  de  Rouen  ;  il 
est  démenti  par  les  faits. 

«  Pendant  sept  ans,  dira  la  Pucelle  à  ses  juges,  mes  Voix 
n'ont  cessé  de  me  gouverner. 

—  Jamais  je  ne  les  ai  requises  qu'elles  ne  soient  venues. 

1.  A  la  vérité,  la  Chronique  de  la  -Pucelle  et  le  Journal  du  siège  prê- 
tent à  Jeanne  des  paroles  que  Dunois  ne  mentionne  pas.  «  Et  dit  oultre 
(Jeanne)  auxdils  seigneurs  :  J'ai  accomply  ce  que  Messire  (mon  Sei- 
gneur) m'a  commandé,  de  lever  te  siège  d'Orléans  et  faire  sacrer  le  gen- 
til Roy.  Je  voudrais  bien  qu'il  voulust  me  faire  ramener  auprès  mes 
père  et  mère,  et  garder  leurs  brebis  et  bestail,  et  faire  ce  que  je  saou- 
lais faire  —  Et  quand  lesdits  seigneurs  ouyrent  ladite  Jeanne  ainsi  par- 
ler, et  que  les  yeux  au  ciel  remercioit  Dieu,'  ils  crurent  mieux  que  c'es- 
toit  chose  venue  de  par  Dieu  qu'autrement  (o)  ». 

On  pourrait  mettre  en  question  l'authenticité  de  la  phrase  que  les 
deux  clironiques  ajoutent  h.  la  déposition  de  Dunois.  Mais  en  cette 
phrase,  filt-elle  d'une  authenticité  inattaquable,  jamais  on  n'y  décou- 
vrira l'aveu  que  la  mission  de  la  Pucelle  finit  au  sacre  de  Reims. 

tt)  I.  Chronique  de  la  Pucelle,  p.  ."îSe  ;  —  Journal  du  siège,  pp.  116-117. 


LA    MISSION    HISTORIQUE    DE   JEANNE    D  ARC  451 

—  Quelque  chose  que  j'ai  faite  onques,  en  si  grandes  affai- 
res que  je  me  sois  trouve'e,  elles  m'ont  été  en  aide.  »  (Pro- 
cès, t.  1, 127,  169  et  passùn). 

A  ce  démenti  verbal  se  joint  le  démenti  des  faits. 

N'est-ce  pas  une  révélation  de  première  importance 
que  les  Voix  font  à  la  jeune  vierge  sur  les  fossés  de  Melun? 
Et  c'était  bien  après  le  sacre  de  Reims. 

«  En  la  semaine  de  Pâques  dernières,  disait-elle,  étant  sur 
les  fossés  de  Melun,  mes  Voix,  c'est  à  savoir  saintes  Catherine 
etMarguerite,  médirent  que  je  serais  prise  avantlasaint-Jean, 
qu'il  fallait  que  ce  fût  ainsi,  que  je  ne  m'étonnasse  pas  mais 
prisse  tout  en  gré,  que  Dieu  m'aiderait.  » 

Qu'on  remarque  ce  qui  suit. 

Les  juges  lui  demandant  si,  depuis  Melun,  ses  Voix  lui  ont 
redit  qu'elle  seroit  prise  :  «  Oui,  répond  la  jeune  fille;  elles 
me  l'ont  redit  par  plusieurs  fois  et  comme  tous  les  jours.  » 
(Procès,!,  .135). 

Devant  ces  paroles  de  Jeanne  que  devient  le  silence  qu'on 
invoque? 

On  a  dit  que  Jeanne  elle-même  convenait  que,  après  le 
sacre,  elle  s'en  rapportait  volontiers  aux  capitaines  de  la 
ligne  à  suivre  et  des  décisions  à  prendre  en  face  de  l'ennemi. 
C'est  une  inexactitude.  La  jeune  guerrière  n'a  dit  s'être 
arrêtée  à  ce  parti  qu'après  la  révélation  de  ses  Voix  sur  les 
fossés  de  Melun.  Il  s'agit  donc,  non  de  sa  conduite  après  le 
sacre,  mais  du  temps  qui  s'écoula  entre  son  départ  de  Sully- 
sur-Loire  et  la  sortie  de  Gompiègne  {Procès,  I,  147). 

Au  reste,  serait-il  vrai  —  ce  que  nous  ignorons  ;  l'héroïne 
qui,  seule  pouvait  nous  l'apprendre,  n'ayant  pas  touché  à  ce 
sujet,  —  serait-il  vrai  que  ses  protecteurs  célestes  n'aient 
plus,  après  Reims,  guidé  Jeanne  en  ses  opérations  militaires, 
la  raison  n'en  serait  pas  difficile  à  trouver.  Ce  n'était  plus  le 
cas  de  lui  parler  de  nouveaux  combats  suivis  de  nouveaux 
succès,  comme  ceux  de  la  levée  du  siège  d'Orléans  et  de  la 
campagne  de  la  Loire  :  il  ne  devait  plus  y  en  avoir  de  |tels 
pendant  la  vie  guerrière  de  l'envoyée  de  Dieu. 

Au  point  où  elle  en  était,  elle  n'avait  qu'à  recueillir  les 
conséquences  du  courageux  effort  qu'elle  avait  accompli;  et 


452  APPENDICE    Vil 

ces  conséquences  n'étaient  point  de  peu  de  prix,  puisqu'elles 
firent  ouvrir  à  l'armée  royale  les  portes  d'un  grand  nombre 
de  places  de  la  Champagne,  de  l'Ile-de-France  et  de  la  Picar- 
die. 

Et  puis,  la  jeune  guerrière  devant  prochainement  dispa- 
raître, il  était  bon  que  les  capitaines  s'habituassent  à  ne  pas 
compter  uniquement  sur  elle.  C'est  pourquoi  elle  s'en  rap- 
porte à  eux.  Les  seules  choses  dont  elle  ne  prendra  pas  son 
parti,  sont  l'inaction,  l'oisiveté,  la  mollesse.  Qui  pourrait  dire 
qu'elle  n'a  point  obéi  à  saint  Michel  et  à  ses  saintes  lorsque, 
en  mars  1430,  elle  quitta  la  cour  et  gagna  l'Ile-de-France? 

Un  dernier  reproche,  et  non  le  moindre,  qu'on  peut  adres- 
ser aux  théoriciens  qui  limitent  au  sacre  de  Reims  la  mission 
de  la  Pucelle,  c'est  de  paraître  en  exclure  sa  captivité  et  son 
martyre.  Après  la  révélation  de  Melun,  qui  oserait  avancer 
que  les  épreuves  qu'elle  lui  annonçait  n'entraient  pour  rien 
dans  l'œuvre  libératrice  dont  elle  était  chargée  d.e  par  Dieu? 
Quand  le  moment  vient  de  décider  la  sortie  de  Compiègne, 
les  saintes  de  Jeanne  ne  lui  disent  rien;  elles  ne  la  détour- 
nent pas  d'une  résolution  qui  doit  aboutir  à  un  insuccès. 
Pourquoi  ?  Parce  qu'il  était  bon  que  la  servante  de  Dieu  con- 
nut l'insuccès;  parce  que  cet  insuccès  et  ses  suites  rentraient 
dans  le  plan  delà  Providence. 

Nous  l'avons  déjà  dit,  et  c'est  toujours  vrai  :  Dieu  voulait 
autant  la  sanctification  de  la  jeune  vierge  par  la  souffrance, 
sa  glorification  par  le  martyre,  qu'il  voulait  la  délivrance  du 
royaume  et  le  relèvement  du  pays.  En  ces  épreuves  terribles, 
Jeanne  comprit  ce  que  Dieu  lui  demandait.  Déférant  au  con- 
seil de  ses  saintes  protectrices,  elle  s'en  remit  à  lui  de  l'ac- 
oomplissement  de  sa  mission,  elle  prit  tout  en  gré,  et  elle 
alla  recevoir  l'unique  récompense  qu'elle  eût  sollicitée,  «  le 
salut  de  son  âme  au  royaume  du  paradis  ». 

VII 

ConclusioD. 

En  livrant  aux  flammes  la  jeune  fille  qui  leur  avait  arra- 
ché la  proie  qu'ils  s'apprêtaient  à  dévorer,  le  beau  royaume 


LA    MISSION    HlsrORIQUK    DE   JEANNE    D  ARC  453 

de  France,  les  Anglais  pensaient  conjurer  à  jamais  le  mau- 
vais sort  jeté  sur  leurs  armes.  Ils  &e  trompaient  :  vingt  ans 
s'étaient  à  peine  écoulés  que  la  prophétie  de  la  Voyante  s'ac- 
complissait :  ils  quittaient  la  France  pour  n'y  plus  revenir; 
«  excepté,  selon  l'observation  de  Jeanne,  ceux  dont  le  sol 
français  gardait  les  cadavres  ». 

Vers  ce  même  temps,  justice  allait  être  rendue  à  la  libéra* 
trice  :  Rome  se  préparait  à  la  réhabiliter,  le  pays  à  l'accla- 
mer et  à  la  glorifier.  D'une  part,  le  docteur  qui  ouvrit  la  pre- 
mière enquête  de  la  revision,  Guillaume  Bouille,  doyen  de 
Noyon,  écrivait  : 

«  Jeanne  a  restauré  enfin  ce  royaume  de  France,  ainsi 
qu'elle  l'avait  annoncé.  N'a-t-elle  pas  rempli  ses  ennemis  de 
frayeur,  ne  les  a-t-elle  pas  chassés?  A  sa  voix,  l'ardeur  n'a-t- 
elle  pas  succédé  à  l'inertie? Depuis  ce  moment,  la  force  de  nos 
adversaires  n'a-t-elle  pas  constamment  décliné?  »  {Procès, 
t.  III,  p.  324j. 

D'autre  part,  le  peuple  de  France  acclamait  cette  enfant 
sortie  de  son  sein,  cette  villageoise  qui  avait  aimé  son  pays 
jusqu'à  se  sacrifier  pour  lui,  et  il  la  glorifiait  comme  l'auteur 
principal  de  l'expulsion  des  insulaires  envahisseurs.  Sans 
méconnaître  la  part  qui  revenait  aux  Dunois,  aux  Riche- 
mont,  aux  La  Hire  dans  cette  œuvre  de  la  délivrance 
nationale,  au-dessus  de  toutes  ces  figures  il  ne  cessa  d'aper- 
cevoir une  figure  plus  radieuse,  celle  de  la  vierge  inspirée, 
de  l'héroïne  de  Patay,  de  la  martyre  de  Rouent 

Dans  son  Histoire  de  la  Pucelle,  Edmond  Richer 
signale  entre  autres  biens  dont  le  pays  est  redevable  à 
Jeanne  d'Arc,  la  paix  qui  lui  fut  rendue  et  qui  a  été  comme 
le  couronnement  de  sa  mission.  «  Et  peut-on  dire,  remar- 
que-t-il,  que  Jeanne  a  servi  au  roi  et  à  la  France  d'ange  de 
paix.  La  paix,  voilà  le  grand  bien  qu'il  a  plu  à  Dieu  nous 
moyenner  par  cette  Pucelle  qui  devrait  avoir  autant  de  sta- 


\ .  C'est  ce  que  marque  le  titre  d'un  tout  petit  livre  fort  répandu  à  la 
fin  du  XV*  siècle.  On  y  lit  :  Miroiter  des  femmes  vertueuses  :  l'histoire 
admirable  de  Jehanne  la  Pucelle.  laquelle  par  révélation  divine  et  par 
grand  miracle  fut  cause  de  expulser  tes  Anglais  tant  de  France,  Nor- 
mandie, que  aultres  lieux  circonvoisins.  (Procès,  t.  IV,  p.  207.) 


454  APPENDICE    VII 

tues  de  bronze  en  France  que  jadis  on  en  dressa  à  Démétrius 
de  Phalères,  le  méritant  beaucoup  mieux  ^  ». 

Au  [lendemain  de  la  béatification  de  l'envoyée  de  Dieu,  ce 
vœu  de  son  premier  historien  en  date  n'est-il  pas  comme 
exaucé  ?  Il  ne  se  passe  guère  de  mois  oii  les  feuilles  publiques 
n'annoncent  l'inauguration,  en  quelque  ville  ou  village, 
d'une  statue,  d'un  monument  en  l'honneur  de  Jeanne  d'Arc  : 
preuve  que  les  Français  du  xx''  siècle  apprécient  son  héroïsme 
comme  l'appréciaient  les  Français  du  xvII^  Les  érudits  pour- 
ront disputer  à  leur  aise  sur  l'objet  précis  de  sa  mission; 
une  voix  dominera  leurs  disputes  :  la  voix  du  pays  tout 
entier  acclamant  en  Jeanne  la  villageoise,  en  Jeanne  la 
vierge,  en  Jeanne  la  sainte,  la  libératrice  d'Orléans  et  celle 
de  la  France  -. 

1.  E,  RiCHER,  op.  cit.,  livre  I,  fol.  35  verso. 

2.  Pour  de  plus  amples  données  sur  ce  sujet,  voir  notre  étude 
critique  :  Jeanne  d"Arc  et  sa  mission  d'après  les  documents,  in-lî, 
Paris,  1909,  G.  Beauchesne. 


APPENDICE  VIII 

LE    PAYS    DE    JEANNE    d'aRC 

1°  Aperçu  général. 

Un  académicien  d'aujourd'hui,  M.  Paul  Bourget,  parle  du  pays 
de  Jeanne  d'Arc  en  ces  termes  : 

«  C'est  un  coin  bien  particulier  de  la  France  que  cette  portion 
de  la  Lorraine  qui  touche  à  la  Champagne,  que  ce  pagus  Barrensîs 
qui  va  de  la  iMarne  à  la  Moselle.  Placée  entre  le  versant  du  Rhin 
et  celui  de  la  Seine,  cette  même  ligne  de  terre  a  vu  naître  dans 
un  de  ses  villages,  à  Domremy,  le  cœur  de  vierge  où  laniour  de 
la  France  a  brûlé  de  la  flamme  la  plus  intense. 

«  La  nature  n'est  pas  ici  grandiose.  C'est  la  terre  des  coteaux 
et  des  bois,  nature  aimable  et  qui  se  laisse  approcher,  où  l'hiver 
n'est  pas  rude,  où  l'été  n'est  pas  trop  brûlant.  La  race  qui  s'est 
formée  là  est  à  la  fois  sensée  et  réfléchie,  exaltée  et  judicieuse^.  » 

Le  lecteur  qui  voudra  se  rendre  compte  de  l'aspect  du  pays  de 
la  Pucelle,  de  sa  configuration,  des  localités  qu'on  y  rencontre,  n'a 
qu'à  jeter  un  coup  d'oeil  sur  la  carte  dressée  par  l'état-major. 

De  Neufchâteau .  à  Vaucouleurs,  la  Meuse  coule  doucement  à 
travers  les  prairies,  formant  une  vallée  de  un  à  deux  kilomètres 
de  largeur,  de  trente  à  trente-cinq  kilomètres  de  longueur. 
Sur  la  rive  gauche,  à  l'ouest  par  conséquent  de  la  rivière,  court 
une  ligne  de  coteaux,  à  pente  douce  en  bas,  mais  assez  raide  en 
haut,  formant  l'extrémité  de  plateaux  peu  fertiles  que  l'on  nomme 
les  Hauts-Pays.  Sur  la  rive  droite,  de  Neufchâteau  à  Apponcourt, 
le  paysage  est  riant  et  découvert.  Les  coteaux  ne  se  rapprochent 
de  la  Meuse  que  vers  Moncel;  mais  à  partir  de  ce  point,  ils  ne  la 
quittent  plus  jusqu'à  "Vaucouleurs,  quoique  moins  réguliers  et 
moins  abruptes  que  ceux  de  la  rive  gauche. 

Domremy  est  situé  à  peu  près  au  tiers  de  cette  vallée,  en  prenant 


i.  Paul  Bourget.  Réponse    au   discoui's  de    7'éception   de  M.    André 
I  heurte  t. 


456  APPENDICE    VIII 

pour  points  extrêmes  Neufchàteau  au  sud  et  Vaucouleurs  au  nord. 
Les  localités  qui  se  rencontrent  des  deux  côtés  de  la  Meuse,  sont 
d'abord  Rouceux,  qui  est  comme  un  faubourg  de  Neufchàteau  ; 
puis,  sur  une  colline  escarpée,  le  vieux  castel  de  Bourlemont,  et 
au  pied  de  la  colline,  Frébécourt,  village  patrie  de  Jean  Barre  ou 
Barrey,  l'un  des  parrains  de  Jeanne.  A  mi-chemin  de  Neufchàteau 
à  Domremy  se  présentent  Coussey,  chef-lieu  de  canton,  un  peu 
plus  loin  Apponcourt  et  Moncel  qui  nest  plus  qu'un  hameau  sans 
église,  dépendant  de  la  paroisse  d'Apponcourt. 

Si  l'on  suit  la  route  de  Verdun  à  partir  de  Domremy,  on  ren- 
contre d'abord  Greux,  et  en  face,  de  l'autre  côté  de  la  rivière  on 
aperçoit  au  pied  du  coteau  Maxey-sur- Meuse,  station  du  chemin 
de  fer  de  Pagny-sur-Meuse  à  Neufchàteau.  A  trois  kilomètres  plus 
loin  à  peu  près,  on  découvre  sur  une  élévation  à  gauche,  à  moitié 
colline,  le  petit  oratoire  de  Notre-Dame  de  Bermont,  et  de  l'autre 
côté  de  la  Meuse,  à  mi-côte,  Brixey-les-Chanoines.  Dans  la  direc- 
tion de  Goussaincourt  se  trouvent  Burey-la-Côte  et  Vouthon  ;  et 
enfin,  en  se  rapprochant  de  Vaucouleurs,  Maxey-sur-Vaise  et 
Burey-en-Vaux. 

Le  pays  de  Jeanne  était  loin  d'être  un  pays  infertile.  Grâce  à  ses 
prairies,  on  y  élevait,  comme  on  le  fait  encore  aujourd'hui,  de 
nombreux  troupeaux,  source  d'aisance,  sinon  de  richesse  pour  les 
habitants.  Sur  la  pente  des  collines,  une  étendue  de  terrain  assez 
considérable  permettait  de  cultiver  des  céréales,  la  vigne,  et  grand 
nombre  d'arbres  à  fruits. 

Pour  jouir  du  coup  d'teil  ravissant  qu'offrent  la  vallée  et  les 
coteaux  qui  la  dessinent,  le.  pèlerin  na  qu'à  se  rendre  par  une 
belle  journée  d'été  sur  le  plateau  du  Bois  Chesnu,  devant  la  nouvelle 
basilique.  Si  c'est  un  dimanche,  à  l'heure  des  offices,  les  belles 
cloches  de  Coussey,  Apponcourt,  Maxey-sur-Meuse,  Domremy,  lui 
enverront  leurs  sons  majestueux  et  leurs  notes  éclatantes.  A  cette 
heure  où  le  silence  plane  sur  les  champs,  on  dirait  des  voix  mys- 
térieuses sortant  des  profondeurs  de  la  vallée. 

Aux  regards  s'offre  un  spectacle  non  moins  captivant.  C'est  la 
rivière  qui  promène  ses  eaux  argentées  à  travers  les  prairies  d'un, 
vert  d'émeraude  ;  ce  sont  les  villages  dont  on  aperçoit  les  habita- 
tions au-dessus  desquelles  s'élèvent  la  masse  des  églises  et  la  flèche 
des  clochers  ;  ce  sont  les  longs  rectangles  à  couleurs  vives  que  les 
diverses  cultures  dessinent  sur  la  déclivité  des  collines;  ce  sont 
enfin  les  bouquets  sombres  de  bois  qui  de  loin  en  loin  se  dressent 
et  tranchent  sur  le  fond  clair  du  terrain.  Tel  est  le  cadre  dans 
lequel  s'est  déroulée  la  jeunesse  de  Jeanne  d'Arc. 


LE    PAYS    DE    JEANNE    D  ARC  4B7 


2°  Domremy. 


Le  petit  village  où  naquit  la  libératrice  d'Orléans  est  de  nos 
jours  aussi  modeste,  aussi  humble  qu'il  pouvait  l'être  autrefois  : 
il  ne  compte  guère  que  deux  cent  quatre-vingts  habitants. 
On  l'appelle,  en  souvenir  de  Jeanne  d'Arc,  Domremy-la-Pucelle. 
Autrefois,  il  s'appelait  Domremy-de-Greux  ou  Domremy-sur- 
Meuse,  pour  le  distinguer  des  autres  localités  de  même  nom,  telles 
que  Domremy-aux-Bois,  canton  de  Commercy  (Meuse),  Domremy- 
en-Ornois,  canton  de  Doulaincourt  (Haute-Marne),  Domremy-la- 
Canne,  canton  de  Spincourt  (Meuse),  etc.. 

Pour  se  rendre  aujourd'hui  dans  la  patrie  de  Jeanne,  on  prend 
le  chemin  de  fer  de  Pagny-sur-Meuse  à  Neufchâteau,  on  descend  à 
la  gare  de  Maxey,  on  suit  le  chemin  de  Greux,  qui,  après  avoir 
traversé  la  Meuse  va  rejoindre  la  route  de  Vaucouleurs  à  Dom- 
remy, on  tourne  à  gauche  et  au  bout  de  500  mètres  on  est  arrivé. 

Pi'ésentement,  Domremy  appartient  au  département  des  Vosges 
et  au  diocèse  de  Saint-Dié.  Depuis  le  Concordat  jusqu'en  1821,  il 
ne  fut  qu'un  annexe  de  la  paroissade  Greux.  En  1821,  une  ordon- 
nance royale  l'érigea  en  succursale.  En  1823,  le  cadastre  recula 
quelque  peu  du  coté  de  Greux  le  territoire  communal. 

Au  temps  de  la  Pucelle,  le  seigneur  de  Domremy  était  Henri 
d'Ogeviller,  bailli  des  Vosges  et  maître  d'hôtel  du  duc  de  Lorraine 
Charles  11.  Ce  seigneur  étant  mort,  sa  femme,  Jeanne  de  Joinville, 
se  remaria  à  Jean,  comte  de  Salm.  La  seigneurie  de  Domremy 
demeura  dans  cette  famille.  A  la  fin  du  seizième  siècle,  elle  passa 
de  la  famille  de  Salm  à  la  maison  ducale  de  Lorraine  jusqu'à 
la  réunion  du  duché  à  la  France  en  1737  (J.-Ch..  Chapellier, 
Étude  historique  et  géographique  sur  Domremy,  p.  10.) 

Une  des  dépendances  des  seigneurs  de  Domremy  dans  le  village 
était  une  construction  nommée  le  Château  de  l'Isle,  sorte  de  forte- 
resse bâtie  dans  une  petite  île  formée  par  les  eaux  de  la  Meuse. 
On  la  nommait  encore  «  la  forte  maison  de  Domremy,  fortali- 
tium  ».  C'était  à.  ses  murailles  que  les  habitants  de  la  localité 
demandaient  un  abri  pour  eux  et  leurs  troupeaux,  lorsque  des 
bandes  de  pillards  étaient  signalés  dans  le  voisinage.  Ce  château 
était  à  peu  de  distance  et  presque  en  face  de  l'église.  11  en  est  assez 
souvent  question  dans  les  témoignages  recueillis  pour  la  l'éhabili- 
tation.  Aujourd'hui  l'île  dans  laquelle  ce  château  était  construit 
n'existe  plus  :  elle  a  fait  place  à  une  prairie  que  longe  une  planta- 
tion de  saules. 


458  APPENDICE    VIII 

Outre  ce  château,  les  seigneurs  du  village  natal  de  la  Pucelle  y 
possédaient  une  maison  seigneuriale  qui  se  voyait  encore,  il  y  a 
quelques  années,  dans  la  principale  rue  à  gauche,  en  allant  vers 
Greux.  M.  le  curé  de  Domremy,  dans  son  Guide  du  Pèlerin,  signale 
les  croisées  Renaissance  de  cette  maison  qu'il  y  a  vues,  et  un 
écusson  fruste  représentant  saint  Michel  vainqueur  du  dragon. 

Au  spirituel,  Domi'emy,  ne  faisait  qu'une  paroisse  avec  Greux  et 
relevait  de  l'évéque  de  Toul.  Cette  «  ville  assise  en  l'empire,  était 
hors  du  royaume  et  indépendante  du  duché  de  Lorraine.  »  L'évéque 
de  Toul  avait  pour  métropolitain  l'archevêque  de  Trêves  :  la  popu- 
lation du  diocèse  atteignait  un  million  d'habitants. 

Le  voyageur  a  bientôt  parcouru  les  rues  de  Domremy.  La  prin- 
cipale est  formée  par  la  route  de  Neufchâteau  et  va  de  l'entrée  du 
village,  au  nord,  à  l'église,  au  sud,  un  peu  avant  le  pont  de  la 
Meuse.  Une  deuxième  rue  part  de  l'église,  obliquant  un  peu  à 
droite,  toujours  dans  la  direction  du  midi,  longe  quelques  instants 
le  canal  du  moulin  dont  elle  porte  le  nom  et  monte  vers  le  Bois 
Chesnu  et  la  basilique.  Les  rues  transversales  n'ont  rien  de  parti- 
culier. Seule,  la  rue  de  l'Isle,  qui  descend  vers  la  Meuse  à  l'endroit 
où  se  trouvait  l'ancien  pont,  rappelle  l'île  disparue  au  milieu  de 
laquelle  s'élevait  le  château  fort  dans  lequel  les  villageois  allaient 
chercher  un  refuge  contre  les  routiers  et  les  pillards. 

3°  La  Maison  de  Jeanne  d'Arc. 

Depuis  1818-1820  la  maison  où  naquit  Jeanne  d'Arc  est  devenue 
propriété  nationale  et  a  été  mise  au  rang  des  monuments  histo- 
riques. Que  ce  soit  bien  celle  dont  l'héroïne  parle  dans  ses  interro- 
gatoires, celle  qu'habitèrent  et  possédèrent  ses  parents  et  neveux, 
une  série  ininterrompue  de  témoignages,  y  compris  celui  du  grand 
écrivain  Michel  Montaigne,  jusqu'en  l'année  1818,  autorise  à  le 
croire  :  aucun  document  sérieux  n'indique  le  contraire.  On  peut 
lire  ces  témoignages  dans  l'opuscule  de  l'abbé  Mourot.  du  diocèse 
de  Saint-Dié,  intitulé  :  V authenticité  de  la  maison  de  Jeanne  d'Arc 
à  Domremy.  In-S",  Saint-Dié,  1890. 

Montaigne  la  visita  en  1580.  Il  fait  observer  que  «  le  devant  de 
la  maison  où  naquit  cette  fameuse  Pucelle  d'Orléans  est  tout  peint 
de  ses  gestes  ;  mais  l'âge  en  a  fort  corrompu  la  peinture.  » 
(Siméon  Luce,  Jeanne  d'Arc  à  Domremy,  p.  181.) 

Après  la  mort  de  son  mari  Jacques  d'Arc,  la  mère  de  Jeanne, 
Isabelle  Romée,  habita  la  maisonnette  de  famille  jusque  vers  1440. 
En  celle  année,  les  hahilanls  d'Orléans  la  décidèrent  à  venir  habiter 


LE    PAYS    DE    JEANNE   d'aRC  459 

avec  son  fils  Pierre  dans  la  ville  délivrée  par  sa  fille  ;  elle  y  mourut 
en  1458.  Jean  d'Arc,  l'un  des  frères  de  la  Pucelle,  vint  s'établir 
dans  la  maison  de  Domremy,  après  s'être  retiré  du  service  du  roi, 
en  1468,  et  lapropriété  de  ladite  maison  ne  cessa  d'appartenir  aux 
neveux  et  arrière-neveux  de  Jeanne  jusqu'à  la  mort  de  Claude  du 
Lys,  curé  de  Greux  et  Domremy,  dont  les  héritiers  la  vendirent 
en  1587  à  Louise  de  Stainville,  comtesse  de  Salm. 

Au  commencement  du  dix- huitième  siècle,  ce  sont  les  époux 
Gérardin  qui  en  sont  propriétaires,  et  c'est  l'arrière-petit-fils  de 
ces  Gérardin,  Nicolas  Gérardin,  ancien  dragon  au  service  de  la 
France,  retraité  pour  cause  de  blessures,  qui  la  possédait  en  1818. 

Eu  1813,  les  alliés  étant  entrés  en  France,  des  Autrichiens  et 
des  Prussiens  visitèrent  l'humble  maison  de  Jeanne  d'Arc.  L'ar- 
chiduc Ferdinand,  qui  fut  plus  tard  empereur  d'Autriche,  voulut 
emporter  comme  relique  une  petite  pierre  qu'il  détacha  du  mur, 
au-dessus  du  linteau  de  la  porte.  Un  comte  prussien  demanda  à 
Gérardin  de  lui  vendre  le  tympan  sculpté  et  la  statue  qui  le  sm*- 
montait.  Sur  son  refus,  il  lui  offre  6,000  francs  pour  la  maison 
tout  entière.  Le  brave  soldat  refuse  encore.  Chose  plus  honorable 
que  ce  refus,  Géi'ardin  cède  ladite  maison  pour  2,500  francs  au 
Conseil  général  du  département  des  Vosges,  à  la  condition  d'en 
être  le  gardien  jusqu'à  sa  mort.  L'acte  fut  passé  le  20  juin  1818 
par-devant  M^  Edme,  notaire  à  Neufchâteau. 

Le  roi  Louis  XVI II,  touché  de  cet  acte  de  générosité,  nomma 
Gérardin  «  chevalier  de  la  Légion  d'honneur,  tant  à  cause  de 
ses  services  comme  ancien  militaire,  qu'en  mémoire  de  Jeanne 
d'Arc  ». 

En  son  honneur,  la  ville  d'Orléans  toujours  fidèle  à  la  mémoire 
de  Jeanne,  fit  frapper  une  médaille  d'or  avec  cette  inscription  : 

LA    VILLE    d'ORLÉANS 

a   NICOLAS   GÉRARDIN 

POUR    AVOIR   PAR    UN   LOUABLE 

DÉSINTÉRESSEMENT   CONSERVÉ   A 

LA    FRANCE   LA   MAISON   OU   NAQUIT 

LA   PUCELLE   d' ORLÉANS 

1818. 

Cette  médaille  fut  adressée  à  Gérardin  avec  une  lettre  du  comte 
de  Rocheplatte,  maire  d'Orléans,  qui  le  louait  dans  les  tei'mes  les 
plus  flatteurs  de  sa  généreuse  action.  Gérardin  mourut  à  Domremy 
le  4  octobre  1829,  entouré  de  l'estime  universelle. 


460  APPENDICE    VIII 

Lorsque  le  Conseil  général  des  Vosges  acquit  la  maison  de 
Jeanne  d'Arc,  des  constructions  en  masquaient  la  vue  et  en 
obstruaient  les  abords.  Telle,  par  exemple,  la  maison  de  Gérar- 
din,  car  il  n'habitait  pas  la  chaumière  de  Jeanne.  Le  Conseil 
général,  en  1819,  acheta  ces  constructions,  les  fit  démolir  et 
dégagea  la  maison  de  Jeanne.  En  même  temps,  il  s'occupa  de 
faii'e  rétablir,  à  l'intérieur  et  à  l'extérieur  de  la  maisonnette,  les 
choses  comme  elles  étaient  pendant  que  la  famille  et  les  arrière- 
neveux  de  la  Pucelle  l'occupaient. 

En  1823,  on  y  avait  annexé  deux  pavillons  construits  exprès 
et  reliés  par  une  grille,  l'un  pour  servir  à  une  école  de  filles, 
l'autre  pour  servir  de  musée  ;  ces  deux  pavillons  ont  été  récem- 
ment démolis. 

Aujourd'hui,  devant  la  maison  de  Jeanne  s'étend  une  petite 
pelouse  entourée  d'une  grille  fermée  par  une  porte  de  fer.  A  côté 
de  la  maisonnette  historique  s'élève  le  logis  du  gardien.  Au  milieu 
de  l'espace  planté  darbi-es  qui  s'étend  devant  la  maison  se  dresse 
le  monument  dû  au  statuaire  Antonin  Mercié. 

Au-dessus  de  la  porte  d'entrée  de  la  maison  de  Jeanne  d'Arc,  se 
développe  un  encadrement  ogival  qui  embrasse  trois  écussons  : 
celui  du  milieu  est  aux  armes  de  France,  avec  ces  mots  au-dessous 
en  lettres  gothiques  : 

Vive  -{-  i,e  -}-  Roi  +  Louis. 

11  s'agirait  de  Louis  XI,  sous  le  règne  de  qui  les  neveux  de 
Jeanne  auraient  fait  exécuter  cette  décoration  (1481). 

L'écusson  de  gauche  porte  les  armes  des  Tbiesselin,  dont  la 
fille,  en  1460,  épousa  Claude  du  Lys,  neveu  de  Jeanne. 

L'écusson  de  droite  porte  les  armoiries  données  à  la  Pucelle  et 
à  sa  famille  par  Chai-les  Vil  ;  deux  lis  d'or  sur  champ  d'azur,  et 
une  épée  nue  d'argent  à  la  garde  dorée,  dont  la  pointe  soutient  une 
couronne. 

Au  sommet  de  l'ogive  se  détachent  une  gerbe  de  blé  et  des  ceps 
de  vigne,  au-dessous  desquels  on  lit  sur  deux  lignes  : 

l''  La  devise.        Vive  Labeur 

Z    La  date,    ^    ^^^^    ^jjj    ^jjj    ^ 

c'est-à-dire  1481. 

D'après  Siméon  Luce,  Vive  labeur  signifierait  Vive  le  labourage  ! 
Ces  mots  ne  signifieraient-ils  pas  simplement  :   Vive  le  travail  ! 


LE    PAYS    DE    JEANNE    D  ARC  461 

On  s'est  demandé  si  cette  devise  était  celle  des  parents  de 
Jeanne  d'Arc  ou  si  elle  n'a  été  imaginée  que  plus  tard. 

D'après  une  communication  faite  à  l'auteur  par  M.  G.  de  Braux 
à  qui  l'on  doit  les  Recherches  sur  la  famille  de  Jeanne  d'Arc, 
in-8°,  Paris,  1828,  la  devise  Vive  Labeur  était  celle,  non  de  la 
famille  de  Jeanne,  mais  des  Thiesselin,  dont  la  fille  Nicole  avait 
épousé  Claude  du  Lys.  La  devise  était  la  traduction  de  leui's 
armoiries. 

Tout  l'encadrement  de  la  maison  est  surmonté  dune  statue 
de  fonte,  représentant  Jeanne,  statue  placée  dans  une  niche  avec 
un  dais  gothique.  Cette  statue  est  la  reproduction  réduite  d'une 
statue  de  pierre  qui  aurait  été  sculptée  en  1456  et  qui  demeura 
plusieurs  siècles  dans  la  chapelle  Notre-Dame  de  l'église  parois- 
siale. 

Le  rez-de-chaussée  comprend  quatre  pièces  : 

1°  La  chambre  de  famille  où  Jeanne  est  née.  On  y  entre  par  la 
porte  dont  nous  avons  parlé.  A  gauche,  en  entrant  et  prés  de  la 
fenêtre  on  voit,  préservée  par  un  treillis,  la  poutre  à  laquelle  la 
fille  de  Jacques  d'Arc  suspendait  sa  lampe  pour  travailler  les 
soirées  d'hiver. 

2°  La  chambre  de  Jeanne  s'ouvre  au  fond  de  la  chambre  de 
famille  ;  elle  a  une  toute  petite  fenêtre  d'où  Jeanne  pouvait  voir 
l'église,  et  un  placard  à  côté.  A  droite  de  la  fenêtre  s'ouvrait  le  four, 
aujourd'hui  supprimé.  La  poutre  de  cette  chambre  a  été  tailladée 
à  coups  de  sabre  par  les  alliés  en  1815. 

3°  Le  cellier,  qui  est  contigu  à  la  chambre  de  Jeanne,  reçoit  la 
lumière  par  un  soupirail  qui  donnait  sur  le  jardin. 

4°  La  chambre  des  frères  de  Jeanne  était  à  droite  de  la  chambre 
de  famille,  avec  une  porte  sur  le  dehors,  du  côté  de  l'église. 

Au-dessus  du  rez-de-chaussée  s'étend  le  grenier  avec  une  grande 
fenêtre  croisée.  Il  y  avait  là  une  pièce  qui  fut  habitée  par  Claude 
du  Lys,  curé  de  Greux-Domremy,  au  commencement  du  seizième 
siècle. 

Le  jardin  où  Jeanne  eut  sa  première  vision  était  derrière  la 
maison.  Aujourd'hui,  la  place  qu'il  occupait  est  traversée  par  le 
ruisseau  des  Trois-Fontaines. 

4°  L'Eglise  de  Domremy. 

Léglise  que  l'on  voit  à  Domremy  est  bien  celle  où  Jeanne  d'Arc 
a  prié;  mais  elle  a  été,  en  1824.  l'objet  d'une  restaui-ation  et  d'un 
remauiementqui  lont  transformée.  Les  subslruclionsqui  laportent, 


462  APPENDICE    VIII 

la  grande  voûte,  les  piliers,  quelques  pierres  de  deux  contreforts 
sont  contemporains  de  la  Pucelle  ;  mais  le  transept,  l'abside,  la 
disposition  des  autels,  le  clocher,  tout  cela  date  de  1824.  Déjà, 
en  1823,  le  cimetière  avait  été  transféré  loin  de  l'église,  sur  le 
coteau  vpisin.  L'année  suivante,  les  modifications  commencèrent. 
A  la  place  de  l'ancien  portail  on  construisit  une  abside.  Le  nou- 
veau portail  souvrit  sur  la  route  ;  un  transept  formé  par  l'adjonc- 
tion de  deux  chapelles  latérales  donne  à  l'édifice  la  physionomie 
d'une  croix  latine. 

Les  fonts  baptismaux,  cuve  de  pierre  du  douzième  siècle  où 
Jeanne  fut  baptisée  et  sur  laquelle  elle  tint  un  enfant  de  Gérardin 
d'Épinal,  sont  dans  le  bras  méridional  du  transept.  A  droite,  en 
entrant  dans  l'église,  se  trouve  un  tronçon  de  colonne  creusée  : 
c'est  le  bénitier  où  Jeanne  prenait  leau  bénite. 

La  chapelle  de  la  sainte  Vierge,  sur  l'autel  de  laquelle  Jeanne 
fut  déposée,  occupait  la  dernière  travée  de  la  nef  latérale  du  sud  ; 
il  n'en  reste  que  la  fenêtre  ogivale  géminée  qui  l'éclairait.  La  statue 
de  Notre-Dame,  au  pied  de  laquelle  Jeanne  a  si  souvent  prié, 
n'existe  plus  ;  on  la  brûla  sous  prétexte  de  vétusté. 

Une  statue  de  saint  Michel,  de  bois  vermoulu,  se  dresse  contre 
un  pilier  ;  elle  est  postérieure  à  l'époque  de  Jeanne.  Une  statue 
mutilée  de  sainte  Marguerite,  statue  de  pierre,  s'adosse  au  pilier 
opposé  :  celle-ci  serait,  croit-on,  du  temps  de  Jeanne  d'Arc. 

Sur  cessiijets  delamaison  deJeanne,  de  l'église  de  Domremy,  etc., 
voir  Abbé  Mourot,  Domremy  et  le  Monument  national,  chap.  i-iii. 
In-12,  Nancy,  sans  date  (probablement  de  1894). 

^^  Notre-Dame  de  Bermont. 

L'un  des  pèlerinages  que  les  habitants  de  Domremy  appelés  à 
déposer  à  l'enquête  de  la  réhabilitation,  représentent  comme  par- 
ticulièrement cher  à  la  Pucelle,  était  celui  de  Notre-Dame  de 
Bermont.  On  ne  comprend  pas  bien  pourquoi  ses  juges  ne  l'inter- 
rogèrent jamais  sur  ce  sujet.  Elle  leur  disait  cependant  qu'elle 
«  était  venue  au  roi  de  France  de  par  la  Bienheureuse  Vierge 
Marie  ». 

Notre  Dame  de  Bermont,  appelée  autrefois  de  Beaumont  ou  de 
Belmont,  était  un  oratoire  fréquenté  des  gens  du  pays  au  temps  de 
Jeanne  d'Arc.  Us  lui  donnaient  le  nom  d'ermitage.  La  petite  cha- 
pelle où  ils  allaient  vénérer  une  statue  de  la  bienheureuse  Vierge 
avait  d'abord  été  placée  sous  le  vocable  de  Saint  Thiébaut  qu'on  y 
invoquait  contre  les  intempéries  des  saisons.  Elle  §' élève  sur  une 


LE    PAYS    DE    JEANNE    d'AUC  463 

éminence  encadrée  de  bois,  à  gauche  de  la  route  de  Verdun,  en 
allant  vers  le  nord,  au  delà  de  Gi'eux,  à  3  kilomètres  de  Domremy, 
A  côté  de  l'éminence,  dans  un  pli  de  terrain,  coule  une  fontaine 
dite  de  Saint-Tiébaut,  dont  les  eaux  sont  réputées  guérir  miracu- 
leusement de  la  fièvre.  A  la  chapelle  furent  annexés,  à  diverses 
époques,  une  léproserie,  un  ermitage  et  un  asile  pour  les  voya- 
geurs. Aujourd'hui,  il  y  a  une  habitation  auprès,  et  le  tout  est 
propriété  privée.  Sur  la  petite  cloche  qu'on  y  conserve  et  qu'on 
croit  dater  de  l'année  de  la  réhabilitation,  on  remarque  les  initiales 
gothiques  : 

A.  V.  E.  M.  P.  E.  1.  A.  D.  E.  P.  M.  A.  N.  G.  T. 

Ce  seraient  les  lettres  initiales  des  mots  suivants  : 

Ad  Virginem  E  Manibus  Populi  Extrahentem  Imperium  Angli- 
cani,  Dedicatum  Est  Post  Mortem  Ad  Nominis  Gloriam  Tintinna- 
bulum. 

«  A  la  Vierge  qui  a  arraché  le  royaume  des  mains  du  peuple 
anglais,  a  été  dédiée,  pour  la  gloire  de  son  nom,  cette  petite 
cloche.  » 

Plusieurs  historiens  de  Jeanne  d'Arc,  qui  n'avaient  point  visité 
Domremy.    Abel   Desjardins   [Vie  de  Jeanne  d'Arc,   p.  10,  in-8°, 

Paris,  1895);   l'allemand    Goerres  {Vie ,,  p.  13,   in-8°,   Paris, 

1886),  placent  Notre-Dame  de  Bermont  près  du  Bois-Chesnu,  au 
sud  du  village.  Cette  chapelle  est,  au  contraire,  comme  nous 
l'avons  dit,  tout  au  nord,  après  Greux,  dans  la  direction  de  Vau- 
couleurs. 

Elle  s'était  assez  bien  consei'vée  jusqu'aux  premières  années  du 
xix<^  siècle;  mais  alors  elle  tomba  en  ruines.  Des  mains  pieuses  la 
relevèrent  en  1835  et  la  mirent  dans  l'état  où  elle  est  présente- 
ment.'La  statue  de  la  Vierge  qu'on  y  voit  serait  celle  devant 
laquelle  Jeanne  d'Arc  a  prié.,  Deux  statuettes  et  une  cloche  qu'on  y 
conserve  seraient  aussi  de  ce  même  temps.  Aujourd'hui,  avons-nous 
dit,  la  chapelle  est  propriété  privée.  On  y  accueille  gracieusement 
Jes  visiteurs.  Le  site  est  sauvage  :  des  bois  l'encadrent  au  sud  et  à 
l'ouest.  En  regardant  du  côté  du  nord  et  de  l'est,  l'on  voit  se 
dérouler  la  vallée  de  la  Meuse  avec  ses  prairies  et  ses  collines  ; 
dans  cette  direction  le  paysage  est  riant  et  découvert.  C'est  chose 
assez  vraisemblable  que  dans  cette  solitude  Jeanne  retrouvait  ses 
visions  et.  ses  voix. 


464  APPENDICE    VIII 


6°  L'oratoire  ou  ermitage  Sainte-Marie. 

Des  interrogatoires  du  Procès  de  Rouen,  on  a  inféré  qu'il  y  avait 
près  du  Bois  Chesnu,  au  temps  de  la  Pucelie,  une  statue  de  la 
Vierge  et  un  oratoire  ou  ermitage  en  ruines  l'abritant.  C'est 
autour  de  cette  statue  que  Jeanne  suspendait  les  guirlandes  qu'elle 
tressait  pi'ès  de  l'arbre  des  Fées.  «  Et  faciebat  apud  arborem  serta 
pro  imagine  beatx  Marix  de  Domremy.  »  (Procès,  t.  I.  p.  67.) 

On  l'infère  aussi  d'une  pièce  où  il  est  dit  que  «  le  doyen  du 
chapitre  de  Toul,  Etienne  Hordal,  a  fait  bâtir,  sons  l'invocation  de 
Notre-Dame,  au  finage  [territoire)  de  Domremy,  une  chapelle 
appelée  vulgairement  la  Chapelle  de  la  Pucelle  de  Dojiremy.  » 
Bien  que  la  pièce  citée  soit  de  1623,  Etienne  Hordal  a  pu  rem- 
placer le  vieil  oratoire  par  une  construction  neuve,  ce  qui  expli- 
querait suffisamment  les  mots  «  a  fait  bàlir  ».  D'autre  part,  le 
nom  de  Chapelle  de  la  Pucelle  donné  vulgairement  à  cette  cha- 
pelle, suppose  une  tradition  établie  que  la  construction  de  la 
chapelle  à  la  place  de  l'oratoire  n'aurait  fait  qu'entretenir.  En  bas^ 
dans  le  lit  de  la  Meuse,  on  montrait  le  gué  de  l'Ermite  où  passait 
le  gardien  de  la  chapelle. 

Etienne  Hordal  était  de  la  famille  de  .Jeanne  d'Arc  et  un  de  ses 
arrière-neveux.  On  voyait  dans  la  cathédrale  de  Toul,  jusqu'à  la 
■Révolution,  une  statue  que  son  oncle  Claude  Hordal,  doyen  comme 
lui  du  chapitre  de  Toul,  y  avait  fait  élever.  Etienne  Hordal  fit 
placer  une  statue  semblable  dans  la  chapelle  restaurée,  aux  pieds 
de  celle  de  la  Vierge. 

En  1635-1640,  les  Suédois  ayant  envahi  la  Lorraine,  détruisirent 
la  chapelle  Sainte-Marie.  On  put  cependant  sauver  la  statue  que 
l'on  recueillit  dans  la  maison  de  Jeanne  d'Arc.  Les  ruines  amon- 
celées de  la  chapelle  reçurent  le  nom  de  Pierrier  de  la  Pucelle. 
L'évêque  d'Orléans,  Ms"' Dupanloup,  eut  en  1869  l'heureuse  idée  de 
faire  pratiquer  des  fouilles  dans  ce  monceau  de  pierres.  Ces  tra- 
vaux amenèrent  la  découverte  des  fondements  de  la  chapelle,  de 
la  clef  de  voûte  aux  armes  de  la  famille  du  Lys,  et  d'un 
fronton  Renaissance,  sur  lequel  est  gravé  le  nom  de  E.  Hordal. 

Sur  l'emplacement  même  de  ces  ruines  de  la  chapelle  de 
Sainte-Marie-la-Pucelle  s'élève  aujourd'hui  la  Basilique  en  l'honneur 
de  Jeanne  d'Arc. 

Un  peu  au-dessous  de  la  Basilique,  à  une  centaine  de  mètres  au 
sud-est,  on  a  planté  tout  récemment  un  nouveau  Mai,  un  jeune 
hêtre,  là  où,  d'après  la  tradition,  se  dressait  dans  sa  beauté  sans 


LE    PAYS    DE    JEANNE    D  ARC  465 

rivale  le  vieil  Ai'bre  des  Fées.  Le  nouveau  Mai  sera-t-il  jamais 
aussi  majestueux,  aussi  célèbre  que  celui  du  temps  de  Jeanne 
d'Arc?... 

Sur  ces  divers  sujets,  voir  Fopuscule  :  Guide  el  Souvenirs  du 
ri'lerin  à  Domrcmy,  publié  par  les  soins  de  M.  le  chanoine  Bour- 
gaut,  curé  de  Domremy.  Petit  in-32  de  85  pages,  Nancy.  1878. 


7'^  Notre-Dame  de  Beauregard. 

Le  sanctuaire  de  Notre-Dame  de  Beauregard,  se  dresse  à  l'opposé 
et  presque  en  face  de  Notre  Dame  de  Bermont,  de  l'autre  côté  de 
la  Meuse.  Il  occupe  le  plateau  d'une  petite  colline  dépendant  de 
la  paroisse  de  Maxey-sur-Meuse  dont  une  dislance  de  sept  à  huit 
cents  mètres  le  sépare.  Le  trajet  de  la  gare  de  Maxey-sur-Meuse  à 
Beauregard  ne  demande  guère  qu'une  vingtaine  de  minutes.  Du 
seuil  de  la  chapelle,  le  pèlerin  embrasse  un  panorama  des  plus 
gracieux,  —  ce  qui  explique  et  justifie  ce  nom  de  Beauregard. 
C'est  la  vallée  de  la  Meuse  qui  se  déroule  en  amont  el  en  aval  du 
fleuve,  sur  une  longueur  de  trenlc  kilomètres,  depuis  Neufchàteau 
et  Domremy  jusqu'à  Vaucouleurs. 

Outre  le  nom  de  Notre-Dame  de  Beauregard,  ce  sanctuaire  porte 
aussi  celui  de  Notre-Dame  de  Pitié.  Depuis  plusieurs  siècles,  on  y 
honore  sous  ce  vocable  la  Vierge  Mère,  et  l'on  y  voit  un  groupe  qui 
la  représente  tenant  son  divin  Fils  sur  ses  genoux. 

Au  jugement  des  archéologues,  vu  le  caractère  artistique  de  ce 
groupe,  il  remonterait,  ainsi  que  la  chapelle,  au  moins  au  xni° 
siècle. 

Jeanne  d'Arc,  avons  nous  dit,  dut  aimer  et  visiter  souvent 
Notre-Dame  de  Beauregard.  Les  textes  et  les  raisons  qui  induisent 
à  le  supposer  sont  les  mêmes  qui  autorisent  à  affirmer  comme 
chose  ti'ès  probable  que  la  fille  de  Jacques  d'Arc  visita  souvent, 
en  son  adolescence,  les  églises  de  Maxey-sur-Meuse  el  de  IMoncel 
par  dévotion  pour  sainte  Catherine  et  pour  saint  Michel. 

A  la  tradition  constante  du  pays  qui  n'a  jamais  varié  sur  ce 
point,  se  joint  le  fait  documentaire  d'un  legs  de  Messire  Claude  du 
Lys,  curé  de  Domremy  et  Creux,  et  petit-neveu  de  la  Pucelle,^ 
consenti  en  faveur  de  Notre-Dame  de  Pilié.  «  Je  donne,  a-t-il  dit 
en  son  testament  du  S  novembre  1549,  à  Nolre-Damc  de  Beaure- 
gard six  gros  pour  une  fois.  » 

Or.  l'un  des  motifs  de  ce  legs  pieux  fut  très  vraisemblablement 
le  dessein,  chez  le  petit-neveu  de  Jeanne  d'Arc,  d'honorer  les  sanc- 

30 


466  APPENDICE    VIII 

tuaires  où  sa  glorieuse  et  bien-aimée  parente  avait  coutume  de 
venir  en  pèlerinage. 

Depuis  1874,  époque  à  laquelle  la  chapelle  de  Notre-Dame  de 
Beauregard  a  été  restaurée,  une  plaque  de  marbre  perpétue  le 
souvenir  de  la  libéralité  du  petit-neveu  de  Jeanne. 

De  Domremy  à  Beauregard  le  trajet  n'est  guère  plus  long  que 
de  Domremy  au  sanctuaire  de  Bermont.  La  petite  .Jeannette  pouvait 
s'y  rendre  commodément  en  suivant  un  sentier  solitaire,  à  travers 
les  prairies,  sans  passer  par  le  village  même  de  Maxey. 

Aux  beaux  jours  du  printemps  et  de  l'été,  il  lui  était  facile,  dans 
la  même  après  midi,  de  satisfaire  sa  dévotion  à  la  Bienheureuse 
Vierge,  à  sainte  Catherine  et  à  saint  Michel  et  de  venir  prier 
dans  les  trois  sanctuaires  de  Beauregard,  de  Maxey  et  de  Moncel, 
ces  trois  localités  se  trouvant  voisines  l'une  de  l'autre  et  très 
rapprochées  de  Domremy. 

Notre-Dame  de  Beauregard  est  toujours  chère  aux  habitants  de 
la  vallée  de  la  Meuse.  Chaque  année,  on  s'y  rend  deux  fois  solen- 
nellement en  pèlerinage,  le  deuxième  dimanche  après  Pâques,  et  au 
mois  de  septembre,  pour  la  fête  de  Notre-Dame  des  Sept  Douleurs. 

Dans  le  trajet  de  Maxey  au  sanctuaire,  les  pèlerins  chantent  des 
cantiques  où  il  évoquent  le  souvenir  de  .Jeanne  d'Arc. 

Jeanne  la  Pucelle 
Suivit  ce  sentier  : 
Nous  venons  comme  elle 
Ici  te  prier. 

Ils  ne  peuvent  être  qu'agréablement  surpris  lorsque,  parvenus  au 
sommet  de  la  colline,  ils  aperçoivent  près  de  la  chapelle,  une 
statue  de  Jeanne  d'Arc  d'un  très  bel  effet  artistique. 


APPENDICE    IX 

LA    FAMILLE      DE     JEANNE    d'aRC 

1»  Le  nom  de  la  famille  d'Arc 

Du  berceau  de  la  famille  de  la  Pucelle  on  sait  bien  peu  de 
chose,  malgré  les  recherches  auxquelles  les  érudits  se  sont  livrés. 

A  six  lieues  de  Chaumont  (Haute-Marne),  en  Champagne,  se  trou- 
vait un  bourg  nommé  Arc-en-Barrois,  qui  a  peut-être  été  le  berceau 
des  ancêtres  de  Jeanne  et  qui  leur  a  donné  son  nom.  Mais  ce  n'est 
qu'une  conjecture. 

Il  y  avait  dans  le  duché  de  Bourgogne  une  localité  portant  le 
même  nom  :  Arc-en-Tille  (aujourd'hui  département  de  la  Côte-d'Or, 
arrondissement  de  Dijon).  En  1392,  la  châtelaine  de  ce  pays  s'appe- 
lait Jeanne  d'Arc.  (SiMÉON  Luge,  Jeanne  d'Arc  à  Domremy,  pp.  25,  32.) 

Ce  nom  d'Arc  n'a  pas  été  porté  seulement  par  des  cultivateurs  et 
des  châtelaines  ;  il  l'a  été  aussi  par  des  bourgeois,  des  chapelains, 
chanoines  et  autres  ecclésiastiques.  Il  y  eut  un  Jehan  d'Arc,  évêque 
de  Verdun  de  1245  à  1253.  En  1353,  Simon  d'Arc  remplissait  les 
fonctions  de  chapelain  de  la  chapelle  Notre-Dame  au  château  royal 
de  Chaumont  ;  en  1375  et  1390,  il  y  avait  à  Troyes  un  drapier  du 
nom  de  J.  d'Arc  et  un  chanoine  du  nom  de  Pierre  d'Arc;  en  1404, 
à  Bar-sur-Seine,  au  diocèse  de  Langres.  le  curé  s'appelait  Michel 
d'Arc.  (Slméon  Luge,  Jeanne  d'Arc  à  Domremy,  pp.  25-26.) 

Valletde  Viriville  a  signalé  l'existence  d'une  Jehanne  d'Arc  à  qui 
le  roi  Charles  VI  lit  remettre  dix-huit  sols  pour  la  remercier  de  lui 
avoir  présenté  ce  qu'on  appelait  alors  chapeaux,  c'est-à-dire  cou- 
ronnes de  fleurs.  «  Le  Roy,  pour  argent  donné  à  une  pauvre  femme 
nommée  Jehanne  d'Arc  qui  lui  avait  présenté  chapeaux.  Pour  ce 
dimanche,  xn'^  jour  de  juing  1407,  à  l'hôtel  Saint-Pol,  argent  : 
xviii  sols.  »  (Archives  nation...  sect.  hist.  A'A'  31-32,  fol.  90.) 

Cette  pauvre  femme  appartenait-elle  de  quelque  manière  à  la 
famille  de  Jacques  d'Arc  ?  on  ne  saurait  le  dire.  Le  lecteur  qui  aime 


468  APPENDICE    IX 

les  rapprochements,  à  l'occasion  de  cette  couronne  de  fleurs  pré- 
sentée à  l'infortuné  Charles  YI,  pourra  songer  à  la  couronne  que  la 
Pucelle  fil  mettre  à  Reims  sur  le  front  de  Charles  VII. 

Le  nom  d'Arc,  d'après  la  Pucelle  (  Procès,  t,  1,  p.  46  :  «  Pater 
vocabatur  Jacobus  d'Arc  »,  dit-elle  :  —  ibid.,  p.  191),  était  le  nom 
de  son  père;  c'est  celui  sous  lequel  les  actes  authentiques  du  procès 
de  réhabilitation  désignent  sa  famille.  Quelle  en  était  l'origine  ? 

On  a  fait  à  cette  question  des  réponses  diverses.  Les  uns  tirent  ce 
nom  d'une  des  localités  qui  le  portent  et  supposent  qu'un  des  aïeux 
de  Jeanne  y  était  établi.  Le  père  ou  le  grand-père  de  Jacques  d'Arc 
l'ayant  quittée  pour  habiter  Monliérendcr.  oùl'aïu-ait  appelé  Pierre 
ou  Jacques  d'Arc,, comme  on  appela  le  frère  d'Isabelle  Ilommée 
Jean  de  Vouthon,  du  nom  du  village  où  il  était  né. 

D'autres  font  venir  ce  nom  des  emblèmes  que  portait  le  sceau  de 
Jacques  d'Arc,  un  arc  bandé  de  trois  flèches.  11  y  aurait  donc  à 
choisir  entre  les  deux  étymologies  :  ab  Arco  ou  ab  Arcu.  Le  lecteur 
curieux  pourra  consulter  YOpusculc  de  Vallet  de  Viriville,  in-S", 
Paris,  1834,  ayant  pour  titre  :  Nouvelles  recherches  sur  la  famille 
et  le  nom  de  Jeanne  d'Arc.  Broch.  in-S^  de  50  pages,  Paris,  1854. 

La  Pucelle  ne  porta  pas  habituellement  le  nom  de  Jeanne  d'Arc. 
à  Domremy  et  en  France.  Elle-même  ne  se  nomma  jamais  ainsi, 
mais  Jeanne  ou  Jeannette  tout  court,  ou  Jeanne  la  Pucelle.  Cepen- 
dant, elle  fit  observer  à  ses  juges,  dans  la  séance  du  24  mars,  pen- 
dant qu'on  lui  lisait  la  minute  de  ses  interrogatoires,  «  qu'elle  avait 
pour  surnom  d'Arc  ou  Ramée,  parce  qu'en  son  pays  les  filles  por- 
taient le  surnom  de  la  mère.  »  {Procès,  t.  I,  p.  191.) 

Dans  le  Procès  de  réhabilitation,  elle  est  nommée  Jeanne  d'Arc 
aussi  souvent  que  Jeanne  tout  court.  (  Procès,  t.  Il,  pp.  7b,  82,  95, 
d40,  etc.) 

Les  lettres  d'anoblissement  données  en  décembre  1429  par 
Charles  VII  à  la  famille  de  Jeanne  et  à  tout  son  lignage,  ofîrent 
cette  singularité  que  les  membres  y  sont  désignés  sous  le  nom  d'Ay 
et  non  sous  le  nom  d'Arc  :  «  Johannse  d'Ay,  cara^  et  dilecla^  nos- 
ti-jg-  —  Jacobum  d'Ay.  patrem  ;  —  Jacqueminum  et  Jchannem 
à'.Kj.  »  [Procès,  t.  V,  pp.  I'dO,  151.) 

Edmond  Richer  ne  peut  «  conjecturer  d'où  une  telle  erreur  est  pro- 
venue, sinon  de  quelque  vice  de  clerc.  »  [liisloire  de  la  Pucelle,  liv.  IV, 
fo  109  verso.) 

J.  Quicherat  explique  cette  altération  par  la  manière  dont  les 
Lorrains  prononcent  les  R,  qu'ils  éteignent  presque  entièrement. 

Le  même  nom  d'Ay  pour  d'Arc  (Jehanne  d'Ay,  Jacques  d'Ay,  etc.), 
fic'urc  dans  le  texte  de  la  confirmation  que  Henri  H  fit,  en  1550,  du 


LA    FAMILLE    DE   JEANNE    d'aRC  469 

privilège  de  noblesse  accoi'dé  aux  descendants  de  la  famille  de 
Jeanne  d'Arc.  {Procès,  t.  V,  pp.  219-221.) 


De  l'orthographe  du  nom  «  d'Arc  ».  —  Quelle  est  l'orthographe 
exacte  et  rationnelle  du  nom  d'Arc"?  Faut-il  écrire  Darc  ou  d'Arc? 
Vallet  de  Viriville,  dans  la  brochure  citée  plus  haut,  s'applique  à 
démontrer  qu'il  faut  supprimer  l'apostrophe  et  écrire  simplement 
Jeanne  Darc.  Henri  Martin  s'est  rangé  à  son  a\is.  Ce  qui  n'a  pas 
empêché  l'opinion  contraire  de  prévaloir.  L'usage  d'écrire  Jeanne 
d'Arc  avec  l'apostrophe  est  aujourd'hui  général.  A  tous  les  argu- 
ments mis  en  oeuvre  pour  le  combattre  —  aucun,  du  reste,  n'est 
péremptoire,  —  on  oppose  les  suivants  auxquels  il  n'est  pas  aisé  de 
répondre. 

Ni  les  manuscrits  du  procès  ni  les  imprimés  du  xvi"  siècle  ne  déci- 
dent entre  les  deux  formes  Darc  eu  d'Arc.  En  ce  temps-là,  on 
écrivait  Dalençon,  Darmagnac,  Dalebret  et  autres  noms  à  particule 
incontestée,  sans  apostrophe  ;  comme  les  descendants  des  frères  de 
Jeanne  écrivaient  du  lis  ou  Du  lis,  le  nom  qu'ils  avaient  été  autorisés 
à  prendre  en  souvenir  du  blason  que  Charles  VII  avait  octroyé  à  la 
Pucelle. 

Seulement,  la  forme  sans  particule  de  ces  noms  est  barbare  ;  la 
forme  avec  particule  est  française.  Ainsi  en  est-il  de  la  forme  d'Arc  : 
celle-ci  seule  est  française,  soit  qu'elle  dérive  d'une  localité  portant  le 
nom  d'Arc,  soit  qu'elle  ait  pour  origine  «  l'arc  bandé  de  trois 
flèches.  »  que  portait  le  sceau  conservé  dans  la  famille  de  Jeanne. 

Ce  qui  semble  aujourd'hui  probable,  c'est  qu'on  peut,  pour  le 
nom  d'Arc,  invoquer  ces  deux  origines.  Il  peut  provenir  et  du  nom 
du  village  qui  fut  le  berceau  de  la  famille  de  la  Pucelle,  et  des 
armes  qui  figuraient  dans  son  signet,  pour  ne  pas  dire  dans  ses 
armoiries. 

C'est  Charles  du  Lis  qui  nous  apprend  le  fait  et  la  composition 
de  ce  signet,  propriété  de  la  famille  de  Jeanne. 

Un  érudit  fi*ançais,  M.  LéonDorez,  dans  les  Archives  du  gouver- 
nement du  Luxembourg  a  découvert  que  dans  le  village  de  Art-sur- 
Meurthe,  en  latin  médiéval,  Archus,  super  Mortam  Archus,  habi- 
tait une  famille  dont  le  nom  était  «  d'Arc  »  :  il  est  relevé  en  des 
actes  datés  de  1315,  1316,  1332,  1345,  1346  ^  N'est-ce  pas  de  cette 
famille  que  descendrait  Jacques  d'Arc  le  père  de  la  Pucelle,  et  n'y 


1.  Léon  Dorez,  Les  archives  du  gouvernement  à  Luxembourg,  y».  12, 13, 
Paris  1903, 


470  APPE^'DICE    IX 

aurait-il  pas  là  une  l'aison  de  plus  pour  maintenir  l'orthographe  du 
nom  d'Arc  avec  particule  ? 

Finissons  par  une  remarque  de  l'historien  américain  de  Jeanne, 
sir  Francis  G.  Lowell.  «  Les  érudits  français  dont  le  nom  fait  auto- 
rité sont  les  plus  nomhreux  à  orthographier  Jeanne  d'Arc.  En  anglais, 
le  nom  Joan  of  Arc,  avec  l'apostrophe,  est  couramment  adopté.  » 
(JoAN  OF  Arc,  p.  19,  note  2.) 

2'^  Le  père  et  la  mère  de  Jeanne  d'Arc. 

Domremy  n'était  point  le  village  originaire  du  père  de  Jeanne 
d'Arc,  pas  plus  que  de  sa  mère.  Jacques  d'Arc,  père  de  notre  héroïne, 
était  né  vers  i37o  ou  1380, 'de  bonne  et  ancienne  famille,  à  Ce£fonds% 
localité  champenoise  dépendant  de  la  riche  abbaye  de  Montiérender 
(Haute-Marne),  au  diocèse  de  Trojes.  «  On  montrait  dans  ce  village 
la  maison  d'Arc,  que  des  titres  fort  anciens  désignent  comme  ayant 
appai'tenu,  au  quinzième  siècle,  à  Jean  d'Arc  (sans  doute  le  frère  de 
Jeanne  d'Arc),  demeurant  à  Domremy.  »  (E.  de  Bouteiller  et  G.  de 
Braux,  Nouvelles  recherches  sur  la  famille  de  Jeanne  d" Arc,  introduc- 
tion, p.  X.)  Une  plaque  commémoralive  a  même  été  placée  sur  la 
maison  où  Jacques  d'Arc  aurait  vu  le  jour. 

Mais  les  documents  découverts  par  M.  Léon  Dorez  dans  les 
Archives  du  gouvernement  de  Luxembourg  ont  fait  surgir  une  ques- 
tion nouvelle,  et  Ion  s'est  demandé  comme  nous  venons  de  le  dire, 
si  les  parents  de  Jacques  d'Arc  ne  seraient  pas  originaires  du  vil- 
lage dArc-sur-Meurthe. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  conjectures,  c'est  vers  le  temps  de  son 
mariage,  sans  doute,  que  Jacques  d'Arc  vint  s'établir  à  Domremy. 
La  jeune  fille  qu'il  épousa  avait  nom  Isabelle  ou  Zabillet  Romée, 
et  était  de  Vouthon,  village  à  sept  kilomètres  ouest  de  Domremy, 
aujom'd'hui  dans  le  canton  de  Gondrecourt.  On  suppose  que  Ro- 
mée n'était  en  aucune  manière  son  nom  de  famille,  mais  un  sim- 
ple surnom  donné  à  l'un  des  siens,  selon  l'usage  du  temps,  pour 
avoir  fait  le  grand  pèlerinage  de  Rome.  (E.  de  Houteiller  et  G.  de 
Braux,  Nouvelles  recherches  sur  la  famille  de  Jeanne  dArc,  pp.  xii- 
XHi.  —  Vallet  de  Viriville,  Hisloire  de  Charles  VII,  t.  H,  p.  43.) 

Vouthon  était  divisée  en  deux  sections,  Vouthon-le-llaut  et  Vou- 


1.  Ghables  Dr  h\'à.  Traité  sommaire.  —  Dans  l'édition  de  1610,  Charles 
du'Lys  avait  fait  naître  Jacques  d'Arc  à- Sermaize.  Dans  l'édition  do 
4628,  il  peeonnut  son  erreur. 

Voir  sur  ce  sujet  Siméox  Luce,  Jeanne  d'Arc  à  Domremy.  pp.  26,  27. 


LA    FAMILLE    DE    JEANNE    D  ARC  471 

Ihon-le  Bas,  à  un  kilomètre  l'une  de  l'autre.  A  laquelle  de  ces  deux 
sections  appartenait  la  famille  de  la  mère  de  Jeanne  ?  C'est  proba- 
blement à  V^outhon-le-llaut,  car  cesl  toujours  Voutlion-le-IIaut  qu'on 
désignait  quand  on  parlait  de  Vouthon  tout  court. 

Le  père  de  Jeanne  d'Arc  n'avait-il  ni  frères  ni  sœurs  ?  Un  de  ses 
descendants,  Charles  du  Lys,  nous  apprend  que  Jacques  d'Arc  avait 
deux  frères,  nommés  l'un  Nicolas,  l'autre  Jean.  Nicolas  étant  mort, 
sa  veuve  fut  une  des  marraines  de  Jeanne  d'Arc  (op.  cit.,  p.  7). 
Jean  prêta  serment,  en  1436,  comme  arpenteur  du  roi  pour  les  bois 
et  forêts  «au  département  de  France  »  [op.  cit.,  p.  28). 

Jacques  d'Arc,  après  le  départ  de  Jeanne  pour  Chinon,  neut  la 
joie  de  la  revoir  qu'à  Reims,  à  l'occasion  du  sacre.  La  ville  de 
Reims  se  réserva  l'honneur  de  traiter  et  de  défrayer  le  père  de  la 
Pucelle.  Charles  Vil  lui  fit  remettre  une  somme  d'argent  et  le 
chargea  d'annoncer  aux  habitants  de  Domremj  et  de  Creux  qu'ils 
étaient  désormais  exempts  de  toute  taille. 

Puis  vinrent  les  événements  douloureux  de  décembre  1420,  14.30, 
i431,  l'échec  de  La  Charité,  la  sortie  de  Çompiègne,  la  prise  et  la 
captivité  de  Jeanne,  enfin  le  procès  et  le  supplice  de  Rouen. 

Quand  le  malheureux  père  apprit  la  mort  cruelle  de  sa  fille,  il 
ne  put  supporter  ce  chagrin.  Le  poète  Yaléran  Varanius  [Procès, 
t.  Y,  p.  83)  au  quatrième  chant  de  son  poème,  I>e  gestis  Joannw, 
fait  dire  à  Isabelle  Romée  : 

Vir  meus,  audito  dilectœ  funere  prolis, 
Oppetiit,  mortis  causani  exsecrutus  et  ignrs'. 

3"   La  situation    de   fortune   de    la   famille    de    Jeanne    d'Arc. 

Les  parents  de  Jeanne  d'Arc  étaient-ils  pauvres  ou  riches  ; 
étaient-ils  également  éloignés  de  la  richesse  et  de  la  pauvreté,  dans 
ce  qu'on  appelle  une  honnête  aisance  ? 

Deux  témoins  de  l'enquête  de  14S6,  Béatrix.  veuve  Estellin,  et 
Jeannette,  veuve  Thiesselin,  disaient  d'eux  qu'ils  «  n'étaient  pas 
bien  riches  :  non  erant  multiim  divites.  »  (Procès,  1. 11,  pp.  395,403). 

Qu'exprime  le  langage  de  ces  témoins  :  de  la  compassion  ou  de 
l'ironie  ?  peut-être  ni  l'un  ni  l'autre.  Il  est  difficile  d'en  ti).*er  quel- 
que chose  de  clair. 

Sur  les  trente-quatre  témoins  de  cette  même  enquête,  un  seul 
parle  de  pauvreté,  à  propos  de  Jacques  d'Arc  et  des  siens  :  bons 
catholiques,  de  bonne  renommée  «  quoique  pauvres,  —  quamvis 

1.  Yaléran  parle-t-il  ici  en  po'te  ou  en  historien? 


472  APPENDICE    IX 

cssent  pauperes.  »  [Procès,  t.  II,  p,  401.)  Mais  il  est  à  noter  que  ce 
témoin  n'était  pas  de  Domremy  :  c'était  le  prêtre  Etienne  de  Sionne, 
de  Roncey,  près  de  Neufchàteau. 

Parmi  les  témoins  de  Donireinj'  même,  qui  connaissaient  exac- 
tement la  situation  de  fortune  des  parents  de  la  Pucelie,  nous 
entendrons  les  uns,  comme  Jeannette,  femme  Thévenin,  comme 
Mengette,  l'une  des  amies  préférées  de  Jeanne  d'Arc,  nous  parler 
des  fi'équentes  aumônes  de  la  jeune  fille  [Procès,  ibid.,  pp.  398.  430)  ; 
d'autres,  comme  Perrin  le  Drappier,  marguillier  de  l'église,  ajouter 
que  ces  aumônes  étaient  considérables  [ibid.,  p.  413)  ;  d'autres 
enfin,  et  Jeanne  elle-même,  signaler  les  cierges  qu'elle  faisait 
brûler  à  Notre-Dame  de  Bermont^  et  dans  l'église  de  son  petit 
village. 

Ajoutons  que  l'habitation  de  la  famille  ne  ressemblait  pas  à  celle 
des  villageois  pauvres  et  besogneux.  Elle  était  solidement  construite, 
puisqu'elle  a  traversé  prés  de  cinq  siècles  et  'qu'elle  est  restée 
debout  ;  elle  fut  restaurée  à  la  fin  du  quinzième  siècle,  mais  non 
reconstruite.  De  plus,  Jacques  d'Arc  possédait  des  bétes  et  chevaux 
dont  Jeanne  parfois  s'occupait,  et  sous  ce  nom  générique  de  bes- 
tiaUx  ou  animaux,  —  animalia,  —  on  doit  comprendre  toutes  les 
espèces  de  troupeaux,  bœufs,  vaches,  moutons,  brebis,  qu'on  éle- 
vait dans  la  vallée  de  la  Meuse.  Une  condition  pareille  n'est  pas 
de  la  pauvreté  ;  c'est  au  moins  de  l'aisance. 

Ajoutons  à  cela  que  Jacques  d'Arc  et  sa  femme  fondèrent  dans 
l'église  de  Domremy  leurs  obits  et  anniversaires  et  deux  messes 
annuelles  à  célébrer  pendant  «  la  semaine  des  Fontaines.  »  [Extrait 
d'un  registre  paroissial  de  l'an  l'iOO,  cité  par  MM.  E.  de  Boutellier 
et  G.  de  Braux  dans  leur  ouvrage  :  La  famille  de  Jeanne  d'Arc. 
pp.  181,  l!52). 

Cette  aisance  allait-elle  pour  les  parents  de  Jeanne  jusqu'à  la 
richesse?  constituait-elle  une  petite  fortune?  Il  faudrait  le  croire, 
d'après  quelques  érudits.  Ils  font  valoir  que,  en  1419,  le  château  de 
l'isle  et  ses  appartenances  ayant  été  mis  aux  enchères  pour  sept 
années,  Jacques  d'Arc  fut  un  des  deux  adjudicataires  (acte  retrouvé 
par  M.  Jean  Chapellier  et  publié  en  janvier-février  dans  le  Jour- 
nal de  la  Société  archéologique  lorraine).  Mais  la  raison  principale 
se  tire  de  l'allégation  suivante  : 

M.  Villiaumé,  auteur  d'une  Histoire  de  Jeanne  d'Arc,  déclara 
devant  MM.  de  Bouteiller  et  de  Braux  tenir  d'un  de  ses  grands- 
oncles,  curé  de  Damvillers  (Meuse),  mort  vers  1820,  des  pièces  qui 
le  conduisaient  à  cette  évaluation  des  biens  de  Jacques  d'Arc  et 
d'Isabelle  Uomée.  Ces  biens,    disait-il,    «  représentaient    environ 


LA    FAMILLE    DE   JEANNE   D  ARC  473.- 

vingt  hectares,  dont  douze  en  tei'res,  quati-e  en  prés  et  quatre  en 
bois,  dont  le  Bois  Chesnu  ;  ils  avaient  de  plus  leur  maison,  leur 
mobilier  et  une  réserve  de  deux  ou  trois  cents  francs  (le  franc  valait 
treize  francs  de  notre  monnaie) .  Tout  cela,  d'après  l'abbé  (l'oncle 
en  question),  constituait  une  valeur  totale  de  30,000  francs  environ 
(pour  1812,  année  ou  l'abbé  parlait  ainsi  ;  cela  en  ferait  bien 
aujourd'hui  80.000).  En  faisant  valoir  eux-mêmes  ce  bien,  leur 
l'evenu  pouvait  atteindre  de  4  à  5,000  francs,  valeur  de  nos  jours, 

«  Voilà  ce  qui  expliquerait  la  possibilité  qu'ils  avaient  de  faire 
la  charité  et  de  donner  l'hospitalité  aux  moines,  mendiants  et  aux 
voyageurs  qui  passaient  souvent  dans  ce  pays.  » 
.    (E.   de  Bouteiller  et  G.  de  Braux,  La  famille   de  Jeanne  d'Arc, 
pp.   18:j-i86). 

Quelque  confiance  que  mérite  l'opinion  de  M.  Villiciumé  et  du 
curé,  son  oncle,  il  nous  paraît  plus  sage  et  plus  sur  de  ne  pas  attri- 
buer une  vi'ai  fortune  aux  parents  de  Jeanne  et  de  voir  en  eux  des 
cultivateurs  aisés,  mais  pas  davantage. 

S'ils  n'étaient  pas  riches,  ils  étaient  du  moins  estimés  et  consi- 
dérés. Ce  qui  le  prouve,  c'est  d'abord  l'unanimité  des  témoignages 
qui  leur  furent  rendus  dans  l'Enquête  de  la  réhabilitation  ;  ce  qui 
le  prouve  encore,  c'est  le  titre  de  doyen  (ou  sergent,  du  latin  sev- 
viens)  du  village,  donné  à  Jacques  d'Arc  dans  un  acte  de  1423, 
(Chapellier,  Documents  inédits  de  l'Histoire  des  Vosges,  t.  VIII, 
p.  72).  Or,  ce  titre  et  les  fonctions  qui  en  découlaient  n'étaient 
dévolus  qu'à  des  gens  d'une  probité  reconnue.  Le  doyen  prenait 
rang  après  le  maire  et  l'échevin,  quoique  un  peu  au-dessous. 
C'était  lui  qui  convoquait  les  maires,  échevins,  jurés  à  leurs  réu- 
nions ordinaires  ou  extraordinaires  :  il  était  également  chargé  de 
la  collecte  des  tailles  (Siméon  Luce,  op.  cit.,  p.  40).  L'acte  public 
dans  lequel  Jacques  d'Arc  est  qualifié  de  doyen  fut  rédigé  à  Maxey- 
sur-Meuse  à  la  date  du  7  octobre  1423. 

Autres  preuves  de  la  considération  dont  le  père  de  Jeanne  jouis- 
sait auprès  des  habitants  du  village.  En  1423,  Greux  et  Domremy 
avaient  souscrit  un  tribut  annuel  au  damoiseau  de  Commercy. 
Sept  habitants  de  chaque  localité  s'engagèrent  et  répondirent  pour 
leurs  concitoyens.  Jacques  d'Arc  fut  un  des  sept  répondants  de 
Domremy.  (Siméon  Luce,  Jeanne  d'Arc  à  Domremy,  pp.  159-161). 

En  1427,  les  habitants  de  Domremy  ayant  un  procès  important  à 
soutenir  par-devant  Robert  de  Baudricourt,  capitaine  de  Vaucou- 
leurs,  Jacques  d'Arc  est  désigné  dans  un  acte  du  31  mars  rédigé  à 
Vaucouleurs  comme  le  fondé  de  pouvoirs  de  \  ses  concitoyens. 
(Chapellier,  Documents  inédits  de  l'Histoire  des  Vosges,  t.  Vlll,  p.  72), 


474  APPENDICE    IX 

JI  est  vrai  qu'il  ne  figure  plus  dans  un  acte  postérieur  de  deux 
ans  relatif  au  même  procès.  M.  Boucher  de  Molandon  conjecture 
que  Jacques  d'Arc  dut  décliner  un  mandat  qui  l'eût  mis  en  rapport 
avec  le  capitaine  à  qui  sa  fille  Jeanne,  vers  le  même  temps, 
demandait  de  la  faire  conduire  à  Chinon.  [Jacques  ci  Arc,  père  de  la 
P«cc//e.  pp.  23-28.  Orléans,  Herluison,  1885). 

4°  Les  Armoiries  de  la  famille  de  Jacques  d  Arc. 

On  peut  encore  invoquer  à  l'appui  des  considérations  qui  pré- 
cèdent, le  sceau  ou  les  armoiries  dont  la  famille  de  Jacques  d'Arc 
était  en  possession  avant  que  Jeanne  eût  quitté  son  petit  village. 
Nous  en  avons  déjà  fait  la  remarque  et  nous  allons  la  compléter. 

Dans  le  Traité  sommaire  déjà  cité,  Charles  du  Lys  nous  apprend 
que  Jean  du  Ljs,  échevin  d'Arras  «  retint  les  armoiries  anciennes 
de  la  famille  Darc,  que  portait  son  ayeul  Jacques  Darc,  père  de  la 
Pucelle,  qui  estoient  d'un  arc  bandé  de  trois  flèches,,  auxquelles  il 
adjousta  le  timbre  comme  escuyer,  et  le  chef  d'un  Ivon  passant,  à 
cause  de  la  province  à  laquelle  son  roy  L'avait  habitué.  » 

(La  famille  de  Jeanne  d'Arc,  par  E.  de  Bouteiller  et  J.  de  Braux, 
pp.  263-268). 

Les  lettres  patentes  de  1612  constatent  le  même  fait.  Jean  du 
Lys,  disent-elles,  «  se  serait  contenté  de  porter  le  nom  Dulis,  rete- 
nant les  armes  du  nom  et  de  leur  ancienne  famille  d'Arc,  qui  sont 
d'azur  à  l'arc  d'or,  mis  en  fasce,  chargé  de  trois  flèches  entrecroisées 
es  pointes  en  haut  férues,  deux  d'or,  ferrées  et  plumetées  d'argent, 
et  une  d'argent,  ferrée  et  plumetée  d'or,  et  le  chef  d'argent  au  lion 
passant  de  gueule.  »  [Procès,  t.  V,  p.  228). 

La  famille  d'Arc  avait  donc  des  armoiries  à  elle  avant  que 
Charles  VII  l'anoblît  et  lui  donnât  celles  que  l'on  connaît.  Encore 
que  ces  armoiries  ne  constituent  qu'un  signet  et  nullement  un  blason, 
le  timbre  ou  heaume  y  manquant,  elles  établissent  que  fia  famille 
d'Arc  sortait  du  commun.  Ces  armoiries,  les  descendants  de  Pierre 
du  Lys  les  avaient  gardées,  sans  y  joindre  celles  qu'avait 
octroyées  à  la  Pucelle  le  roi  Charles  Vil.  Par  les  lettres  patentes  de 
1512,  Louis  Xll  autorisa  les  représentants  de  cette  branche  cadette 
à  porter  les  deux  ensemble,  «  escartelécs  en  mesme  escusson.  « 
[Procès,  t.  V,  pp.  229-231). 

Les  mêmes  lettres  [établirent  que  «  le  cri  de  Charles  Dulis  (l'un 
des  sollicitants)  serait  :  La  Pucelle  !  et  que  celui  de  Luc  Dulis, 
escuyer,  sieui'  de  Reisnemoulin,  frère  de  Charles  (le  second  sollici- 
tant), serait  :  Les  Lys  !  »  [Procès,  t.  V,  p.  2;U.) 


LA    FAMILLE    DE   JEANNE    D  ARC  475 

5°  Les  frères  et  sœur  de  Jeanne  d'Arc. 

Jeanne  d'Arc  eut  une  sœur  et  trois  frères.  Sa  sœur  se  nommait 
Catherine. 

Ses  frères  se  nommaient  Jacques  ou  Jacquemin,  Jean  ou  Jehan, 
Pierre  ou  Pierrelot. 

De  la  sœur  de  Jeanne  dArc 

Deux  questions  se  posent  à  ce  sujet  : 

Qu'advint-il  de  la  sœur  de  Jeanne  et  qu'en  savons-nous  ? 

Jeanne  eut-elle  une  sœur  seulement  ou  en  eut-elle  plusieurs  ? 

1'^  Que  savons-nous  de  la  sœur  de  Jeanne  d'Arc  ? 

Ce  que  nous  savons  de  la  s^ur  de  Jeanne,  c'est  quelle  se 
nommait  Catherine  ;  —  qu'elle  se  maria  avec  Jean  Colin,  fils  de 
Colin,  de  Greux  ;  —  qu'elle  mourut  avant  le  départ  de  sa  sœur  pour 
Chinon. 

Ce  que  nous  ne  savons  pas,  c'est  si  elle  était  l'aînée  de  Jeanne  ou 
sa  cadette.  Les  textes  varient.  Vu  son  mariage,  nous  croirions  volon- 
tiers qu'elle  était  son  aînée. 

Ce  qui  prouve  que  cette  sœur  de  Jeanne  avait  nom  Catherine, 
c'est  la  déposition  de  Hellouy  Robert,  femme  de  Paris  et  Lengres, 
dans  l'enquête  à  laquelle  procéda  le  bailli  de  Chaumont  le  8  octo- 
bre 1555  il  Vaucouleurs,  au  sujet  d'un  membre  (Jehan  Royer)  de 
la  famille  de  la  Pucelle. 

Cette  Hellouy  Robert  était  la  petite-fille  de  Jehan  le  Vauseul  et 
d'Aveline,  sœur  de  la  mère  de  Jeanne  d'Arc.  Elle  déposa  tenir  de 
sa  mère  «  que  ladite  Aveline,  grandmère  de  la  déposante,  aurait 
dit  à  sa  mère  que  lorsque  la  Pucelle  se  départit  du  pays  de  'Vau- 
couleurs pour  aller  sacrer  le  Roy,  ladite  Pucelle  aurait  requis  ladite 
Aveline  que,  puisqu'elle  était  enceinte  d'enfant,  si  elle  accouchait 
d'une  fille,  elle  lui  fict  mettre  en  nom  Catherine,  pour  la  soubve- 
nance  de  feue  Catherine  sa  sœur,  niepce  de  ladite  Aveline  ;  telle- 
ment que  la  mère  d'elle  déposant  fut  nommée  Catherine.  »  Nou- 
velles recherches...  Enquête  du  8  octobre  1455,  p.  62). 

Ce  qui  prouve  que  cette  Catherine,  sœur  de  la  Pucelle.  fut  mariée 
à  Jean  Colin,  fils  de  Colin  et  maire  de  Greux,  c'est  l'enquête  faite  à 
Domremy  le  16  août  1502,  à  la  requête  des  cousins  maternels  de 
Jean  du  Lys,  fils  de  Pierre  du  Lys,  et  neveu  de  la  Pucelle. 

Cette  enquête,  citée  par  M.  Boucher  de  Molandon  [La  famille  de 


476  APPENDICE    IX 

Jeanne  d'Arc  dans  l'Orléanais,  pp.  62-69),  révéla  par  la  bouche  du 
huitième  déposant,  laboureur  à  Greux,  «  que  Colin,  le  maire,  fils 
de  Jean  Colin,  en  son  vivant  maïeur  (maire),  avait  eu  espousé  la 
sœur  de  la  Pucelle.  » 

Si  on  objectait  que  Colin,  au  Procès  de  réhabilitation,  n'en  dit 
rien,  on  répondrait  qu'il  n'en  dit  rien  parce  que  rien  ne  demandait 
qu'il  le  dit,  et  que,  Feût-il  dit,  les  notaires  qui  reçurent  et  écrivi- 
rent sa  déposition  purent  bien  l'oublier  ou  n'en  pas  faire  mention. 

Enfin,  la  preuve  que  cette  sœur  de  Jeanne  mourut  avant  le 
départ  de  la  Pucelle  pour  Chinon  se  trouve  dans  la  déposition  ci- 
dessus  de  la  femme  Robert  Lengres,  et  dans  la  requête  môme  dfr 
Jeanne.  Comme  preuve  supplémentaire,  on  peut  invoquer  le  silence 
fait  sur  Catherine  d'Arc  dans  les  lettres  d'anoblissement  de  la 
famille  de  Jeanne. 

2'^  Jeanne  d'Arc  eut-elle  une  ou  plusieurs  sœurs  "? 

Isabelle,  femme  de  Gérardin  d'Épinal,  dit,  dans  sa  déposition  : 
«  Jeanne  alla  à  Neufchàteau  avec  son  père,  ses  frères  et  ses  sœurs.»' 
[Procès,  t.  II,  p.  246.) 

Colin,  fils  de  Jean  Colin,  dit  :  «  Presque  chaque  samedi,  cum 
quadam  sorure sua  et  d'autres  femmes,  Jeanne  allaita  l'ermitage  de 
Notre-Dame  de  Bermont.  »  [Ibid.,  p.  433.) 

Michel  Lcbuin,  deDomremy,  affirme  le  même  fait  que  le  témoin 
précédent,  dans  les  mêmes  termes  :  «  Cum  quadam  sorore  sua  ibat, 
et  candelas  portabat.  »  {Ibid.,  p.  439.) 

Faut-il  traduire  ces  mots  latins  par  une  de  ses  sœurs,  ou  sa 
sœur. . .  ? 

D'aulre  part,  Jeanne  exprimait  devant  Dunoiset  rarchevêque  de 
Reims,  en  marchant  sur  Paris,  le  vœu  que  Dieu  la  laissât  aller 
rejoindre  son  père,  «  ses  frères,  sa  S'iur,  qui  seraient  grandement 
joyeux  de  la  voir  —  cum  sorore  et  fratribus  meis.  »  [Ibid..  t.  111, 
p.  15.) 

Jeanne  avait  donc  alors  une  autre  sœur  que  celle  dont  elle  avait 
eu  à  pleurer  la  mort  avant  son  départ  pour  Chinon. . .  ? 

Quelque  favorables  que  les  textes  précédents  paraissent  à  cette 
conclusion,  une  simple  remarque  semble  résoudre  la  difficulté. 

C'est  que  l'usage  du  temps  et  du  pays  faisait  donner  indistincte- 
ment le  nom  de  sœur,  et  aux  sœurs  proprement  dites,  et  aux  belles- 
sœurs. 

Resterait  donc  à  savoir  si  les  témoins,  si  Jeanne  elle-même 
parlent  de  ses  sœurs  propres  ou  de  ses  belles-sœurs. 


LA    FAMILLE    DE    JEANNE    D  ARC  477 

Jean  Ifordal,  dans  une  lettre  du  19  juillet  1609  à  Charles  du  Lys, 
a  rencontré  et  résolu  ces  difficultés.  »  Et  faire  se  pourrait,  dit-il, 
que  la  déposition  du  comte  de  Dunois  se  devroit  entendre  de  la 
femme  de  quelques-uns  des  frères  de  ladicte  Pucelle,  laquelle  par- 
lant d'une  sœur,  entendoit  paider  d'une  belle-sœur  et  femme  d'un 
de  ses  frères.  »  (E.  de  Bouteiller...  La  famille  de  Jeanne  d'Arc..., 
p.  17.) 

On  dit  encore  que  la  sœur  de  Jeanne  aurait  eu  dix-sept  ou  dix- 
huit  ans  à  peine  à  sa  mort,  arrivée  sur  la  fin  de  1428  ou  dans  les 
premiers  mois  de  1429,  chose  peu  conciliable  avec  son  mariage  que 
l'enquête  faite  en  1:j02  prouve  avoir  eu  lieu. 

L'objection  est  peu  sérieuse  :  qu'est-ce  qui  a  pu  empêcher  Cathe- 
rine d'Arc  de  se  marier  à  seize  ans  et  de  mourir  quelques  mois 
après  ? 

Ce  qui  est  hors  de  doute,  c'est  que  cette  sœur  de  la  Pucelle  n'était 
plus  de  ce  monde  lorsque  Charles  Vil  anoblit  Jeanne  et  sa  famille; 
car  dans  les  lettres  royales,  Jeanne,  son  père,  sa  mère,  ses  trois 
frères  sont  nommés  à  trois  reprises  différentes,  mais  Catherine  ne 
l'est  pas.  {Procès,  t.  V,  p.  IbO.) 

Le  lecteur  peut  juger  par  là  du  cas  qu'il  doit  faire  de  l'hypothèse 
d'une  deuxième  sœur  que  quelques  érudits  fantaisistes  donnent  à 
Jeanne,  et  qui,  d'après  eux  sera  plus  tard  la  fausse  Pucelle,  dame 
des  Armoises.  Compagne  de  Jeanne,  blonde  aux  longs  cheveux, 
tandis  que  Jeanne  avait  les  cheveux  noirs  et  courts  ;  robuste  et  mar- 
tiale, tandis  que  Jeanne  aurait  été  timide  et  mystique  ;  cette  sœur 
qu'ils  nomment  Claudette,  aurait  porté  l'épée,  tandis  que  Jeanne 
n'aurait  porté  que  l'étendard.  {La  vérité  mr  Jeanne  d'Arc,  par  Fran- 
cis André.  Paris,  in-18,  Chamuel,  1895.)  Ce  n'est  pas  là  de  l'histoire, 
mais  de  la  fable  et  de  l'imagination  pure. 

Des  frères  de  Jeanne  d'Arc. 

Jacque.min.  —  L'aîné  des  frères  de  Jeanne  et  de  toute  sa  famille 
était  Jacques  ou  Jacquemin.  Dès  1419,  il  était  marié  et  il  caution- 
nait son  père  dans  la  ferme  du  château  de  llsle  et  de  ses  dépen- 
dances. En  1427,  sa  présence  à  Youthon  est  mentionnée  dans  un 
Exploit  de  justice  tenu  par-devant  le  prévost  et  son  lieutenant. 
{Nouvelles  recherches...,  pp.  xi-xii.)  Peut-être  s'y  était-il  transporté 
pour  gérer  et  cultiver  le  patrimoine  de  sa  mère.  Il  eut  une  fille  qu'il 
maria  à  son  frère  Jean  et  qui  eut  pour  fils  Claude  du  Lys,  l'auteur 
de  la  décoration  de  la  façade  de  la  maison  paternelle  en  1481. 
L'auteur  du  Traité  sommaive  ..  de  la  parenté  de  la  Pucelle,  dit  de 


478  APPENDICE    IX 

Jacqueniin  qu'il  demeura  sur  les  lieux,  près  de  ses  père  et  mère, 
pour  supporter  le  rnesnage  de  la  maisou  »  et  qu'il  y  «  décéda  peu 
de  temps  après  de  regret  et  de  déplaisir,  aussitôt  qu'il  sceut  les 
tristes  nouvelles  delà  cruelle  mort  de  ladite  Pucelle  sa  sœur.  »  Op. 
cit.,  chap.  m.) 

Edmond  Richer,  dans  son  Histoire  manuscrite  de  Jeanne  d'Arc, 
dit  quil  en  fut  de  Jacquemin  comme  de  son  père  :  ni  l'un  ni  l'autre 
ne  survécurent  longtemps  à  leur  bien-aimée  Jeanne. 

D'après  MM.  E.  de  Bouteiller  et  G.  de  Braux,  des  raisons  sérieuses 
autoriseraient  à  penser  que  Jacquemin  aurait  vécu  plusieurs  années 
après  le  supplice  de  sa  sœur,  et  qu'il  aurait  eu  non  seulement  une 
fille  mais  un  fils  nommé  Pierre,  comme  son  oncle,  le  jeune  frère 
de  Jeanne.  Ce  fils  aurait  épousé  Jeanne  de  Prouville,  et  de  cette 
branche  seraient  issus  les  Maleyssis,  les  Hordal,  les  Yillebresme  et 
les  Haldat  qui  figurent  dans  la  descendance  de  la  famille  de  Jeanne 
d'Arc.  [La  famille  de  Jeanne  d'Arc,  pp.  78-83.) 

Les  mêmes  écrivains  mentionnent  dans  leurs  Nouvelles  recherches, 
pp.  XIII,  XIV,  109,  un  arrêt  du  sénéchal  de  Fougères  qui  donne 
Jacquemin  d'Arc  pour  ancêtre  aux  Le  Châtelain,  par  les  Le  Four- 
nier  et  Villebresme.  Jacquemin  serait  donc  allé  se  fixer  en  Norman- 
die. Cela  prouve  combien  il  est  difficile  de  découvrir  la  vérité  sur 
certains  points  d'histoire.  Une  chose  certaine,  c'est  que  l'aîné  des 
frères  de  la  Pucelle  était  mort  lorsqu'on  entreprit  le  Procès  de 
réhabilitation  ;  jamais,  en  effet,  on  ne  l'y  voit  mentionné  ou 
nommé. 

Jehax  d'ARG  (ou  du  Lys,  après  l'anoblissement  de  sa  famille), 
second  frère  de  la  Pucelle,  suivit  de  près  sa  sœur  lorsquelle  partit 
pour  Chinon.  11  était  avec  elle  au  siège  d'Orléans  et  fut  logé  comme 
elle  dans  l'hôtel  de  Jacques  Boucher.  Après  la  mort  de  Jeanne,  il  se 
tint  en  la  compagnie  du  Roi. 

PiERUE  d'AKC  (ou  du  Lys),  dit  aussi  Pierrelot,  frère  puiné,  croit-on, 
de  Jeanne,  était  avec  elle  ainsi  que  Jean  d'Arc  au  siège  d'Orléans. 
A  Compiègne,  il  fut  fait  prisonnier  comme  sa  sœur.  0  demeura 
prisonnier  plusieurs  années  entre  les  mains  du  Bâtard  de  Vergy. 

Nous  dirons  tout  à  l'heure  ce  que  ces  frères  de  la  Pucelle  et  leur 
mère  devinrent  après  1431. 

6'  Des  oncles,  tantes  et  cousins  maternels  de  Jeanne  d'Arc. 

Nous  l'avons  déjà  dit,  Isabelle  Romée,  mère  de  la  Pucelle,  était 
née  à  Voulhon,  en  1387.  Elle  avait  une  sœur  et  deux  frères,  sinon 


LA    FAMILLE    DE    JEANNE    D  ARC  479 

trois.  Sa  sœur,  nommée  Aveline,  fut  mariée  à  Jehan  Le  Vauseul 
ou  le  Voyseul  avant  1410.  Ils  eurent  deux  filles  :  1°  Jeanne  qui 
épousa  Durand  Lassois  ou  Laxart.  de  Burey-en-Vaux  ;  2'^  Cathe- 
rine, qui  naquit  en  1429  et  fut  ainsi  nommée  en  souvenir  de. Cathe- 
rine, sœur  de  la  Pucelle.  (E.  de  Bcuteiller  et  G.  de  Braux.  La 
famille  de  Jeanne  (.FArc,  pp.  93.  169-170;  —  Nouvelles  recherches..., 
Introduction,  p.  xi.) 

Les  deux  frères  connus  de  la  mère  de  Jeanne  furent  Jehan  dit  de 
Vouthon  et  Dominique  ou  Mougin  qui  vint  mourir  dans  l'Orléanais, 
quelques  années  api'ès  sa  sœur.  (Boucher  de  iMolandon,  Un  oncle  de 
Jeanne  d'Arc  oublié.) 

Jehan  de  Vouthon,  époux  de  Marguerite  Colnel,  quitta  le  pays  en 
1416  et  vint  se  fixer  à  Sermaize  (.Mai*ne),  avec  ses  enfants.  Il  y 
exerça  le  métier  de  couvreur  dont  il  garda  le  surnom  {Nouvelles 
recherches,  p.  xc)  et  y  vécut  jusqu'en  1446.  (Boucher  de  Molandon, 
La  famille  de  Jeanne  dans  iOrléanais.  pp.  124-125). 

Jehan  de  Vouthon  eut  trois  fils  et  une  fille.  Les  trois  fils  furent 
Perresson  ou  Pierresson,  Perrinet  et  Nicolas;  sa  fille  eut  nom  Men- 
golte.  Avec  Heni*y  Perrinet,  son  petit-fils  mort  sans  postérité, 
s'éteignit  le  nom  de  Jehan  de  Vouthon.  Les  descendants  de  sa  fille 
se  sont  perpétues  jusqu'à  nos  jours.  {Nouvelles  recherches..,  p.  xix.) 

Charles  du  Lys,  auteur  du  Traité  sommaire. ..,  nous  apprend  que 
Nicolas,  fils  de  Jehan  de  Vouthon,  entra  comme  religieux  proies  à 
l'abbaye  de  Cheminon,  de  l'ordre  de  Cîteaux,  à  4  kilomètres  de 
Sermaize.  Jeanne  d'Arc,  dont  il  était  cousin  germain,  lui  «  fit  don- 
ner dispense  et  permission  de  son  abbé  pour  lui  servir  de  chapelain 
et  aumônier.  »  [Traité  sommaire..,  p.  8.) 

Nous  avons  dit  que  la  mère  de  Jeanne  d'Arc  eut  deux  frères 
sinon  trois.  Si  elle  en  eut  un  troisième,  nous  le  trouverions  dans 
un  certain  Henry  de  Vouthon  qui  devint  curé  de  Sermaize  et  mou- 
rut dans  l'exercice  de  ses  fonctions  pastorales.  Un  des  témoins  de 
l'enquête  des  2  et  3  novembre  1476,  reproduite  par  MM.  de  Bou. 
teiller  et  de  Braux,  Jehan  Collin,  laine,  natif  et  habitant  de  Ser- 
maize, dit  de  son  curé  Henry  de  Vouthon  qu'il  était  «  natif  dudit 
Voulton  (Vouthon),  en  Barrois  »,  qu'il  répulait  les  Voulions  (Perri- 
net et  Perresson)  ses  prochains  parents...,  et  que  après  son  trespas, 
lesdits  Perrinet,  Perresson  et  Mengotte  leur  sœur  ont  piùns  et  em- 
porté par  portions  égales  toute  la  succession  mobiliaire  et  immo- 
biliaire  d'icelluy  feu  messire  Henry  de  Voulton,  comme  ses  plus 
prochains  linagers  habiles  à  luy  succéder,  sans  que  aulcun  empes- 
chement  leur  en  fust  ni  ayt  été  depuis  lors  mis,  fait  ou  donné.  » 
[Nouvelles  recherches...,  p.  14-15.) 


480  APPENDICE    IX 

La  parenté  du  curé  de  Sermaize  avec  les  neveux  d'Isabelle  Ro- 
mée,  et  par  suite  avec  elle,  se  trouve  par  ce  témoignage  nettement 
établie.  Reste  à  savoir  si  cet  ecclésiastique  était  l'oncle  ou  seule- 
ment le  frère  desdits  Perrinet,  Perresson  et  Mengotte.  le  frère  ou 
seulement  le  neveu  de  la  mère  de  Jeanne.  MM.  de  Bouteiller  et  de 
Bt'aux  voient  en  lui  frère  Nicolas,  le  religieux  de  Cheminon.  qui, 
aj'ant  quitté  son  couvent,  «  aurait  obtenu,  en  souvenir  des  services 
rendus  par  lui  à  la  Pucelle,  la  cnre  dune  ville  où  se  trouvaient 
réunis  ses  plus  proches  parents.  11  aurait  alors  quitté  son  nom 
monastique  de  Nicolas  pour  reprendre  celui  de  Henry,  qu'il  avait 
reçu  au  baptême  et  qu'il  avait  déjà  donné  à  Henry  de  Vouthon,  son 
neveu,  fils  de  son  frère  Perrinet,  »  {Nouvelles  recherc]ies,i>'p.  xx-xxi.) 

Cette  explication  de  MM.  de  Bouteiller  et  de  Braux  est  malheureu- 
sement difficile  à  concilier  avec  la  déposition  dune  certaine 
Jehanne,  «  native  de  Sermaize,  en  laquelle  elle  a  continuellement 
demouré,  âgée  d'environ  quatre-vingt  ans.  »  La  déposante  dit  avoir 
vu  audit  lieu  de  Sermaize  un  nommé  messire  Henry  de  Voulton, 
lequel  depuis  qu'il  arriva  audit  Sermaize  du  pays  de  Barrois,  a  esté 
curé  de  la  cure  dudit  lieu,  lequel  a  toujours  réputé  Perrinet,  Perres- 
son et  Mengotte  leur  sœur  ses  parents  prochains.  »  [Op.  cit.,  p.  IS- 
16.)  Or,  si  Henry  de  Vouthon  eût  été  le  frère  des  personnages  dési- 
gnés, ladite  déposante  l'eût  su,  ce  semble,  et  l'eût  dit. 

Si  nous  ne  pouvons  savoir  à  quel  degré  au  juste  le  curé  de  Ser- 
maize était  parent  de  Jeanne  d'Arc,  les  témoignages  qui  précèdent 
suffisent  à  établir  qu'il  était  son  proche  parent,  son  oncle  ou  son 
cousin,  et  par  conséquent  le  frère,  le  cousin  ou  le  neveu  de  sa  mère 
Isabelle. 

Une  circonstance  de  laquelle  nous  avons  fait  mention  au  cha- 
pitre III  de  cette  Histoire  se  rapporte  à  la  fille  de  Jean  de  Vouthon, 
Mengotte,  cousine  germaine  de  Jeanne  d'Arc.  Cette  cousine  fut 
mariée  à  un  jeune  homme  de  Sermaize,  nommé  CoUot  Turlaut. 
Deux  ou  trois  ans  après  ce  mariage.  le  comte  de  Salm  assiégea 
l'église  de  Sermaize  où  les  Français  s'étaient  retranchés.  Un  coup 
de  bombarde  atteignit  Turlaut  et  le  frappa  mortellement  Un  an  et 
"demi  après  la  mort  de  son  mari,  sa  jeune  veuve  se  remariait. 
(E.  de  Bouteiller  et  G.  de  Braux,  Nouvelles  recherches  sur  la 
famille  de  Jeanne  d'Arc,  p.  8.  Enquête  des  2-3  novembre  1476). 


7"  De  Durant  Laxart.  —  Etait  il  i'oncle  ou  le  cousin  par  alliance 
de  Jeanne  d  Arc. 

La  sœur  de  la  mèi'e  de  Jeanne,  Aveline,  habita  quelque  temps 


LA    FAMILLE    DE   JEANNE    D  ARC  481 

Sauvigny  après  son  mariage  avec  Jean  le  Voyseul  ou  le  Vauseul. 
Plus  tard,  elle  vint  s'établira  Burey-en-Vaulx  ou  Burey-le-pelit,  et 
elle  y  était  en  1428.  L'enquête  du  8  octobre  1;JS5  faite  à  Vaucou- 
leurs,  à  la  requête  de  Jean  Royer  descendant  d'Aveline,  sœur  d'Isa- 
belle Romée,  nous  apprend  par  la  bouche  de  plusieurs  témoins 
[Nouvelles  recherches...  pp.  51,  !J4,  56)  que  la  fille  d'Aveline. 
Jehanne,  «  fut  mariée  avec  un  nommé  Durand  Lassois,  demeurant 
au  dit  Burey  » ,  et  plus  tard  à  Sauvoy.  Durand  Lassois  est  celui  que 
le  Procès  de  réhabilitation  nomme  Durand  Laxart,  «  soit  par  suite 
d'une  faute  d'écriture,  soit  par  l'emploi  d'une  forme  empruntée  au 
patois  local  ;  car  on  trouve  à  chaque  page  des  enquêtes  le  nom  de 
Lassois  avec  des  variantes  peu  importantes.  [IbicL,  pp.  xxi-xxu).  » 
Par  conséquent,  Durand  Laxart  était,  non  l'oncle  de  Jeanne  d'Arc, 
mais  le  mari  de  sa  cousine  germaine.  Ce  n'est  pas  lui,  du  reste,  qui 
dans  sa  déposition  se  qualifie  d'oncle  de  la  Pucelle  :  il  se  borne  à 
dire  que  Jeanne  était  de  la  parenté  de  sa  femme  :  «Johanna  arti- 
culata  eral  de  parcntela  Johannœ  uxoris  suœ.  »  {Procès,  t.  Il,  p.  443). 
Jeanne  lui  donnait  la  qualification  d'oncle,  en  vertu  de  l'usage  qui 
faisait  donner  ce  titre  aux  cousins  germains  plus  avancés  en  âge. 
(Boucher  de  Molandon,  La  Famille  de  Jeanne  d'Arc  dans  iOrléiincns, 
pp.  144-147), 


LA    FAMILLE    DE    JEANNE    d'aRC    APRÈS    1431. 

1.  La  Mère  de  Jeanne  d'Arc. 

Parlons  d'abord  de  la  mère  de  Jeanne,  Isabelle  Romée. 

Après  la  mort  de  Jacques  d'Arc,  qui  ne  survécut  guère  à  la  fin 
cruelle  de  sa  fille,  la  mère  de  Jeanne,  resta  quelque  temps  encore 
■à  Domremy.  Mais  vers  1440,  sur  les  instances  des  habitants  d'Or- 
léans, elle  vint  dans  la  ville  que  Jeanne  avait  sauvée  de  la  domi- 
nation anglaise.  Les  Orléanais  l'environnèrent  de  prévenances  et 
lui  firent  une  pension  annuelle  de  trente  livres  tournois.  Pour  se 
rendre  compte  de  l'aisance  que  cette  pension  pouvait  donner,  il 
n'y  a  qu'à  noter  qu'un  prédicateur  recevait  alors  seize  sols  d'hono- 
raires pour  un  sermon  solennel,  et  que  le  traitement  annuel  du 
doyen  de  l'église  collégiale  de  Saint-Picrre-le-Puellier  était  de  trente 
livres.  (Boucher  de  Molandon,  La  famille  de  Jeanne  d'Arc  dans 
l'Orléanais,  p.  15). 

«  La  pension  que  la  ville  servait  à  Isabelle  Romée,  dit  Bou- 
cher de  Molandon,  est  chaque  mois  inscrite  régulièrement  dans  nos 

31 


482  APPENDICE    IX 

comptes  de  ville,  depuis  1440,  époque  de  son  arrivée  à  Orléans, 
jusqu'à  sa  mort.  »  (les  comptes  de  la  ville  d'Orléans,  des  quator- 
zième et  quinzième  siècles,  p.  4,  noie  1.  ln-8°,  Orléans,  Herluison, 
1880). 

La  mère  de  Jeanne  emmena  avec  elle  à  Orléans  sa  petite  fille 
Marguerite,  fille  de  Jean,  prévôt  de  Vaucouleurs.  Marguerite  se 
maria  avec  un  gentilhomme  Orléanais  nommé  Antoine  de  Brunet 
et  fut  dotée  par  son  oncle  Pierre.  (B.  de  Molandon,  La  famille  de 
Jeanne  d'Arc...,  pp.  6,  32-33).  Ce  dernier,  qui  vint  aussi  habiter  la 
cité  orléanaise,  ne  cessa  d'entourer  sa  mère  d'égards,  quoiqu'il 
n'habitât  point  avec  elle.  Il  se  tenait  dans  sa  terre  de  Baigneaux, 
et  il  venait  régulièrement  la  visiter.  (E.  de  Bouteiller  et  G.  de 
Braux,  Nouvelles  recherches...  p.  xvi.) 

Isabelle  eut  la  joie  de  voir  sa  fille  réhabilitée  solennellement  et 
d'assister  aux  fêtes  par  lesquelles  fut  célébrée  à  Orléans  cette  réha- 
bilitation. Elle  mourutdeux  ans  après,  le 28  novembre  14y8.  [Ibid., 
pp.  42-43). 

Du  frère  disabelle  Romée,  Dominique  ou  Mougin,  qui  vint  s'éta- 
blir lui  aussi  dans  l'Orléanais,  nous  n'avons  rien  à  dire  de  bien 
particulier.  11  mourut  quelques  années  après  sa  sœur. 

2.  Les  frères  de  Jeanne  d'Arc. 

Nous  n'avons  rien  à  ajouter  à  ce  que  nous  avons  dit  de  Jacques 
ou  Jacquemin,  frère  aine  de  la  Pucelle.  Qu'il  ait  survécu  d'assez 
nombreuses  années  au  drame  de  Rouen,  ou  qu'il  soit  mort  peu 
après  comme  son  père,  on  perd  sa  trace,  et  il  est  certain  qu'il 
n'était  plus  de  ce  monde  à  lépoque  de  la  réhabilitation. 

Jehan  ou  Jean  d'Arc  ou  du  Lys.  —  Après  la  mort  de  sa  sœur, 
Jean  d'Arc  ou  du  Lys  se  tint  en  la  compagnie  du  roi  qui  le  nomma 
bailli  de  Vermandois  et  capitaine  de  Chartres.  Ayant  ouï  dire,  en 
1436,  que  sa  sœur  Jeanne  avait  reparu,  il  vint  en  Lorraine  et  y  fut 
dupe  de  la  comédie  de  Jeanne  des  Armoises.  Cette  même  année 
1436,  il  passa  à  Orléans  et  y  fut  généreusement  traité  par  les 
bourgeois   {Procès,  t.  V,   p.  275),  qui   lui  remirent  une  somme 

de  12  livres  tournois  pour  le  défrayer  de  son  voyage.  {Ibid 

p.  326). 

Jean  d'Arc  ou  du  Lys  épousa  sa  nièce,  la  fille  de  Jacquemin. 
Après  ce  mariage,  il  sollicita  la  prévôté  de  Vaucouleurs,  l'obtint  et 
la  garda  jusqu'en  1468.  Pendant  le  procès  de  réhabilitation,  il  com- 
parut à  Paris  et  à  Rouen.  C'est  peut-être  à  l'occasion  de  ce  procès 


LA    FAMILLE   DE   JEANNE    d'ARG  483 

que  Charles  VII  accorda  à  chacun  des  deux  frères  de  Jeanne  une 
pension  de  six  vingt  et  une  livres  dont  il  est  fait  mention  aux 
Comptes  de  1454.  [Procès,  t.  V,  p.  279).  Dans  ces  comptes'.  Jean 
du  Lys  est  qualifié  à'escuier,  et  son  frère  Pierre  de  chevalier.  Il 
vivait  encore  en  1470  {La  famille  de  Jeanne  d'Arc  dans  l'Orléanais, 
p.  104,  note  1). 

Quelque  temps  avant  sa  mort,  en  1468,  il  s'était  retiré  à  Dom- 
remydans  la  maison  paternelle:le  testament  de  DidonduLvs  l'éta- 
blit formellement.  [Nouvelles  recherches...  p.  xiv).  Il  avait  possédé 
quelque  temps  aussi  la  maison  de  Jacques  d'Arc  à  Ceffonds  ;  mais 
on  ne  sait  s'il  y  habita.  Son  fils  Claude  garda  la  maison  de  Dom- 
remy  et  y  fit  les  embellissements  dont  il  a  été  parlé  ailleurs. 

Pierre  d'.\rc  ou  du  Lys.  —  Ce  frère  de  Jeanne  avait  été  fait  pri- 
sonnier comme  sa  soeur  à  la  fatale  sortie  de  Compiègne.  Quand  il 
eut  payé  sa  rançon  au  bâtard  de  Vergy  [Procès,  t.  V,  p.  210),  et 
recouvré  sa  liberté,  il  vint  se  fixer  dans  l'Orléanais.  Lui  aussi  fut 
dupe  de  Jeanne  des  Armoises,  qu'il  prit  d'abord  pour  sa  sœur.  A 
son  arrivée  à  Orléans,  il  était  dans  la  gêne.  Le  clergé  de  Sainte- 
Croix  lui  afferma  la  terre  de  Baigneaux,  à  deux  lieues  de  la  ville. 
Un  certain  Jean  Bourdon,  qui  avait  cette  terre  en  fief,  y  renonça 
pour  lui  être  agréable  et  se  porta  caution.  [La  famille  de  Jeanne  d' Arc 
dans  l'Orléanais,  pp.  19-30).  Le  duc  d'Orléans  lui  donna  en  usufruit 
une  île  formée  par  la  Loire,  nomméel'Ile-aux-Bœufs  (28juillet  1443). 
Cette  île,  qui  contenait  environ  200  arpents  de  terres  labourables, 
bois  et  pâturages,  devint  la  dot  de  la  fille  de  Pierre.  Outre  la  pen- 
sion de  121  livres  tournois  dont  nous  avons  parlé  plus  haut  et  dont 
Jean  son  fils  bénéficia,  il  paraît  avoir  joui  aussi  d'une  rente  de 
10  livres  tournois,  rente  qui  devait  être  prise  sur  la  vente  du  bois 
du  duc  d'Orléans  [Op.  cit.,  pp.  45-46). 

En  1457,  Pierre  du  Lys  maria  son  fils  aîné,  Jean,  avec  demoiselle 
Macée  de  Vézines,  fille  de  Jean  de  Vézineséeuyer,  seigneur  de  Villiers, 
domicilié  en  la  paroisse  de  Mensay,  diccèse  de  Bourges  (aujourd'hui 
commune  d'Achères,  canton  d'Enrichemont.  dépîirtement  duCher). 
Les  noces  furent  célébrées  en  la  cité  d'Orléans.  Les  bourgeois  de  la 
cité  voulurent  fournir  le  vin  du  repas,  à  savoir  «  (juinze  pintes  de  vin 
blanc  et  trente-six  pintes  de  vin  vermeil  ».  lis  firent  de  plus  au  marié 
un  cadeau  de  vingt  livres  tournois,  qui  lai  furent  remis  dans  une 
bourse  neuve  achetée  aussi  des  deners  de  la  \ill".  Procès,  t.  V., 
pp.  278-279)  ;  —  P.  Lanéry  d'Arc  et  Luci.'n  Je  ly,  Jeanne  a' Arc  en 
Berry,  p.  93). 


48ir  APPENDICE    IX 

Pierre  était  marié  avec  une  jeune  fille  barroise.  Dans  l'acte  de 
fermage  delà  terre  de  Baigneaux,  elle  est  inscrite  sous  le  nom  de 
«  Jeanne,  du  pays  de  Bar  ».  {La  famille  de  Jeanne  d'Arc  dansFOrléa- 
nais,p.  22).  C'est  le  duc  d'Orléans  qui  conféra  l'ordre  de  la  cheva- 
lerie à  Pierre  d'Arc  :  de  là  le  titre  de  chevalier  du  Lys  sous  lequel 
les  pièces  de  l'époque  le  désignent. 

M.  Jules  Doinel,  archiviste  d'Orléans,  a  établi,  d'après  des  docu- 
ments du  temps,  que  Pierre  d'Arc  acheta,  rue  des  Africains,  à 
Orléans,  un  terrain  sur  lequel  il  fit  bâtir  une  maison  où  vécut  sa 
famille.  Pour  la  construction  de  cette  maison,  il  alla  chercher  à 
Sermaize  son  cousin,  Henry  Perrinet  de  Youthon,  qui  était  charpen- 
tier, et  il  lui  confia  la  direction  des  travaux.  {Nouilles  Recherches, 
p.  XVI,  20; —  La  famille  de  Jeanne  d'Arc  dansVOrléannais,  p.  M  4). 

L'inscription  suivante,  placée  sur  la  façade  de  la  maison  qu'on 
voit  aujourd'hui  en  cet  endroit,  mentionne  ce  souvenir.  Elle  est 
ainsi  conçue  : 

14b2-1509. 

SUR  l'emplacement  de  cette  maison 

s'élevait  la  demeure  de  pierre  du  lys 

FRÈRE   ET   COMPAGNOK    d'aRMES    DE   JEANNE    d'ABC 

Pierre  Du  Lys  mourut  en  1467.  Son  second  fils,  Jean  Du  Lys, 
fut  nommé  par  Louis  XI  échevin  d'Arras  en  1481  {Procès,  t.  V, 
p.  228).  «On  estime  généralement,  dit  de  M.  de  Molandon,  que  la 
descendance  masculine  des  frères  de  la  Pucelle  s'est  complètement 
éteinte  au  cours  du  dix-septième  siècle.  »  {La  famille  de  Jeanne  d'Arc 
dans  l'Orléanais,  p,  104,  note  2). 

De  la  descendance  des  frères  de  Jeanne  d'Arc.  —  A  l'occasion  de 
l'anoblissement  de  leur  sœur  et  de  sa  famille,  les  frères  de  Jeanne 
prirent  le  nom  de  du  Lys  ou  du  Lis  (les  documents  orthographient 
ce  nom  de  onze  manières  différentes),  et  il  devint  celui  de  leurs 
descendants.  Le  droit  de  le  porter  est  constaté  par  Jean  Hordal, 
dans  son  Histoire  de  la  Pucelle,  pp.  27-28,  par  Charles  du  Lys,  en 
son  Traité  sommaire...,  chap.  vu,  et  par  les  lettres  patentes  de 
Louis  XIII,  en  date  du  2o  septembre  1612,  par  lesquelles  ce  prince 
autorisa  les  membres  de  la  branche  cadette  de  la  famille  de  Jeanne 
à  reprendre  les  armoiries  de  la  Pucelle. 

La  descendance  des  frères  de  la  Pucelle  fut  nombreuse.  Nous 
n'avons  pas  l'intention  d'en  donner  la  généalogie  complète.  Le  lec- 
teur qui  voudrait  être  fixé  sur  les  diverses  branches  de  celte  des- 


LA   FAMILLE    DE   JEANNE    d'aRG  483 

cendance  jusqu'à  nos  jours,  n'aura  qu'à  consulter  l'ouvrage  de 
I\1M.  E.  de  Bouteiller  et  G.  Braux  sur  la  Famille  de  Jeanve  cVArc, 
pp.  91-260.  Dans  l'ouvrage  de  M.  Boucher  de  lAIolandon,  La  famille 
de  Jeanne  d'Arc  dans  l'Orléanais,  à  la  fin,  il  trouvera  trois  tables 
généalogiques  :  deux  sur  la  descendance  directe  de  Jacques  d'Ai'c 
et  d'Isabelle  Bornée,  sa  femme  ;  une  troisième  sur  les  branches 
collatérales  d'Aveline  et  de  Jean  de  Vouthon,  sœur  et  frère  d'Isa- 
belle. 


APPENDICE  X 

RÉFÉRENCES     QU'eDMOND     IIGHER,     EMPÊCHÉ     PAR     LA     MORT, 

n'a  pu  donner  dans  le  premier  livre  de  son  histoire 

Lenglet-Dufresnoy  a  laissé  une  Histoire  de  Jeanne  d'Arc'- 
dans  laquelle,  selon  Le  Brun  de  Gharmettes,  il  aurait  «  outra- 
geusement pillé  Edmond  Richer"-.  Lenglet  n'a  garde  d'en 
convenir.  Pour  qu'on  ne  s'en  aperçoive  pas,  il  s'applique  en 
la  seconde  partie  de  son  ouvrage,  p.  148,  à  déprécier  son 
devancier  en  ces  termes  : 

«  L'histoire  de  la  Pucelle  par  Edmond  Richer  a  été  faite 
vers  l'an  1630.  Je  l'ai  lue  et  bien  examinée.  D'abord,  je  l'ai 
crue  bonne  et  bien  faite.  Mais  j'ai  ensuite  remarqué  que 
Richer  n'avait  pas  travaillé  d'une  manière  assez  instructive 
et  assez  lumineuse,  ne  citant  pas  les  dépositions  dont  il  tire 
les  faits  de  son  histoire,  en  omettant  des  pièces  essentielles, 
telles  que  les  Lettres  de  garantie  du  roi  d'Angleterre  et  la 
déposition  du  sieur  D'Aulon.  » 

Comment  s'expliquer  chez  Lenglet-Dufresnoy  un  pareil 
langage?  Est-ce  de  la  légèreté,  est-ce  delà  mauvaise  foi?  Il 
reconnaît  avoir  eu  sous  les  yeux  l'ouvrage  de  Richer;  «  il  l'a 
lu  et  bien  examiné  »;  et  il  lui  reproche  d'avoir  «  omis  des 
pièces  essentielles  telles  que  les  Lettres  de  garantie  du  roi 
d'Angleterre.  »  Or,  lecteur,  notez  ceci  :  ces  Lettres  se  trou- 
vent au  livre  troisième  de  l'histoire  de  Richer,  folios  96 
verso,  97  et  98  recto,  ainsi  que  chacun  pourra  s'en  rendre 
compte,  en  prenant  connaissance  à  la  Bibliothèque  nationale, 

1.  Histoire  de  Jeanne  d'Arc,  dite  la  Pucelle  d'Orléans.  In-1:2,  Amster- 
dam; 17;J9. 

2.  Le  Brun  he  Ghar.mettes.  Histoire  de  Jeanne  d'Arc,  t.  I.  Discours 
préliin..  p.  111  ;  Pari?,  1817. 


nÉFÉRENCES    QU  EDMOND    RICHER   n'a    PU    DONNER  487 

n°  10448,  fonds    latin,  du  texte  authentique  de  l'historien. 

Edmond  Richer  n'a  pas  davantage  négligé  de  mentionner 
la  déposition  du  chevalier  D'Aulon;  il  l'a  fait  plusieurs  fois, 
et  s'il  ne  l'a  pas  reproduite  tout  entière,  c'est  que,  même 
dans  un  ouvrage  comprenant  1028  pages  in-folio,  l'on  ne 
peut  pas  insérer  toutes  les  pièces  que  l'on  a  sous  les  yeux. 
Il  faut  faire  un  choix  :  chaque  écrivain  le  fait  de  son  mieux. 
Mais  quelque  conscience  et  quelque  sens  critique  qu'on  y 
mette,  on  laissera  inévitablement  de  côté  beaucoup  de  pièces, 
même  de  grande  importance. 

Mérite  que  n'a  eu  aucun  autre  historien  de  la  Pucelle,  pas 
même  Lenglet-Dufresnoy.  Richer  a  inséré  et  traduit  en  fran- 
çais dans  son  ouvrage  les  pièces  essentielles  du  procès  de 
condamnation,  les  quinze  interrogatoires,  le  Réquisitoire, 
les  douze  articles,  les  deux  sentences,  l'information  pos- 
thume, les  accompagnant  de  réflexions  critiques  ;  il  a  analysé 
le  procès  de  revision;  il  a  été  le  seul  qui  jusqu'à  présent  ait 
reproduit  les  cent-un  articles  présentés  par  les  avocats  de  la 
famille  de  la  Pucelle,  et  il  a  fait  passer  sous  les  regards  du 
lecteur  les  principales  dépositions  des  témoins,  assesseurs, 
officiers  du  procès  de  Rouen  qui  ont  dévoilé  les  iniquités  et 
les  violations  du  droit  à  la  faveur  desquelles  les  juges  vendus 
aux  Anglais  livrèrent  au  bûcher  l'héroïque  Pucelle. 

Mérite  aussi  peu  contestable  et  qui  lui  fait  une  place  à  part 
entre  tous  les  historiens  de  Jeanne  d'Arc,  Edmond  Richer, 
n'en  déplaise  à  Lenglet-Dufresnoy,  est  le  premier  qui  ait  tiré 
des  deux  procès  de  condamnation  et  de  revision  la  substance 
de  son  récit;  et  il  l'a  fait  cent  vingt  ans  avant  que  Lenglet 
en  ait  eu  la  pensée,  et  deux  siècles  avant  que  la  Société  de 
l'Histoire  de  France  et  Jules  Quicherat  s'occupassent  de 
publier  le  texte  des  deux  procès. 

Quant  aux  citations  dont  on  reproche  l'omission  à  l'auteur, 
on  doit  ne  pas  oublier  —  et  plus  que  tout  autre  Lenglet- 
Dufresnoy  aurait  dû  s'en  souvenir  —  que  Richer  est  mort 
avant  d'avoir  publié  et  revu  son  Histoire  de  Jeanne  d'Arc. 
Il  l'a  laissé  à  l'état  de  manuscrit.  Il  venait  d'obtenir  la  per- 
mission, indispensable  en  ce  temps-là,  de  la  livrer  aux  impri- 
meurs, lorsque  la  mort  le  surprit.  Il  n'a  pu  conséquemment 


488  APPENDICE   X 

y  mettre  la  dernière  main.  Qu'on  ne  le  rende  pas  responsable 
de  l'impuissance  à  laquelle  la  mort  l'a  réduit. 

Ce  que  Richer  n'a  point  fait,  l'impression  de  son  ouvrage 
permettra  de  le  faire.  Nous  avons  déjà  donné  un  certain 
nombre  de  références  au  cours  du  premier  livre,  le  seul  d'ail- 
leurs où  elles  soient  à  désirer.  Nous  allons  compléter  ce  tra- 
vail dans  le  présent  appendice.  Prenant  le  récit  page  par 
page,  nous  indiquerons  fidèlement  les  sources  auxquelles 
l'historien  a  puisé.  Ces  sources  étant  d'habitude  les  deux 
procès  et  le  Journal  du  siège  d'Orléans,  nous  userons  pour 
ces  références  de  l'ouvrage  en  cinq  volumes  de  Jules  f)uiche- 
rat.  Les  chiffres  romains  désigneront  les  divers  volumes,  et 
les  chiffres  arabes  les  pages  visées,  avec  les  sujets  auxquels 
les  références  se  rapportent. 

L'Éditeur  Ph.-IL  D. 


REFERENCES  DU  LIVRE  PREMIER 

DE  L'HISTOIRE   DE  LA  PUCELLE 

Par  Edmond   RICHER 


CHAPITRE   PREMIER 

Du  règne  de  Charles  VI  et  du  commencement  de  celui 
de  Charles  VII. 

Pas  de  référenco  précise  à  donner.  Voir  les  historiens  et  chroni- 
queurs connus  du  temps  d'E.  Richer,  en  particulier  Robert 
(iaguin,  François  de  Belleforest  et  son  Histoire  des  neuf  rois 
Charles  de  France,  et  les  principaux  des  historiens  cités  par 
Richer  lui-même  au  livre  quatrième  de  son  ouvrage,  tome 
second Pages  du  texte.    4ù-46 


CHAPITRE  II 
Naissance  de  la  Pucelle. 

Sur  ce  sujet,  sur  celui  de  la  famille  et  du  pays  de  la  Pucelle,  voir 
les  Appendices  Vlil,  IX  de  ce  tome  premier o7 


REFERENCES    DU    LIVRE    I  48^ 

Sur  son  nom  i}e  Jeanne  la  Pucelle,  voir  Procès,  ],iQ;ihid.  111,103,  dé- 
position do  IVùre  Pasquerel  ;  ibid.  1, 130  ;  ioid.  III,  107, 175 .  Texte  p.       58 

Les  aumônes  do  Jeanne;  soin  qu'elle  prenait  des  pauvres  :  Procès, 
11,398,  413.  427,  438.  440,  443 59 

Ses  confessions  :  Quasi-unanimité  des  34  témoins  de  Domremy. 
Procès.  I.  51:11,  386  et  suiv 59 

Jeûne  du  vondn'di:  Procès.  111,108 59 

Dévotion  à  la  15.  Vierge-:Marie,  pèlerinage  à  Bermont,  Procès,  U, 
424,425,  427,  4,33,  439,  452,  462.  .  .    .' 59 

Communions,  assistanceà  la  messe  :  Procès,  H,  450.  455:  III,  100, 
101.  104,  107:  I,  164,  163 59 

Amour  du  travail,  de  la  prière:  Procès.  II.  398,  404,  407,  417,  418, 
420,  422,  424.  430 61 


CHAPITRE  III 
La  Pucelle  et  ses  voix. 

On    trouvera    dans  l'appendice   I    du    présent  volume   les  textes 

concernant  ce  sujet  avec-leurs  références. 

La  Pucelle  et  le  curé  de  Domremy  :  Procès,  I,  128 65 

Songe  du  père  de  Jeanne  :  /^/-orès,  1.131,132 66 

Fuite  à  Neufcliàteau;  l'Oliicial  de  Toul  :    Procès,   I,    51,  127,   128, 

215;  II.  419.  463 66 

Du  Bois  Ghesnu  .Procès,  I,  66-68 67 

CHAPITRE  IV 
A  Vaucouleurs. 

De  Baudricourt  et  de  Durand  Laxart:  Procrà,  I.  53  :  II.  443.  ...  69 
Voyage  à  Nancy  et  à  Saint-Xicu!as-du-I'ort  ;  Procès,],  54  ;  II.  447. 

457. 71 

Jeanne  et  n^e&sire -Fournior  :  Procès,  II,  446 72 

Révélation  de  la  défaite  de  Rouvray  :  Procès,  IV,  128 72 

Départ  de  Vaucouleurs    -.Procès,].    53-55;  II,    406,    432,  445,  4  i7, 

448,  457 73 

La  Pucelle  et  ses  parents:  Procès,  I,  128,  129,  130,  131 73 

CHAPITRE  V 
A  Chinon. 

De  Vaucouleurs  à  Chinon:  Procès,  I,  54,   56,  75:    II,  435  et  suiv  , 

454 7o 

Maître    Pierre  de  Versaillos  :  Procès,  III,  202,  203 76 

Audience  de  Chinon:  I,  56;  75,  76  ;  II,  438,  458:  111,4.  16,  22,    66. 

100  et  suiv ■ 77 

Jeanne  chez  G.  Bellier:  Procès,  111,17 7S 

Religieux  envoyés  au  pays  de  Jeanne  :  Procès,  III,  82 78 

Examen  de  Chinon:  Procès,  I,  75;  III,  17,  92,  115 79 


490  APPENDICE    X 

Signe  que  Jeanne  donne  au  roi  de  sa  mission  de  par  Dieu  :  Procès. 

I,  7o Texte  p.      80 

Autres  révélations  qu'elle  lui  communique:  Procès,  HI,  103.  ...       80 


CHAPITRE  YI 
Virginité  et  Chasteté. 

Voir  ProcèsM,  p.  438,  457  ;  III,  Ib,  81,  99 83 

Précautions  de  la  Pucelle  en  campagne.  Procès,  I,  293 84 

Tentative  d'un  grand  seigneur  anglais:  Procès,  II,  8;  III,  168  .   .  86 

CIlAPITRi:  VII 
A  Poitiers  et  à  Tours. 

La  Pucelle  chez  maître  Rabatcau:  Procès,  l\l.  19.   74,203 88 

La  Commission  de  Poitiers  :  Procès,  111,  4,17,   19,    22,   74.   82,    93, 

116.  203.  209 88 

Maître  G.  Aymeri: /6ic?., 19,  83,  203,  204 88 

Maître  Seguin,. les  quatre  prédictions  de  la  Pucelle  :  Ibid.,  202-205.  89 

Rapport  de  la  Commission  :  Procès,  V,  471 90 

Décision  du  roi:  Procès.  III,  210;  IV,  510 90 

Maison  militaire  de  la  Pucelle  :    Procès,  III,  65,   07.  124,  210:  IV, 

448,  449 91 

La  haquenée  de  l'évêque  de  Senlis  :  Procès,  I,  104,  160 91 

L'aumonier  de  Jeanne,  frère  Pasquerel  :  Procès,    III,  101  et  suiv.    .  91 

L'épée  de  Fierbois  :  Procès,  I,  76 91 

Habileté  de  Jeanne  à  chevaucher  :  Procès,   IH,  8,   18,   88,  92,  100   .  92 

Jeanne,  les  pillards  elles  folles  femmes  ;  Procès,  III,  73,  81,  111   .  93 

Jeanne  à  Tours  :  Procès,  I,  118,  119  ;  III,  66 93 

De  son  étendard:  Procès.  I,  78,  117,  181-183 94 

De  ses  anneaux;  Procès,  I,  86,  87,  103, 185;  IV,  480 94 

CHAPITRE  VIII 
La  Pucelle  à  Blois. 

Du  pennon  de  la  Pucelle  '.  Procès,  I,  96,-98 96 

La  lettre  aux  Anglais:  Procès,  I,  55,  84,  239,  240 97 

La    Pucelle   et    les   hommes  d'armes.  —  Départ   pour    Orléans  : 

Procès,  III,  67,  104,  105;  IV,  491 100 

Changement  de  vent:  Procès,  III,  18,105 101 

Marche  par  la  rive  gauche:  Ibid.,^ 101 

Retour  à  Blois:  Procès,  111,6,   105 102 

Entrée  dans  Orléans  :  lbib.,ii%  .    .    .  , 102 

A  l'église  cathédrale  :  Ibid. ,21 103 

Mot  de  Pierre  de  Versailles  :  ièif/., 203 103 

La  Pucelle  et  les  bonnes  femmes:  i6(c/.,  87 103 


REFERENCES    DU    LIVRE    I  491 


CHAPITRE  IX 
La  Pucelle  dans  Orléans. 

Des  hérauts  retenus  par  les  Anglais:  Procès,  III,  7,  27,  126.  Texte  p.  103 

Départ   de  Dunois  pour  Blois  :  Procès,  lU,  211 '  ,  195 

Retour:  Ibid..  103.211 106 

Prise  de   la  Bastille  de  Saint- Loup  : /'rocès-,  III,   68.  106,  124-126, 

213 108-109 

Conseil  du  jour  de  l'Ascension  :  P;océ5,    IV,  59-60 108-109 

Prise  des  Augustii)s;  Procès,  III,  79,  214,  215 110 

Prise    des   Tourelles  ;    blessure    de   Jeanne  :    Ibid., 2b,    94,    IJO. 

215-217;  IV,  159-165,  495 111-112 

Les  juges  de  Rouen  et  ce  sujet:  Procès,  I,  79 113 

Du  samedi  7  mai  au  dimanche  :  Procès,  IV,  163,164 114 

Procession  du  8  mai  :  Procès,  111,  110 115 

CHAPITRE  X 
Campagne  de  la  Loire. 

Conseil  tenu  à  ce  propos  :  Procès,  \U,  12,  13 117 

Jeanne  et  la  duchesse  d'Alençon  :  f^'ofés.  III,  111 120 

Prise  de  Jargeau  :  Procès,  III.  96-97  ;  IV,   170-173 121 

Suffolk  et  la  prophétie  de  Merlin  :  Procès,  III,  15 122 

A  propos  du  Bois  Ghesnu:  Procès,  I,  66-68;  III,  133 122 

Mcung-sur-Loire  ;  Procès,  IV,   174 , 122 

A  Beaugency:  Procès,  IV,  174 123-124 

Arthur  de  Rfchemont.-  Procès,  III,  98  ;  IV,  173 123-124 

Patay:  Procès,  III,  11,  71,98,99;  IV,  177,   371,  420 125 

Talbot  prisonnier  :  Procès,  III,  99.- 126 

Richemont  et  Charles  VII:  Procès,  IV,  178 127 

CHAPITRE  XI 
De  Gien  à  Reims. 

Charles  VII  à  Gien  :  départ  pour  Reims  :  Procès,  IV,  180    ....  130 

A  Auxerre,  Saint-Florentin,  Troyes:  Ibid.,  I8i 131 

Frère  Richard  :  Procès,  I.  9J,   102  ;  IV,   182,  376,  377 131 

Conseil  royal  devant  Troycs  :  Procès,  IV,  182,   183 133 

Soumission  de  Troyes  :  Procès,  IV,  182,  378 134 

La  Pucelle  à  Troyes  i  Procès,  III,  111 133 

De  Chàlons  à  Reims:  Procès,  III,  118;  IV,    184 133 

Jintrée  de  Charles  à  Reims  :  Procès,  IV,  184,  183 136 

Le  père  de  Jeanne  et  Laxart:  Procès,  II,  423,   445 136 

Le  sacre:  Procès,  lY,  185,  186,  339,  313 137 

Jeanne  aux  pieds  du  roi:    Ihid.,  186 137 

Le  roi  à  Saint-Marcoul  :  Procès,  l\.  187 138 

L'étendard  de  Jeanne  à  Reims  :  lbid.,\,  187 138 


492  APPENDICE   X 


CHAPITRE  \n 
Du  sacre  à  Paris. 

LeltredelaPucelleauduc  de  Bourgogne -.i^/'ocèi/V,  116-127.  Textep.  130 
Le  roi  à  Vailly.  Chàteau-Thierry,  Soissons,  etc.  :  Procès,    IV,    187. 

Les  4.000  1).  du  cardinal  de  Winchester  :  76ù/.,  190 141 

Manifeste  du  duc  de  Belliford  :  Procès,  IV,  340-344 142 

La  Pucelle  et  Regnault  de  Gliartres:  Procès,  IV.,  188,  189 145 

Betliford  à  Mitry  :  Procès.  IV.  189 146 

Soumission  de  Beauvais  :  Procès,  IV,  190 147 

A  Mentépilloy:  Procès,  IV,  191-196 148 

L'armée  l'oyale  à  Crespy,  Compiègnc,  Senlis  :  Procès,  IV,  196,197.  149 

De  Senlis  à  La  Cliapelle,  près  Paris:  7èf(i.,  198 150 

CHAPITRE  XIII 

L'échec  de  Paris. 

Sous  les  murs  de  Paris;    échec  des    troupes  royales:  Procès,   IV, 

198-199,  391-394 151-152 

Blessure  de  la  Pucelle:  Ibid.,  199 151-152 

Elle  oiïre  ses  armes  à  Saint-Denis:  Procès,  I,  179 151-152 

Le  roi  à  Saint-Denis  et  Lagny  :  Procès,  IV,  201 153 

Enfant  quasi-ressuscilé:  Procès,  I,  105-106 153 

Retour  vers  la  Loire  :  Procès,  IV,  201 154 

Arrivée  à  Bourges  :  lbid.M2 155 

A  Saint-Pierrc-le-Moutier.- -Procès,  III,  218-223 155 

A  La  Charité-sur-Loire:  Procès'.  I,  106,  109,  119,  147,  169,   ....  156 

Anoblissement  de  la  Pucelle:  Procès,  V,  150-153 156 

Départ  de  Jeanne  pour  l'Isle  de  France  :  Procès,  I,  114-116.    .    .    .  157 


CHAPITRE  XIV 
A  Compiègne.  Prise  de  la  Pucelle. 

La  Pucelle    à   Melun  :  Procès,   I,  144.    —     A    Lagnv  ;    Franqnet 

d'.Arras  :  //jùL,  158,264;  IV,   91,   399.  422 '.....      158-159 

A  Ghoisy  et  Soissons:  Procès,  IV,  397-399 160-161 

Jeanne  prisonnière.  A  Margny  :  Procès,  IV,   402  ;  —  A  Bcaulleu: 

I,  163  ;  A  Beaurevoir:  I,  93,  110 163 

Tentative  d'évasion  de  la  Pucelle:  Procès,  I,  150,  152,  160  ...    .     164 
Ce  que  Jeanne  demandait  à  ses  Voi-X  :  Procès,  I,  154 16a 


■L\    DU    TOME    PREMIER 


EVr.EU.X.    I.\41'U1ME[UE    Cil.    IIEIUSSEV,    PAUL    IIÉIÎISSEY,    SfCC' 


TABLE  DES  MATIÈRES 

DU  TOME  Pl{E3[IEll 


l'agcs 

Portrait  d'Edmond  Richor iv 

Dédicace vu 

Introduction  et  notice  sl'u  E.  Richeiî 1 

Du  Manuscrit  de  lauteur  et  de  la  présente  édition 83 

Advertissement  de  Richer  au  lecteur 37 


HISTOIRE  DE  LA  PIJCELLE  D'ORLÉANS 

LIVRE  PIIEMIEH 

DE   SA    NAISSANCE   A   SA    CAPTIVITÉ 

GiiApnitE  Premier.  —  Coup  dœil  sur  le   régne  de  Charles  VI  et 

sur  les  commencements  de  celui  de  Charles  VII 4b 

Chapitre  II.  —  Jeanne  d'Arc  à  Domremy. 
Sa  naissance.  —  Sa  l'aïuillc.  —  Sa  piétti.  —  Son  ardeui'  au  tra- 
vail.—  Son  auiour  pour  la  France 57 

Chapitre  lll.  —  La  Pucelle  et  ses  Voix. 
Premières  apparitions. —  Im^uiétudes  des  parents  de  la  Pucelle. 

—  Du  bel  arbre  de  Domremy 63 

GiiAPiTHK  IV.  —  La  Pucelle  à  Vaucouleurs. 

Premier  voyage.  —  Accueil  peu  encourageant  de  Beaudricourt. 

—  Second  voyage.  —  L'exorcisme.—  Départ  pour  Cliinon  .    .       60 
Chapitre  V.  —  La  Pucelle  à  Chinon. 

Incidents  du  voyage.  —  A  Sainte-Gatiierine  de  Fierbois.  — 
L'audience  royale.  — Examen  auquel  on  soumet  la  Pucelle. — 

Secret  que  la  Pucelle  révèle  au  Roi 7:j 

Chapitre  VI.  —  La  virginité  de  la  Pucelle  et  sa  chasteté. 

Virginité  de  la  Pucelle.  —  Chasteté  que  sa  vue  inspirait.  —  Ses 
juges  mêmes  en  conviennent.  —  Calomnie  de  Du  Ilaillan.    .    .       82 
Chapitre  VII.  —  A  Poitiers  et  à  Tours. 

Examen  de  la  Pucelle  ù  Poitiers.—  Conclusion  lavorable.  —  Etat 
de  maison  que  le  Roi  lui  donne.  —  L'épée  de  Fierbois.  — 
L'étendard  de  Tours 88 

32 


494  TABLE    DES    MATIERES 

Pages 
Chapitre  VIII.  —  La  Pucelle  à  Blois,  départ  pour  Orléans. 

La  lettre  aux  Anglais.  —  La  grande  pitié  du  royaume. —  Entrée 

dans  Orléans 96 

Ch.vpitre  IX.  —  La  Pucelle  dans  Orléans.  —  Levée  du  siège. 
Les  bastilles  anglaises.  —  Prise  de  Saint-Loup,  des  Augustins  et 

des  Tournelles.  —  Les  Anglais  se  retirent 105 

Chapitre  X.  —  Campagne  de  la  Loire. 
Prise  de  Jargeau  et  du  pont  de  Meung.  —  Capitulation  de  Beau- 

genc}'. —  Patay.  —  La  Pucelle  et  Richemont 110 

Chapitre  XI.  —  De  Gien  à  Reims,  le  sacre. 
Marche  sur  Auxerre  et  Troyes.  —    Le  cordelier  frère  Richard. — 
Conseil  royal  et  soumission  de  Troyes. —  De  Troyes  à  Chàlons. 

—  Arrivée  à  Reims.  —  Sacre  et  couronnement  de  Charles  VII.     130 
Chapitre  XII.  —  Du  sacre  à  la  tentative  sur  Paris. 

Lettre  de  la  Pucelle  au  duc  de  Bourgogne.  —  L"armée  royale 
dans  l'Ile  de  France. —  Manifeste  du  duc  de  Bethford. —  Dépu- 
tation  envoyée  au  duc  de  Bourgogne. —  A  Grépy-en-Valois. — 

Soumission  de  plusieurs  places.  —  A  IMont-Espilloy HO 

Chapitre  XIII.  —  Léchée  de  Paris,  retour  vers  la  Loire. 

Tentative  sur  Paris.  —  La  Pucelle  à  Saint-Denis  et  à  Lagny.  — 
Retour  en  Berry.  —  Prise  de  Saint-Pierre-le-Moutier.  —  Echec 

sur  La  Charité.  —  Jeanne  revient  auprès  du  Roi 131 

Chapitre  XIV.  —  A  Compiégne.  prise  de  la  Pucelle. 

La  Pucelle  à  Melun  et  à  Lagny.—  Prise  de  Franquet  d'Arras.— 
Siège  de  Choisy  par  le  duc  de  Bourgogne,  puis  de  Compiégne. 

—  Sortie  et   prise  de  la  Pucelle.  —  Sa  captivité  à  Beaulieu  et 

à  Beaurevoir.  — Les  Français  font  lever  le  siège  de  Compiégne.     158 
Note  sur  ce  su.jet    :   La  Pucelle  a-t-elle  été  prise,  comme  le  dit 

E.  Richer,  dans  le  diocèse  de  Soissons? 166 

Dissertation  théologujue  sur  les  apparitions,  révélations  et  mis- 
sion de  Jeanne  d'Arc 168 

Observations  sur  ce  document 168 

I.  La  piété  de  Jeanne  jeune  iille  et  ses  révélations 171 

II.  Comment  se  présentent  les  révélations  de  la  Pucelle    .    .    .     172 

III.  Dos  apparitions  de  sainte  Catherine  et  de  sainte  Margue- 

rite  175 

IV.  Mauvaises  raisons  des  juges  de  la  Pucelle 176 

V.  De  la  mission  de  la  Pucelle  considérée  dans  ses  elïets.   .    .     178 

VI.  La  mission  de  la  Pucelle  et  le  relèvement  du  royaume  .    .     180 

VII.  Les  missions  divines  et  l'infirmité  humaine 181 


LIVRE  SECOND 

LE    PROCÈS    DE    ROUEN 

Avant-propos  te  l'éditeur 185 

Section  première.  —  Des  procès  ecclésiastiques  en  cause  de  foi  .     186 

I.  Du   pouvoir  judiciaire  de  l'Eglise  et  des  crimes  contre   la 

foi,  en  particulier  du  «  crime  »  d'hérésie 186 

II.  Des  juges  des  procès  en  cause  de  foi 187 


TABLE    DES    MATIÈRES  495 

Pages 

III.  Des  procès  de  chute 189 

IV.  Des  deux  parties  des  procès  de  chute 189 

,     V.    Des  procès  de  rechute  et  des  relaps 191 

VI.  Les  tribunaux  de  l'Eglise   au  xv   siècle   et  nos   tribunaux 

d'aujourd'hui 192 

Section  deuxième.  —  Du  procès  de  la  Pucelle 193 

I.  Les  pi'éliminaii'es 193 

II.  Les  commencements  du  procès 194 

III.  Du  procès  d'ollicc 195 

IV.  Du  procès  ordinaire 196 

V.  L'abjuration  et  la  sentence  de  Saint-Ouen 197 

VI.  Le  procès  île  rechute  et  la  sentence  finale 198 

Section  tkoisié.vie.  —  Edmond  Richer  et  son  exposé  critique  du 

procès  de  1431 199 

I.  Des  manuscrits  des  deux  procès  dont  il  s'est  servi 2Î00 

II.  Exposé  proprement  dit  du  procès 201 

III.  Des  Adverllsseinents 203 

IV.  E.  Richer  thèctlogien  et  son  Histoire  de  lu  Pucelle 206 

V.  Dernières  observations 207 

[TEXTE  DE.  RIGHERl 
DE   COMPIÈGNE    A    ROJEN.    —    CAPTIVITÉ,    PROCÈS,    SUPPLICE 

I.  Considérations  préliminaires.  —  .\vant  le  procès   ......  209 

II.  Du   procès   même.    —    Gomment    l'auteur    le    divise   et  va 

l'étudier 213 

PKE.MIÉKE  PARTIE 
Contenant  les  actes  préambulaires. 

Lettre  de  l'Université  de  Paris  au  duc  de  Bourgogne 218 

Advertissement  de  Richer. 219 

Lettre  de  l'Université  de  Paris  à  Jean  de  Luxembourg 220 

Lettre  du  vicaire  de  l'Inquisiteur  de  la  foy  au  duc  de  Bourgogne.  222 

Advertissement 223 

Sommation  de  l'évoque  de  Beauvais 224 

Advertissement 225 

Lettre  de  l'Université  de  Paris  au  roi  d'Angleterre 228 

Advertissement 230 

Lettres  patentes  du  roi  d'Angleterre 231 

Advertissement.  —  Autres  actes  préliminaires 232 

Des  conseillers  et  assesseurs  de  l'évêque  de  Beauvais 235 

Sommation  au  vice-inquisiteur  Jean  Lemaître.  —  Citation  de  la 

Pucelle 237 

SECONDE  PARTIE 

Contenant  le  procès  dit  d'office. 

Première  séance 238 


49b  TABLE    DES    MATIERES 

Pages 

Premier  interrogatoire  public 2>40 

Advertissement  de  Richer  sur  la  première  séance 241 

Seconde  séance  et  deuxième  interrogatoire  public 242 

Advertissement  sur  la  seconde  séance 24f) 

Troisième  séance  et  troisième  interrogatoire  public.  —  Des  Voix 

de  la  i'ucelle 240 

Advertissement  sur  la  troisième  séance tbh 

Séance  1V°  et  IV«  interrogatoire  public 26:2 

Des  apparitions  de  saint  Michel  et  des  saintes 263 

De  rhabit  d'homme 265 

De  l'épée  de  Fierbois - 266 

De  l'étendard.  —  Au  siège  d'Orléans 267 

Advertissement  sur  la  1V°  séance 268 

Séance  V»  et  V»  interrogatoire  public 274 

Des  lettres  du  comte  d'Armagnac  et  de  la  Pucelie 274 

Des  saintes  Catherine  et  Marguerite 276 

De  la  mandragore.  —  De  saint  Michel 278 

Du  signe  donné  au  Roy 279 

Advei-tissement  sur  la  V»  séance 280 

Séance  VI»  et  Vl»  interrogatoire  public 283 

De  saint  Michel,  des  saintes  et  de  leurs  apparitions 284 

De  l'habit  d'homme 285 

Des  panonceaux  de  Jeanne  et  de  sa  compagnie 286 

De  frère  Richard 286 

Des  portraits  de  la  Pucelie.—  Vénération  qu'on  lui  témoignait.  287 

De  l'entant  de  Lagny 288 

De  Catherine  de  La  Rochelle 239 

Du  siège  de  La  Chaiité'.  —  Du  saut  de  Beaurevoir 290 

Advertissement  sur  la  Vi°  séance 2i)l 

Séance  VU"  et  1"  interrogatoii'c  dans  la  prison 292 

De  la  sortie  de  Compiègne 293 

De  l'étendard  et  des  biens  de  la  Pucelh; 294 

Du  signe  donné  au  Roy 295 

Advertissement  sur  la  Vil»  séance 296 

Séance  VIII°  et  2"  interrogatoire  dans  la  prison 297 

Des  visions  de  la  Pucelie.  —,  De  l'afl'aire  de  Toul 298 

Du  silence  de  Jeanne  à  l'égard  de  ses  parents 299 

Advertissemenl  sur  la  VIII»  séance 300 

Séance  IX"  et  3''  interrogatoire  dans  la  prison 302 

Encore  des  parents  de  Jeanne.  —  De  l'habit  d'homme 302 

De  la  délivrance  du  duc  d'Orléans 303 

Advertissemenl  sur  la  IX°  séance ;{04 

Séance  X"  et  4'^' interrogatoire  dans  la  prison 305 

Du  signe  donné  au  Roy : 305 

De  l'assaut  de  Paris,  de  La  Charité,  de  Pont  l'Evéque 307 

Advertissemenl  sur  la  X°  séance 308 

Séance  XI«  et  5"  interrogatoire  dans  la  prison ;^1G 

Du  prétendu  saut  de  Beaurevoir 311 

Des  rapports  delà  Pucelie  avec  ses  saintes 312 

Advertissement  sur  la  Xl^séance 31-3 

Séance  XII»  et  6«  interrogatoire  dans  la  prison 317 


TABLE    DES    MATIÈRES  497 

Pages 
Circonstances  dans  lesquelles,  d'après  ses  juges,  la  Pucelie  aurait 

péché  mortellement 317 

Advertissement  sur  \a.  \U'  séa.ncii 318 

Séance  XIII"  et  7«  interrogatoire  dans  la  prison ■i"2Ù 

Do  la  soumission  de  la  Pucelie  à  la  détermination  de  l'Église.   .  320 

Do  la  tentative  d'évasion  de  Boaulieu 320 

De  l'audition  de  la  messe 321 

Rapports  do  Jeanne  avec  ses  voix 322 

Des  apparitions  de  saint  Michel  en  particulier 323 

Adverlisseinent  sur  la  XUl»  séance 324 

Séance  XI V«  et  8»  interrogatoire  dans  la  prison 326 

De  la  soumission  à  l'Eglise.  — De  l'habit  d'homme 327 

Si  les  saintes  liaissaient  les  Anglais 328 

Adverlissemenl  sur  la  XIV°  séance 329 

Séance  XY«  ot  9«  intorrogaloir'e  dans  la  prison 331 

Do  l'étendard 331 

Témoignages  affectueux  des  saintes  envers  Jeanne 333 

L'étendard  de  Jeanne  au  sacre  de  Reims 334 

Adverllsseinenl  sur  la  XV°  si'ance 334 

Fin  du  procès  d'office 336 


APPENDICES  ET  ÉCLAIRCISSEMENTS 

L'ÉDITEUR  AU   LECTEUK 

APPENDICE  PREMIER 
Les  Visions  de  Jeanne  d'Arc  racontées  par  elle-même. 

PuEMiÈitE  PAiiTiE.  —  JeanuB  d'Arc  et  saint  Michel  . 340 

Ce  que  saint  Micliel  enseignait  à  la  petite  Jeanne 341 

Comment  il  l'initia  à  sa  mission 341 

Jeanne  n'est  venue  en  France  que  par  commandement  de  Dieu.  343 

De  son  départ  contre  le  gré  de  ses  parents 343 

Des  apparitions  de  saint  Michel 344 

De  l'audience  de  Chinon 346 

De  l'épée  de  Fierbois 347 

De  l'étendard 348 

Du  signe  donné  au  Roi 348 

Que  saint  Michel  n'a  jamais  failli  à  la  Pucelie 349 

Ce  que  Jeanne  était  pour  saint  Michel 350 

Drcxième  pautie.  — Jeanne  d'Arc  et  les  saintes  Catherine  et  Mar- 
guerite,   350 

Do  leurs  apparitions 330 

Rapports  de  Jeanne  avec  les  saintes 352 

Du  vrou  de  virginité. 353 

De  l'étendard 353 

Du  signe  du  Roy 355 

Jeanne  blessée  à  la  bastille  du  Pont 355 


498  TABLE    DES    MATIÈRES 

l'aies 

Uu  ilue  d'Orléans. —  Jeanne  el  les  pauvres. —  L'enfant  de  Lagny.  3.o6 

De  Catherine  de  La  Rochelle 357 

Annonce  à  Jeanne  de  sa  captivité  prochaine 358 

De  l'évasion  de  Beaurevoir 359 

Dévotion  de  la  Pucelle  envers  ses  saintes 35'J 

Des  commandements  de  ses  voix 360 

Egards  qu'elles  lui  témoignaient 36i 

Du  Conseil  de  la  Pucelle 362 

Troisième  partie.  —  Les  juges  de  Jeanne  et  les  "Voix 365 

Premières  interrogations 365 

Les  voix  pressent  Jeanne  de  répondre  hardiment 365 

Des  révélations  faites  à  la  Pucelle 366 

Jeanne  adolescente -    .  368 

De  l'habit  d'homme 369 

De  la  sortie  de  Compiègne 370 

De  l'assaut  de  Paris.  —  A  La  Charité  et  Pont-l'Evèquc 371 

Des  armes  offertes  à  Saint-Denis  par  la  Pucelle 371 

De  la  soumission  à  l'Eglise  et  de  l'appel  au  Pape 372 

Du  martjTC  de  Jeanne 37y 

Jeanne  envoyée  de  Dieu 377 

Prédictions  faites  à  Rouen.  —  Soumission  de  Paris 378 

Traité  d'Arras 379 

Recouvrance  du  royaume 380 

Victoire  de  Castillon 381 

APPENDICE  11 

Avant  le  procès  de  Rouen,  Jeanne  na-t  elle  jamais  parlé  de  ses 

Voix? 382 

APPENDICE  111 

La  mission  de  la  Pucelle.  —  Les  origines 387 

APPENDICE  IV 

La  question  «  Jeanne    d'Arc  »  au   XV^  siècle,  et   cette    question 

aujourd'hui 396 

1.    —  Deux  Jeanne  d'Arc  à  Paris  et  en  France  au  xv  siècle.    .    .  396 

IL  —  Deux  Jeanne  d'Are  à  l*aris  et  en  France  aujourd'hui.    .    .  399 

GoNCLusiox  :  Jeanne  d'Arc  et  son  portrait  traditionnel 404 

APPENDICE  V 

Du  secret  et  du  signe  du   Roi 405 

1°  De  la  scène  même 405 

2»  Questions  à  résoudre 406 

i"  Questions  finales 413 

APPENDICE   VI 

La    Pucelle  a-t-elle  été    prise    sur   le    territoire  du  diocèse    de 

Beauvais 4 


TABLE    DES    MATIERES  499 

Pages 
Procès-\  erbal  de  la  remise  du  corps  de  Henri  III  au  prieur  de 

Saint-Corneillc 423 

APPENDICE  VII 

La  mission  historique  de  Jeanne  d  Arc,  son  objet,  son  étendue.  429 

I.      —  Opinions  en  présence 429 

H.    —  Jeanne  voyanle  inspirée 432 

III.  —  Jeanne  guerrière  libératrice 437 

IV.  —  Sa  mission  morale  et  patriotique ,  sanctiflcatrice  et 
rédemptrice 440 

V.  —  Etendue  de  la  mission  de  Jeanne.  —    Ses  di  ux  parlies  : 

«  Mission  de  vie  »  et  «  Mission  de  survie  » 444 

VI.  —  Réponse  à  quelques  objections 448 

VII.—  Conclusion 452 

APPENDICE  VIII 
Le  pays  de  Jeanne  d'Arc 

1»  Aperçu  généra! 455 

2»  Domremy 457 

3"  La  maison  de  Jeanne  d'Arc 458 

4"  L'église  de  Domremy 461 

5°  Notre-Dame  de  Bcrmont 462 

6°  L'oratoire  Sainte-Marie 464 

7»  Notr(!-Dame  de  Beauregard 465 

APPENDICE  IX 
La  famille  de  Jeanne  d'Arc. 

Avant  1431. 

1°  Le  nom  de  la  famille  d'Arc 467 

2"  Le  père  et  la  mère  de  Jeanne - 470 

3o  Condition  et  fortune  de  la  famille 471 

4°  Des  armoiries  de  Jacques  d'Arc 474 

5»  Des  frères  et  sœur  de  la  Pucelle 475 

6»  Des  oncles,  tantes  et  cousins  de  Jeanne  d'Arc 478 

7»  De  Durant  Laxart.  —  Etait-il  oncle  de  Jeanne  ou  cous  n  par 

alliance  ? 480 

Après  1431.  —  La  mère  de  Jeanne 481 

Ses  frères  et  leurs  descendants 482 

APPENDICE  X 

Des  références  (j a' Edmond  Richer  n'a  pu  donner  dans  le  livre 
premier  de  son  histoire,  et  que  nous  donnons  d'après  l'ouvrage 
de  Jules  Quicherat  sur  les  deux  procès. 

Avertissement 486 

Indication  de  ces  références 489 


FIN    DE    I..\    TABLE    DU    TOME    PREMIER 


EVREUX.    IMPRIMERIE    CH.    HÉRISSEY,    P AUl-    HÉUISSEY    SUiX' 


statue  monumentale  de  Jeanne  d'Arc 

Par  H.  LOUIS-NOEL 

A  ériger  sur  le  Fort  Sainte- Catherine  à  Rouen 


La  France  a  soif  d'honneur,  de  paix  et  de  liberté. 

Une  Française  incarne  dans  le  passé  l'honneur  de  la  femme  et  l'abnégation 
du  soldat. 

Cette  fenime  est  le  symbole  de  la  concorde  et  de  l'union.  La  «  grande 
pitié  ».  lauiour  immense  qu'elle  conçut  pour  la  France  divisée  la  conduisirent 
de  la  chaumière  de  Domrémy  au  bûcher  triomphal  de  Rouen. 

Cette  femme,  cette  enfant  fut  la  Libératrice  d'une  patrie  au.x  heures  les  plus 
sombres  de  ^on  histoire. 

Sa  vie  tient  du  prodige. 

Cependant,  la  légende  n'entre  pour  aucune  part  dans  l'existence  de  cet  être 
surhumain. 

Jeanne  d'Arc  relève  exclusivement  de  l'histoire.  Des  textes  irréfutables 
répandent  une  pleine  clarté  sur  les  moindres  événements  de  sa  brève  carrière. 
La  critique  la  plus  serrée  en  a  confirmé  l'exactitude. 

Mais,  tel  est  le  prestige  de  la  Pucelle,  que  la  poésie  s'est  éprise  de  ce  type 
de  vaillance  et  de  patriotisme.  I  a  peinture,  la  statuaire,  la  musique,  se  sont 
inspirées  de  son  image  ou  de  ses  liants  faits. 

Jeanne  d'Arc  est  Française,  mais  toutes  les  nations  d'Europe,  les  peuples 
du  Nouveau-Monde  ont  exalté  sa  mémoire. 

Miss  Rose  Cleveland.  sœur  du  président  des  Etats-Unis,  a,  dans  un  élan 
sublime,  salué  Jeanne  d'Arc  comme  une  force  immanente  entrée  dans  l'héri- 
ta-^e  des  siècles,  une  influence  effective,  sensible  dans  la  vie  de  l'humanité, 
sans  acception  de  races. 

Un  tel  langage  honore  la  France.  Il  est  beau  que  le  monde  civilisé  acclame, 
dansune  enfant  de  sang  français,  l'idéal  du  courage  militaire,  du  culte  de  la 
patrie,  du  dévouement  pousse  jusqu'au  martyre. 

Aussi  la  terre  natale  de  la  Pucelle  ne  saurait-elle  se  désintéresser  d'une 
gloire  que  lui  envient  toutes  les  nations. 

L'image  de  Jeanne  a  pris  place  sur  les  autels. 

Il  convient  maintenant  que  la  France  élève,  sur  le  sol  reconquis  par  la 
"uerrière,  un  hommage  tangible,  une  elfigie  grandiose,  prodigieuse,  monu- 
mentale, LA  STATUE  après  des  statues. 

Dominant  le  Rhin,  à  Niederwald,  se  dresse  la  statue  de  la  Oermania  ;  Munich 
a  la  Bavaria.  c'est-à-dire  l'image  de  la  patrie. 

New-York  a  la  Liberté,  c'est-à-dire  l'emblème  du  droit  de  tout  citoyen  à  sa 
part  de  justice. 

La  France  se  doit  à  elle-même  d'ériger,  dans  des  proportions  colossales, 
l'évocation  radieuse  de  Jeanne  d'Arc  qui,  aux  yeux  des  deux  mondes,  demeu- 
rera toujours  l'ànie  visible  d'une  grande  patrie  ! 

Souvenons-nous  du  cri  de  guerre  de  Jeanne  :  «  En  avant,  tout  est  vôtre  !  « 
Confiants  dans  le  succès  de  l'entreprise,  à  l'œuvre! 

Nations  d'Allemagne.  d'Amérique,  d'Angleterre,  d'Autriche-Hongrie,  de 
Belgique,  de  Danemark,  d'Espagne,  de  Hollande,  d'Italie,  d'Océanie.  de  Russie, 
de  Scandinavie,  de  Suisse,  dont  les  historiens,  les  poètes,  les  orateurs  ont 
célébré  la  Pucelle  d'Orléans,  vous  voudrez  participer  à  la  glorification  qui  se 
prépare.  La  renommée  de  la  vierge  lorraine  a  franchi  toutes  les  frantières. 
Jeanne  d'Arc  a  des  admirateurs  sous  toutes  les  latitudes.  La  statue, définitive 
de  la  Libératrice  d'une  nation,  le  symbole  de  l'honneur,  de  a  paix  et  de  la 
liberté  sera  l'œuvre  universelle  des  peuples  réunis. 

LE  COMITÉ 


JEHANNE     LA     PUCELLE 

REVUE    DOCUMENTAIRE    BI-MENSUELLE 

Organe  du  Comité  de  la  Statue  Monumentale  de  JEHANNE  D'ARC 

Secrétaire  de  la  Rédaction  : 
M.  Henry  JOUIN.  6,  rue  Garancière,  PARIS 

LIBRAIRIE  DESGLÉE,  DE  BROUWER  ET  O' 

30,    RUE    SAINT-SULPICE.    PARIS 

Abbé  JOUIN,  Curé  de  Saint-Augustin. 

Jeanne  dArc  Mistère  en  cinq  actes  et  dix-huit  tableaux,  accompagni' 
de  notes  critiques.  Orchestration  de  A.  Vivet.  In-8»  de  563  pages. 

Jeanne  d'Arc.  Mistère  en  cinq  actes  et  quatorze  tableaux.  Edition 
réduite,  ln-8»  de  221  pages. 

Publications  de  M.  le  Chanoine  Philippe-Hector  DUNAND 
sur  JEANNE   D'ARC 

A     LA     LIBRAIRIE     POUSSIELGUE 
15,    RUE    CASSETTE,    PARIS 

Sous  presse.  Edition  nouvelle  de  l'Histoire  complète  de  la  Bienheu- 
reuse  Jeanne    d'Arc.   4  vol.  in-8»  de  600  pages  environ  chacun.  En 

librairie 7  fr.  50 

En  souscription 5  fr.     » 

Études  critiques  parues  : 
Les  'Visions  et  les  Voix,  in-S» 8  fr.     » 

Même  ouvrage,  in-12,  2  vol.  chacun 3  fr.  50 

L'Abjuration  du  cimetière  de  Saint-Ouen  et  les  points  principaux  du 

procès.  1  vol.  in-S" 8  fr.     » 

La  Société  de  l'histoire  de  France,  Jules  Quicherat  et  Jeanne  d'Arc. 

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La  Jeanne  d'Arc  de  M.  A.  France.  In-12 2  fr.      » 

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Jeanne  d'Arc  et  sa  mission  d'après  les  documents.  1  vol.  in-12.     3  fr.     » 
Le  procès  de  Rouen  et  le  Saint-Siège 1  fr.     » 

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Georges  GOYAU.  —  Jeanne  d'Arc  devant  l'opinion  allemande,  in-12. 
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ÉVREUX,    IMPRIMERIE    CH,    HÉRISSEV,    PAUL   HÉRISSEY,    Sl'CC^